Un robinet comme chantier national stratégique ?
Par Kamel D. du Quotidien d'Oran
On s'imagine peu un George Bush ou la chancelière allemande arrivant dans un Etat ou une province pour inaugurer un robinet, un lycée ou dispensaire, en guise d'exercice de dopage du développement national ou de reconquête de popularité. Pourquoi ? Parce que dans les pays «normalisés», mis à part les grands chantiers d'intérêt national ou à forte symbolique collective, le reste qui va du robinet à la retenue collinaire dépendent d'un maire, d'une économie locale, d'une industrie indépendante et d'un budget décentralisé. Parce qu'un président a mieux à faire avec son cerveau qu'avec ses mains. Parce qu'entre le Président et les chantiers, il y a justement tout un Etat et tout un personnel et parce qu'on n'a nul besoin d'entourer un président d'une foule folklorique, de quelques chevaux et d'une liste de projets pour se justifier. Parce que les responsables locaux sont responsables devant leurs électeurs et pas devant l'employeur qu'est l'Etat. Si aujourd'hui en Algérie il faut presque mettre le Président derrière chaque chef de daïra, derrière chaque wali et derrière chaque chantier de réfection de trottoirs, c'est que cela va mal et parce que le mandat d'un président n'est déjà plus que celui d'un chef de chantier, piégé entre un peuple qui a la bouche ouverte et un Etat qui se retrouve réduit à un périple d'inspection permanent pour prendre en défaut des ministres que l'on a soi-même choisis. Bien sûr, dans le cas de Bouteflika, il s'agit d'un peu plus que cela: si aujourd'hui le bonhomme parcourt le pays, c'est pour en inspecter les chantiers dans l'idée d'inspecter ses ministres, dans l'idée de prouver à son peuple qu'il est vivant et donc dans l'idée d'être partout pour démentir ceux qui disent qu'il est nulle part. Une dose de volontarisme qui illustre la misère du reste. Car d'un autre côté, ils sont de plus en plus rares ces pays où les présidents ont encore besoin de bains de foule, de peintures de façades sur leur itinéraire et de pose de premières pierres pour briser leur solitude, mettre fin à l'isolement de leur propre pouvoir, prouver leur magnificence ou leurs politiques de développement et garder une meilleure image du pays qui a une mauvaise image d'eux.
Si Bouteflika inaugure aujourd'hui presque les robinets, c'est que l'Etat a déjà été réduit à sa propre personne comme il l'avait été à l'époque de ses prédécesseurs depuis 1962 et parce que sans cette recette d'un président derrière chaque sac de ciment, il n'y a presque rien à faire que de regarder l'eau couler, accompagnée par des discours sur des jardins à venir. Dans ce geste il y a autant les restes lourds du populisme des décennies mortes, que la preuve d'une misère de représentations locales ou d'efficacité gouvernementale douteuse que l'on tente de pallier avec le bénéfice d'une visibilité qui tente de redonner confiance au pays. Si pour manger, le pays ne dépend presque que du pétrole, il se trouve que pour avancer ou construire, il ne dépend plus que de sa présidence et de ses tournées multicolores. Cela ne va pas changer de sitôt et tant qu'entre un homme qui ne peut pas être partout mais qui le veut quand même, et le pays, il n'y a que des «désignés», des employés et des applaudisseurs. Les pays normalement constitués fonctionnent sur la base d'une règle simple: les électeurs sont partout là où le président ne peut être qu'en un seul endroit à la fois. Conclusion ? L'inspection des chantiers sera plus réelle et plus efficace si les gens qui sont partout avaient autant de pouvoir que l'homme qui ne peut être là où il est. Techniquement cela s'appelle la démocratie. Cela se vit sous la forme d'une économie décentralisée et se consomme sous la forme d'un droit de regard sur ce qui regarde tout le monde au lieu et place sur le regard d'une seule personne.
Quotidien d'Oran (aujourd'hui)
Par Kamel D. du Quotidien d'Oran
On s'imagine peu un George Bush ou la chancelière allemande arrivant dans un Etat ou une province pour inaugurer un robinet, un lycée ou dispensaire, en guise d'exercice de dopage du développement national ou de reconquête de popularité. Pourquoi ? Parce que dans les pays «normalisés», mis à part les grands chantiers d'intérêt national ou à forte symbolique collective, le reste qui va du robinet à la retenue collinaire dépendent d'un maire, d'une économie locale, d'une industrie indépendante et d'un budget décentralisé. Parce qu'un président a mieux à faire avec son cerveau qu'avec ses mains. Parce qu'entre le Président et les chantiers, il y a justement tout un Etat et tout un personnel et parce qu'on n'a nul besoin d'entourer un président d'une foule folklorique, de quelques chevaux et d'une liste de projets pour se justifier. Parce que les responsables locaux sont responsables devant leurs électeurs et pas devant l'employeur qu'est l'Etat. Si aujourd'hui en Algérie il faut presque mettre le Président derrière chaque chef de daïra, derrière chaque wali et derrière chaque chantier de réfection de trottoirs, c'est que cela va mal et parce que le mandat d'un président n'est déjà plus que celui d'un chef de chantier, piégé entre un peuple qui a la bouche ouverte et un Etat qui se retrouve réduit à un périple d'inspection permanent pour prendre en défaut des ministres que l'on a soi-même choisis. Bien sûr, dans le cas de Bouteflika, il s'agit d'un peu plus que cela: si aujourd'hui le bonhomme parcourt le pays, c'est pour en inspecter les chantiers dans l'idée d'inspecter ses ministres, dans l'idée de prouver à son peuple qu'il est vivant et donc dans l'idée d'être partout pour démentir ceux qui disent qu'il est nulle part. Une dose de volontarisme qui illustre la misère du reste. Car d'un autre côté, ils sont de plus en plus rares ces pays où les présidents ont encore besoin de bains de foule, de peintures de façades sur leur itinéraire et de pose de premières pierres pour briser leur solitude, mettre fin à l'isolement de leur propre pouvoir, prouver leur magnificence ou leurs politiques de développement et garder une meilleure image du pays qui a une mauvaise image d'eux.
Si Bouteflika inaugure aujourd'hui presque les robinets, c'est que l'Etat a déjà été réduit à sa propre personne comme il l'avait été à l'époque de ses prédécesseurs depuis 1962 et parce que sans cette recette d'un président derrière chaque sac de ciment, il n'y a presque rien à faire que de regarder l'eau couler, accompagnée par des discours sur des jardins à venir. Dans ce geste il y a autant les restes lourds du populisme des décennies mortes, que la preuve d'une misère de représentations locales ou d'efficacité gouvernementale douteuse que l'on tente de pallier avec le bénéfice d'une visibilité qui tente de redonner confiance au pays. Si pour manger, le pays ne dépend presque que du pétrole, il se trouve que pour avancer ou construire, il ne dépend plus que de sa présidence et de ses tournées multicolores. Cela ne va pas changer de sitôt et tant qu'entre un homme qui ne peut pas être partout mais qui le veut quand même, et le pays, il n'y a que des «désignés», des employés et des applaudisseurs. Les pays normalement constitués fonctionnent sur la base d'une règle simple: les électeurs sont partout là où le président ne peut être qu'en un seul endroit à la fois. Conclusion ? L'inspection des chantiers sera plus réelle et plus efficace si les gens qui sont partout avaient autant de pouvoir que l'homme qui ne peut être là où il est. Techniquement cela s'appelle la démocratie. Cela se vit sous la forme d'une économie décentralisée et se consomme sous la forme d'un droit de regard sur ce qui regarde tout le monde au lieu et place sur le regard d'une seule personne.
Quotidien d'Oran (aujourd'hui)
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