Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Portrait de Jeannette Bougrab, candidate UMP d'origine algerienne

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Portrait de Jeannette Bougrab, candidate UMP d'origine algerienne

    Jeannette Bougrab, 33 ans. Candidate aux législatives dans le XVIIIe arrondissement parisien, cette maître de conférences et fille de harki fait campagne en solitaire.






    Elle est installée au fond d'un café, boulevard Barbès. Devant son Coca, on dirait une cliente. Elle a de magnifiques cheveux de jais qu'elle prend soin de lisser et des yeux de biche allongés au khôl. Elle vient ici tous les vendredis depuis novembre. Jeannette Bougrab, 33 ans, est la candidate UMP dans la 18e circonscription de Paris. Elle n'est pas en terre conquise dans cet arrondissement tenu par la gauche depuis dix ans et où Royal a fait 62 %. Sa campagne, elle la mène à sa manière : un peu tête de mule, s'agrégeant des amitiés et des sympathies nouvelles, hors des réseaux habituels de son parti. En solitaire. D'ailleurs, elle a bien failli ne pas obtenir l'investiture.
    Jeannette Bougrab garde des bottines à talon pour battre le pavé, de la Goutte-d'Or aux Abbesses et Montmartre. Vu les dénivelés et les escaliers, on se dit que ce n'est pas raisonnable. Elle fait donc campagne pour battre le socialiste sortant (et confiant) Christophe Caresche avec de mauvaises chaussures et peu de moyens. «Je suis allée chouiner vingt-cinq fois à l'UMP pour avoir un bureau. Le téléphone, c'est moi qui le paye. Je négocie partout : je demande un prix à l'imprimeur, des copains m'ont donné des sous, un ami artiste me loue un local.» Les élus locaux UMP trouvent qu'elle les snobe, et ce n'est pas faux. Mais ceux qui l'aident dans le XVIIIe expliquent : «C'est une affaire de coeur» ; elle les désigne par «mes amis». C'est drôle cette impression qu'en tournée dans sa circonscription, elle cherche refuge plus qu'elle ne bat campagne. Comme si elle avait besoin qu'on la cajole, qu'on panse ses plaies.
    Elle s'arrête à l'église Notre-Dame-du-Bon-Conseil rencontrer le curé qui s'occupe du patronage. Lui peine à reconnaître la candidate, elle qui n'est pas catholique semble émue. «Cela m'amène un certain réconfort dans cette campagne très violente», dit Jeannette Bougrab, assise comme une petite fille respectueuse. Elle ajoute : «Je me dis parfois que je vais arrêter la politique et faire de l'aide aux devoirs.» A Montmartre, elle s'attarde dans l'arrière-boutique d'un pharmacien plein de prévenance. Puis se fait accompagner par son suppléant en terrasse, place du Tertre, avec Michou qui promet entre deux coupes de champagne de l'aider, mais qu'elle préfère abandonner pour retrouver un restaurateur égyptien ancien de la Légion chez qui elle se sent chez elle. Au marché du Poteau, elle reste de longues minutes auprès d'un marchand de légumes admiratif. Tout cela lui fait du bien. Mais dans l'arrondissement, on ne la reconnaît pas toujours.
    Jeannette Bougrab est entrée à l'UMP en 2002, propulsée par Pierre Mazeaud, rencontré lors d'un stage de trois mois au Conseil constitutionnel. Elle se sent héritière du «gaullisme social». De droite quand il s'agit de l'économie, mais davantage de gauche sur les questions de société, comme l'homoparentalité. En 2004, Nicolas Sarkozy prend les rênes du parti. La fille de harki annonce qu'elle ne sera pas secrétaire nationale aux harkis ou à l'intégration. Sarkozy la nomme aux adhésions.
    «La réassignation communautaire m'ennuie», glisse-t-elle, lasse. Elle a grandi à Déols, près de Châteauroux, avec son père ouvrier et sa mère femme de ménage quelques heures par semaine. Il leur arrivait de se perdre sur la route parce qu'ils ne savaient pas lire les panneaux. Ses origines lui reviennent souvent à la gueule. Son petit frère, militaire qui servit au Kosovo, «à qui on refuse l'accès à un logement, quand il revient en France», les guichets de banque qu'elle évite «parce qu'[elle] en [a] marre qu'on regarde deux fois [sa] signature», les attentes à l'aéroport comme cette fois où, invitée au congrès du Parti populaire européen à Rome, elle est la seule du groupe UMP à se faire arrêter à la frontière: «Toute la délégation est passée, un seul a ralenti, j'ai serré les dents.»
    «A l'université, on peut oublier ça», dit Jeannette Bougrab. On comprend pourquoi elle tient particulièrement à son poste de maître de conférences de droit public à la Sorbonne et à Sciences-Po. Longtemps, elle a limité ses déplacements entre la bibliothèque, la fac et son appartement dans le Quartier latin. Elle y était protégée. Elle dit qu'elle n'est «pas haineuse», que sa «faiblesse» c'est de «penser changer les choses mais que cela a un coût sur [son] moral».
    Au sein de l'UMP, elle avoue ne pas avoir choisi «la stratégie qui pouvait [la] propulser». Elle n'arrive pas à «avoir les dents qui rayent le plancher», même si elle s'attribue «une certaine énergie pour avoir réussi à sortir de [son] milieu». Elle n'a pas voulu jouer la carte communautaire : les soirées couscous avec les enfants de harkis, etc. Trop attachée à la République, elle est moins à l'aise qu'une Rama Yade ou une Rachida Dati pour assumer une vision parcellisée de la société française, comme celle de Nicolas Sarkozy : «Segmenter ainsi, cela n'avance à rien.» Elle se démarque de lui quand il parle d' «identité nationale», ou lance des injonctions genre : «La France, aime-la ou quitte-la.» Et n'hésite pas à faire venir Lilian Thuram, farouche adversaire de Sarkozy qu'elle a connu au Haut Conseil à l'intégration, pour l'aider dans sa campagne.
    En même temps, à Barbès, à la Goutte-d'Or, où vivent de nombreux Maghrébins, les gens sont heureux de voir quelqu'un qui leur ressemble. Elle est attablée au restaurant le Licite, rue des Poissonniers, avec des «amis qui [l]'aident à [s]'approprier le XVIIIe», où elle habite désormais. On est vendredi, à l'heure de la prière, les rideaux se baissent sur le trottoir, des hommes s'agenouillent sur des tapis, à même le bitume. Un militant apprécie qu' «elle ressemble au quartier. Elle comprend les problèmes des gens». Un riverain de Château-Rouge, impliqué à ses côtés : «Elle représente un idéal : femme et musulmane.» Bougrab la laïque tique. «Je ne di sjamais que je suis musulmane.» «Elle est avec nous», sourit l'autre. «Ils sont fiers que je sois à la Sorbonne», nuance-t-elle. Traduit par son directeur de campagne, cela donne : «Elle a réussi un parcours universitaire, ça peut parler à des gens à qui on dit qu'il faut sortir d'une logique d'assistance.»
    Juppé avait dit qu'elle n'était pas issue du sérail et qu'il fallait la protéger, il lui a demandé de «tenir bon», avant de s'éclipser au Québec. Chez Sarkozy, on lui a plutôt fait comprendre qu'il fallait savoir prendre des coups. Elle en a pris au moment de l'investiture que Xavier Chinaud, fils de l'ancien maire du XVIIIe, briguait lui aussi. On l'a accusée d'avoir eu sa circonscription «par fellation». Cela a simplement consterné celle qui, en concubinage mais sans enfants, se dit «féministe» dans un parti où cette étiquette est rarement revendiquée («Ma mère a d'abord été mariée de force à 13 ans, ma grand-mère était enceinte tous les ans, je veux que la pilule soit remboursée !») Au début de la commission exécutive, elle a également entendu : «Tu n'as pas assez de sang français dans les veines.» Ou plus subtil, venant d'un membre de l'UMP lui aussi issu de l'immigration : «Elle fait fille de harki. Les enfants d'immigrés ne voteront pas pour elle.» Elle s'est plainte dans les instances de l'UMP, on lui a reproché de donner une mauvaise image du parti. «C'est facile d'appuyer là où ça fait mal, dit-elle, et, presque résignée : "Sale Arabe", je l'entendrai toute ma vie.»





    Jeannette Bougrab en 5 dates 26 août 1973 Naissance à Déols (Indre). 2002 Doctorat de droit public à Paris. Entre à l'UMP. Nommée au Haut Conseil à l'intégration. 2003 Devient conseillère politique auprès d'Alain Juppé à l'UMP. 2004 Nommée secrétaire nationale aux adhésions de l'UMP par Sarkozy. 2007 Candidate aux législatives à Paris.


    Libération
    "Quand le dernier arbre aura été abattu - Quand la dernière rivière aura été empoisonnée - Quand le dernier poisson aura été péché - Alors on saura que l'argent ne se mange pas." Geronimo
Chargement...
X