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Les pays arabes ont raté leur démocratisation en 1956

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  • Les pays arabes ont raté leur démocratisation en 1956

    Et oui, les pays arabes ont raté beaucoup de chose, même les révolutions.
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    Il a fait partie du panel des premières figures universitaires de l’Algérie indépendante. Le philosophe Georges Labica reste intimement associé à l’histoire contemporaine de l’Algérie. C’est notamment auprès de lui que le sociologue Abdelkader Djeghloul a fait ses premières armes.

    Homme de pensée et de convictions indéracinables, il est revenu chez lui, en Algérie, après y avoir engagé une partie de sa vie. C’est donc aussi un témoin historique. La semaine dernière, il a séjourné à Oran, à l’invitation de son ami Mohamed Moulfi, enseignant chercheur en philosophie, qui lui a donné l’occasion de prendre la parole à l’université puis au CRIDDISH, devant un public ouvert, sur le thème de «La philosophie et la mondialisation».

    Tout au long de son intervention et du débat qui s’en est suivi, il a développé un discours critique sur le processus de «mondialisation», telle que celle-ci s’opère, au profit des grandes puissances (Etats-Unis en tête) et au détriment des pays du Sud ainsi que des laissés-pour-compte dans les sociétés occidentales.

    Cela faisait longtemps qu’un débat sur une question aussi sensible n’avait été organisé par l’intelligentsia locale dont une bonne part a versé, depuis longtemps, dans l’exégèse des idéologies dominantes. Le Jeune Indépendant : A travers votre conférence, on a l’impression que vous avez traité la question de la mondialisation sous le seul aspect politique.

    M. Gorges Labica : oui, mais je vous le dit tout de suite, je n’apprécie pas ce genre de distinction, parce qu’on n’enlèvera jamais de la tête des gens que si l’on qualifie de politique un discours qui est présenté comme philosophique, c’est un dénigrement, une accusation.

    Moi, je pense, au contraire, qu’il faut réhabiliter, pour les philosophes, la passion politique. La politique, c’est, comme disaient les Grecs, en particulier Platon, la connaissance de la cité qui est la plus haute des sciences, parce qu’elle englobe toutes les autres.

    Toutes les sciences sont inscrites dans la cité. A commencer par les physiciens qui s’imaginent être tous seuls dans leur laboratoire. Ils ne sont pas sérieux. Un philosophe pourra leur dire que les conditions dans lesquelles ils travaillent viennent de la société, que leur production sera prise par celle-ci, laquelle en fera une utilisation peut être surprenante.

    Il n’y a qu’à voir ce qu’ont fait Oppenheimer et Einstein avec l’énergie nucléaire. Ces derniers ont beau protester, ils ont fait leur découverte dans des conditions sociales précises : les Etats-Unis avaient envie de larguer la bombe atomique sur les Japonais, ils l’ont réalisé.

    C’est Oppenheimer qui l’a fait ! On parle de mondialisation comme d’une évidence. Ne pensez-vous pas que ce concept reste à définir ? J’avais l’intention de travailler ce concept en relation avec celui de l’universalité pour montrer que les ponts entre les deux ne sont pas évidents.

    La mondialisation est une société dans laquelle sont entrées nos sociétés, et si l’on n’essaie pas d’éclairer celles-ci, le mot lui-même ne voudra rien dire. On pourrait même lui donner des interprétations différaentes : politique, économique… Une approche philosophique doit tenir compte de cet éventail et doit développer sur ce concept un a priori uniquement critique.

    Il m’est arrivé de lire à ce sujet des ouvrages d’économistes et de politiciens qui sont pleins d’arrière-pensées et de manque de distance par rapport à leur objet. Ne serait-il pas plus juste de parler d’occidentalisation plutôt que de mondialisation ? Oui, mais c’est une occidentalisation qui a, en quelque sorte, changé de lieu géographique et consiste en une diffusion des rapports capitalistes de production.

    C’est pour cette raison que vous avez Mital (une famille indienne) qui rachète la sidérurgie européenne. Mital n’est ni indien, ni occidental, c’est un capitaliste ! L’occidentalisation n’est-elle pas plus perceptible dans d’autres sphères, intellectuelles, politiques, culturelles ? Vous avez relevé, par exemple, le fait que les Etats-Unis voulaient donner une leçon au reste du monde en lui imposant leur modèle de démocratie ? Est-ce que tout cela, c’est de l’occidentalisation ? Oui, dans la mesure où, jusqu’à aujourd’hui, les grandes puissances hégémoniques le sont : l’Europe et les Etats-Unis qui sont historiquement considérés comme un segment du Vieux Continent.

    Mais, c’est aussi relatif, car il y a le Japon qui a pu devenir un rival des Etats-Unis. Vous vous êtes démarqué des altermondialistes en vous déclarant plus proche des forums sociaux. Pourquoi cette distinction et ce choix ? Le mouvement altermondialiste est né exactement sur la base de l’application de la taxe Tobin aux économies occidentales.

    Celle-ci a été promise plusieurs fois par les gouvernements, mais n’a jamais été appliquée. Par la suite, les altermondialistes ont élaboré un ensemble de revendications qui allaient bien au-delà. C’est, essentiellement, un mouvement d’intellectuels et de classe moyenne.

    Il est positif, parce qu’il représente un certain réveil des intellectuels. Mais, moi, je crois que la puissance de contestation est beaucoup plus forte dans les forums sociaux où il y a des représentants qui sont des émanations de populations, de travailleurs.

    On y trouve une volonté de transformation. Car, il ne faut pas l’oublier, les altermondialistes n’ont jamais affirmé qu’ils voulaient changer le monde. Lorsqu’on voit dans les forums sociaux la forte présence de paysans brésiliens et indiens, notamment, cela confère une autre dimension à la contestation de cette mondialisation.

    Comment expliquez-vous que c’est en Amérique latine qu’on a vu se dessiner cette lame de fond du retour à un nationalisme économique et d’opposition à la domination américaine, et pas ailleurs, en Afrique et en Asie ? D’abord historiquement, lorsqu’on analyse la naissance des pays d’Amérique latine, ceux-ci se sont constitués bien avant ceux des pays du tiers-monde, sur la base du renversement de l’empire espagnol.

    Pour ces pays, le gros problème a toujours été la proximité avec les Etats-Unis. Il y a une formule, utilisée par les Mexicains, qui résume bien cette situation : ces derniers disent : «Nous sommes loin de Dieu et près des Etats-Unis.» Effectivement, la doctrine Monroe en vigueur chez les dirigeants américains a toujours considéré cet ensemble de nations comme une chasse gardée.

    La suite...
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  • #2
    Les Etats-Unis y sont parvenus aussi longtemps qu’ils ont maintenu un système d’exploitation quasi colonial sur ces pays, comme la Grande-Bretagne et la France l’ont fait sur l’Afrique. Mais, derrière cette chape, couvaient des traditions révolutionnaires, dans tous les pays d’Amérique latine.

    Il n’y a pas seulement Zapata au Mexique, il y avait d’abord Bolivar, puis Marty, Sandino. Ce n’est pas pour rien que la révolution en cours au Venezuela s’appelle la «révolution bolivarienne» et qu’elle renvoie à l’époque de Bolivar qui a laissé des ferments de contestation dans ces pays.

    C’est cela maintenant qui ressort et qui a fait que, à un moment donné, les Américains ont compris qu’il fallait cesser de soutenir des régimes sanguinaires, tyranniques, comme ceux des colonels et des généraux, en Argentine, au Brésil ou au Chili.

    Ni les populations locales, ni l’économie américaine, n’en tiraient plus profit. Il valait alors mieux pour eux laisser se mettre en place des régimes démocratiques contrôlés. Pensez-vous qu’un pareil mouvement de démocratisation puisse voir le jour dans les pays arabo-musulmans ? Vous savez, la démocratisation en soi est un gros problème.

    Vous faites bien d’utiliser ce mot, parce qu’il est préférable de parler de «démocratisation» plutôt que de «démocratie». Avec ce mot, on a l’impression que la démocratie est quelque chose de décidé, de servi, une fois pour toute.

    Alors que c’est un processus qui n’est jamais terminé. Par exemple, la France et même les Etats Unis ne sont pas des démocraties achevées, définitives. Israël, encore moins. Dans le monde arabe, il n’y a pas de tradition démocratique, comme en Amérique latine où il y avait un socle de tradition démocratique qui réapparaît, une fois la dictature écrasée.

    La difficulté dans les pays arabes est qu’il y a un fossé considérable entre les dirigeants et le peuple. Le meilleur exemple est donné par les dirigeants lorsqu’ils empêchent par exemple les Tunisiens ou les Egyptiens de manifester spontanément pour les Palestiniens.

    Car la Palestine, c’est la question clef. Les pays arabes ont eu une occasion, ratée, enterrée. C’était la conférence de Bandoeng, en 1956, où il y a eu ce surgissement, sur la scène internationale, de pays qui n’avaient jamais connu l’hégémonie.

    Quels étaient les leaders de Bandoeng ? Ils s’appelaient Gandhi, Nehru, Nasser, Tito, Ben Barka, Che Guevara. Effectivement, cela représentait un danger considérable pour les Occidentaux qui, depuis, ont pris leurs dispositions pour que cela ne se reproduise plus.

    Vous considérez l’Algérie comme votre «seconde patrie». Comment s’est déroulé le processus de cette adoption ? Ce serait long à raconter… Ce que je peux dire, c’est que j’ai passé, en France, un concours d’agrégation en philosophie, en 1956, et j’ai été nommé au lycée Bugeaud d’Alger.

    Je suis arrivé le soir de l’entrée en vigueur du couvre-feu. Les amis algériens, qui devaient m’attendre, ne sont pas venus et je me suis retrouvé plongé dans la guerre. Par la suite, je me suis engagé dans la lutte avec les Algériens.

    J’ai milité et vécu dans La Casbah. J’ai aussi rencontré ma femme qui est Algérienne. Mes enfants ont des prénoms algériens et j’ai toujours eu beaucoup d’amis algériens avec lesquels j’entretiens des relations affectives. Il y a eu l’Algérie postindépendante, dont vous avez vécu les premières années.

    Quels sont vos meilleurs souvenirs ? Après l’indépendance, j’ai enseigné à l’université jusqu’en 1967. Ce qui est amusant, si je puis dire, c’est que lorsque je suis retourné en France, j’ai débarqué à l’université de Nanterre. Je me suis retrouvé dans des conditions assez explosives.

    Cette université était à la tête de la révolution de mai 1968. Je suis reparti plusieurs fois en Algérie, mais sans retrouver l’ambiance qui était celle de la fin des années 1950, du début des années 1960. Il n’y avait plus cette chaleur, cette solidarité et surtout ce rêve.

    J’ai fait les campagnes de l’arbre, c’était enthousiasmant de voir tous ces intellectuels, de toutes nationalités d’ailleurs, ces étudiants, y participer.

    par Brahim Hadj Slimane
    Le Jeune Indépendant.
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