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Hommage du Théâtre du Châtelet à Germaine Tillion

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  • Hommage du Théâtre du Châtelet à Germaine Tillion

    Le Théâtre du Châtelet à Paris a fait un beau cadeau d'anniversaire à Germaine Tillion, centenaire depuis mercredi, en créant samedi soir "Le Verfügbar aux enfers", émouvante "opérette-revue" trempée dans l'humour noir qu'elle a écrite en déportation à Ravensbrück (Allemagne).

    Trop faible pour se déplacer, l'ethnologue et résistante n'a pas pu assister à la première représentation de cette oeuvre sans équivalent dans l'histoire des camps nazis, et qui sera redonnée deux autres fois (16H00 et 20H00) dimanche.

    L'une de ses compagnes de déportation, Anise Postel-Vinay, 85 ans, a pris la parole sur scène et s'est dite "très émue" à l'idée de partager avec le public "cette belle page d'espérance humaine".

    Résistante de la première heure, Germaine Tillion a été arrêtée en août 1942 puis déportée en octobre 1943 vers le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück (Allemagne). Considérée comme NN (pour Nacht und Nebel, "nuit et brouillard"), c'est-à-dire condamnée à disparaître sans laisser de traces, la Française appartenait à cette catégorie de prisonniers rebelles (les Verfügbar, littéralement "disponibles") qui, n'étant délibérément inscrits dans aucune colonne de travail, étaient corvéables à merci. En octobre 1944, plutôt que de travailler au déchargement des trains, elle s'est mise à écrire Le Verfügbar aux enfers, dissimulée au fond d'une caisse d'emballage, pour soulager sa détresse et celle de ses compagnes d'infortune, mais aussi faire acte de résistance. "Survivre, notre ultime sabotage", écrira-t-elle en 1946. L'oeuvre a alors été dite et chantonnée par bribes, à la sauvette, mais jamais représentée. Longtemps, Germaine Tillion ne s'est pas souciée de la diffusion et de la postérité de ce manuscrit qui ne sera édité qu'en 2005, soit soixante ans après sa libération.

    La baptême scénique de l'oeuvre confirme sa force et sa singularité. Le titre résume parfaitement la démarche de l'auteur en soulignant l'enfer des camps nazis tout en faisant un clin d'oeil à une opérette d'Offenbach ("Orphée aux enfers"): ici l'humour est noir et se teinte d'autodérision.

    Quand Germaine Tillion évoque "un camp modèle avec tout confort, eau, gaz, électricité", le choeur répond "gaz surtout" en une réplique d'une ironie glaçante.

    L'auteur n'a bien sûr pas composé les airs très variés (chansons scoute ou grivoise, "Habanera" de Carmen, "Danse macabre" de Saint-Saëns...) auxquels elle et ses codétenues se réfèrent, mais l'adéquation texte-musique révèle une grande culture musicale. Le "J'ai perdu mon Eurydice" de Gluck devient ainsi subtilement "J'ai perdu mon Innendienst", le précieux billet qui permet de rester au Block et de ne pas aller travailler...

    Germaine Tillion décrit naturellement en ethnologue la vie à Ravensbrück. Mais elle se révèle aussi en dramaturge inspirée en inventant un personnage d'entomologiste qui dissèque à voix haute le Verfügbar, un "gastéropode" car "il a l'estomac dans les talons", nous dit-on.

    La réalisation scénique (signée Bérénice Collet), qui est sur le même ton que le texte, est une réussite: les scènes se jouent avec efficacité devant une baraque concentrationnaire, bientôt surmontée d'une inscription grinçante et référencée ("Le travail, c'est la santé"), lumineuse façon music-hall.

    Le spectacle s'achève sur le noir complet et un long silence suffoquant. Quand la salle se rallume, le public fait un triomphe aux artistes, notamment à la jeune chef Hélène Bouchez, à des solistes épatants (Gaële Le Roi, Hélène Delavault...), aux choristes de la Maîtrise de Paris et de deux collèges de la capitale, dont la démarche a été autant éducative que musicale.

    Cependant à l'applaudimètre, c'est une photo descendue des cintres qui remporte le plus grand succès: celle de Germaine Tillion.

    Par La Dépêche de Kabylie
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