Le mouvement pour l’indépendance du Sahara occidental est mis à mal face à l’effritement de ses soutiens internationaux.
OLJ / Par Stéphanie KHOURI, le 19 décembre 2020
Front Polisario au Sahara occidental : le début de la fin ?
Un soldat du mouvement pour l’indépendance, le Front Polisario, devant un drapeau du Sahara occidental dans le camp de réfugiés de Boujdour, en Algérie. Photo AFP
C’est le dernier coup gagnant de Donald Trump, quelques semaines avant de céder la présidence à son successeur à la Maison-Blanche. Dans une série de tweets, le président américain a annoncé la semaine dernière la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, avant de reconnaître la souveraineté de Rabat sur le Sahara occidental, ce territoire disputé à la frontière du Maroc, de l’Algérie et de la Mauritanie. Une « victoire diplomatique incroyable » que le Maroc « souhaitait depuis longtemps et pour laquelle le royaume a mené un lobbying auprès de différentes parties du gouvernement américain pendant des années », remarque Intissar Fakir, chercheuse au programme Moyen-Orient du centre Carnegie Endowment for International Peace.
Les États-Unis, qui ont longtemps été impliqués sur ce dossier, signent-ils l’arrêt de mort du mouvement pour l’indépendance sahraoui et avec lui du Front Polisario qui le représente militairement et diplomatiquement depuis plusieurs décennies ? C’est ce que craignent les soutiens de la cause sahraouie, pour qui l’annonce des États-Unis pourrait encourager d’autres pays, européens, africains et arabes, à poursuivre dans la même direction en reconnaissant à leur tour la souveraineté marocaine sur les plus de 250 000 km2 en jeu. « Cette reconnaissance par une des plus grande puissances mondiale risque d’ouvrir la voie à d’autres », estime Khadija Finan, politologue spécialiste du Maghreb, enseignante et chercheuse à Paris I.
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Normalisation Maroc-Israël : Alger et Tunis pris de court
Les représentants du Front Polisario s’accrochent, eux, pour l’instant, à un dernier espoir : le sursaut de Washington qui, sous l’impulsion de la nouvelle administration menée par Joe Biden, pourrait revenir sur la décision de reconnaître la souveraineté marocaine, considérée comme contraire au droit international. « Washington n’était certes pas complètement neutre sur ce dossier, mais c’était un interlocuteur en qui les deux parties pouvaient avoir confiance. Le défi pour l’administration Biden sera donc de restaurer sa crédibilité », estime Ricardo Fabiani, spécialiste de l’Afrique du Nord au Crisis Group. La transition de la présidence américaine reste donc pour l’heure la dernière grande inconnue de l’équation. Celle qui pourrait encore changer la donne. « On ne sait pas combien la nouvelle administration est prête à investir son capital politique dans ce dossier, si elle voudra inverser la décision de Donald Trump et quelles garanties elle serait prête à donner afin de rassurer sur le fait qu’elle a des intentions sérieuses de relancer les négociations », observe Intissar Fakir.
Mais certains observateurs doutent que les États-Unis fassent marchent arrière. Le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. « Biden ne reviendra pas sur cette décision, il n’ira pas plus loin, ne commentera peut-être même pas », estime Khadija Finan, pour qui le silence du président élu semble indiquer qu’il restera attaché à l’acquis diplomatique d’une normalisation des relations entre le Maroc et Israël. « Je ne pense pas qu’il faille s’attendre à de grands changements entre les deux présidents », en conclut cette dernière. D’autant que le candidat démocrate a fait campagne sur son intention de « garder un engagement limité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », rappelle Intissar Fakir.
« La cause risque de s’étioler »
En l’absence d’un revirement américain, le Front Polisario menace d’avoir recours à la lutte armée, nourrissant les craintes d’une escalade violente. Depuis la mi-novembre, le mouvement avait déjà mis fin à un cessez-le-feu de 30 ans dans la région à la suite d’un incident sécuritaire avec les forces de sécurité marocaines. Mais au-delà du discours belliqueux, le Front est pourtant de plus en plus isolé sur la scène diplomatique. Un isolement renforcé par le mécontentement croissant des Sahraouis qui dénoncent l’impasse politique. « La population sur le terrain est de plus en plus en colère contre la classe dirigeante du Polisario », estime Sami Hadi, expert à International Interest, un cabinet de conseil en gestion des risques.
C’est précisément cette critique venant de l’intérieur qui pourrait pousser l’organisation à avoir recours à des méthodes violentes afin de donner au moins l’illusion d’une action. « L’isolation croissante du Polisario peut pousser à des gestes désespérés : le Front ne va pas disparaître simplement parce qu’il a moins d’amis à l’international », estime Ricardo Fabiani. Mais pour certains, le mouvement pourrait ne plus avoir les moyens de son ambition.
L'orient le jour
OLJ / Par Stéphanie KHOURI, le 19 décembre 2020
Front Polisario au Sahara occidental : le début de la fin ?
Un soldat du mouvement pour l’indépendance, le Front Polisario, devant un drapeau du Sahara occidental dans le camp de réfugiés de Boujdour, en Algérie. Photo AFP
C’est le dernier coup gagnant de Donald Trump, quelques semaines avant de céder la présidence à son successeur à la Maison-Blanche. Dans une série de tweets, le président américain a annoncé la semaine dernière la normalisation des relations entre le Maroc et Israël, avant de reconnaître la souveraineté de Rabat sur le Sahara occidental, ce territoire disputé à la frontière du Maroc, de l’Algérie et de la Mauritanie. Une « victoire diplomatique incroyable » que le Maroc « souhaitait depuis longtemps et pour laquelle le royaume a mené un lobbying auprès de différentes parties du gouvernement américain pendant des années », remarque Intissar Fakir, chercheuse au programme Moyen-Orient du centre Carnegie Endowment for International Peace.
Les États-Unis, qui ont longtemps été impliqués sur ce dossier, signent-ils l’arrêt de mort du mouvement pour l’indépendance sahraoui et avec lui du Front Polisario qui le représente militairement et diplomatiquement depuis plusieurs décennies ? C’est ce que craignent les soutiens de la cause sahraouie, pour qui l’annonce des États-Unis pourrait encourager d’autres pays, européens, africains et arabes, à poursuivre dans la même direction en reconnaissant à leur tour la souveraineté marocaine sur les plus de 250 000 km2 en jeu. « Cette reconnaissance par une des plus grande puissances mondiale risque d’ouvrir la voie à d’autres », estime Khadija Finan, politologue spécialiste du Maghreb, enseignante et chercheuse à Paris I.
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Mais certains observateurs doutent que les États-Unis fassent marchent arrière. Le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. « Biden ne reviendra pas sur cette décision, il n’ira pas plus loin, ne commentera peut-être même pas », estime Khadija Finan, pour qui le silence du président élu semble indiquer qu’il restera attaché à l’acquis diplomatique d’une normalisation des relations entre le Maroc et Israël. « Je ne pense pas qu’il faille s’attendre à de grands changements entre les deux présidents », en conclut cette dernière. D’autant que le candidat démocrate a fait campagne sur son intention de « garder un engagement limité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », rappelle Intissar Fakir.
« La cause risque de s’étioler »
En l’absence d’un revirement américain, le Front Polisario menace d’avoir recours à la lutte armée, nourrissant les craintes d’une escalade violente. Depuis la mi-novembre, le mouvement avait déjà mis fin à un cessez-le-feu de 30 ans dans la région à la suite d’un incident sécuritaire avec les forces de sécurité marocaines. Mais au-delà du discours belliqueux, le Front est pourtant de plus en plus isolé sur la scène diplomatique. Un isolement renforcé par le mécontentement croissant des Sahraouis qui dénoncent l’impasse politique. « La population sur le terrain est de plus en plus en colère contre la classe dirigeante du Polisario », estime Sami Hadi, expert à International Interest, un cabinet de conseil en gestion des risques.
C’est précisément cette critique venant de l’intérieur qui pourrait pousser l’organisation à avoir recours à des méthodes violentes afin de donner au moins l’illusion d’une action. « L’isolation croissante du Polisario peut pousser à des gestes désespérés : le Front ne va pas disparaître simplement parce qu’il a moins d’amis à l’international », estime Ricardo Fabiani. Mais pour certains, le mouvement pourrait ne plus avoir les moyens de son ambition.
L'orient le jour
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