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Suicide des adolescents: les signaux d'alertes

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  • Suicide des adolescents: les signaux d'alertes

    Serge Hefez, psychiatre, responsable du Département de thérapie familiale au Service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à la Salpêtrière, souligne l'effet d'entraînement que peut avoir un adolescent déprimé sur d'autres adolescents. Et détaille les signes qui doivent mettre les parents en alerte.

    Comment peut-on comprendre le geste de ces deux adolescentes?


    Ce qui est le plus frappant dans ce geste c’est l’histoire à deux. Que des adolescentes se suicident, c’est assez fréquent. C’est la première cause de décès dans cette tranche d’âge. L’histoire à deux montre bien que l’adolescence est le moment où on se défait de ses liens avec ses parents pour amplifier ceux avec ses pairs. Les identifications croisées, les phénomènes de bandes entre adolescents sont très importants à cette âge là. Donc effectivement il peut y avoir, à partir d’un point de départ où une adolescente est mal dans sa peau, peut-être même un petit peu déprimée, et l’une un peu plus que l’autre, il peut y avoir quelque chose qui s’amplifie tout seul, une sorte de cercle vicieux qui se met en place.

    C’est un peu comme un vrai effet de groupe, c’est un peu comme une folie à deux. Quel que soit le vrai point de départ, il n’y en a pas une qui est plus responsable que l’autre parce que, très vite ça tourne tout seul. Elles se «montent le bourrichon» comme on dit. Elles se racontent l’histoire, et en se racontant l’histoire, elle devient de plus en plus vraie, et de plus en plus réelle malheureusement. On sait bien qu’à l’adolescence il y a la dimension du défi qui est extrêmement importante. Le défi c’est la quête de limites, c’est toutes les prises de risque que font les adolescents, plus souvent les garçons que les filles, mais les filles aussi. Ils cherchent à se tester, trouver des limites, être arrêtés finalement. Deux adolescentes ne peuvent plus perdre la face à partir du moment où elles mettent au point leur projet. Donc malheureusement ça peut effectivement prendre cette dimension. Une dimension qu’elles n’auraient pas forcément prise pour chacune des deux séparément. Il y avait certainement une des adolescentes qui était plus leader que l’autre. C’est souvent le cas, l’une mène. Mais la principale mécanique est celle de l’entraînement.

    Pourquoi l’adolescence est-elle si propice à ces actes de désespoir?

    Parce que l’adolescence est un peu une période de deuil en soi, c’est une période où on dit adieu à l’enfance. On doit à cette période se séparer d’une partie de soi, qui est une partie de soi enfant. La partie de soi enfant est en général tranquille, inconsciente, où on peut se reposer sur les adultes, pour entrer dans un autre personnage. C’est vraiment la recherche de soi à ce moment là, le travail de séparation d’avec soi enfant, d’avec ses parents, et dans le même mouvement la recherche de qui on est, qu’est ce qu’on veut, c’est très très chamboulant. Ce chamboulement de l’adolescence, c’est aussi un moment où le corps se transforme, on se sait pas très bien comment s’en servir. Il y a des organes génitaux qui se transforment, des seins qui poussent, on est regardé différemment par les autres. Donc ça renvoie une image différente de soi qu’il faut s’approprier. Il y a un espèce de bouleversement hormonal en plus qui fait qu’on est sur le plan émotionnel beaucoup plus à vif. Les émotions sont beaucoup plus exacerbées. Tout ça conjugué fait que l’adolescence est la période propice aux idées noires, aux ruminations, aux idées suicidaires.

    Qu’est ce que vous pensez que ces deux jeunes filles ont voulu dire, et à qui?

    Très souvent chez les jeunes filles, la tentative de suicide est un appel à l’aide. Très classiquement, elles prennent des médicaments, qui appartiennent à la mère ou au père. En tous cas elles ont des gestes qui sont beaucoup moins spectaculaire que ce qui s’est passé aujourd’hui. C’est un appel à l’aide inconscient, une façon de dire «je vais mal, vous ne me comprenez plus, je ne vous comprends plus». C’est une tentative un peu désespérée de rétablir un dialogue, une relation. Mais quand on est dans la défenestration, on est au bout du désespoir. De toute évidence l’une des deux ados, ou les deux, mais peut-être une plus que l’autre, est dans un moment de désespoir absolu, de mélancolie absolue. C’est vraiment le «No future», ce n’est plus une interpellation. C’est une autodestruction. On voit bien comment, avec cette vision mélancolique des choses, on peut entraîner très facilement d’autres adolescents dans ce phénomène. Voilà ce qui est encore plus inquiétant aujourd’hui: l’effet d’entraînement que ça peut avoir sur d’autres adolescents qui vont mal.

    Comme une sorte de modèle?

    Oui, il y a beaucoup d’exemples, il arrive qu’on ait un côté épidémique du suicide. On sait que dans un établissement scolaire quand il y a une tentative de suicide ou un suicide d’un adolescent, il y en a un autre qui peut arriver dans la foulée. Parce que c’est comparable à l’immolation, par son côté sacrificiel. Et les adolescents sont très sensibles à ce côté sacrificiel. Ils savent pas forcement bien à quoi le sacrifice les ramène, parce que la question du sens est un peu compliquée au moment de l’adolescence. Mais on cherche du sens, or le sacrifice peut donner un espèce de sens désespéré pour dire à l’humanité que le monde est horrible, atroce, que le monde que nos parents ont créé on le rejette, on en veut pas. Il peut y avoir cette dimension.

    Garçons et filles: y a-t-il des différences entre leurs comportements suicidaires?

    Les filles font plus de tentatives et les garçons plus de suicides «réussis». Justement les suicides des garçons sont plus spectaculaires en général, dans les méthodes employées. Et encore on ne compte pas dans les suicides les accidents de la routes, les overdoses, dans lesquels il y a très fréquemment une dimension suicidaire.

    Quels peuvent être les signaux d’alerte pour prévenir du suicide d’un adolescent?

    Un adolescent qui se renferme sur lui-même, qui coupe le contact non seulement avec les adultes, mais aussi avec ses frères et soeurs, qui s’isole, qui prend des habitudes avec l’alcool, avec le cannabis, c’est un adolescent en danger. En même temps ce n’est pas très spécifique dans la mesure où les adolescents traversent souvent une telle période. Mais l’accumulation de tous ces signes est à surveiller. Après ces ruptures de liens, il y un moment d’exaltation soudainement. On peut avoir le sentiment de voir l’adolescent un peu excité, comme traversé par un projet. Là il faut se méfier.

    Par Libération
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