Mohammed VI : la longue marche vers la modernité
Mireille Duteil
Mohammed VI a réussi le pari du décollage économique du Maroc. Mais les laissés-pour-compte de la modernisation restent nombreux et les islamistes veillent.
« La nouvelle priorité du royaume doit être l'éducation. Il faut apprendre aux générations futures les droits et les devoirs du citoyen et intégrer des cours à l'apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie dans l'enseignement primaire. » Si les murs du palais de Fès avaient de la mémoire, ils trembleraient sur leur base. C'est à l'intérieur des murailles grises chargées d'histoire de ce qui est un des plus beaux monuments du royaume que, la semaine passée, Mohammed VI avait convié quelques proches conseillers pour une réunion de travail. Des responsables du Conseil national de l'éducation avaient été invités à se joindre à eux. Le roi leur annonçait ce qu'il considérait comme le nouveau grand chantier des prochaines années : faire des Marocains des citoyens éduqués.
Une quasi-révolution au Maroc. Sous Hassan II, comme le voulait la tradition, les Marocains étaient des sujets d'un régime demeuré largement féodal. Pas des citoyens. Et le Maroc rural, près de la moitié des 31 millions d'habitants, est resté en grande partie en dehors des circuits d'éducation. Dans les douars, les femmes sont encore largement analphabètes. Une situation qui handicape lourdement la modernisation du royaume. « Le pays change, mais on ne s'en aperçoit qu'à la télévision. Nous, ici, on ne voit personne », remarquait sans acrimonie, il y a quelques semaines, dans son village du Moyen Atlas, près d'Azilal, une jeune femme berbère. Une région sauvage et belle mais combien abandonnée par la capitale.
Aux côtés du roi pour cette réunion de travail, deux de ses fidèles. Fouad Ali el-Himma, 45 ans, le crâne dégarni, est officiellement le numéro deux du ministère de l'Intérieur. Cet homme efficace qui déteste la publicité est chargé de tous les dossiers délicats, en particulier ceux liés à l'islamisme et au terrorisme. Proche de Mohammed VI, il était l'un de ses condisciples au Collège royal, cette pépinière qui a fourni les rangs de la majorité des conseillers du souverain. Les mauvaises langues l'appellent le «vice-roi ».
Tout autre est Meziane Belfikh, la soixantaine, qui occupait déjà un poste au cabinet royal sous Hassan II. Cet ingénieur des Ponts et Chaussées a été chargé, ces dernières années, de lancer les grands projets qui sont en train de bouleverser le visage du pays. Il est, entre autres, le père de Tanger-Med, ce nouveau port de transbordement qui va faire concurrence à Algésiras, sur la rive espagnole du détroit de Gibraltar (voir l'article sur Tanger). Belfikh n'est pas étranger, quoiqu'il s'en défende, à la nomination d'une vague de quadras X-Ponts ou centraliens que le roi a installés comme walis (préfets) aux commandes des régions ou à la tête des grandes entreprises, ces dernières années. On les appelle volontiers les « ingénieurs du roi », et ils ont aidé à sortir l'administration de sa léthargie naturelle.
C'est précisément à Meziane Belfikh, l'ingénieur, que Mohammed VI a confié, l'an passé, le pilotage de la réforme d'un enseignement sinistré. Le temps presse.
Le roi rêve de moderniser son pays, de le faire entrer dans le train de la mondialisation. Le pari est difficile. Non seulement la modernisation laisse beaucoup de monde sur le bord du chemin, mais cette terre d'ombre et de lumière, ce royaume où l'immense richesse côtoie l'extrême pauvreté n'aime pas être bousculé. On y gouverne par consensus. Conservateur et traditionaliste, très religieux aussi, le Maroc aspire à la modernité, mais à son rythme.
Quand la bourgeoisie caracole à l'heure de Washington, Paris et Londres, envoie ses enfants étudier aux Etats-Unis ou au Canada, les moins bien lotis se tournent vers la mosquée. Il faut les récupérer, tenter de ressouder ce Maroc à deux vitesses, celui d'Anfa et des jolies villas Art déco de la corniche casablancaise, et celui des derb et des bidonvilles, dont le pays ne parvient pas à venir à bout. Celui d'une classe moyenne qui pour une partie se paupérise, dont les enfants diplômés d'une université au rabais sont condamnés au chômage. Ils sont les troupes de choc des mouvements islamistes.
La coupure de la société est flagrante en ce printemps de 2007. Dans le Maroc moderne, le moral est au zénith. Même les esprits les plus chagrins sont optimistes : économiquement, le pays décolle. Le taux de croissance a atteint 8 % l'an passé, les investisseurs européens et arabes se précipitent (2,5 milliards d'euros en moyenne par an), les nouveaux projets ont permis de créer 380 000 emplois (souvent au smic, il est vrai), les touristes accourent sans se lasser, les Français s'installent pour leur retraite. Ils ne sont plus les seuls : les Espagnols les talonnent et les Britanniques semblent vouloir leur emboîter le pas.
Mireille Duteil
Mohammed VI a réussi le pari du décollage économique du Maroc. Mais les laissés-pour-compte de la modernisation restent nombreux et les islamistes veillent.
« La nouvelle priorité du royaume doit être l'éducation. Il faut apprendre aux générations futures les droits et les devoirs du citoyen et intégrer des cours à l'apprentissage de la citoyenneté et de la démocratie dans l'enseignement primaire. » Si les murs du palais de Fès avaient de la mémoire, ils trembleraient sur leur base. C'est à l'intérieur des murailles grises chargées d'histoire de ce qui est un des plus beaux monuments du royaume que, la semaine passée, Mohammed VI avait convié quelques proches conseillers pour une réunion de travail. Des responsables du Conseil national de l'éducation avaient été invités à se joindre à eux. Le roi leur annonçait ce qu'il considérait comme le nouveau grand chantier des prochaines années : faire des Marocains des citoyens éduqués.
Une quasi-révolution au Maroc. Sous Hassan II, comme le voulait la tradition, les Marocains étaient des sujets d'un régime demeuré largement féodal. Pas des citoyens. Et le Maroc rural, près de la moitié des 31 millions d'habitants, est resté en grande partie en dehors des circuits d'éducation. Dans les douars, les femmes sont encore largement analphabètes. Une situation qui handicape lourdement la modernisation du royaume. « Le pays change, mais on ne s'en aperçoit qu'à la télévision. Nous, ici, on ne voit personne », remarquait sans acrimonie, il y a quelques semaines, dans son village du Moyen Atlas, près d'Azilal, une jeune femme berbère. Une région sauvage et belle mais combien abandonnée par la capitale.
Aux côtés du roi pour cette réunion de travail, deux de ses fidèles. Fouad Ali el-Himma, 45 ans, le crâne dégarni, est officiellement le numéro deux du ministère de l'Intérieur. Cet homme efficace qui déteste la publicité est chargé de tous les dossiers délicats, en particulier ceux liés à l'islamisme et au terrorisme. Proche de Mohammed VI, il était l'un de ses condisciples au Collège royal, cette pépinière qui a fourni les rangs de la majorité des conseillers du souverain. Les mauvaises langues l'appellent le «vice-roi ».
Tout autre est Meziane Belfikh, la soixantaine, qui occupait déjà un poste au cabinet royal sous Hassan II. Cet ingénieur des Ponts et Chaussées a été chargé, ces dernières années, de lancer les grands projets qui sont en train de bouleverser le visage du pays. Il est, entre autres, le père de Tanger-Med, ce nouveau port de transbordement qui va faire concurrence à Algésiras, sur la rive espagnole du détroit de Gibraltar (voir l'article sur Tanger). Belfikh n'est pas étranger, quoiqu'il s'en défende, à la nomination d'une vague de quadras X-Ponts ou centraliens que le roi a installés comme walis (préfets) aux commandes des régions ou à la tête des grandes entreprises, ces dernières années. On les appelle volontiers les « ingénieurs du roi », et ils ont aidé à sortir l'administration de sa léthargie naturelle.
C'est précisément à Meziane Belfikh, l'ingénieur, que Mohammed VI a confié, l'an passé, le pilotage de la réforme d'un enseignement sinistré. Le temps presse.
Le roi rêve de moderniser son pays, de le faire entrer dans le train de la mondialisation. Le pari est difficile. Non seulement la modernisation laisse beaucoup de monde sur le bord du chemin, mais cette terre d'ombre et de lumière, ce royaume où l'immense richesse côtoie l'extrême pauvreté n'aime pas être bousculé. On y gouverne par consensus. Conservateur et traditionaliste, très religieux aussi, le Maroc aspire à la modernité, mais à son rythme.
Quand la bourgeoisie caracole à l'heure de Washington, Paris et Londres, envoie ses enfants étudier aux Etats-Unis ou au Canada, les moins bien lotis se tournent vers la mosquée. Il faut les récupérer, tenter de ressouder ce Maroc à deux vitesses, celui d'Anfa et des jolies villas Art déco de la corniche casablancaise, et celui des derb et des bidonvilles, dont le pays ne parvient pas à venir à bout. Celui d'une classe moyenne qui pour une partie se paupérise, dont les enfants diplômés d'une université au rabais sont condamnés au chômage. Ils sont les troupes de choc des mouvements islamistes.
La coupure de la société est flagrante en ce printemps de 2007. Dans le Maroc moderne, le moral est au zénith. Même les esprits les plus chagrins sont optimistes : économiquement, le pays décolle. Le taux de croissance a atteint 8 % l'an passé, les investisseurs européens et arabes se précipitent (2,5 milliards d'euros en moyenne par an), les nouveaux projets ont permis de créer 380 000 emplois (souvent au smic, il est vrai), les touristes accourent sans se lasser, les Français s'installent pour leur retraite. Ils ne sont plus les seuls : les Espagnols les talonnent et les Britanniques semblent vouloir leur emboîter le pas.
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