Le problème linguistique a toujours constitué l’un des points essentiels du débat sur la représentation théâtrale. Quel est l’auteur algérien qui ne connut/connaît pas ce problème? Ni Bachetarzi, ni Ksentini, ni Alloula, ni Kateb Yacine, pour ne citer que ces auteurs, ne purent s’en sortir sérieusement de ces questionnements ininterrompus sur la langue à utiliser dans leurs textes. Quelle langue faut-il choisir? L’arabe littéraire, l’arabe parlé, le tamazight ou le français? Le choix n’est décidément pas facile. Opter pour l’une ou l’autre langue, c’est s’exposer aux foudres de l’une ou de l’autre tendance. La polémique est parfois sous-tendue par des relents idéologiques. La langue arabe, sacralisée et figée, pouvait/peut, selon des lettrés conservateurs, traduire les pensées et les destinées des grands personnages tragiques. Le discours de ce courant se voit, de temps en temps, s’imposer sur la scène culturelle officielle, mais ne semble pas encore fort pour investir durablement la sphère théâtrale.
Les adeptes des idiomes populaires (surtout l’arabe «algérien») pensent que l’arabe «classique» exclurait du théâtre le large public et altèrerait considérablement la communication. Faut-il faire du théâtre pour une élite dont une partie n’a que mépris pour les valeurs populaires véhiculées par l’art dramatique? Le choix est tout à fait clair et simple: il ne s’agit nullement d’une entourloupette idéologique mais d’une décision née de la relation qu’entretiennent les hommes de théâtre avec leur public. Il ne faut pas perdre de vue que le théâtre en Algérie est le fait d’hommes issus du «peuple». Rachid Ksentini, Allalou, Touri sont d’origine populaire. Comment pouvaient-ils se permettre d’exclure de leur espace de représentation les gens auxquels ils s’adressaient?
«Vulgaire dialectal»
C’est le récepteur qui détermine la langue à employer. Ces derniers temps, le kabyle commence à s’imposer en Kabylie où des pièces sont montées dans cette langue. Ainsi, des festivals de théâtre «amazigh» sont régulièrement organisés à Tizi Ouzou et Béjaïa. Depuis les premiers balbutiements du théâtre en Algérie, le choix linguistique pose problème. C’est avec Djeha de Allalou que l’option pour l’arabe «dialectal» fut affirmée avec force. Mais ce choix ne pouvait qu’être discuté et contesté par l’élite intellectuelle arabisante de l’époque qui décida ainsi de bouder définitivement le théâtre. En 1926, Allalou, ce visionnaire, a monté Djeha, l’histoire d’un personnage populaire. Ce fut la première pièce en arabe «dialectal» et une grande révélation. Pour la première fois, le public retrouvait son vécu et s’identifiait à des personnages incarnés par des comédiens algériens qui lui parlaient de son quotidien. Les Algérois se retrouvaient enfin dans des oeuvres dramatiques et s’identifiaient à des personnages puisés dans l’imaginaire populaire. Les jeux de mots participaient de la parodie des situations et des récits mythiques.
L’élite intellectuelle de l’époque, trop nourrie de mythes passéistes, s’attaquait violemment au théâtre de Allalou considéré comme vulgaire et indigne de la littérature. Seule, selon les lettrés de l’époque, la langue «littéraire» était apte à véhiculer le discours des grands personnages tragiques. Ils oubliaient vite que les premières tentatives en arabe «classique» échouèrent lamentablement, faute de public. Ali Chérif Tahar écrivit trois pièces sur l’alcoolisme, «Ach chifa ba’d et âna», «Khadi’at el gharam» et «Badi». «El Mouslih» et «Fi Sabil el Watan» ont été jouées en 1921-1922. La langue utilisée dans ces textes était inaccessible au grand public qui avait boudé ces représentations qui, d’ailleurs, développaient des thèses sociales et philosophiques que les spectateurs avaient de la peine à comprendre, en l’absence d’une sérieuse connaissance de l’arabe «populaire». Le public populaire entretenait donc une relation d’étrangeté avec les textes, se réduisant à de simples lectures dramatiques.
Avec Allalou, Ksentini et Bachetarzi, le théâtre choisit la langue du quotidien. De temps à autre, une pièce en arabe «classique» était réalisée dans quelque ville d’Algérie. Mais le public avait tout simplement opté pour la langue «dialectale». Ainsi s’exprimait Allalou dans ses mémoires:«Il est incontestable que l’arabe parlé dont nous usions a rendu le théâtre accessible au grand public. Cette langue appelée à tort ´´vulgaire´´ était à l’époque une langue usuelle purement arabe. Pour l’essentiel, elle n’était différente de la langue classique que par le non-respect de la syntaxe et de la morphologie. C’était une langue populaire par excellence et nos poètes s’en sont toujours servi pour toucher le peuple. On peut citer, pour preuve, les innombrables poèmes et les chansons élaborés depuis des siècles concurremment à la littérature en arabe classique».
Bachetarzi et Allalou ont une conception différente de la langue parlée. Le premier, de souche bourgeoise, la considère comme une «langue vulgaire» tandis que le second parle de «langue du peuple» (il répond à Bachetarzi en employant le groupe de mots «à tort» placé devant «langue vulgaire»). Mahieddine Bachetarzi distingue donc deux langues: l’arabe «classique» et l’arabe «vulgaire». L’ «arabe vulgaire» serait la langue parlée par le «peuple», apte uniquement à prendre des situations primaires et primitives, pauvres alors que l’arabe littéraire se verrait marquée positivement, «noble» et «supérieure». Seules les pièces jouées en arabe «dialectal» réussissent à drainer le large public qui retrouve ainsi sa langue. C’est pour cette raison essentielle que les auteurs algériens ont choisi d’écrire dans la langue «populaire». L’exemple des pièces de Allalou, de Ksentini et de Touri confirme cette thèse. Alloula, Kaki, Kateb Yacine, Benguettaf et Bénaïssa démontrent qu’on peut écrire de grandes oeuvres artistiques en arabe «dialectal». La question ne se pose pas en termes de langues(s) mais dans la maîtrise des techniques de la scène. Souvent, ce sont des gens qui n’exercent pas dans les métiers du théâtre qui sortent leur étendard de défenseurs de la pureté linguistique. Cette manière de réduire l’art théâtral à l’outil linguistique provoque de sérieux malentendus. Le choix de l’arabe dialectal a déterminé pendant la colonisation l’adoption des genres comiques: le vaudeville, la farce et la comédie. Les personnages tragiques s’expriment exclusivement dans la langue littéraire. L’expérience de Rachid Ksentini, El ahd el Ouafi (Le serment fidèle),une tragédie en trois actes, fut un retentissant échec. Toutes les pièces tragiques ont été jouées en arabe classique.
Durant les premières années de l’indépendance, les responsables du théâtre en Algérie voulaient faire un théâtre populaire ouvert aux larges couches de la société. Pour ce faire, les auteurs écrivaient leurs pièces en arabe populaire. Les troupes algériennes n’utilisent que dans de très rares occasions l’arabe «littéraire». Le français n’est plus actuellement à l’ordre jour. Certes, ces dernières années, vers la fin des années 80 et les années 90 et 2000, des pièces furent traduites en français et jouées le plus souvent dans les Centres culturels français(CCF) ou produites en France par des Algériens (S.Benaïssa, Ziani, Kacimi, Fellag, Metref, Chouaki...) installés dans ce pays. Le tamazight ou le berbère (sa variante kabyle) s’impose de plus en plus en Kabylie, surtout depuis les événements de 1980 (revendication de la langue et de la culture berbère).
Nous pouvons déceler plusieurs variétés dialectales. Nous avons affaire à un espace linguistique hétérogène. Chaque auteur, chaque théâtre régional présente un idiome particulier. Les auteurs recourent à plusieurs niveaux de langue. Dans les pièces du théâtre amateur, par exemple, chaque personnage emploie un langage particulier. L’intellectuel, le syndicaliste et l’homme politique progressiste utilisent une langue «intermédiaire» pour reprendre le linguiste M.Belkaïd.
Le paysan dont l’espace de parole est réduit, utilise souvent une langue pauvre, trop marquée par l’accent et de nombreux bégaiements, onomatopées et hésitations. Les femmes emploient une langue où se trouvent mélangés le français et l’arabe «dialectal». Pour faire réaliste, plusieurs auteurs reprennent la langue «brute» de la rue sans la retravailler, l’investir d’oripeaux esthétiques ni la considérer comme un élément intégrant du travail théâtral. L’usage du cliché et du stéréotype est abondant dans la grande partie des pièces produites par les troupes d’amateurs et quelques textes du théâtre professionnel.
Si l’on excepte quelques auteurs, nous pouvons dire que les auteurs algériens emploient une langue manquant souvent de poésie et de force. Dans la plupart des cas, nous sommes en présence d’un mélange linguistique hétéroclite qui désarticule le jeu théâtral et piège la communication. Ce brouillage, caractéristique essentielle de nombreuses productions, influe négativement sur le jeu et l’interprétation et fausse la relation entre scène et public(s).On a l’impression que certains auteurs procèdent en recourant à une sorte d’analogie peu opératoire entre le temps de la représentation et le temps réel ou de la rue et considèrent le théâtre comme une reproduction directe du vécu.
Les adeptes des idiomes populaires (surtout l’arabe «algérien») pensent que l’arabe «classique» exclurait du théâtre le large public et altèrerait considérablement la communication. Faut-il faire du théâtre pour une élite dont une partie n’a que mépris pour les valeurs populaires véhiculées par l’art dramatique? Le choix est tout à fait clair et simple: il ne s’agit nullement d’une entourloupette idéologique mais d’une décision née de la relation qu’entretiennent les hommes de théâtre avec leur public. Il ne faut pas perdre de vue que le théâtre en Algérie est le fait d’hommes issus du «peuple». Rachid Ksentini, Allalou, Touri sont d’origine populaire. Comment pouvaient-ils se permettre d’exclure de leur espace de représentation les gens auxquels ils s’adressaient?
«Vulgaire dialectal»
C’est le récepteur qui détermine la langue à employer. Ces derniers temps, le kabyle commence à s’imposer en Kabylie où des pièces sont montées dans cette langue. Ainsi, des festivals de théâtre «amazigh» sont régulièrement organisés à Tizi Ouzou et Béjaïa. Depuis les premiers balbutiements du théâtre en Algérie, le choix linguistique pose problème. C’est avec Djeha de Allalou que l’option pour l’arabe «dialectal» fut affirmée avec force. Mais ce choix ne pouvait qu’être discuté et contesté par l’élite intellectuelle arabisante de l’époque qui décida ainsi de bouder définitivement le théâtre. En 1926, Allalou, ce visionnaire, a monté Djeha, l’histoire d’un personnage populaire. Ce fut la première pièce en arabe «dialectal» et une grande révélation. Pour la première fois, le public retrouvait son vécu et s’identifiait à des personnages incarnés par des comédiens algériens qui lui parlaient de son quotidien. Les Algérois se retrouvaient enfin dans des oeuvres dramatiques et s’identifiaient à des personnages puisés dans l’imaginaire populaire. Les jeux de mots participaient de la parodie des situations et des récits mythiques.
L’élite intellectuelle de l’époque, trop nourrie de mythes passéistes, s’attaquait violemment au théâtre de Allalou considéré comme vulgaire et indigne de la littérature. Seule, selon les lettrés de l’époque, la langue «littéraire» était apte à véhiculer le discours des grands personnages tragiques. Ils oubliaient vite que les premières tentatives en arabe «classique» échouèrent lamentablement, faute de public. Ali Chérif Tahar écrivit trois pièces sur l’alcoolisme, «Ach chifa ba’d et âna», «Khadi’at el gharam» et «Badi». «El Mouslih» et «Fi Sabil el Watan» ont été jouées en 1921-1922. La langue utilisée dans ces textes était inaccessible au grand public qui avait boudé ces représentations qui, d’ailleurs, développaient des thèses sociales et philosophiques que les spectateurs avaient de la peine à comprendre, en l’absence d’une sérieuse connaissance de l’arabe «populaire». Le public populaire entretenait donc une relation d’étrangeté avec les textes, se réduisant à de simples lectures dramatiques.
Avec Allalou, Ksentini et Bachetarzi, le théâtre choisit la langue du quotidien. De temps à autre, une pièce en arabe «classique» était réalisée dans quelque ville d’Algérie. Mais le public avait tout simplement opté pour la langue «dialectale». Ainsi s’exprimait Allalou dans ses mémoires:«Il est incontestable que l’arabe parlé dont nous usions a rendu le théâtre accessible au grand public. Cette langue appelée à tort ´´vulgaire´´ était à l’époque une langue usuelle purement arabe. Pour l’essentiel, elle n’était différente de la langue classique que par le non-respect de la syntaxe et de la morphologie. C’était une langue populaire par excellence et nos poètes s’en sont toujours servi pour toucher le peuple. On peut citer, pour preuve, les innombrables poèmes et les chansons élaborés depuis des siècles concurremment à la littérature en arabe classique».
Bachetarzi et Allalou ont une conception différente de la langue parlée. Le premier, de souche bourgeoise, la considère comme une «langue vulgaire» tandis que le second parle de «langue du peuple» (il répond à Bachetarzi en employant le groupe de mots «à tort» placé devant «langue vulgaire»). Mahieddine Bachetarzi distingue donc deux langues: l’arabe «classique» et l’arabe «vulgaire». L’ «arabe vulgaire» serait la langue parlée par le «peuple», apte uniquement à prendre des situations primaires et primitives, pauvres alors que l’arabe littéraire se verrait marquée positivement, «noble» et «supérieure». Seules les pièces jouées en arabe «dialectal» réussissent à drainer le large public qui retrouve ainsi sa langue. C’est pour cette raison essentielle que les auteurs algériens ont choisi d’écrire dans la langue «populaire». L’exemple des pièces de Allalou, de Ksentini et de Touri confirme cette thèse. Alloula, Kaki, Kateb Yacine, Benguettaf et Bénaïssa démontrent qu’on peut écrire de grandes oeuvres artistiques en arabe «dialectal». La question ne se pose pas en termes de langues(s) mais dans la maîtrise des techniques de la scène. Souvent, ce sont des gens qui n’exercent pas dans les métiers du théâtre qui sortent leur étendard de défenseurs de la pureté linguistique. Cette manière de réduire l’art théâtral à l’outil linguistique provoque de sérieux malentendus. Le choix de l’arabe dialectal a déterminé pendant la colonisation l’adoption des genres comiques: le vaudeville, la farce et la comédie. Les personnages tragiques s’expriment exclusivement dans la langue littéraire. L’expérience de Rachid Ksentini, El ahd el Ouafi (Le serment fidèle),une tragédie en trois actes, fut un retentissant échec. Toutes les pièces tragiques ont été jouées en arabe classique.
Durant les premières années de l’indépendance, les responsables du théâtre en Algérie voulaient faire un théâtre populaire ouvert aux larges couches de la société. Pour ce faire, les auteurs écrivaient leurs pièces en arabe populaire. Les troupes algériennes n’utilisent que dans de très rares occasions l’arabe «littéraire». Le français n’est plus actuellement à l’ordre jour. Certes, ces dernières années, vers la fin des années 80 et les années 90 et 2000, des pièces furent traduites en français et jouées le plus souvent dans les Centres culturels français(CCF) ou produites en France par des Algériens (S.Benaïssa, Ziani, Kacimi, Fellag, Metref, Chouaki...) installés dans ce pays. Le tamazight ou le berbère (sa variante kabyle) s’impose de plus en plus en Kabylie, surtout depuis les événements de 1980 (revendication de la langue et de la culture berbère).
Nous pouvons déceler plusieurs variétés dialectales. Nous avons affaire à un espace linguistique hétérogène. Chaque auteur, chaque théâtre régional présente un idiome particulier. Les auteurs recourent à plusieurs niveaux de langue. Dans les pièces du théâtre amateur, par exemple, chaque personnage emploie un langage particulier. L’intellectuel, le syndicaliste et l’homme politique progressiste utilisent une langue «intermédiaire» pour reprendre le linguiste M.Belkaïd.
Le paysan dont l’espace de parole est réduit, utilise souvent une langue pauvre, trop marquée par l’accent et de nombreux bégaiements, onomatopées et hésitations. Les femmes emploient une langue où se trouvent mélangés le français et l’arabe «dialectal». Pour faire réaliste, plusieurs auteurs reprennent la langue «brute» de la rue sans la retravailler, l’investir d’oripeaux esthétiques ni la considérer comme un élément intégrant du travail théâtral. L’usage du cliché et du stéréotype est abondant dans la grande partie des pièces produites par les troupes d’amateurs et quelques textes du théâtre professionnel.
Si l’on excepte quelques auteurs, nous pouvons dire que les auteurs algériens emploient une langue manquant souvent de poésie et de force. Dans la plupart des cas, nous sommes en présence d’un mélange linguistique hétéroclite qui désarticule le jeu théâtral et piège la communication. Ce brouillage, caractéristique essentielle de nombreuses productions, influe négativement sur le jeu et l’interprétation et fausse la relation entre scène et public(s).On a l’impression que certains auteurs procèdent en recourant à une sorte d’analogie peu opératoire entre le temps de la représentation et le temps réel ou de la rue et considèrent le théâtre comme une reproduction directe du vécu.
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