Algérie : Près de 65% des Algériens n’existent pas
Près de 65% des Algériens n’ont pas voté. Ils sont donc la nouvelle grande majorité du pays, reconnue officiellement comme telle. Le nouveau parti unique dans son genre, équidistant du nationalisme, de l’islamisme et des démocrates.
Des millions d’Algériens assis dans un endroit hors champ, hors couverture, sourds, muets et non convertibles en enthousiasmes. Le problème c’est que justement ils n’ont pas voté mais ne sont ni un parti, ni un acte, ni un geste, ni un poids ni un avenir. Ils ne sont partisans de personne et ne répondent à personne. Ils ne peuvent être ni récupérés ni effacés. L’abstention étant la maladie existentielle d’un peuple qui n’a pas de pays et non l’inverse comme le prétendent les hommes du Pouvoir. Les trois quarts de l’Algérie étant un désert, cela explique faussement que les trois quarts des Algériens n’y existent pas. Que va faire l’Etat face à un peuple qui lui fait défaut ? Faire comme l’ENTV : ne pas le reconnaître, ne pas le filmer, ne pas lui donner la parole et le remplacer par des vieux, des femmes âgées tremblantes d’émotion, des chants patriotiques, des images montées et des drapeaux un peu partout. Cela sauve les apparences mais ne sauve pas l’Avenir. Car, lorsqu’un peuple ne se déclare pas on le remplace automatiquement par des déclarations mais c’est toujours une fausse solution. C’est connu. Reste que le problème est grave : Que faire de 65% d’Algériens qui n’existent pas mais qui sont là à vous regarder à partir de leurs fenêtres et de leurs cafés maures ? Comment les gouverner en gouvernant sans eux ? Comment les convaincre alors qu’ils ne sont nul part ? Questions inutiles. On ne gouverne pas l’Algérie par le nombre mais par les chiffres. Les députés sont élus par les urnes, pas par les bulletins. Reste que si les chiffres de ces élections ne sont pas à saluer, les chiffres de l’abstention ne sont pas non plus une victoire. Il s’agit seulement d’un match nul : le système se retrouve encore plus coincé qu’il ne le dit mais les 65% le sont tout aussi. L’avenir sera donc fait de ce qui a fait l’actualité des émeutes de Ras El-Oued par exemple : une majorité sans issue face à une minorité sans interlocuteurs. C’est-à-dire, un Etat qui n’accouche que de lui-même, même lorsqu’on le croise avec la démocratie et un peuple qui ne reproduit que des chiffres même lorsqu’il refuse de voter. Faut-il se réjouir du spectacle d’un système de plus en plus mal élu ? Oui. Un peu. Cela ouvre droit à l’espoir d’un changement par l’isolement. Faut-il se réjouir du spectacle d’un peuple qui ne vote pas ? Non. Un peu. Cela n’annonce pas des jours meilleurs. Cela prouve que l’on peut dépeupler un pays sans déplacer les populations. Cela conduit à penser que le bon peuple n’attend plus le changement mais pire : le départ volontaire du système, l’effondrement ou une nouvelle violence pour débloquer l’horizon. Le sinistre est énorme est il n’est pas à saluer, quoique l’on dise.
Kamel Daoud, Quotidien d’Oran (19 mai 2007)
Près de 65% des Algériens n’ont pas voté. Ils sont donc la nouvelle grande majorité du pays, reconnue officiellement comme telle. Le nouveau parti unique dans son genre, équidistant du nationalisme, de l’islamisme et des démocrates.
Des millions d’Algériens assis dans un endroit hors champ, hors couverture, sourds, muets et non convertibles en enthousiasmes. Le problème c’est que justement ils n’ont pas voté mais ne sont ni un parti, ni un acte, ni un geste, ni un poids ni un avenir. Ils ne sont partisans de personne et ne répondent à personne. Ils ne peuvent être ni récupérés ni effacés. L’abstention étant la maladie existentielle d’un peuple qui n’a pas de pays et non l’inverse comme le prétendent les hommes du Pouvoir. Les trois quarts de l’Algérie étant un désert, cela explique faussement que les trois quarts des Algériens n’y existent pas. Que va faire l’Etat face à un peuple qui lui fait défaut ? Faire comme l’ENTV : ne pas le reconnaître, ne pas le filmer, ne pas lui donner la parole et le remplacer par des vieux, des femmes âgées tremblantes d’émotion, des chants patriotiques, des images montées et des drapeaux un peu partout. Cela sauve les apparences mais ne sauve pas l’Avenir. Car, lorsqu’un peuple ne se déclare pas on le remplace automatiquement par des déclarations mais c’est toujours une fausse solution. C’est connu. Reste que le problème est grave : Que faire de 65% d’Algériens qui n’existent pas mais qui sont là à vous regarder à partir de leurs fenêtres et de leurs cafés maures ? Comment les gouverner en gouvernant sans eux ? Comment les convaincre alors qu’ils ne sont nul part ? Questions inutiles. On ne gouverne pas l’Algérie par le nombre mais par les chiffres. Les députés sont élus par les urnes, pas par les bulletins. Reste que si les chiffres de ces élections ne sont pas à saluer, les chiffres de l’abstention ne sont pas non plus une victoire. Il s’agit seulement d’un match nul : le système se retrouve encore plus coincé qu’il ne le dit mais les 65% le sont tout aussi. L’avenir sera donc fait de ce qui a fait l’actualité des émeutes de Ras El-Oued par exemple : une majorité sans issue face à une minorité sans interlocuteurs. C’est-à-dire, un Etat qui n’accouche que de lui-même, même lorsqu’on le croise avec la démocratie et un peuple qui ne reproduit que des chiffres même lorsqu’il refuse de voter. Faut-il se réjouir du spectacle d’un système de plus en plus mal élu ? Oui. Un peu. Cela ouvre droit à l’espoir d’un changement par l’isolement. Faut-il se réjouir du spectacle d’un peuple qui ne vote pas ? Non. Un peu. Cela n’annonce pas des jours meilleurs. Cela prouve que l’on peut dépeupler un pays sans déplacer les populations. Cela conduit à penser que le bon peuple n’attend plus le changement mais pire : le départ volontaire du système, l’effondrement ou une nouvelle violence pour débloquer l’horizon. Le sinistre est énorme est il n’est pas à saluer, quoique l’on dise.
Kamel Daoud, Quotidien d’Oran (19 mai 2007)
Commentaire