Algérie-USA: les grandes explications et les petits détails
L’ambassadeur US en Algérie, Robert S. Ford, est un diplomate qui a connu la parenthèse d’un séjour au Maroc, l’expérience de l’Irak de l’après-Saddam, qui a l’habitude des pays du Golfe et qui a «signé» l’initiative Eizenstat, le «plan Marshall» pour le Maghreb.
Il livre ici sa vision sur l’Algérie vue par les Etats-Unis, l’Afrique du Nord, «l’antiterrorisme» international et le futur de la présence US dans le continent. Quelques révélations et beaucoup de diplomatie entre le chapelet que l’ambassadeur a toujours à la main et les mots en français ou en arabe qui «sont toujours un défi».
Le Quotidien d’Oran : Monsieur l’ambassadeur, si l’on part de votre expérience sur l’organisation d’élections en Irak et la mise en forme de sa nouvelle constitution, quelle est votre appréciation sur les dernières législatives algériennes, sur le débat de la révision de la constitution et sur le processus politique algérien dans son ensemble ?
Robert S. Ford : Du point du vue technique, ce que j’ai vu moi-même lors d’une tournée à Bab-El-Oued, à Alger, l’administration algérienne était tout à fait prête à faire le nécessaire mais j’ai aussi remarqué que dans quelques bureaux de vote, il n’y avait pas la présence de tous les observateurs des partis en concurrence, même si l’administration avait prévu leur présence. Il y a certes des questionnements chez les partis politiques algériens sur la crédibilité du scrutin. Ceci dit, moi je ne suis pas expert en la matière et mon constat se résume à ce que j’ai vu uniquement. En conclusion, ce n’est pas aux étrangers de dire si ces élections étaient crédibles ou non. C’est aux Algériens de se prononcer sur cette question. Et je pense qu’on va savoir, tôt ou tard, si les Algériens pensent que ces consultations ont été crédibles ou pas, selon les taux de participation à l’occasion des élections à venir.
C’est-à-dire: est-ce que le système politique devient de plus en plus crédible aux yeux des Algériens ou est-ce que ce sera le contraire ? Je pense que c’est là la question clé de mon point de vue.
Maintenant, et à propos de la question de la révision de la constitution algérienne, et pour être franc, il me faut dire que nous n’avons pas de position définie sur ce dossier. Il s’agit d’une « question » interne à l’Algérie et de son peuple et les deux sont souverains. Ce que nous les Américains espérons, c’est seulement qu’il se dégage un consensus pendant ce processus et pendant le débat sur la révision de la constitution algérienne et que la question soit résolue sans aucun appel à la violence ou à un rejet violent. C’est-à-dire que la révision de la constitution soit menée par des moyens totalement politiques.
Q.O. : L’opinion publique algérienne comme les autorités ont suivi avec attention les réactions internationales provoquées par les attentats du 11 avril dernier à Alger et notamment la polémique provoquée par le bulletin d’alerte émis par les services de votre ambassade, à une époque où vous étiez en déplacement. Qu’est-ce qui s’est passé réellement ?
R.S.F.: J’ai quelques remarques à faire à propos de cette question. En premier, notre but n’était absolument pas de semer la panique et de provoquer la peur chez les Algériens. Absolument pas. Deuxièmement, nous comprenons parfaitement que les autorités algériennes se sentent les responsables de la sécurité des Algériens et du territoire algérien dans son ensemble et nous respectons cela. Ce n’était pas notre intention de « toucher » ou de déstabiliser la sécurité du pays qui accueille notre ambassade. Reste, bien sûr, la question de la raison de l’émission de ce bulletin. Il faut savoir que nous avons, de notre côté, du côté du gouvernement américain, une exigence que nous impose la loi pour avertir les citoyens américains en cas de menace spécifique. Je peux vous expliquer, si cela vous intéresse, toutes les procédures et les raisons qui motivent cette loi. Pour l’essentiel, il faut savoir surtout que c’est une obligation pour nous d’avertir nos citoyens en cas de menace et que donc l’intention, et je le répète, n’était ni de provoquer la panique parmi les populations, ni d’empêcher les efforts du gouvernement algérien dans sa lutte contre le terrorisme et pour maintenir la sécurité dans la capitale et dans les espaces publics du pays, une lutte que nous soutenons.
Q.O.: Justement Excellence, et à propos de cette collaboration sécuritaire, on entend souvent parler de lutte antiterroriste commune, d’aides, de soutiens des Etats-Unis à l’Algérie. Il s’agit de quoi concrètement, Monsieur l’ambassadeur, d’autant plus que les définitions du « terrorisme » sont un peu différentes entre les Etats-Unis et le reste du monde arabe et donc l’Algérie ?
R.S.F.: La collaboration contre le phénomène du terrorisme existe dans plusieurs domaines. D’abord au niveau militaire et là je peux vous citer quelques exemples. Nous avons ainsi organisé dernièrement des exercices conjoints de manoeuvres navales et marins sur des stratégies de lutte contre les infiltrations et pour la surveillance côtière. Nous avons par ailleurs invité des responsables et des officiers de l’APN aux Etats-Unis pour des cycles de formation. Nous avons aussi organisé des réunions dans des pays tiers, comme à Dakar ou à Malte, pour que les responsables militaires et ceux de la sécurité puissent se rencontrer et se connaître pour mieux coordonner leur collaboration en cas d’alerte ou en cas de menace. Dans le domaine précis de la formation, nos services du FBI ont formé du personnel de la Gendarmerie nationale algérienne, soit aux Etats-Unis soit avec des programmes mixtes, avec d’autres pays africains, et qui viennent tout juste d’être achevés. Cette collaboration est donc diversifiée et a lieu à plusieurs niveaux. Ceci dit, il est vrai, nous n’avons pas encore fourni beaucoup d’équipements à l’Algérie. C’est un volet qui a été discuté en novembre dernier à l’occasion de la visite d’un responsable américain du Bureau du ministre de la Défense US. Le dossier est encore ouvert et je ne sais pas s’il va aboutir ou non. Cela dépend des décisions algériennes mais nous sommes, de notre côté, disponibles, sauf que les autorités algériennes auront à « travailler » dans un contexte légal américain, le même cadre de lois qui vaut pour d’autres pays comme l’Espagne, la Grande-Bretagne, la France, Israël, Bahreïn... Donc tout est suspendu à la manière dont les Algériens vont accepter ces conditions légales américaines...
Q.O.: Justement, cela nous entraîne à évoquer le dossier de l’initiative Pan-Sahel et la polémique sur l’installation du commandement US en Afrique ou en Afrique du Nord. Chose qui a provoqué quelques mises au point algériennes récemment.
R.S.F.: Pour être très clair, nous n’avons jamais, et je répète, nous n’avons jamais demandé à installer une base militaire en Algérie. En second, nous n’avons jamais demandé à un autre pays en Afrique d’accepter une base militaire pour ce siège. Les raisons ? Le Congrès américain n’a pas encore déterminé les tranches de financement pour déplacer le siège de commandement de nos forces de l’Allemagne vers d’autres pays. Ceci dit, il faut savoir que notre but, avec ce nouveau commandement, c’est de mieux nous organiser pour faire face au problème de l’extrémisme en Afrique. Soit dans la région du Sahel, soit dans la région de l’Afrique de l’Est - regardez ce qui se passe par exemple en Somalie, notre propre expérience amère à Nairobi et Dar Es-Salem -, soit dans celle de l’Afrique centrale et dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Ce qu’il y a de neuf avec l’idée de ce nouveau commandement, c’est que l’on va associer dans un même mouvement les efforts d’aides économiques à ceux de la collaboration sécuritaire et en même temps. On n’en est justement plus à faire face à la menace classique, comme à l’époque de l’ex-URSS, avec les mêmes déploiements et les mêmes arguments de nombre de chars ou de blindés alignés face à face par exemple. Aujourd’hui, nous avons besoin de mettre en place des moyens « économiques » pour donner aux Africains de l’espoir et aider leurs gouvernements et leurs politiques économiques dans le vaste contexte de la globalisation.
Par exemple, nous aurons, dans une semaine, la visite d’une haute délégation à Alger pour discuter les stratégies américaines à propos de ce nouveau commandement. Et là, j’ai remarqué que parmi les membres de cette délégation de militaires et de civils, la présence du chef de notre direction d’assistance économique pour l’Afrique. Une présence qui indique encore une fois que nous ne pensons pas seulement aux moyens sécuritaires mais aussi aux moyens économiques pour faire face à la menace du terrorisme et de l’extrémisme en Afrique...
L’ambassadeur US en Algérie, Robert S. Ford, est un diplomate qui a connu la parenthèse d’un séjour au Maroc, l’expérience de l’Irak de l’après-Saddam, qui a l’habitude des pays du Golfe et qui a «signé» l’initiative Eizenstat, le «plan Marshall» pour le Maghreb.
Il livre ici sa vision sur l’Algérie vue par les Etats-Unis, l’Afrique du Nord, «l’antiterrorisme» international et le futur de la présence US dans le continent. Quelques révélations et beaucoup de diplomatie entre le chapelet que l’ambassadeur a toujours à la main et les mots en français ou en arabe qui «sont toujours un défi».
Le Quotidien d’Oran : Monsieur l’ambassadeur, si l’on part de votre expérience sur l’organisation d’élections en Irak et la mise en forme de sa nouvelle constitution, quelle est votre appréciation sur les dernières législatives algériennes, sur le débat de la révision de la constitution et sur le processus politique algérien dans son ensemble ?
Robert S. Ford : Du point du vue technique, ce que j’ai vu moi-même lors d’une tournée à Bab-El-Oued, à Alger, l’administration algérienne était tout à fait prête à faire le nécessaire mais j’ai aussi remarqué que dans quelques bureaux de vote, il n’y avait pas la présence de tous les observateurs des partis en concurrence, même si l’administration avait prévu leur présence. Il y a certes des questionnements chez les partis politiques algériens sur la crédibilité du scrutin. Ceci dit, moi je ne suis pas expert en la matière et mon constat se résume à ce que j’ai vu uniquement. En conclusion, ce n’est pas aux étrangers de dire si ces élections étaient crédibles ou non. C’est aux Algériens de se prononcer sur cette question. Et je pense qu’on va savoir, tôt ou tard, si les Algériens pensent que ces consultations ont été crédibles ou pas, selon les taux de participation à l’occasion des élections à venir.
C’est-à-dire: est-ce que le système politique devient de plus en plus crédible aux yeux des Algériens ou est-ce que ce sera le contraire ? Je pense que c’est là la question clé de mon point de vue.
Maintenant, et à propos de la question de la révision de la constitution algérienne, et pour être franc, il me faut dire que nous n’avons pas de position définie sur ce dossier. Il s’agit d’une « question » interne à l’Algérie et de son peuple et les deux sont souverains. Ce que nous les Américains espérons, c’est seulement qu’il se dégage un consensus pendant ce processus et pendant le débat sur la révision de la constitution algérienne et que la question soit résolue sans aucun appel à la violence ou à un rejet violent. C’est-à-dire que la révision de la constitution soit menée par des moyens totalement politiques.
Q.O. : L’opinion publique algérienne comme les autorités ont suivi avec attention les réactions internationales provoquées par les attentats du 11 avril dernier à Alger et notamment la polémique provoquée par le bulletin d’alerte émis par les services de votre ambassade, à une époque où vous étiez en déplacement. Qu’est-ce qui s’est passé réellement ?
R.S.F.: J’ai quelques remarques à faire à propos de cette question. En premier, notre but n’était absolument pas de semer la panique et de provoquer la peur chez les Algériens. Absolument pas. Deuxièmement, nous comprenons parfaitement que les autorités algériennes se sentent les responsables de la sécurité des Algériens et du territoire algérien dans son ensemble et nous respectons cela. Ce n’était pas notre intention de « toucher » ou de déstabiliser la sécurité du pays qui accueille notre ambassade. Reste, bien sûr, la question de la raison de l’émission de ce bulletin. Il faut savoir que nous avons, de notre côté, du côté du gouvernement américain, une exigence que nous impose la loi pour avertir les citoyens américains en cas de menace spécifique. Je peux vous expliquer, si cela vous intéresse, toutes les procédures et les raisons qui motivent cette loi. Pour l’essentiel, il faut savoir surtout que c’est une obligation pour nous d’avertir nos citoyens en cas de menace et que donc l’intention, et je le répète, n’était ni de provoquer la panique parmi les populations, ni d’empêcher les efforts du gouvernement algérien dans sa lutte contre le terrorisme et pour maintenir la sécurité dans la capitale et dans les espaces publics du pays, une lutte que nous soutenons.
Q.O.: Justement Excellence, et à propos de cette collaboration sécuritaire, on entend souvent parler de lutte antiterroriste commune, d’aides, de soutiens des Etats-Unis à l’Algérie. Il s’agit de quoi concrètement, Monsieur l’ambassadeur, d’autant plus que les définitions du « terrorisme » sont un peu différentes entre les Etats-Unis et le reste du monde arabe et donc l’Algérie ?
R.S.F.: La collaboration contre le phénomène du terrorisme existe dans plusieurs domaines. D’abord au niveau militaire et là je peux vous citer quelques exemples. Nous avons ainsi organisé dernièrement des exercices conjoints de manoeuvres navales et marins sur des stratégies de lutte contre les infiltrations et pour la surveillance côtière. Nous avons par ailleurs invité des responsables et des officiers de l’APN aux Etats-Unis pour des cycles de formation. Nous avons aussi organisé des réunions dans des pays tiers, comme à Dakar ou à Malte, pour que les responsables militaires et ceux de la sécurité puissent se rencontrer et se connaître pour mieux coordonner leur collaboration en cas d’alerte ou en cas de menace. Dans le domaine précis de la formation, nos services du FBI ont formé du personnel de la Gendarmerie nationale algérienne, soit aux Etats-Unis soit avec des programmes mixtes, avec d’autres pays africains, et qui viennent tout juste d’être achevés. Cette collaboration est donc diversifiée et a lieu à plusieurs niveaux. Ceci dit, il est vrai, nous n’avons pas encore fourni beaucoup d’équipements à l’Algérie. C’est un volet qui a été discuté en novembre dernier à l’occasion de la visite d’un responsable américain du Bureau du ministre de la Défense US. Le dossier est encore ouvert et je ne sais pas s’il va aboutir ou non. Cela dépend des décisions algériennes mais nous sommes, de notre côté, disponibles, sauf que les autorités algériennes auront à « travailler » dans un contexte légal américain, le même cadre de lois qui vaut pour d’autres pays comme l’Espagne, la Grande-Bretagne, la France, Israël, Bahreïn... Donc tout est suspendu à la manière dont les Algériens vont accepter ces conditions légales américaines...
Q.O.: Justement, cela nous entraîne à évoquer le dossier de l’initiative Pan-Sahel et la polémique sur l’installation du commandement US en Afrique ou en Afrique du Nord. Chose qui a provoqué quelques mises au point algériennes récemment.
R.S.F.: Pour être très clair, nous n’avons jamais, et je répète, nous n’avons jamais demandé à installer une base militaire en Algérie. En second, nous n’avons jamais demandé à un autre pays en Afrique d’accepter une base militaire pour ce siège. Les raisons ? Le Congrès américain n’a pas encore déterminé les tranches de financement pour déplacer le siège de commandement de nos forces de l’Allemagne vers d’autres pays. Ceci dit, il faut savoir que notre but, avec ce nouveau commandement, c’est de mieux nous organiser pour faire face au problème de l’extrémisme en Afrique. Soit dans la région du Sahel, soit dans la région de l’Afrique de l’Est - regardez ce qui se passe par exemple en Somalie, notre propre expérience amère à Nairobi et Dar Es-Salem -, soit dans celle de l’Afrique centrale et dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Ce qu’il y a de neuf avec l’idée de ce nouveau commandement, c’est que l’on va associer dans un même mouvement les efforts d’aides économiques à ceux de la collaboration sécuritaire et en même temps. On n’en est justement plus à faire face à la menace classique, comme à l’époque de l’ex-URSS, avec les mêmes déploiements et les mêmes arguments de nombre de chars ou de blindés alignés face à face par exemple. Aujourd’hui, nous avons besoin de mettre en place des moyens « économiques » pour donner aux Africains de l’espoir et aider leurs gouvernements et leurs politiques économiques dans le vaste contexte de la globalisation.
Par exemple, nous aurons, dans une semaine, la visite d’une haute délégation à Alger pour discuter les stratégies américaines à propos de ce nouveau commandement. Et là, j’ai remarqué que parmi les membres de cette délégation de militaires et de civils, la présence du chef de notre direction d’assistance économique pour l’Afrique. Une présence qui indique encore une fois que nous ne pensons pas seulement aux moyens sécuritaires mais aussi aux moyens économiques pour faire face à la menace du terrorisme et de l’extrémisme en Afrique...
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