Pourquoi l’économie algérienne peine-t-elle à décoller malgré les ressources humaines, naturelles et financières amplement suffisantes ? Le modèle économique dominant (néo-classique) explique que la croissance est fonction du capital, de la main-d’œuvre et de la productivité globale de ces facteurs. Cette explication “fonctionne" en économie développée où ces trois variables sont réunies positivement.
Dans les économies du Sud, les variables capital, travail et leur productivité sont, certes, ici aussi des conditions nécessaires à la croissance, mais elles ne sont carrelées positivement et elles ne sont donc pas suffisantes. Les débats ont alors eu lieu — pour l’essentiel — sur la question de savoir quelle était la meilleure politique économique à mettre en œuvre, quels devaient être les choix les plus judicieux pour fabriquer de la croissance — politiques de la demande, politiques de l’offre, dépenses publiques, épargne privée, bref, l’ensemble des débats classiques animés par les spécialistes de la macro-économie. C’est à la fin des années 1980 que le débat sur la croissance économique s’est élargi à de nouvelles approches et notamment la croissance économique en contexte des pays du Sud. Les analystes et spécialistes de l’histoire économique ont, en effet, mis en lumière qu’ici, la croissance économique dépend fortement de la mise en place d’institutions qui fournissent des stimulants encourageant la productivité des facteurs capital et travail.
Que faut-il entendre par institutions ? On doit le développement de l’économie institutionnelle et de l’école institutionnaliste à l’économiste américain, prix Nobel en 1993, Douglas North. Pour Douglas North, les institutions sont les lois, règles, normes et croyances qui régissent une société. Les institutions sont les règles du jeu, c’est-à-dire les règles officielles et les normes non officielles qui régissent le fonctionnement de la société ainsi que leur mise en application.
Les institutions définissent “la manière dont le jeu se joue”.
Les plus importantes de ces institutions sont :
1/ le droit de propriété bien défini et spécifié qui fournit les stimulants à la productivité. Aussi bien les fournisseurs de capital que ceux de main-d’œuvre doivent être correctement récompensés et leurs droits de propriété protégés.
2/ un système légal et juridique d’exécution des contrats et accords. Et Douglas North, souligne : “S’il n’y a pas un système politique qui encourage la mise en place des droits de propriété efficaces et un système juridique impartial, on n’arrivera nulle part.”
Est-ce cet avertissement qu’auraient entendu les pays arabes réunis en Jordanie en février 2006 qui ont adopté une déclaration en 19 points dans laquelle ils ont reconnu notamment l’importance :
“1/ de la protection des droits de propriété et des droits contractuels ;
2/ de la transparence et de la prévisibilité des politiques, lois, réglementations et pratiques administratives au niveau national ;
3/ de la protection des investisseurs ;
4/ le renforcement de la législation anticorruption ;
5/ de la reconnaissance des principes acceptés à l’échelle internationale concernant la responsabilité sociale des entreprises ;
6/ du rôle actif réel que doivent jouer le monde des affaires et les organisations de la société civile.”
Les pays du Sud — et bien évidemment l’Algérie — ont besoin prioritairement de réformer leurs institutions. De telles réformes s’inscrivent toutes dans les efforts de construction de l’Etat de droit condition sine qua non pour créer la richesse et dans le même temps permettre l’émancipation économique et politique des citoyens. Mais qu’est-ce que l’Etat de droit ? L’Etat de droit est “un instrument visant à réglementer le comportement des hommes, à faire respecter le droit, à réfréner le gouvernement, à résoudre les litiges et gérer les problèmes sociaux”. (J. Rogers).
L’Etat de droit se base sur trois principes :
a) la primauté du droit
b) la protection égale de la loi
c) l’application impartiale de la loi en cas d’infraction.
L’Etat de droit est l’antithèse de l’anarchie, de la domination des hommes, du pouvoir discriminatoire, de l’abus de pouvoir, de la corruption de haut niveau, du châtiment arbitraire. Ainsi, la croissance économique a besoin de capital, de travail et de productivité de ces deux facteurs. Mais dans nos pays, elle a surtout besoin de la construction de l’Etat de droit et donc de réformes des institutions, c’est-à-dire de réformes des “règles du jeu”. La croissance économique a besoin de bonne gouvernance et la bonne gouvernance c’est celle qui fonctionne sur la base des principes de transparence, de responsabilisation, de responsabilité et d’équité. Bref, la bonne gouvernance c’est la démocratie. Un dernier point de débat qui mérite qu’on s’y attarde quelque peu est celui qui a trait au rapport croissance économique/démocratie.
Faut-il attendre d’être riche pour être démocrate ?
Non ! répond le prix Nobel indien A. Sen : “Il est incontestable que la réussite économique facilite l’accession à la démocratie. Mais, en 1947, lorsque l’Inde a opté pour la démocratie, elle était très pauvre”. Et il ajoute : “... il est dangereux de priver une population de démocratie pour parvenir à des objectifs économiques ambitieux.” Brecht disait : “Malheureusement, le pays qui n’a pas un bon chef.” Et A. Sen précise : “Je dirais pour ma part “malheureux le pays qui a besoin d’un chef.” Cet éminent économiste qui a mis au point l’indice synthétique du développement humain, aujourd’hui reconnu par l’ONU, définit le développement comme le processus par lequel on arrive à accroître le bonheur et la liberté des hommes qu’elle soit politique, sociale ou économique”.
La croissance économique est utile au développement... mais elle n’est pas le développement. “La croissance économique ne suffit pas. Il faut s’intéresser davantage au développement humain et social, aux libertés, à l’articulation entre développement et démocratie”. Alors... si nous revenons à notre question de départ : pourquoi l’économie algérienne peine-t-elle à décoller ? Quelles merveilleuses grilles de lecture nous offrent les deux Nobel Douglas North et Amartya Sen.
Par Le soir
Dans les économies du Sud, les variables capital, travail et leur productivité sont, certes, ici aussi des conditions nécessaires à la croissance, mais elles ne sont carrelées positivement et elles ne sont donc pas suffisantes. Les débats ont alors eu lieu — pour l’essentiel — sur la question de savoir quelle était la meilleure politique économique à mettre en œuvre, quels devaient être les choix les plus judicieux pour fabriquer de la croissance — politiques de la demande, politiques de l’offre, dépenses publiques, épargne privée, bref, l’ensemble des débats classiques animés par les spécialistes de la macro-économie. C’est à la fin des années 1980 que le débat sur la croissance économique s’est élargi à de nouvelles approches et notamment la croissance économique en contexte des pays du Sud. Les analystes et spécialistes de l’histoire économique ont, en effet, mis en lumière qu’ici, la croissance économique dépend fortement de la mise en place d’institutions qui fournissent des stimulants encourageant la productivité des facteurs capital et travail.
Que faut-il entendre par institutions ? On doit le développement de l’économie institutionnelle et de l’école institutionnaliste à l’économiste américain, prix Nobel en 1993, Douglas North. Pour Douglas North, les institutions sont les lois, règles, normes et croyances qui régissent une société. Les institutions sont les règles du jeu, c’est-à-dire les règles officielles et les normes non officielles qui régissent le fonctionnement de la société ainsi que leur mise en application.
Les institutions définissent “la manière dont le jeu se joue”.
Les plus importantes de ces institutions sont :
1/ le droit de propriété bien défini et spécifié qui fournit les stimulants à la productivité. Aussi bien les fournisseurs de capital que ceux de main-d’œuvre doivent être correctement récompensés et leurs droits de propriété protégés.
2/ un système légal et juridique d’exécution des contrats et accords. Et Douglas North, souligne : “S’il n’y a pas un système politique qui encourage la mise en place des droits de propriété efficaces et un système juridique impartial, on n’arrivera nulle part.”
Est-ce cet avertissement qu’auraient entendu les pays arabes réunis en Jordanie en février 2006 qui ont adopté une déclaration en 19 points dans laquelle ils ont reconnu notamment l’importance :
“1/ de la protection des droits de propriété et des droits contractuels ;
2/ de la transparence et de la prévisibilité des politiques, lois, réglementations et pratiques administratives au niveau national ;
3/ de la protection des investisseurs ;
4/ le renforcement de la législation anticorruption ;
5/ de la reconnaissance des principes acceptés à l’échelle internationale concernant la responsabilité sociale des entreprises ;
6/ du rôle actif réel que doivent jouer le monde des affaires et les organisations de la société civile.”
Les pays du Sud — et bien évidemment l’Algérie — ont besoin prioritairement de réformer leurs institutions. De telles réformes s’inscrivent toutes dans les efforts de construction de l’Etat de droit condition sine qua non pour créer la richesse et dans le même temps permettre l’émancipation économique et politique des citoyens. Mais qu’est-ce que l’Etat de droit ? L’Etat de droit est “un instrument visant à réglementer le comportement des hommes, à faire respecter le droit, à réfréner le gouvernement, à résoudre les litiges et gérer les problèmes sociaux”. (J. Rogers).
L’Etat de droit se base sur trois principes :
a) la primauté du droit
b) la protection égale de la loi
c) l’application impartiale de la loi en cas d’infraction.
L’Etat de droit est l’antithèse de l’anarchie, de la domination des hommes, du pouvoir discriminatoire, de l’abus de pouvoir, de la corruption de haut niveau, du châtiment arbitraire. Ainsi, la croissance économique a besoin de capital, de travail et de productivité de ces deux facteurs. Mais dans nos pays, elle a surtout besoin de la construction de l’Etat de droit et donc de réformes des institutions, c’est-à-dire de réformes des “règles du jeu”. La croissance économique a besoin de bonne gouvernance et la bonne gouvernance c’est celle qui fonctionne sur la base des principes de transparence, de responsabilisation, de responsabilité et d’équité. Bref, la bonne gouvernance c’est la démocratie. Un dernier point de débat qui mérite qu’on s’y attarde quelque peu est celui qui a trait au rapport croissance économique/démocratie.
Faut-il attendre d’être riche pour être démocrate ?
Non ! répond le prix Nobel indien A. Sen : “Il est incontestable que la réussite économique facilite l’accession à la démocratie. Mais, en 1947, lorsque l’Inde a opté pour la démocratie, elle était très pauvre”. Et il ajoute : “... il est dangereux de priver une population de démocratie pour parvenir à des objectifs économiques ambitieux.” Brecht disait : “Malheureusement, le pays qui n’a pas un bon chef.” Et A. Sen précise : “Je dirais pour ma part “malheureux le pays qui a besoin d’un chef.” Cet éminent économiste qui a mis au point l’indice synthétique du développement humain, aujourd’hui reconnu par l’ONU, définit le développement comme le processus par lequel on arrive à accroître le bonheur et la liberté des hommes qu’elle soit politique, sociale ou économique”.
La croissance économique est utile au développement... mais elle n’est pas le développement. “La croissance économique ne suffit pas. Il faut s’intéresser davantage au développement humain et social, aux libertés, à l’articulation entre développement et démocratie”. Alors... si nous revenons à notre question de départ : pourquoi l’économie algérienne peine-t-elle à décoller ? Quelles merveilleuses grilles de lecture nous offrent les deux Nobel Douglas North et Amartya Sen.
Par Le soir
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