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La Presse en Algérie: Sauver la tête ou l'estomac?

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  • La Presse en Algérie: Sauver la tête ou l'estomac?

    Finalement les traditions sont tout simplement trop confortables pour être troquées. Pour la journée mondiale sur la liberté d'expression, les rôles «algériens» n'ont pas failli à la règle. Les professionnels, réels ou auto-proclamés ou trop facilement blanchis par eux-mêmes ou même sincères, ont respecté les rôles.

    Pour sa part, le Pouvoir a, encore une fois, donné sa version sur une expression «responsable», à caser entre le devoir d'informer et l'obligation de ne pas trop le faire là où les corporatistes ont dénoncé le binôme connu de liberté-répression, se sont élevés contre la censure, les pressions et ont versé dans la commémoration qui anoblit le présent sans pourtant cacher les compromissions et les bricolages éditoriaux face aux bricolages de l'Etat qui n'existe que pour lui-même.

    De quoi souffre cette fameuse liberté d'expression en Algérie? Un peu de tout comme ailleurs dans les pays pauvres et féroces: monopole sur les médias publics, criminalisation de délits de presse, gestion policière de l'information et des agréments de publications, chantage financiers, manipulations, rétentions de l'information... etc. Les «crimes» de l'Etat sont connus et vont de la coupure d'électricité au retrait du passeport.

    Reste pourtant le reste: l'autre procès que la solidarité mal comprise empêche de tenir, que la peur du salariat empêche d'organiser et que la peur de perdre l'emploi ou l'entreprise empêche de réfléchir.

    Faut-il, aujourd'hui, répéter que les entreprises médiatiques algériennes souffrent de la même misère qu'une simple entreprise de réfection de trottoirs face à la pauvreté de la ressource humaine, face à l'Administration, face à la corruption, face à la règle de la compromission et face à l'alimentaire?

    Faut-il signaler que «l'alignement» de la presse algérienne, depuis quelques années, participe tout aussi de la peur de se voir fermer les portes que de la peur de perdre des rentes? Faut-il dénoncer cette confusion facile que l'on entretient entre l'enjeu d'une presse libre et l'enjeu d'une entreprise qui «doit rapporter de l'argent»?

    L'économie de marché à l'algérienne étant tout aussi spécifique que son défunt socialisme, il est, aujourd'hui, juste de dénoncer un Pouvoir politique qui «peut» ce qu'il veut, quand il le veut, mais il serait aussi utile de commencer à s'éveiller à ces autres camisoles invisibles qui commencent à ligoter les acquis des années 90 encore plus férocement que les simples interdits d'imprimerie. Il n'est que de parler de ces souverains holding nationaux ou internationaux de «privés» qui nourrissent des journaux par leur planning de pages publicitaires pour comprendre que l'enjeu utopiste de la liberté d'expression pèse peu lorsqu'il s'agit de choisir entre dénoncer une grève dans l'usine d'un client publicitaire et son bon de commande en annonces bien payées.

    Aujourd'hui, la presse algérienne et ses médias ne sont plus coincés entre la noblesse et la matraque mais aussi entre la peur de «perdre» et la bourse de l'annonceur, et entre leurs propres guerres de marchés. Une ligne nouvelle qui dessine autrement l'enjeu de «la liberté de dire» et de dénoncer et qu'aucun débat public que veut entamer.

    Si, aujourd'hui, certains journaux ne sont créés que pour consommer des gisements publicitaires par exemple ou «meubler» la visibilité de quelques familles de pouvoir, c'est parce que la compromission est déjà allée au-delà de la simple question de survie financière ou de la peur de la suspension.

    On pourra toujours comprendre que «le menu» d'un journal soit aussi dessiné par le souci de la prudence politique, mais il est utile de dire que ce menu est aussi cuisiné par le souci de ménager des clients et leurs réseaux. C'est, certes, une règle universelle, mais chez nous elle manque de ces garde-fous vaseux que l'on appelle la déontologie ou la morale ou même l'honnêteté basique. Faut-il en vouloir aux acteurs de la «liberté d'expression» que de se défendre pour défendre leur pain dans un pays qui lui-même n'arrive pas à construire une morale qui va au-delà du pompage du gazoduc et de la légitimité historique? Peut-être oui, peut-être non. Dans le tas de cette misère, même le chroniqueur tient à son salaire. Il y a même une philosophie facile à bâtir sur les nuances entre le compromis et la compromission.

    Il reste que la journée du 03 mai aurait aussi dû servir à s'avouer que la presse algérienne n'a pas qu'une tête mais aussi un couffin et un estomac. Ce n'est pas noble de le dire mais c'est mieux que de se chanter des hymnes faciles.

    Par Kamel Daoud, le Quotidien d'Oran
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