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La bataille de Diên Biên Phu

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  • La bataille de Diên Biên Phu

    Le 7 mai 1954, la bataille de Diên Biên Phu prenait fin en Indochine, après 170 jours d'affrontement, dont 57 jours d'enfer. Retour sur la plus furieuse, la plus longue bataille du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, en compagnie d'anciens militaires partis sur place, comme en pèlerinage, cinquante-trois ans après.

    « D'ici on voit toute la cuvette. À droite, Béatrice et Anne-Marie ; là-bas, Huguette et Dominique. » Debout, au sommet d'Éliane 2, la colline qui résista 39 jours aux coups de boutoir du Viêt-minh lors du funeste printemps 1954, le guide balaye de la main le camp retranché de l'armée française et ses si fragiles défenses aux prénoms féminins. « Le PC du général de Castries est à 400 mètres, de l'autre côté du ruisseau », précise-t-il.

    Dans la moiteur de l'après-midi vietnamien, à deux pas d'un boulevard pétaradant de scooters, une trentaine de touristes français tentent d'imaginer l'enfer vécu ici par leurs soldats, il y a 53 ans. Parmi eux, un vétéran de la guerre d'Indochine. Frais émoulu de Saint-Cyr, aide de camp du colonel Vanuxem basé à Nam Dinh, au sud de Haïphong, il n'a pas combattu à Diên Biên Phu. Mais la bataille, il la connaît par coeur. Et, à l'aube de ses 80 ans, il vient, comme d'autres, en pèlerinage sur les lieux de l'amère défaite française. Éliane 2, ultime rempart à l'assaillant, qu'il a gravi sans peine, lui semble minuscule. « Il faut imaginer la forêt partout, les kilomètres de tranchées à ciel ouvert creusées, jour après jour, par les Viêts », poursuit le guide. Mais le cratère laissé par la tonne de dynamite qui eut raison de la résistance des Français est, aujourd'hui, bordé de constructions. Et la ville repousse, chaque jour un peu plus, la luxuriante végétation.

    Dans le Musée militaire, où débute le parcours de tout « chasseur d'histoire » - le seul genre de tourisme possible à Diên Biên Phu -, une maquette géante illustre de manière plus frappante le piège dans lequel l'armée française s'est enferrée. Une vaste cuvette toute plate - « Il nous fallait absolument un aérodrome », souffle le vétéran - protégée par une dizaine de points d'appui (Béatrice, Anne-Marie, Dominique...), eux-mêmes entourés de hautes collines. « En novembre 1953, le général Navarre décide d'occuper Diên Biên Phu, un mois plus tard, 50 000 Viêts entourent la cuvette », récite le guide. Et dès que les combats débutent, l'aérodrome étant rendu inutilisable en quelques jours, « les parachutes de vivres et de matériel (des Français) tombent aux mains de nos valeureux soldats », raconte le petit film, diffusé en boucle. Les étoiles du colonel de Castries, promu général à la fin du combat, subirent le même sort lorsqu'elles lui furent larguées au-dessus de la cuvette...

    En moins de deux mois, la bataille, qui tua au moins 3 000 Français et environ 20 000 Vietnamiens, est perdue. Sans que Castries ne hisse le drapeau blanc. « On lui avait demandé de ne pas le faire, ça aurait terni sa bataille », complète l'officier français.

    Dans les quelques salles du musée, les traductions approximatives donnent à l'histoire si tragique une tonalité parfois comique. Sous la photo du colonel Piroth, qui se suicida deux jours après le début d'un combat qu'il savait déjà perdu, on lit que « le matin du 15 mars 1954, le colonel Pirote, commandant de l'artillerie, après deux nuits de ne pas réaliser sa promesse de faire mourir mes canons s'est tué en grenade ». Les « soldats de l'ennemi » sont photographiés « blessés et serrés dans les abris étroits, sordides, boués ». À côté de la baignoire récupérée dans son PC, un grand poster fige le moment où le général de Castries, en bras de chemise, est fait prisonnier avec son état-major le 7 mai.

    Pourtant, le guide vietnamien, dont le père s'est battu ici, se garde bien de ridiculiser le choix des Français. Leur défaite, « ce n'est pas seulement une erreur de position ». Au carrefour de la Chine, du Laos et du Vietnam, Diên Biên Phu était un verrou militaire. La bonne place, a priori, pour stopper les troupes du Viêt-minh qui se dirigeaient vers le Laos et le Cambodge. Mais « la France est trop loin du Vietnam, et trop de Français étaient contre la guerre ». D'ailleurs, poursuit-il, c'est sur des bicyclettes Peugeot que les Vietnamiens ont hissé dans les collines leurs canons en pièces détachées, jusqu'à 200 kg par chargement ! Un travail de fourmi que le commandement français n'a pas soupçonné.

    « On a sous-estimé le niveau de l'artillerie viêt-minh et, surtout, la manière dont ils l'utiliseraient », confirme l'ancien militaire. Mais, pour lui aussi, « on ne fait pas la guerre à des hommes mais à des idées ». Galvanisé par son président, Hô Chi Minh, emmené par la fougue du général Giap, le Vietnam voulait, comme un seul homme, bouter la France hors de chez lui. « Notre maigre réconfort fut de voir l'armée américaine perdre la face là-bas, quelques années plus tard », se souvient l'ancien combattant.

    Dernière étape du voyage, de l'autre côté du ruisseau, le PC du général de Castries. Quatre pièces vides, de part et d'autre d'un petit couloir. Le vieux militaire le trouve « minable », comme s'il y voyait toute la misère de l'armée française. L'idée que Castries, ce flamboyant cavalier, « qui aimait les femmes et l'argent », soit resté terré deux mois dans ce boyau le consterne. Seul vestige, sur un mur, le décompte des officiers et des soldats présents dans la cuvette. Et des victimes aussi. Dehors, sous le soleil couchant, au milieu des papillons et des libellules, des enfants jouent sur l'un des onze chars français rescapés des combats. Plus loin, sur le marché coloré de mille fleurs, les femmes commentent les petits événements du jour. La vie coule, paisiblement.

    À quoi pense-t-il en survolant Diên Biên Phu pour la dernière fois ? « Je pense à Navarre qui avait effectué plusieurs vols de reconnaissance, et qui devait se demander comment les choses se passeraient. » Et lui, le militaire dans l'âme, bientôt emporté dans la tourmente de la guerre d'Algérie, aurait-il aimé combattre à Diên Biên Phu ? « Oui, mais j'aurais eu peu de chances d'en revenir. »

    Par Le figaro
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