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Privatiser ou non et surtout comment en Algérie

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  • Privatiser ou non et surtout comment en Algérie

    Réponses de Abderrahmane Hadj Nacer (ancien gouverneur de la Banque Centrale d'Algérie).

    Vous avez eu à superviser en tant que banquier d'affaires plusieurs dizaines de privatisations d'entreprises publiques dans différents pays. Quelle appréciation faites-vous des opérations de privatisation réalisées ces dernières années en Algérie ?

    La privatisation n'est pas un fétiche qui résout en soi le problème du fonctionnement compétitif d'une économie. Il y a eu, il est vrai, une grande vague de privatisations au lendemain de la chute du mur de Berlin, particulièrement dans les pays de l'Europe de l'Est. La mode, depuis, est à la privatisation dans les pays du Sud. Le rééchelonnement a toujours servi, sous le couvert de l'efficacité économique, de prétexte pour obliger les pays à privatiser. Est-ce pour autant qu'il faille considérer la privatisation comme le mode opératoire unique ? C'est là où nous péchons : ce n'est pas parce qu'une privatisation a réussi dans un pays qu'il faut la copier. Nos amis tunisiens, soucieux de maximiser les rentrées budgétaires de leur Etat, ont toujours vendu excellemment et plus cher qu'ailleurs. Leur politique en la matière ne se réduit cependant pas seulement à ce critère budgétaire, elle intègre une réflexion sur la stratégie économique et industrielle du pays. Quid de l'Algérie ? Faut-il vendre les entreprises publiques pour gagner de l'argent ? Je crois qu'il faut, premièrement, tenir compte des expériences de privatisation menées dans le monde - y compris en France où certaines privatisations font aujourd'hui l'objet d'une re-nationalisation. Deuxièmement, tirer profit du caractère de l'Algérie. L'Algérie n'est pas un pays du milieu ; son peuple ne sait bouger qu'en présence de grands défis. Quel est donc ce grand défi qui pourra nous mobiliser ? Le défi de l'Algérie n'est pas l'argent : nous avons, selon les définitions, entre 60 et 70 milliards de dollars en caisse aujourd'hui. Par conséquent, si nous privatisons, ce n'est donc pas pour accroître les revenus de l'Etat ou les encaisses du Trésor public. Pourquoi devrions-nous vendre alors ? La privatisation devrait être motivée par la recherche de l'efficacité économique. A mon avis, il faut commencer par analyser les besoins de l'Algérie qui sont l'emploi, la formation professionnelle, la maîtrise des technologies, l'intégration positive dans la mondialisation. Partant de là, comment pourrions-nous envisager la privatisation ? Je crois qu'il faut oublier les appels d'offres classiques et chercher plutôt les partenaires dont on a besoin dans les secteurs où l'Algérie possède des avantages comparatifs concurrentiels : les ISMEE, les NTIC, l'agroalimentaire, la chimie-pharmacie et bien sûr les filières pétrolières et gazières. Exemple : au lieu de vendre la SNVI (Rouiba), il faut aller chercher le meilleur partenaire qui existe dans le monde dans le domaine des véhicules industriels. Il faudrait, le cas échéant, contacter Volvo, Scania, MAN, etc. et discuter avec ces constructeurs non sur le prix de la SNVI mais sur les conditions qui nous permettraient de devenir leur partenaire en fonction d'un certain nombre de critères comme le type de technologie qui sera implantée, la formation nécessaire pour réaliser la mise à niveau, la position du site algérien dans la stratégie mondiale du développement du véhicule industriel. Dans ce cas de figure, peut-être qu'il nous faudra contribuer avec de l'argent plutôt que d'en recevoir pour que l'Algérie devienne, par le biais du site de Rouiba, l'une des positions clés du développement mondial du véhicule industriel. Comment intégrer l'Algérie dans la stratégie de développement de tel ou tel constructeur mondial ? C'est une négociation industrielle. Le partenaire étranger aura ici des conditions à poser - qui ne sont pas que d'ordre financier - lui permettant d'assurer sa sécurité dans l'intégration du pôle algérien à sa propre stratégie mondiale.

    Voilà pourquoi je considère la privatisation comme une capacité de négociation de l'Algérie dans un schéma industriel mondial plutôt que comme la vente passive de sites à un opérateur industriel étranger majeur qui, lui, va intégrer l'Algérie à sa propre vision - qui n'est d'ailleurs pas nécessairement celle d'une dynamique productive. Après le démantèlement de Daewoo en Corée du Sud, l'acquisition de sa branche de véhicules industriels devenait une perspective intéressante dans laquelle l'Algérie aurait pu être un compétiteur, sinon seul, du moins en association avec un grand groupe international. Pour rappel, Daewoo voulait acquérir la SNVI Rouiba pour y produire 15 000 camions et faire donc de l'Algérie un pôle clé non seulement pour le Maghreb et le monde arabe mais aussi pour l'Afrique et une partie de l'Europe. Au lieu d'attendre, il aurait fallu aller acheter la société mère et négocier avec elle l'intégration de l'Algérie dans une stratégie industrielle mondiale.

    Ceci est vrai pour les véhicules industriels comme pour tous les autres secteurs. Dans le secteur du transport aérien, pour prendre un autre exemple, les opérateurs voient clair dans toutes les zones sauf au Maghreb qui s'apparente à un trou noir. Les opérateurs internationaux - principalement, pour ce qui nous concerne, les deux grandes alliances européennes Sky Team (de Lufthansa) et Star Alliance (d'Air France), d'un côté, et de l'autre les Emiratis de Qatar Airways et Emirats (qui sont en fait des Anglais déguisés) - savent qu'il y a des positions stratégiques à prendre au Maghreb, car le Maghreb, ce n'est pas la cinquantaine d'avions d'aujourd'hui mais les 200 avions de demain. C'est donc un marché plus important que celui de la Turquie qui n'est pas pris en charge. C'est un marché qui a par ailleurs un positionnement assez intéressant sur les routes du Sud, entre l'Afrique et le Moyen-Orient d'une part, et sur les routes africaines appelées à se développer avec l'émigration, de l'autre. Il se trouve que l'Algérie est au centre de gravité de cette configuration. C'est là un argument important à faire prévaloir dans le cadre d'une privatisation conçue à l'aune d'une stratégie d'intégration industrielle.

    Bref, il faut changer de démarche, être offensif, aller vers le marché, ne pas attendre l'arrivée des opérateurs étrangers. On peut faire beaucoup plus que privatiser en allant faire ses courses à l'étranger. La démarche que je préconise en tant que banquier d'affaires donnerait par ailleurs beaucoup d'assurance aux opérateurs internationaux qui verraient l'Algérie comme un partenaire industriel intégré et non plus comme un partenaire passif qui va leur poser des pièges en termes d'accès difficile au foncier, de charges fiscales, de corruption. La démarche dynamique considère que le matelas de devises dont dispose le pays actuellement (60 à 70 milliards de dollars) nous permet d'acquérir des positions clés dans les domaines technologiques qui nous concernent dans l'immédiat et dans l'avenir proche. Nous pouvons devenir des acteurs internationaux en allant acquérir à l'étranger les sociétés qui ont la maîtrise de la technologie que nous n'avons pas développée en Algérie. Nous avons intérêt, pour ne pas reperdre le temps nécessaire à la formation de nouvelles compétences nationales, à acheter - tant que nous en avons encore les moyens - des entreprises ou à prendre des positions stratégiques dans celles-ci et tirer profit des effets induits de ce type d'opération en termes d'achat de nouvelles technologies, d'acquisition d'une culture d'entreprise, de formation, etc. La mise en place de ce cadre contribuera à donner de l'espoir à nos élites qui évolueront dans un environnement international et inscrire l'Algérie comme un acteur actif et non plus passif de la mondialisation.

    Dans tous les cas de figure, les IDE en Algérie vont produire leurs effets à court terme. C'est-à-dire que l'Algérie devra faire face à des exportations de capitaux relatifs à la distribution des dividendes. C'est nos propres IDE, notre participation à la mondialisation en tant qu'acteur capitaliste qui nous procureront les revenus stables et un accès à la technologie et à la décision mondiale. Dans ce contexte, toute position que possède l'Algérie à l'extérieur doit être sauvegardée, quel qu'en soit le prix, notamment dans le secteur bancaire. C'est dans les moments difficiles de négociation internationale, de faiblesse des balances de paiement, de chantage alimentaire qu'on apprécie l'importance de ces positions. Ce fut le cas de 1986 à 1995.

    Prenons un exemple plus vital encore : dans le domaine du gaz, encore plus que pour le pétrole, l'Algérie devient un acteur majeur pour l'Europe. L'Europe comme l'Algérie ont besoin d'être sécurisées. C'est la raison pour laquelle ma préconisation, en tant que banquier d'affaires, est celle d'une participation croisée dans les sociétés, du domaine, qui interviennent en Algérie. Cela nous permettra en tant qu'Algériens d'être rassurés quant à la bonne exploitation de nos gisements, de participer au développement de la filière technologique en amont et en aval tant en Algérie qu'à l'étranger avec une répartition plus équilibrée de la valeur ajoutée. Cela devrait rassurer nos partenaires étrangers puisque, d'abord, ils seraient partenaires et ensuite ils auraient accès aux puits, en notre compagnie.
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