Par Bernard Lugan
La seule question que doit se poser l’historien est de se demander pourquoi les brillantes principautés de Tlemcen à l’ouest et de Bougie (Béjaïa) à l’est, ne constituèrent pas les matrices de l’Algérie, alors que Fès et Marrakech ont créé le Maroc.
Auteur d’un livre intitulé «Au temps des grands empires maghrébins. La décolonisation de l’histoire de l’Algérie», l’historienne algérienne tlemcénite Fatima-Zohra Bouzina Oufriha explique ainsi le but de son travail:
«C’est le rôle du Maghreb central que je cherche à ré-apprécier par rapport à une lecture, partiale et biaisée, une interprétation de l’histoire qui pour moi est coloniale, dans la mesure où systématiquement, le rôle du Maghreb central qui deviendra l’Algérie est escamoté au profit du Maghreb extrême qui deviendra le Maroc (…) Derrière cette lecture biaisée et partiale, il y a la thèse coloniale (…) qui pose que l’Algérie n’a jamais existé. C’est toujours le Maroc que l’on met en exergue.» (Fatima-Zohra Bouzina Oufriha, Algeria-Watch)
Ces quelques lignes résument la question posée par le titre de ma chronique d’aujourd’hui. Fatima-Zohra Bouzina Oufriha semble en effet cultiver elle aussi ce complexe historique qui interdit régulièrement aux historiens algériens de regarder en face leur passé.
Y aurait-il donc une «lecture, partiale et biaisée», une «interprétation coloniale» de l’histoire à simplement constater que si le Maghreb central a bien existé, sa capitale, Tlemcen, n’a pas unifié, n’a pas créé l’Algérie?
La seule question que doit se poser l’historien est de se demander pourquoi les brillantes principautés de Tlemcen à l’ouest et de Bougie (Béjaïa) à l’est, ne constituèrent pas les matrices de l’Algérie, alors que Fès et Marrakech ont créé le Maroc.
Serait-ce dénigrer l’Algérie que de poser ces questions et de simplement constater qu’avec les Almoravides, les Almohades, les Saadiens, les Mérinides et les Alaouites, le Maroc développa des empires s’étendant à certaines époques sur tout le Maghreb, l’Espagne et jusqu’à Tombouctou, quand Tlemcen et Bougie ne dépassèrent pas le stade de principautés, certes brillantes, mais qui n’eurent pas de prolongements étatiques modernes?
La réponse à cette question est pourtant claire: prises en étau entre le Maroc et Tunis, l’autonomie de Tlemcen et de Bougie ne fut que ponctuelle, ces deux cités dépendant constamment des hauts et des bas de leurs puissants voisins.
Voilà pourquoi Tlemcen et Bougie n’eurent pas un destin comparable à celui de Fès et de Marrakech, lesquelles furent des capitales d’empires.
Reprenons donc rapidement l’histoire de la région. Au début du XIIIe siècle, maîtres de tout le Maghreb, les Almohades déléguèrent le pouvoir local à des gouverneurs. Celui d’Ifrikiya, province s’étendant approximativement de Constantine à la Tripolitaine, fut Mohammed ben Abou Hafs, d’où le nom Hafside. Ce Berbère Hintata (groupe Masmouda), était le fils d’Abou Hafs Omar, compagnon d’Ibn Toumert, le fondateur de la puissance almohade. A l’ouest, Yaghmorasan ben Zayan, d’où Zianide, Berbère de la tribu des Beni Abd el-Wad, fut nommé gouverneur de Tlemcen.
Durant la période de décadence de l’empire almohade, ces gouverneurs prirent leur autonomie et ils fondèrent chacun une dynastie. Les Hafsides (ou Hafçides) régnèrent ainsi à Tunis et à Bougie de 1229 à 1574, les Zianides (ou Abd el-Wadides), à Tlemcen de 1235 (1240) à 1554.
Durant ces époques, Bougie fut en quelque sorte «à cheval» entre Tunis et Tlemcen, regardant à la fois vers l’Orient et vers l’Occident. Quant au royaume de Tlemcen, il fut pris en tenaille entre le Maroc des Mérinides (1258-1420) à l’ouest et Tunis à l’est, réussissant à certains moments à desserrer leur étreinte, mais devant le plus souvent la subir.
Voilà pourquoi Tlemcen ne fut pas la matrice de l’Algérie car, durant près de huit siècles, de 790 à 1554, elle fut quasi constamment sous influence ou sous domination marocaine. Sauf durant quelques décennies à la fin du XIVe siècle et au début du XVe. Mais, durant ses plages d’indépendance, Tlemcen ne réussit pas à dépasser le stade de la principauté, n’étant à aucun moment en mesure d’unifier le Maghreb central.
La seule question que doit se poser l’historien est de se demander pourquoi les brillantes principautés de Tlemcen à l’ouest et de Bougie (Béjaïa) à l’est, ne constituèrent pas les matrices de l’Algérie, alors que Fès et Marrakech ont créé le Maroc.
Auteur d’un livre intitulé «Au temps des grands empires maghrébins. La décolonisation de l’histoire de l’Algérie», l’historienne algérienne tlemcénite Fatima-Zohra Bouzina Oufriha explique ainsi le but de son travail:
«C’est le rôle du Maghreb central que je cherche à ré-apprécier par rapport à une lecture, partiale et biaisée, une interprétation de l’histoire qui pour moi est coloniale, dans la mesure où systématiquement, le rôle du Maghreb central qui deviendra l’Algérie est escamoté au profit du Maghreb extrême qui deviendra le Maroc (…) Derrière cette lecture biaisée et partiale, il y a la thèse coloniale (…) qui pose que l’Algérie n’a jamais existé. C’est toujours le Maroc que l’on met en exergue.» (Fatima-Zohra Bouzina Oufriha, Algeria-Watch)
Ces quelques lignes résument la question posée par le titre de ma chronique d’aujourd’hui. Fatima-Zohra Bouzina Oufriha semble en effet cultiver elle aussi ce complexe historique qui interdit régulièrement aux historiens algériens de regarder en face leur passé.
Y aurait-il donc une «lecture, partiale et biaisée», une «interprétation coloniale» de l’histoire à simplement constater que si le Maghreb central a bien existé, sa capitale, Tlemcen, n’a pas unifié, n’a pas créé l’Algérie?
La seule question que doit se poser l’historien est de se demander pourquoi les brillantes principautés de Tlemcen à l’ouest et de Bougie (Béjaïa) à l’est, ne constituèrent pas les matrices de l’Algérie, alors que Fès et Marrakech ont créé le Maroc.
Serait-ce dénigrer l’Algérie que de poser ces questions et de simplement constater qu’avec les Almoravides, les Almohades, les Saadiens, les Mérinides et les Alaouites, le Maroc développa des empires s’étendant à certaines époques sur tout le Maghreb, l’Espagne et jusqu’à Tombouctou, quand Tlemcen et Bougie ne dépassèrent pas le stade de principautés, certes brillantes, mais qui n’eurent pas de prolongements étatiques modernes?
La réponse à cette question est pourtant claire: prises en étau entre le Maroc et Tunis, l’autonomie de Tlemcen et de Bougie ne fut que ponctuelle, ces deux cités dépendant constamment des hauts et des bas de leurs puissants voisins.
Voilà pourquoi Tlemcen et Bougie n’eurent pas un destin comparable à celui de Fès et de Marrakech, lesquelles furent des capitales d’empires.
Reprenons donc rapidement l’histoire de la région. Au début du XIIIe siècle, maîtres de tout le Maghreb, les Almohades déléguèrent le pouvoir local à des gouverneurs. Celui d’Ifrikiya, province s’étendant approximativement de Constantine à la Tripolitaine, fut Mohammed ben Abou Hafs, d’où le nom Hafside. Ce Berbère Hintata (groupe Masmouda), était le fils d’Abou Hafs Omar, compagnon d’Ibn Toumert, le fondateur de la puissance almohade. A l’ouest, Yaghmorasan ben Zayan, d’où Zianide, Berbère de la tribu des Beni Abd el-Wad, fut nommé gouverneur de Tlemcen.
Durant la période de décadence de l’empire almohade, ces gouverneurs prirent leur autonomie et ils fondèrent chacun une dynastie. Les Hafsides (ou Hafçides) régnèrent ainsi à Tunis et à Bougie de 1229 à 1574, les Zianides (ou Abd el-Wadides), à Tlemcen de 1235 (1240) à 1554.
Durant ces époques, Bougie fut en quelque sorte «à cheval» entre Tunis et Tlemcen, regardant à la fois vers l’Orient et vers l’Occident. Quant au royaume de Tlemcen, il fut pris en tenaille entre le Maroc des Mérinides (1258-1420) à l’ouest et Tunis à l’est, réussissant à certains moments à desserrer leur étreinte, mais devant le plus souvent la subir.
Voilà pourquoi Tlemcen ne fut pas la matrice de l’Algérie car, durant près de huit siècles, de 790 à 1554, elle fut quasi constamment sous influence ou sous domination marocaine. Sauf durant quelques décennies à la fin du XIVe siècle et au début du XVe. Mais, durant ses plages d’indépendance, Tlemcen ne réussit pas à dépasser le stade de la principauté, n’étant à aucun moment en mesure d’unifier le Maghreb central.
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