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Dadullah Akhund, mon geôlier en Afghanistan

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  • Dadullah Akhund, mon geôlier en Afghanistan

    Au lendemain de la mort de Dadullah Akhund, le reporter de La Repubblica, Daniele Mastrogiacomo, raconte sa détention par les hommes de ce chef militaire taliban, qui avait ordonné son enlèvement avant de le libérer au bout de deux semaines.

    J'ai tout de suite compris que c'était lui le chef. Quand je me suis trouvé devant lui, après douze jours de geôle, j'ai eu la nette impression que j'avais affaire à un leader, à l'homme qui avait tiré les ficelles de mon enlèvement et de celui de mon ami l'interprète-journaliste de 23 ans, Adjmal Nashkbandi.

    Quand le mollah Dadullah Akhund, commandant militaire du sud-ouest de l´Afghanistan est apparu, le comportement de nos geôliers a changé radicalement. Ils sont devenus sérieux, silencieux, déférents et extrêmement attentifs à sa sécurité.

    C'était la nuit, dans le centre-sud de la province de Helmand, au cœur du territoire taliban. Personne, ce soir-là, ne me le présente. Ce n'est pas nécessaire. Les visages inquiets et nerveux des geôliers qui nous escortent, les miliciens répartis sur les bords des routes pour assurer sa protection, me font comprendre que nous sommes devant l'homme fort du moment, celui que nous voulons interviewer. Le 17 mars dernier, il a transformé notre rendez-vous en guet-apens. Depuis douze jours, nous sommes les otages des talibans. Ils nous ont enchaînés et nous ont trimbalés à travers toute la province de Helmand. Ils viennent de tuer notre chauffeur, Sayed Agha, 35 ans, père de cinq enfants.

    Pas de doute, c'est bien lui, Dadullah. Il a un regard dur, encadré d'une barbe noire hirsute, des cheveux longs et ébouriffés qui lui couvrent les oreilles et lui descendent dans le cou et dont de grosses mèches sortent de son turban noir. Sa voix est gutturale, mais elle dérape de temps à autre dans les aigus, avec un timbre presque féminin. J'ai étudié les traits de son visage sur des dizaines de photos. C'est bien lui, le comandant militaire des talibans de la province de Helmand, un des dix membres de la Choura suprême, l'exécutif politique des talibans dirigé par le grand chef, le mollah Mohammad Omar. C'est donc lui qui nous a fait arrêter, enchaîner, frapper, transférer dans quinze prisons différentes. C'est lui qui ordonnera la mort de Sayed Agha.

    Il a une sinistre réputation. On dit qu'il a 41 ans, un âge que les combattants afghans atteignent rarement. Il a guerroyé toute sa vie. D'abord, très jeune dans le djihad contre les Soviétiques, puis, en 1998, il a pris la tête de la campagne des talibans pour la conquête des provinces du centre, dominées par l'ethnie Hazara, où il s'est fait remarquer par sa férocité. La légende raconte qu'il est même allé jusqu'à écorcher vif ses ennemis. Des récits devenus réalité quand il s'est fait photographier en train de décapiter ses prisonniers, avec, devant lui, les têtes posées sur les corps décapités.

    Il a perdu une partie de la jambe gauche en sautant sur une mine dans la province d'Herat. Les attaques contre les troupes de l'OTAN et les militaires afghans dans les provinces de Kandahar, Zabul et Uruzgan lui ont conféré prestige, honneurs et charisme. Associant sa rigidité militaire à une certaine flexibilité politique, il a, en 2006, rencontré les chefs de tribus du sud-ouest de l'Afghanistan et les a convaincues de sceller un accord de paix avec le gouvernement pakistanais. De nouvelles batailles viennent renforcer sa notoriété et il brigue le rôle de nouveau guide de la Choura.

    Mais le mollah Omar l'observe avec méfiance. Il craint sa popularité. Dadullah est astucieux, sournois, il sent tourner le vent. Il cherche des appuis au niveau international et se prépare au grand saut pour s'emparer des rênes du pouvoir taliban. Il interpelle les médias du monde entier qui le sollicitent à leur tour. Il fait des déclarations, accorde des interviews. Il critique le pape pour son célèbre discours à l'université de Ratisbone ; il offre cent kilos d'or en récompense à qui tuera les auteurs des caricatures de Mahomet. Il interdit à quiconque de travailler avec les étrangers. Et ses menaces sont sérieuses : il ordonne la décapitation de Ricardo Tanguia, délégué helvético-salvadorien du Comité international de la Croix-Rouge, pris en otage dans le sud du pays.

    Le soir où je le rencontre, le mollah Dadullah ne m'adresse que quelques mots. Il veut s'assurer : "J'espère que vous décrirez de manière correcte ce que vous avez vu. Vous, les journalistes, vous êtes toujours au service de la propagande occidentale." Il nous hait. Il n'hésiterait pas à me tuer moi aussi. Il me le fait comprendre avec un sourire chargé de sarcasme, en révélant qu'il a dû se plier à une décision venue du sommet. "C'est à notre commandant suprême, le mollah Omar, que tu dois la vie sauve. Il a décidé de ne pas te couper la tête."

    C'était son dernier message avant qu'il ne soit tué avec l'un de ses six frères lors d'une opération militaire dans le district de Girishk.

    Par Daniele Mastrogiacomo, La Republica- Courrier International
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