Published date: Lundi 22 février 2021 - 16:23
|
Last update: 16 hours 21 mins ago
Le hirak a remis en cause l’ordre ancien, un peu à la manière de mai 1968. Mais ni les leaders, ni l’élite politique, ni l’armée n’ont su capitaliser sur le mouvement pour jeter les bases d’un nouveau projet national.
Le hirak a ébranlé l’ancien ordre politique en Algérie, mais il n’a pas réussi (pas encore) à imposer un ordre nouveau. C’est toute la controverse au sujet du bilan de ce mouvement inédit, en ce second anniversaire, le 22 février.
À cette date, en 2019, des millions d’Algériens ont envahi la rue, dans une atmosphère festive, pacifique, pour refuser une fatalité qui semblait proche, celle d’un cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika, un homme pourtant diminué physiquement, incapable de se mouvoir, de faire un discours ou d’assister à une réunion.
Un désaccord au sommet du pouvoir sur sa succession avait provoqué cette paralysie du pays depuis 2013, lorsque le chef de l’État avait été victime d’un AVC qui lui avait laissé de graves séquelles. Cette situation absurde avait ouvert à des réseaux informels la possibilité de faire main basse sur les institutions, sur les centres de décision et sur les richesses du pays. Au cœur de ces réseaux, Saïd Bouteflika, frère et conseiller du chef de l’État.
Le hirak a fait exploser ces montages. L’armée, dirigée alors par le général-major Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, était initialement partie prenante dans le processus devant maintenir le président Bouteflika pour un cinquième mandat.
Mais sous la pression de la rue, elle a été contrainte à de déchirantes révisions.
À l’issue d’un conclave dont des images ont été diffusées par la télévision publique, l’armée, seule institution en mesure de peser réellement sur la vie politique du pays, a tracé le nouveau cap : pas de cinquième mandat, fin immédiate du quatrième mandat, pas de répression des manifestations, et promesse d’une grande campagne de lutte contre la corruption.
En contrepartie, l’armée formulait une seule exigence : que la crise trouve sa solution dans le cadre des institutions existantes.
D’abord un mouvement de refus
C’était alors l’euphorie. La rue bouillonnait, l’armée endossait largement les revendications du peuple, et le tout se passait dans une atmosphère de liesse. C’était l’époque « peuple, armée, khawa khawa » (frères).
Qu’est-ce qui s’est passé ensuite pour provoquer les clivages ultérieurs ? Qu’est-ce qui a donné naissance à cette tension qui a monté au fil des jours pour aboutir à un moment de crispation inquiétant lors de la présidentielle du 12 décembre 2019 ?
En fait, c’est le contenu et la nature même du hirak qui sont à l’origine de ce désaccord. Pour les uns, le hirak était d’abord un mouvement de refus, et c’est pour cela qu’il a drainé des millions de personnes, qui étaient forcément d’obédiences politiques différentes.
Ce qui unissait tout ce monde, c’était le refus de l’humiliation que constituaient le quatrième mandat et le projet d’un cinquième mandat du président Bouteflika, le refus de la corruption devenue endémique, et le rejet d’un pouvoir exercé de manière informelle, en dehors des institutions, par des cercles et des oligarques d’une rare arrogance.
Pour cette frange du hirak, la plus nombreuse, il fallait mettre fin à l’humiliation, et aller vers l’établissement d’un système nouveau dont les contours étaient plutôt vagues : on parlait de libertés, de séparation des pouvoirs, de respect des droits de l’homme et d’indépendance de la justice.
Mais ce n’était pas défini de manière précise, ni très élaborée ; il s’agissait plutôt d’idées consensuelles, excluant les sujets clivants et les désaccords, forcément nombreux, le tout animé par cet espoir qu’une aussi forte mobilisation permettrait l’émergence d’une nouvelle carte et d’une nouvelle génération politiques.
Pour ces courants, les choses s’annonçaient plutôt bien. La gestion des manifestations était, à ce moment-là, ferme, mais sans excès de violence. Les choses se sont ensuite accélérées quand a débuté une campagne anticorruption inédite.
Au fil des procès, l’Algérie découvrait l’ampleur incroyable de la corruption, des passe-droits et du gâchis caractéristiques de l’ère Bouteflika
Deux anciens Premiers ministres, plus de vingt ministres et autant d’officiers généraux, un ancien patron de la police et celui de la gendarmerie, des dizaines de chefs d’entreprises, de hauts responsables, de walis (préfets), ainsi que les oligarques les plus connus étaient traduits en justice, et nombre d’entre eux placés en détention ou condamnés : ce qui se passait était tout simplement inouï.
Au fil des procès, l’Algérie découvrait l’ampleur incroyable de la corruption, des passe-droits et du gâchis caractéristiques de l’ère Bouteflika.
De l’autre côté, une frange du hirak affichait un refus presque total de ce qu’engageait le pouvoir. Il s’agissait de partis regroupés dans le Pacte de l’alliance démocratique (PAD), d’islamistes, de personnalités et d’activistes de tous bords, jouissant d’une forte présence médiatique.
Pour eux, le système voulait juste se régénérer après avoir coupé les branches pourries, la campagne anticorruption relevait d’un simple règlement de comptes, et le régime était toujours aussi liberticide.
|
Last update: 16 hours 21 mins ago
Le hirak a remis en cause l’ordre ancien, un peu à la manière de mai 1968. Mais ni les leaders, ni l’élite politique, ni l’armée n’ont su capitaliser sur le mouvement pour jeter les bases d’un nouveau projet national.
Le hirak a ébranlé l’ancien ordre politique en Algérie, mais il n’a pas réussi (pas encore) à imposer un ordre nouveau. C’est toute la controverse au sujet du bilan de ce mouvement inédit, en ce second anniversaire, le 22 février.
À cette date, en 2019, des millions d’Algériens ont envahi la rue, dans une atmosphère festive, pacifique, pour refuser une fatalité qui semblait proche, celle d’un cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika, un homme pourtant diminué physiquement, incapable de se mouvoir, de faire un discours ou d’assister à une réunion.
Un désaccord au sommet du pouvoir sur sa succession avait provoqué cette paralysie du pays depuis 2013, lorsque le chef de l’État avait été victime d’un AVC qui lui avait laissé de graves séquelles. Cette situation absurde avait ouvert à des réseaux informels la possibilité de faire main basse sur les institutions, sur les centres de décision et sur les richesses du pays. Au cœur de ces réseaux, Saïd Bouteflika, frère et conseiller du chef de l’État.
Le hirak a fait exploser ces montages. L’armée, dirigée alors par le général-major Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, était initialement partie prenante dans le processus devant maintenir le président Bouteflika pour un cinquième mandat.
Mais sous la pression de la rue, elle a été contrainte à de déchirantes révisions.
À l’issue d’un conclave dont des images ont été diffusées par la télévision publique, l’armée, seule institution en mesure de peser réellement sur la vie politique du pays, a tracé le nouveau cap : pas de cinquième mandat, fin immédiate du quatrième mandat, pas de répression des manifestations, et promesse d’une grande campagne de lutte contre la corruption.
En contrepartie, l’armée formulait une seule exigence : que la crise trouve sa solution dans le cadre des institutions existantes.
D’abord un mouvement de refus
C’était alors l’euphorie. La rue bouillonnait, l’armée endossait largement les revendications du peuple, et le tout se passait dans une atmosphère de liesse. C’était l’époque « peuple, armée, khawa khawa » (frères).
Qu’est-ce qui s’est passé ensuite pour provoquer les clivages ultérieurs ? Qu’est-ce qui a donné naissance à cette tension qui a monté au fil des jours pour aboutir à un moment de crispation inquiétant lors de la présidentielle du 12 décembre 2019 ?
En fait, c’est le contenu et la nature même du hirak qui sont à l’origine de ce désaccord. Pour les uns, le hirak était d’abord un mouvement de refus, et c’est pour cela qu’il a drainé des millions de personnes, qui étaient forcément d’obédiences politiques différentes.
Ce qui unissait tout ce monde, c’était le refus de l’humiliation que constituaient le quatrième mandat et le projet d’un cinquième mandat du président Bouteflika, le refus de la corruption devenue endémique, et le rejet d’un pouvoir exercé de manière informelle, en dehors des institutions, par des cercles et des oligarques d’une rare arrogance.
Pour cette frange du hirak, la plus nombreuse, il fallait mettre fin à l’humiliation, et aller vers l’établissement d’un système nouveau dont les contours étaient plutôt vagues : on parlait de libertés, de séparation des pouvoirs, de respect des droits de l’homme et d’indépendance de la justice.
Mais ce n’était pas défini de manière précise, ni très élaborée ; il s’agissait plutôt d’idées consensuelles, excluant les sujets clivants et les désaccords, forcément nombreux, le tout animé par cet espoir qu’une aussi forte mobilisation permettrait l’émergence d’une nouvelle carte et d’une nouvelle génération politiques.
Pour ces courants, les choses s’annonçaient plutôt bien. La gestion des manifestations était, à ce moment-là, ferme, mais sans excès de violence. Les choses se sont ensuite accélérées quand a débuté une campagne anticorruption inédite.
Au fil des procès, l’Algérie découvrait l’ampleur incroyable de la corruption, des passe-droits et du gâchis caractéristiques de l’ère Bouteflika
Deux anciens Premiers ministres, plus de vingt ministres et autant d’officiers généraux, un ancien patron de la police et celui de la gendarmerie, des dizaines de chefs d’entreprises, de hauts responsables, de walis (préfets), ainsi que les oligarques les plus connus étaient traduits en justice, et nombre d’entre eux placés en détention ou condamnés : ce qui se passait était tout simplement inouï.
Au fil des procès, l’Algérie découvrait l’ampleur incroyable de la corruption, des passe-droits et du gâchis caractéristiques de l’ère Bouteflika.
De l’autre côté, une frange du hirak affichait un refus presque total de ce qu’engageait le pouvoir. Il s’agissait de partis regroupés dans le Pacte de l’alliance démocratique (PAD), d’islamistes, de personnalités et d’activistes de tous bords, jouissant d’une forte présence médiatique.
Pour eux, le système voulait juste se régénérer après avoir coupé les branches pourries, la campagne anticorruption relevait d’un simple règlement de comptes, et le régime était toujours aussi liberticide.
Commentaire