Hersh : pourquoi les Etats-Unis soutiennent les Djihadistes ... Interview
Le double jeu de l’administration Bush qui encourage en sous main les jihadistes anti-chiites via l’Arabie Saoudite, tout en prétendant faire la « guerre à la terreur », a été révélé par Seymour Hersh, bien avant que les évènements de Nahr el Bared ne mettent aux prises le Fatah Al Islam avec l’armée libanaise. Transcription d’une interview avec Charles Goyette, en mars 2007.
Entretien de Seymour Hersh avec Charles Goyette, pour AntiWar, le 13 mars 2007.
Goyette : Pouvez vous nous résumer le contenu de votre article pour le New Yorker, La Redirection ?
Hersh : Sur le fond, c’est un article qui raconte comment nous avons changé radicalement de politique durant ces derniers mois.
Il est affreusement difficile de savoir où et quand. Nous sommes engagés dans la guerre d’Irak, et les choses ne se passent pas bien. Donc le président a décidé que nous allions étendre le conflit. Ce que nous voulons c’est isoler l’Iran - notre cible maintenant c’est l’Iran. Nous voulons conduire des opérations contre l’Iran. Nous le faisons depuis une année, et nous voulons également renforcer la confrontation contre les alliés de l’Iran en Syrie et au Liban.
Nous en sommes donc là. Les USA ont réunis des forces, avec les britanniques, les israeliens, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Jordanie - les pays arabes modérés - en une coalition destinée à lutter contre les chiites. Les chiites forment une minorité, mais une minorité puissante. Comme vous le savez, l’Iran est chiite. En ce momemt au Liban, le gouvernement sunnite contrôlé par le premier ministre Siniora subit une forte pression de la part d’une coalition menée par le Hezbollah, qui est chiite. Il y a également des chrétiens dans cette coalition, qui veut un plus grande part du gateau Libanais - plus de pouvoir.
Donc il y a une confrontation là bas.
Les USA se mettent partout au Moyen Orient aux cotés de ceux qui veulent s’opposer aux chiites. Il s’agit d’une surenchère considérable parce que, entre autres choses, elle aggrave les contradictions de notre politique qui consiste à faire des chiites d’Irak nos alliés, même s’il est difficile d’estimer la force qu’à encore aujourd’hui cette relation. Ainsi nous avons... une sorte de "Yellow Submarine", vous voyez ? Nous nous dissimulons.
Cette politique est si compliquée, si contradictoire et à court terme, que l’on se demande à quoi ces gens pensent.
Goyette : Bush et ces gens sont des apprentis sorciers. Ils ont libéré des forces qu’ils ne peuvent maitriser, qu’ils ne peuvent prévoir. Mais y-a-til quelqu’un dans cette administration qui se sente submergé de honte pour ne pas avoir prévu l’évidence : que la dé-baasification et l’invasion de l’Irak allaient contribuer à l’émergence d’un bloc chiite au pouvoir ? Je crois que cela semblait prévisible dès 2002.
Hersh : Il vous faut imaginer à quel point ces néoconservateurs sont inflexibles. Vous savez je suis focalisé sur ce sujet. J’ai été très critique là dessus. Je n’écrit plus depuis le 11 septembre qu’au sujet de cette folie crasse... Cela me rend dingue !
Dans les deux ou trois premiers mois de la guerre en 2003, mes contacts bien placés me disaient « nous commençons à entendre le bourdonnement de l’insurrection ». Nous les entendions échanger des communications, nous n’avons pas su percer le code, mais nous avons intercepté des messages. Il s’agissait de signaux iraniens, c’était une information trés sensible : les iraniens communiquaient avec les irakiens. D’ailleurs pourquoi ne l’auraient-ils pas fait ? Ce n’était pas un crime. Pourquoi les iraniens n’auraient-ils pas aidé leur allié et tenté de nous affaiblir ? C’est ainsi qu’est le monde.
En tout cas, les néocons ont refusé d’entendre cette suggestion que les chiites du sud [étaient lié à l’Iran] - Ils les soutenaient parce qu’ils voulaient dé-baasifier : se débarasser de l’armée et de tout ce qui avait eu un lien avec Saddam, ce qui est vraiment stupide. Les néocons disaient à l’armée et aux services de renseignement « Ne vous inquiétez pas pour ça. N’oubliez pas qu’il y a eu huit ans de guerres dans les années 1980 entre les deux pays - une guerre très sanglante - où 20 000 personnes étaient tué chaque jour. Il y eut d’horribles batailles. Les chiites d’Iran et les chiites d’Irak se détestent ».
C’était la théorie : en aucune façon, les chiites d’Irak ne soutiendrons l’Iran après la guerre. C’était ce que disaient les néocons. Les multiples rapports des services de renseignement disant « nous avons un vrai problème. nous avons repéré cinq mille agents iraniens ici », n’avaient aucune importance.
La présence de la Brigade Al Qods [des gardiens de la révolution iraniens] et d’autres formations était perceptible dans chaque ville importante du sud irakien. Ils portaient des vêtements noirs, peu fréquents, des chaussures noires et des chaussettes blanches. Ils étaient visibles, ne faisaient aucun effort pour se dissimuler. En fait, en 2004 ils louaient de grands immeubles d’habitation à Bassorah et ailleurs pour loger leurs gens. Ils n’avient pas uniquement une activité militaire, mais menaient également des actions humanitaires. Ils aidaient un allié, car plus il pouvaient diriger la guerre contre nous, plus leur position se renforçait.
Goyette : Il s’agissait même de plus que cela, car nous avons effectivement annoncé que dés que nous en aurions fini avec l’Irak, alors l’Iran et la Syrie seraient les prochains sur la liste. Nous avons fait en sorte que l’Iran ait intérêt à nous voir nous enliser.
Hersh : C’est la raison pour laquelle je ne comprend pas pourquoi l’opinion publique n’est pas plus réaliste, à chaque fois que Bush déclare « L’Iran aide l’Irak, la Syrie fournit de l’aide et des armes - idem pour le Hezbollah ».
Si vous vous souvenez des jours d’euphorie les premières semaines, alors tout le monde pensait que tout allait bien se passer. La statue de Saddam est tombée, et tous croyaient que la démocratie allait se répandre au Moyen Orient à partir de l’Irak. Cheney et les autres disaient « nous allons nous occuper de l’Iran puis de la Syrie et du Liban ». Ils étalaient leurs menaces sur la table et de demandaient pourquoi les gens dans la région n’étient pas d’accord et tentaient de résister tant qu’ils pouvaient.
C’est invraisemblable, tout simplemement en terme de compétences, c’est stupéfiant.
Fin de la premiere partie.
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