Maghreb
Hermétique officiellement mais poreuse pratiquement, la frontière algéro-marocaine est fermée depuis plus de 12 ans
RABAT - L'article de Antoine AJOURY
Le paysage est surréaliste. D’un côté le Maroc, de l’autre l’Algérie. Un cours d’eau les sépare. Hermétique officiellement et poreuse pratiquement, la frontière entre les deux pays est fermée depuis plus de douze ans. Pour le plus grand bonheur des contrebandiers et le malheur de la population locale. Situation pour le moins absurde, d’autant que la tension politique entre Rabat et Alger n’a pas empêché la suppression des visas d’entrée pour les ressortissants des deux pays… À condition qu’ils prennent l’avion.
Le bus s’arrête brusquement. Devant lui, la voie est bloquée. À l’aide d’un tracteur, une dizaine d’ouvriers travaillent d’arrache-pied pour élargir la route qui relie la ville de Berkane à celle d’Oujda, dans la région marocaine de l’Oriental. Les voyageurs profitent de cette halte pour jeter un coup d’œil sur le paysage. À une centaine de mètres de la chaussée, un ruisseau fraie son chemin à travers les buissons et les rochers. Sur l’autre rive du cours d’eau se trouve… l’Algérie. « Nous construisons des routes alors que les Algériens bâtissent des casernes », lance avec ironie un Marocain, tout en pointant du doigt l’imposante bâtisse militaire installée sur la colline juste en face du bus.
La remarque illustre à merveille la tension qui existe entre le Maroc et l’Algérie. La frontière terrestre, longue de quelque 1559 km et dont le tracé n’est pas reconnu officiellement et définitivement entre les deux pays, est fermée depuis 1994, date à laquelle un attentat avait visé un hôtel de la ville marocaine de Marrakech. Le différend frontalier remonte toutefois au lendemain de l’indépendance des deux pays lorsque éclata « la guerre des sables » en 1963. Le conflit a augmenté d’intensité quand le Maroc a revendiqué sa souveraineté sur le Sahara occidental dans les années 70, alors que l’Algérie appuyait le Front Polisario qui revendique l’indépendance de cette région.
Malgré la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA) et la suppression des visas d’entrée pour les ressortissants des deux pays, les relations bilatérales entre Rabat et Alger restent néanmoins particulièrement mauvaises. À plusieurs reprises, le gouvernement algérien s’est prononcé contre la réouverture de la frontière entre les deux pays tant que le dossier du Sahara occidental et les questions bilatérales liées aux frontières n’auront pas été résolus. « L’ouverture des frontières entre les deux pays n’est pas sur l’agenda de l’État algérien », affirmait en 2006 le chef du gouvernement algérien Ahmad Ouyahia. Pourtant, la Confédération des hommes d’affaires algériens a appelé, en mars dernier, à l’ouverture des frontières, estimant que cette fermeture est « catastrophique pour le commerce algérien ».
Toutes taxes et corruption comprises
Avant la fermeture de la frontière, Abdelkader, un commerçant marocain d’une cinquantaine d’années, vendait dans son épicerie d’Oujda beaucoup de produits algériens dont certains revenaient moins chers parce qu’ils sont subventionnés par l’État. « Auparavant, il nous arrivait d’acheter de l’Algérie des produits marocains, comme les médicaments, à meilleur prix que ceux achetés ici même », se souvient cet homme. « Aujourd’hui, toute cette marchandise a disparu du marché marocain. Et si on la retrouve, elle revient au même prix que les produits locaux, puisqu’on lui ajoute les TTCC (toutes taxes et corruption comprises) », explique ce commerçant, faisant allusion au trafic illégal existant à travers la frontière.
Malgré les différents postes militaires, côté algérien, et les maintes patrouilles de police, côté marocain, la frontière entre ces deux pays est l’une des plus poreuses au monde et connaît une contrebande des plus diversifiées. De l’algérie, les passeurs ramènent de tout, pièces automobile, farine, ou encore carburant. Sans oublier les immigrants clandestins africains qui choisissent le Maroc pour passer vers l’Europe, et surtout les armes et les terroristes, justification première de la fermeture de la frontière.
Sur la route qui conduit à Oujda, le long de la frontière algéro-marocaine, de nombreux enfants sont assis, nonchalamment, sur de petits rochers ou sur un tronc d’arbre cassé. Ils jouent avec un bout de tuyau au bout duquel est inséré un entonnoir. Âgés entre 7 et 12 ans, ils bavardent et rient ensemble. « Ils vendent de l’essence », explique le chauffeur du bus. Les enfants cachent leur jerrican dans les bosquets avoisinants « par peur de la police ». « Quand un chauffeur s’arrête, ils le sortent de la cachette et le vident dans le réservoir de la voiture ». Selon des statistiques publiées dans un journal local marocain, près de 1,5 million de litres de carburants (gazoil et essence) passent chaque jour d’un côté à l’autre de la frontière. Un chiffre énorme qui remet en question l’efficacité et l’utilité de la fermeture officielle de la frontière terrestre. Et ce d’autant plus que, depuis 2005, les ressortissants algériens peuvent entrer au Maroc en prenant l’avion et vice versa, sans même avoir besoin d’un visa !
Hermétique officiellement mais poreuse pratiquement, la frontière algéro-marocaine est fermée depuis plus de 12 ans
RABAT - L'article de Antoine AJOURY
Le paysage est surréaliste. D’un côté le Maroc, de l’autre l’Algérie. Un cours d’eau les sépare. Hermétique officiellement et poreuse pratiquement, la frontière entre les deux pays est fermée depuis plus de douze ans. Pour le plus grand bonheur des contrebandiers et le malheur de la population locale. Situation pour le moins absurde, d’autant que la tension politique entre Rabat et Alger n’a pas empêché la suppression des visas d’entrée pour les ressortissants des deux pays… À condition qu’ils prennent l’avion.
Le bus s’arrête brusquement. Devant lui, la voie est bloquée. À l’aide d’un tracteur, une dizaine d’ouvriers travaillent d’arrache-pied pour élargir la route qui relie la ville de Berkane à celle d’Oujda, dans la région marocaine de l’Oriental. Les voyageurs profitent de cette halte pour jeter un coup d’œil sur le paysage. À une centaine de mètres de la chaussée, un ruisseau fraie son chemin à travers les buissons et les rochers. Sur l’autre rive du cours d’eau se trouve… l’Algérie. « Nous construisons des routes alors que les Algériens bâtissent des casernes », lance avec ironie un Marocain, tout en pointant du doigt l’imposante bâtisse militaire installée sur la colline juste en face du bus.
La remarque illustre à merveille la tension qui existe entre le Maroc et l’Algérie. La frontière terrestre, longue de quelque 1559 km et dont le tracé n’est pas reconnu officiellement et définitivement entre les deux pays, est fermée depuis 1994, date à laquelle un attentat avait visé un hôtel de la ville marocaine de Marrakech. Le différend frontalier remonte toutefois au lendemain de l’indépendance des deux pays lorsque éclata « la guerre des sables » en 1963. Le conflit a augmenté d’intensité quand le Maroc a revendiqué sa souveraineté sur le Sahara occidental dans les années 70, alors que l’Algérie appuyait le Front Polisario qui revendique l’indépendance de cette région.
Malgré la création de l’Union du Maghreb arabe (UMA) et la suppression des visas d’entrée pour les ressortissants des deux pays, les relations bilatérales entre Rabat et Alger restent néanmoins particulièrement mauvaises. À plusieurs reprises, le gouvernement algérien s’est prononcé contre la réouverture de la frontière entre les deux pays tant que le dossier du Sahara occidental et les questions bilatérales liées aux frontières n’auront pas été résolus. « L’ouverture des frontières entre les deux pays n’est pas sur l’agenda de l’État algérien », affirmait en 2006 le chef du gouvernement algérien Ahmad Ouyahia. Pourtant, la Confédération des hommes d’affaires algériens a appelé, en mars dernier, à l’ouverture des frontières, estimant que cette fermeture est « catastrophique pour le commerce algérien ».
Toutes taxes et corruption comprises
Avant la fermeture de la frontière, Abdelkader, un commerçant marocain d’une cinquantaine d’années, vendait dans son épicerie d’Oujda beaucoup de produits algériens dont certains revenaient moins chers parce qu’ils sont subventionnés par l’État. « Auparavant, il nous arrivait d’acheter de l’Algérie des produits marocains, comme les médicaments, à meilleur prix que ceux achetés ici même », se souvient cet homme. « Aujourd’hui, toute cette marchandise a disparu du marché marocain. Et si on la retrouve, elle revient au même prix que les produits locaux, puisqu’on lui ajoute les TTCC (toutes taxes et corruption comprises) », explique ce commerçant, faisant allusion au trafic illégal existant à travers la frontière.
Malgré les différents postes militaires, côté algérien, et les maintes patrouilles de police, côté marocain, la frontière entre ces deux pays est l’une des plus poreuses au monde et connaît une contrebande des plus diversifiées. De l’algérie, les passeurs ramènent de tout, pièces automobile, farine, ou encore carburant. Sans oublier les immigrants clandestins africains qui choisissent le Maroc pour passer vers l’Europe, et surtout les armes et les terroristes, justification première de la fermeture de la frontière.
Sur la route qui conduit à Oujda, le long de la frontière algéro-marocaine, de nombreux enfants sont assis, nonchalamment, sur de petits rochers ou sur un tronc d’arbre cassé. Ils jouent avec un bout de tuyau au bout duquel est inséré un entonnoir. Âgés entre 7 et 12 ans, ils bavardent et rient ensemble. « Ils vendent de l’essence », explique le chauffeur du bus. Les enfants cachent leur jerrican dans les bosquets avoisinants « par peur de la police ». « Quand un chauffeur s’arrête, ils le sortent de la cachette et le vident dans le réservoir de la voiture ». Selon des statistiques publiées dans un journal local marocain, près de 1,5 million de litres de carburants (gazoil et essence) passent chaque jour d’un côté à l’autre de la frontière. Un chiffre énorme qui remet en question l’efficacité et l’utilité de la fermeture officielle de la frontière terrestre. Et ce d’autant plus que, depuis 2005, les ressortissants algériens peuvent entrer au Maroc en prenant l’avion et vice versa, sans même avoir besoin d’un visa !
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