L'islamisme est-il né avec la défaite de cette guerre éclaire, je crois que oui.
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Le conflit de juin 1967 n'a pas seulement été marqué par la victoire de l'armée israélienne sur les forces militaires égypto-syro-jordaniennes. Il a provoqué la chute de l'arabisme au profit de l'islamisme au Proche-Orient ; et la contestation du sionisme par un fondamentalisme biblique en Israël.
Par Richard Lebeau
Le 5 juin 1967, à l'aube, menacé sur ses frontières, Israël passe à l'offensive. Au soir de la première journée de guerre, la moitié de l'aviation arabe est détruite. Et au soir du sixième jour, les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes sont défaites. Les chars de Tsahal ont bousculé leurs adversaires sur tous les fronts. En moins d'une semaine, l'Etat hébreu a triplé sa superficie : l'Egypte a perdu Gaza et le Sinaï, la Syrie a été amputée du Golan et la Jordanie de la Cisjordanie ! Plus symbolique encore de la défaite arabe : la prise de la Vieille Ville de Jérusalem. Annexée, la cité des trois religions du Livre devient la capitale d'Israël - non reconnue par la plus grande partie de la communauté internationale.
Discrédité, l'arabisme sombre avec les armées arabes ; bientôt, l'islamisme, le pétrole et la résistance palestinienne seront le moteur du monde arabe. L'échec militaire vaut constat de faillite. L'effondrement des Etats ouvre une crise politique de grande ampleur qui sape la légitimité des élites laïques au pouvoir : Nasser en Egypte, Atassi en Syrie. Le 28 septembre 1970, des millions d'Egyptiens, dans une immense transe collective, balaient le service d'ordre et les officiels, s'emparent du cercueil de Nasser et le portent en terre dans un ultime hommage à celui qui était le leader du monde arabe depuis 1954. Mais c'est aussi le nassérisme qu'on met en terre ce jour-là. Une nouvelle ère révolutionnaire va s'ouvrir au Proche-Orient. Hier instrument de contestation, l'arabisme a perdu de sa virulence en devenant une idéologie officielle. La « libération de la Palestine occupée » apporte maintenant aux nouvelles générations les moyens de contester une société bloquée, étouffante et despotique.
Aux premiers héros de l'indépendance contre la présence coloniale d'abord ottomane puis britannique, les jeunesses du Caire, de Damas, d'Amman et de Bagdad préfèrent les activistes palestiniens, keffieh sur la tête et kalachnikov en bandoulière, arborant la bannière d'un marxisme « pur et dur ». Les fedayin représentent la révolution en marche contre les chefs d'Etat arabes et l'ordre qu'ils incarnent.
En Jordanie, en septembre 1970, le roi Hussein affronte militairement les militants de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui ont créé un Etat dans l'Etat : ce sera le sanglant « Septembre noir ». Les combattants palestiniens, qui ont trouvé refuge au Liban après leur expulsion d'Amman, prêtent main-forte aux « islamo-progressistes » où se mêlent maronites, chiites et druzes, contre le fragile Etat libanais multiconfessionnel. En Egypte, les étudiants affirment dans la rue, quotidiennement, leur soutien aux Palestiniens et poussent le président Anouar el-Sadate, qui a succédé à Nasser, à affronter Israël.
De son côté, l'Occident croit voir derrière les chefs des organisations palestiniennes Arafat, Habache, Abou Nidal et autres, les fantômes de Marx et de Lénine, au prétexte qu'elles sont soutenues par le bloc communiste. Erreur ! La révolution aura bien lieu, mais elle accouchera, en 1979 en Iran, d'une république islamique et non d'une république populaire et démocratique.
Car la perte de Jérusalem, al Qôds (« la Sainte » en arabe), revêt une signification religieuse considérable pour les musulmans. Dès les origines de l'islam, la ville est un de leurs lieux sacrés. C'est d'abord vers elle, avant La Mecque, que se sont tournés les premiers musulmans pour leur prière. Son sol aurait été foulé par le Prophète, lors de son Voyage nocturne (miradj). « Une nuit, Muhammad [Mahomet] fut réveillé par l'ange Gabriel et, ayant enfourché une monture fabuleuse, parcourut en un clin d'oeil la distance entre La Mecque et Jérusalem. Là, il accomplit une prière. Toujours accompagné par Gabriel, il fit une ascension à travers les sept cieux, jusqu'à l'ultime Présence divine ; puis effectua le chemin en sens inverse », rappelle Pierre Lory, professeur à l'Ecole des hautes études. C'est également à Jérusalem qu'éclatera, au jour du Jugement dernier, le combat final entre l'imposteur apocalyptique, Dajjâl, et les forces de la foi, commandées par le Mahdi, assisté par Jésus. Victorieuses, les troupes des Croyants, iront prier à la mosquée de Jérusalem, qui deviendra alors l'unique centre spirituel de l'humanité, désormais entièrement convertie à l'islam.
Yâqût al-Hamawî, un savant musulman, mort en 1229, affirme qu'il est dit dans la tradition prophétique : « Quiconque prie à Jérusalem, c'est comme s'il priait dans le ciel. C'est de Jérusalem que Dieu a élevé au ciel Jésus, fils de Marie ; c'est là que Jésus reviendra lors de son retour. C'est à Jérusalem que la Kaaba sera apportée en cortège avec tous les pèlerins venus pour elle, et on dira : "Bienvenue au visiteur et au visité !" Toutes les mosquées de la terre seront amenées en procession à Jérusalem [...] C'est là qu'on sonnera de la trompette au jour de la Résurrection. » Le caractère sacré de Jérusalem est encore amplifié lors des croisades. Un historien musulman, contemporain de Saladin, Imâd al-Dîn, écrit après la reconquête de la ville, en 1187 : « Elle est à l'origine des messages prophétiques, des miracles des saints, des tombeaux des martyrs. »
Aussi, au lendemain de la guerre des Six Jours, de nombreux musulmans voient dans la perte de Jérusalem une intervention divine destinée à punir des régimes mécréants, oublieux de Dieu. Alors, ils se tournent vers l'islam. Les paroles de Sayyid Qutb, un théoricien des Frères musulmans pendu sous Nasser, deviennent des prophéties. « La domination de l'homme occidental dans le monde humain touche à sa fin, non parce que la civilisation occidentale est matériellement en faillite ou a perdu sa puissance économique et militaire, mais parce que l'ordre occidental a joué son rôle, et ne possède plus cet ensemble de "valeurs" qui lui a donné la prééminence. [...] La révolution scientifique a achevé sa fonction, ainsi que le "nationalisme" et les communautés limitées à un territoire qui se sont développées à son époque. [...] Le tour de l'islam est venu. » Cette idée redonne espoir aux vaincus de 1967 et devient une arme contre l'Occident, allié d'Israël. L'islamisme s'apprête à remplacer l'arabisme.
Jusqu'au déclenchement de la guerre du Kippour (ou du Ramadan selon qui l'évoque), en octobre 1973, les groupes marxisants forment le fer de lance de l'opposition aux régimes, du Caire à Bagdad. A l'issue de ce nouveau conflit israélo-arabe, l'islamisme, jusque-là réprimé par Nasser, renaît de ses cendres - Anouar el-Sadate, qui va signer les accords de Camp David en 1977 sera assassiné par un commando islamiste en 1981. Du golfe Persique à l'Atlantique, les foules trouvent dans l'islam wahhabite, pratiqué en Arabie Saoudite, un substitut au marxisme. Certes, Israël, après avoir vu son armée bousculée dans le Sinaï et sur le Golan, est sorti vainqueur de l'affrontement. Mais le vrai gagnant est le royaume saoudien grâce à l'arme, ô combien efficace, du pétrole.
La suite...
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Le conflit de juin 1967 n'a pas seulement été marqué par la victoire de l'armée israélienne sur les forces militaires égypto-syro-jordaniennes. Il a provoqué la chute de l'arabisme au profit de l'islamisme au Proche-Orient ; et la contestation du sionisme par un fondamentalisme biblique en Israël.
Par Richard Lebeau
Le 5 juin 1967, à l'aube, menacé sur ses frontières, Israël passe à l'offensive. Au soir de la première journée de guerre, la moitié de l'aviation arabe est détruite. Et au soir du sixième jour, les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes sont défaites. Les chars de Tsahal ont bousculé leurs adversaires sur tous les fronts. En moins d'une semaine, l'Etat hébreu a triplé sa superficie : l'Egypte a perdu Gaza et le Sinaï, la Syrie a été amputée du Golan et la Jordanie de la Cisjordanie ! Plus symbolique encore de la défaite arabe : la prise de la Vieille Ville de Jérusalem. Annexée, la cité des trois religions du Livre devient la capitale d'Israël - non reconnue par la plus grande partie de la communauté internationale.
Discrédité, l'arabisme sombre avec les armées arabes ; bientôt, l'islamisme, le pétrole et la résistance palestinienne seront le moteur du monde arabe. L'échec militaire vaut constat de faillite. L'effondrement des Etats ouvre une crise politique de grande ampleur qui sape la légitimité des élites laïques au pouvoir : Nasser en Egypte, Atassi en Syrie. Le 28 septembre 1970, des millions d'Egyptiens, dans une immense transe collective, balaient le service d'ordre et les officiels, s'emparent du cercueil de Nasser et le portent en terre dans un ultime hommage à celui qui était le leader du monde arabe depuis 1954. Mais c'est aussi le nassérisme qu'on met en terre ce jour-là. Une nouvelle ère révolutionnaire va s'ouvrir au Proche-Orient. Hier instrument de contestation, l'arabisme a perdu de sa virulence en devenant une idéologie officielle. La « libération de la Palestine occupée » apporte maintenant aux nouvelles générations les moyens de contester une société bloquée, étouffante et despotique.
Aux premiers héros de l'indépendance contre la présence coloniale d'abord ottomane puis britannique, les jeunesses du Caire, de Damas, d'Amman et de Bagdad préfèrent les activistes palestiniens, keffieh sur la tête et kalachnikov en bandoulière, arborant la bannière d'un marxisme « pur et dur ». Les fedayin représentent la révolution en marche contre les chefs d'Etat arabes et l'ordre qu'ils incarnent.
En Jordanie, en septembre 1970, le roi Hussein affronte militairement les militants de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui ont créé un Etat dans l'Etat : ce sera le sanglant « Septembre noir ». Les combattants palestiniens, qui ont trouvé refuge au Liban après leur expulsion d'Amman, prêtent main-forte aux « islamo-progressistes » où se mêlent maronites, chiites et druzes, contre le fragile Etat libanais multiconfessionnel. En Egypte, les étudiants affirment dans la rue, quotidiennement, leur soutien aux Palestiniens et poussent le président Anouar el-Sadate, qui a succédé à Nasser, à affronter Israël.
De son côté, l'Occident croit voir derrière les chefs des organisations palestiniennes Arafat, Habache, Abou Nidal et autres, les fantômes de Marx et de Lénine, au prétexte qu'elles sont soutenues par le bloc communiste. Erreur ! La révolution aura bien lieu, mais elle accouchera, en 1979 en Iran, d'une république islamique et non d'une république populaire et démocratique.
Car la perte de Jérusalem, al Qôds (« la Sainte » en arabe), revêt une signification religieuse considérable pour les musulmans. Dès les origines de l'islam, la ville est un de leurs lieux sacrés. C'est d'abord vers elle, avant La Mecque, que se sont tournés les premiers musulmans pour leur prière. Son sol aurait été foulé par le Prophète, lors de son Voyage nocturne (miradj). « Une nuit, Muhammad [Mahomet] fut réveillé par l'ange Gabriel et, ayant enfourché une monture fabuleuse, parcourut en un clin d'oeil la distance entre La Mecque et Jérusalem. Là, il accomplit une prière. Toujours accompagné par Gabriel, il fit une ascension à travers les sept cieux, jusqu'à l'ultime Présence divine ; puis effectua le chemin en sens inverse », rappelle Pierre Lory, professeur à l'Ecole des hautes études. C'est également à Jérusalem qu'éclatera, au jour du Jugement dernier, le combat final entre l'imposteur apocalyptique, Dajjâl, et les forces de la foi, commandées par le Mahdi, assisté par Jésus. Victorieuses, les troupes des Croyants, iront prier à la mosquée de Jérusalem, qui deviendra alors l'unique centre spirituel de l'humanité, désormais entièrement convertie à l'islam.
Yâqût al-Hamawî, un savant musulman, mort en 1229, affirme qu'il est dit dans la tradition prophétique : « Quiconque prie à Jérusalem, c'est comme s'il priait dans le ciel. C'est de Jérusalem que Dieu a élevé au ciel Jésus, fils de Marie ; c'est là que Jésus reviendra lors de son retour. C'est à Jérusalem que la Kaaba sera apportée en cortège avec tous les pèlerins venus pour elle, et on dira : "Bienvenue au visiteur et au visité !" Toutes les mosquées de la terre seront amenées en procession à Jérusalem [...] C'est là qu'on sonnera de la trompette au jour de la Résurrection. » Le caractère sacré de Jérusalem est encore amplifié lors des croisades. Un historien musulman, contemporain de Saladin, Imâd al-Dîn, écrit après la reconquête de la ville, en 1187 : « Elle est à l'origine des messages prophétiques, des miracles des saints, des tombeaux des martyrs. »
Aussi, au lendemain de la guerre des Six Jours, de nombreux musulmans voient dans la perte de Jérusalem une intervention divine destinée à punir des régimes mécréants, oublieux de Dieu. Alors, ils se tournent vers l'islam. Les paroles de Sayyid Qutb, un théoricien des Frères musulmans pendu sous Nasser, deviennent des prophéties. « La domination de l'homme occidental dans le monde humain touche à sa fin, non parce que la civilisation occidentale est matériellement en faillite ou a perdu sa puissance économique et militaire, mais parce que l'ordre occidental a joué son rôle, et ne possède plus cet ensemble de "valeurs" qui lui a donné la prééminence. [...] La révolution scientifique a achevé sa fonction, ainsi que le "nationalisme" et les communautés limitées à un territoire qui se sont développées à son époque. [...] Le tour de l'islam est venu. » Cette idée redonne espoir aux vaincus de 1967 et devient une arme contre l'Occident, allié d'Israël. L'islamisme s'apprête à remplacer l'arabisme.
Jusqu'au déclenchement de la guerre du Kippour (ou du Ramadan selon qui l'évoque), en octobre 1973, les groupes marxisants forment le fer de lance de l'opposition aux régimes, du Caire à Bagdad. A l'issue de ce nouveau conflit israélo-arabe, l'islamisme, jusque-là réprimé par Nasser, renaît de ses cendres - Anouar el-Sadate, qui va signer les accords de Camp David en 1977 sera assassiné par un commando islamiste en 1981. Du golfe Persique à l'Atlantique, les foules trouvent dans l'islam wahhabite, pratiqué en Arabie Saoudite, un substitut au marxisme. Certes, Israël, après avoir vu son armée bousculée dans le Sinaï et sur le Golan, est sorti vainqueur de l'affrontement. Mais le vrai gagnant est le royaume saoudien grâce à l'arme, ô combien efficace, du pétrole.
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