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L'expulsion des Palestiniens en mai 1948.

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  • L'expulsion des Palestiniens en mai 1948.

    REVISITER L'EXODE PALESTINIEN DE 1948
    Benny Morris 2001


    « Nous devons exproprier avec délicatesse... Nous essaierons de pousser la population sans le sou de l'autre côté de la frontière en lui donnant des emplois dans les pays de transit, tout en lui refusant le travail dans notre pays... Il faudra procéder à l'expropriation ainsi qu'au déplacement des pauvres de façon discrète et circonspecte . »

    Compte tenu du fait que la grande majorité des Arabes de Palestine étaient « pauvres », Herzl ne pouvait que faire allusion à une forme de transfert massif. Mais il savait que la discrétion et la circonspection étaient de mise.

    Les années passant, l'histoire du conflit arabo-sioniste fut interprétée de façon tout à fait nouvelle. L'ouverture des archives en Occident et en Israël a rendu possible la percée historiographique de la fin des années 1980 qu'on appelle communément la « nouvelle historiographie ». Et aujourd'hui, c'est la poursuite de l'initiative de « déclassification » en Israël qui nous force a porter un regard nouveau sur ce qui a été publié durant la fin des année. 1980 et le début des années 1990. Je me réfère en particulier à l'ouverture de certains documents privés et institutionnels, des minutes des conseil; des ministres d'Israël entre 1948 et 1953, des années supplémentaires devant s'y ajouter bientôt, et, ce qui est encore plus significatif, à l'ouverture de; archives de la Haganah à Tel-Aviv et des archives du ministère des Force de défense israéliennes (AFDI) à Givatayim. Un certain nombre de document restent inaccessibles, mais en moyenne plus de 95 % de chaque dossier est devenu consultable. Le manque de personnel des archives rend impossible la satisfaction de toutes les demandes des universitaires, et pour l'instant moins de 10 % des 140 000 dossiers couvrant les années 1947-1956 ont été ouverts. Mais, comme la plupart des dossiers maintenant consultables ont trait à la guerre de 1948, et plus particulièrement à ses aspects opérationnels, on peut dire qu'une grande partie de l'importante documentation des AFI sur 1948 est maintenant consultable.

    L'examen de ces nouveaux documents, tant militaires que civils, a imposé que l'on porte un regard nouveau sur la création du problème des réfugiés palestiniens. Lorsque j'ai écrit Thé Birth of thé Palestinian Refugee Problem 1947-1949, je n'avais d'accès ni aux documents des AFDI ni à ceux des archives de la Haganah, et j'avais très peu de précieux documents militaires de première main à disposition. Néanmoins, les nouveaux documents que j'ai consultés ces dernières années tendent à confirmer et à renforcer les principales lignes de description et d'analyse ainsi que les conclusions de The Birth et du volume qui suivit, 1948 and After, qui fut publié en 1990.

    Ces principales conclusions étaient que cette masse de réfugiés palestiniens, grosse de 700 000 personnes, fut essentiellement le produit de la guerre, des attaques à l'obus, au fusil et à la bombe et de la panique que ces dernières engendrèrent. Mais la fuite des Palestiniens fut aussi le fruit de l'incompétence, de l'égoïsme et de la vénalité de leurs dirigeants,qui n'avaient pas su préparer correctement la guerre, plongèrent dedans tête baissée et fuirent au premier coup de canon en laissant derrière eux des communautés éberluées, privées de chefs et vaincues, qui prirent à leur tour la fuite. Dans le même temps, des mois de combats provoquèrent l'effondrement de la société urbaine palestinienne, entraînant dans son sillage son cortège de chômage, de montée des prix et de pauvreté. L'exode progressif, qui avait commencé par celui des classes supérieures et moyennes, fut poussé plus avant par la Haganah, l'Irgoun Zvai Leumi (IZL, littéralement « Organisation militaire nationale », ou simplement Irgoun), le Lohamê Herout Israël (LHI, littéralement « Combattants de la liberté d'Israël », ou simplement « groupe Stern »), et par les expulsions par les forces armées de sites spécifiques ; par des ordres donnés dans certaines zones et villes par les responsables arabes locaux et par les troupes arabes à des groupes de Palestiniens - femmes et enfants par exemple - ou à des communautés spécifiques de quitter leurs maisons et de laisser le champ libre aux combattants ; et par des atrocités israéliennes qui perturbèrent gravement et finirent par paniquer des communautés voisines des lieux où elles avaient été perpétrées. Les États arabes contribuèrent aussi à grossir le flot des réfugiés palestiniens en ne donnant pas au moment crucial des signaux clairs sur la nécessité ou non de partir, puis en envahissant et en rejetant une suite de propositions de compromis, et en n'absorbant pas les réfugiés dans leurs populations.

    Mais, permettez-moi de me répéter, le problème des réfugiés a essentiellement été causé par les attaques des villages et villes arabes par les forces juives et par le vent de panique qui a saisi les habitants, leur angoisse étant amplifiée par les expulsions, les atrocités et les rumeurs qui circulaient à propos de ces atrocités, et par la décision essentielle prise par le conseil des ministres en juin 1948 d'interdire aux réfugiés de revenir .

    La déclassification des nouveaux documents n'en nécessite pas moins une description et une analyse plus larges et plus profondes des divers aspects de l'exode. J'ai déjà commencé à vérifier les sources et à réécrire certains épisodes, et je vais continuer de le faire afin de produire une édition révisée de The Birth qui sera plus exacte, plus complète et plus en profondeur que l'édition originale.

    Les documents récemment ouverts tendent, en général, et il reste à savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose, à confirmer la version des événements de ceux qui chercheraient plutôt à souligner la part prise par le Yishouv et Israël dans l'expulsion des Arabes palestiniens des zones qui allaient devenir l'État d'Israël, plutôt que celle de ceux qui en limiteraient la responsabilité. Laissez-moi le dire tout de suite : d'abord il me semble que cela va dans le sens de la logique des choses puisque c'étaient précisément les documents qui donnaient une mauvaise image d'Israël qui avaient été soigneusement cachés par les archives officielles et semi-officielles d'Israël. Deuxièmement, je pense que, à supposer qu'ils le fassent, quand les États arabes ouvriront leurs archives concernant 1948 aux chercheurs, les documents qui s'y trouveront pourront servir à « ajuster » l'équilibre et à nous faire mieux prendre conscience de la responsabilité directe et indirecte de ces États dans la tragédie qui a englouti la Palestine et les Palestiniens (c'est-à-dire la responsabilité arabe dans le lancement des deux phases de la guerre de 1948, leur irresponsabilité vis-à-vis du problème émergeant des réfugiés, les ordres donnés à des communautés arabes spécifiques de partir, etc.).

    Je voudrais faire porter mon analyse sur deux thèmes afin d'illustrer l'importance de ces nouveaux documents : nous commencerons par l'étude de la solution du transfert, favorisée par les dirigeants sionistes durant la décennie qui a précédé 1948, puis nous étudierons les expulsions et atrocités dans la partie centrale supérieure de la Galilée durant et immédiatement après l'opération Hiram d'octobre-novembre 1948. Certains des documents ayant trait au premier sujet ont pu être ouverts aux chercheurs au début et jusqu'au milieu des années 1980, au moment où j'étais en train d'écrire The Birth, mais j'ignorais à l'époque leur existence.

    La solution du transfert, 1937-1947

    Le premier grief des chercheurs palestiniens ou propalestiniens comme Nur Masalha et Norman Finkelstein à rencontre de Thé Birth fut que j'y ignorais ou n'accordais que peu d'importance au rôle des propositions ou de la réflexion, avant 1948, des dirigeants sionistes sur le transfert dans la réalité des faits en 1948. Plus récemment, des critiques sionistes et prosionistes (Shabtai Teveth et Efraim Karsh par exemple) ont tout simplement nié que les dirigeants sionistes aient sérieusement envisagé l'idée du transfert, ou, au mieux, ont accusé The Birth d'avoir exagéré l'importance et la profondeur de la réflexion sur le transfert et prétendu qu'il n'y avait pas de lien entre des discussions occasionnelles sur une idée fortuite et les événements de 1948. Cette controverse concerne en réalité la nature du sionisme et le degré de préméditation des sionistes dans ce qui s'est produit en 1948.

    Il s'agit d'un problème de fond du sionisme, qui atteint les racines du conflit arabo-sioniste. Dès le départ, les sionistes souhaitaient faire de la Palestine un État juif. Malheureusement, le pays avait une population autochtone arabe de 500 000 personnes au début de l'immigration sioniste, aux environs de 1882, et de 1,3 million en 1947. Comment allait-on faire entrer un cercle dans un carré ? Comment une minorité juive - entre 60 000 et 80 000 personnes en 1914 et 650 000 personnes en 1947 - allait-elle obtenir le contrôle d'un pays peuplé d'une majorité arabe rivale ? Plusieurs solutions étaient possibles.

    La première et principale solution passait par Valiyah, autrement dit une poursuite de l'immigration juive. L'idée était que, peu à peu, la minorité allait noyer la majorité autochtone par le biais de la démographie, et ce malgré le plus fort taux de natalité des Arabes ; une fois les Juifs majoritaires, un État juif s'ensuivrait logiquement. Malheureusement, les Turcs ottomans puis, à partir d'un certain moment, leurs successeurs, c'est-à-dire l'Empire britannique, mirent un frein à l'immigration. Dans le même temps et pendant la plus grande partie de cette période, peu de Juifs de la diaspora souhaitaient immigrer en Palestine. La plupart, s'il s'agissait de partir, souhaitaient se rendre en Amérique du Nord, en Europe occidentale ou dans les États du Commonwealth. La recette pour que les Juifs soient majoritaires en Palestine ne passait pas par l'immigration.

    Une deuxième solution était la solution sud-africaine : l'établissement d'un État avec apartheid, où une minorité de colons régnerait sur une majorité importante, autochtone et exploitée. Pour la majorité des sionistes, une telle idée était un véritable anathème : en effet, ils étaient arrivés d’Europe avec des idées libérales ou socio-démocrates et avaient pour objectif d établir un État égalitaire ou tout au moins démocratique. L'apartheid était hors de question.
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