Contrairement à ses concurrents occidentaux, un peu trop condescendants, Pékin semble avoir su saisir les opportunités qui se présentent du nord au sud de l’Afrique.
Au terme d’un long périple africain, j’ai eu un échange étonnant à bord d’un avion d’Ethiopian Airlines à destination de Pékin. L’un des derniers passagers à embarquer, un Chinois, s’est arrêté à ma hauteur et a gesticulé en désignant le siège libre côté hublot. Il voulait que je m’y installe pour qu’il puisse disposer de celui côté couloir. L’étranger à l’extérieur, et les Chinois ensemble, m’a-t-il déclaré en chinois, ne s’attendant visiblement pas à ce que son nouveau voisin étranger comprît ce qu’il disait. Nous sommes en Ethiopie. Nous sommes tous des étrangers ici, non ? D’ailleurs, c’est ma place, lui ai-je répliqué. J’ai rapidement vaincu son arrogance et nous avons bavardé pendant tout le vol, notamment sur ses anecdotes d’homme d’affaires en Angola. Pourtant, un rapide coup d’œil dans la cabine m’a prouvé qu’il n’avait pas tout à fait tort. Il n’y avait à bord de l’avion quasiment que des Chinois, un melting-pot d’hommes et de femmes, du paysan au cadre tiré à quatre épingles, en passant par le petit investisseur. Pendant les quatorze heures de vol, la cabine a retenti de leurs conversations, histoires de plantations en Côte-d’Ivoire, de marchés publics en Angola, d’entreprises minières en Zambie ou d’ouvriers du bâtiment au Nigeria. Nous étions partis d’Ethiopie, à bord d’un appareil de la compagnie nationale éthiopienne, mais il était évident qu’avec leur rapidité et leur décontraction coutumières, les Chinois ont bel et bien pris pied en Afrique. Sachant que les choses n’en sont qu’à leurs débuts, leur empreinte y va devenir de plus en plus marquée. Pour preuve, les compagnies chinoises inaugurent des vols directs vers plusieurs grandes villes africaines.
Après mon retour en Chine, j’ai fouillé ma mémoire en quête des souvenirs des voyages que j’avais effectués depuis et vers les Etats-Unis au cours des deux longues périodes où j’avais vécu et travaillé sur le continent africain. Je me rappelle vaguement qu’il fut un temps où une compagnie américaine desservait directement l’Afrique de l’Ouest. Mais, depuis une trentaine d’années, les compagnies aériennes américaines ignorent pour ainsi dire cette région et le continent noir en général. Pour autant que je m’en souvienne, les passagers qu’on rencontre à bord des derniers vols reliant les Etats-Unis et l’Afrique fournissent une comparaison instructive avec mes compagnons de voyage chinois. Bien sûr, il y a le lot habituel d’hommes d’affaires et de touristes. Mais les Américains qui se rendent en Afrique sont souvent, d’une façon ou d’une autre, liés à l’aide au développement. Il s’agit souvent de représentants du gouvernement ou d’une institution financière comme la Banque mondiale, accompagnés de leurs bataillons de consultants et sous-traitants grassement payés. Il y a aussi des travailleurs humanitaires, des missionnaires, et des universitaires partant pour leurs travaux de recherche.
Le contraste entre les deux assemblées est édifiant. Aujourd’hui, lorsqu’ils regardent l’Afrique, les Chinois y voient des perspectives, des promesses et un terreau fertile où leur énergie pourra pleinement se déployer. A l’inverse, l’Occident la considère trop souvent comme un patient souffreteux, une région ravagée où l’échec rôde partout telle une malédiction. Certes, la Chine ne sera pas éternellement le fringant prétendant idéalisé que beaucoup d’Africains voient en elle. Nous sommes bien évidemment dans une période particulière, celle de la lune de miel. Mais la séduction exercée par la Chine repose en grande partie sur les désillusions de l’Afrique à l’égard de l’Occident, qui exaspère beaucoup d’Africains avec son caractère versatile et donneur de leçons, son manque de fiabilité et sa tendance de frustré à donner des explications culturelles aux échecs africains, sans la moindre autocritique. A cette exaspération que personne n’ignore est venue s’ajouter récemment toute une série d’événements qui tous ont pour point commun les faux-semblants de l’Occident dans son assistance à l’Afrique, son incapacité à tenir ses promesses et le peu de voix africaines écoutées – voire autorisées à entrer dans le débat. Sur le manque de transparence au sein de la Banque mondiale et l’échec des projets de l’organisation dans son pays, la Tchadienne Thérèse Mekombe, membre de la commission chargée d’encadrer l’utilisation des revenus pétroliers, ne mâche pas ses mots. La Banque mondiale n’est pas un partenaire du développement et ne pourra jamais être un partenaire de notre développement, assure-t-elle. Tandis que le président sénégalais Wade exhorte les pays du G8 à investir en Afrique, comme le font l’Inde et la Chine. Dans l’analyse de ce chef d’Etat transparaît implicitement le sentiment très répandu que les promesses des Occidentaux ne sont guère plus que de bonnes paroles et que ce sont les nouveaux partenaires de l’Afrique qui ont une détermination susceptible de faire changer les choses.
Pour l’essentiel, l’expression africaine de la désillusion a été laissée au chanteur Bono, qui a fait du continent noir son combat personnel. Taxant de bla-bla de bureaucrate la promesse du G8 de consacrer 60 milliards de dollars à la lutte contre le sida et d’autres maladies en Afrique, le leader du groupe U2 a souligné qu’il s’agissait pour l’essentiel de sommes déjà promises et que ce plan était très loin des objectifs de l’ONU, selon lesquels le G8 doit consacrer, jusqu’en 2010, 15 milliards de dollars par an à la seule lutte contre le sida.
D’autres font remarquer que l’aide à l’Afrique n’a pas augmenté en 2006, malgré l’avancée prétendument historique du sommet de Gleneagles de 2005, où Tony Blair avait arraché à ses homologues du G8 la promesse d’une augmentation spectaculaire. Tout cela est à comparer avec l’action des Chinois, dont la diplomatie fait ces derniers temps un tabac sur tout le continent avec l’annulation de dettes, l’exemption de droits de douane pour les exportations africaines, les prêts de sommes toujours plus colossales. Globalement, la Chine fait bouger les choses de façon rapide et spectaculaire.
Nul doute que Pékin cherche à satisfaire ses intérêts. Reste que l’ardeur des Chinois fournit un comparatif instructif pour cet Occident si prompt à se gargariser de son aide et de ses grands principes. Car, dans cette compétition, on voit très bien lequel des deux tient la corde.
Source : IDLP/ Howard French
Au terme d’un long périple africain, j’ai eu un échange étonnant à bord d’un avion d’Ethiopian Airlines à destination de Pékin. L’un des derniers passagers à embarquer, un Chinois, s’est arrêté à ma hauteur et a gesticulé en désignant le siège libre côté hublot. Il voulait que je m’y installe pour qu’il puisse disposer de celui côté couloir. L’étranger à l’extérieur, et les Chinois ensemble, m’a-t-il déclaré en chinois, ne s’attendant visiblement pas à ce que son nouveau voisin étranger comprît ce qu’il disait. Nous sommes en Ethiopie. Nous sommes tous des étrangers ici, non ? D’ailleurs, c’est ma place, lui ai-je répliqué. J’ai rapidement vaincu son arrogance et nous avons bavardé pendant tout le vol, notamment sur ses anecdotes d’homme d’affaires en Angola. Pourtant, un rapide coup d’œil dans la cabine m’a prouvé qu’il n’avait pas tout à fait tort. Il n’y avait à bord de l’avion quasiment que des Chinois, un melting-pot d’hommes et de femmes, du paysan au cadre tiré à quatre épingles, en passant par le petit investisseur. Pendant les quatorze heures de vol, la cabine a retenti de leurs conversations, histoires de plantations en Côte-d’Ivoire, de marchés publics en Angola, d’entreprises minières en Zambie ou d’ouvriers du bâtiment au Nigeria. Nous étions partis d’Ethiopie, à bord d’un appareil de la compagnie nationale éthiopienne, mais il était évident qu’avec leur rapidité et leur décontraction coutumières, les Chinois ont bel et bien pris pied en Afrique. Sachant que les choses n’en sont qu’à leurs débuts, leur empreinte y va devenir de plus en plus marquée. Pour preuve, les compagnies chinoises inaugurent des vols directs vers plusieurs grandes villes africaines.
Après mon retour en Chine, j’ai fouillé ma mémoire en quête des souvenirs des voyages que j’avais effectués depuis et vers les Etats-Unis au cours des deux longues périodes où j’avais vécu et travaillé sur le continent africain. Je me rappelle vaguement qu’il fut un temps où une compagnie américaine desservait directement l’Afrique de l’Ouest. Mais, depuis une trentaine d’années, les compagnies aériennes américaines ignorent pour ainsi dire cette région et le continent noir en général. Pour autant que je m’en souvienne, les passagers qu’on rencontre à bord des derniers vols reliant les Etats-Unis et l’Afrique fournissent une comparaison instructive avec mes compagnons de voyage chinois. Bien sûr, il y a le lot habituel d’hommes d’affaires et de touristes. Mais les Américains qui se rendent en Afrique sont souvent, d’une façon ou d’une autre, liés à l’aide au développement. Il s’agit souvent de représentants du gouvernement ou d’une institution financière comme la Banque mondiale, accompagnés de leurs bataillons de consultants et sous-traitants grassement payés. Il y a aussi des travailleurs humanitaires, des missionnaires, et des universitaires partant pour leurs travaux de recherche.
Le contraste entre les deux assemblées est édifiant. Aujourd’hui, lorsqu’ils regardent l’Afrique, les Chinois y voient des perspectives, des promesses et un terreau fertile où leur énergie pourra pleinement se déployer. A l’inverse, l’Occident la considère trop souvent comme un patient souffreteux, une région ravagée où l’échec rôde partout telle une malédiction. Certes, la Chine ne sera pas éternellement le fringant prétendant idéalisé que beaucoup d’Africains voient en elle. Nous sommes bien évidemment dans une période particulière, celle de la lune de miel. Mais la séduction exercée par la Chine repose en grande partie sur les désillusions de l’Afrique à l’égard de l’Occident, qui exaspère beaucoup d’Africains avec son caractère versatile et donneur de leçons, son manque de fiabilité et sa tendance de frustré à donner des explications culturelles aux échecs africains, sans la moindre autocritique. A cette exaspération que personne n’ignore est venue s’ajouter récemment toute une série d’événements qui tous ont pour point commun les faux-semblants de l’Occident dans son assistance à l’Afrique, son incapacité à tenir ses promesses et le peu de voix africaines écoutées – voire autorisées à entrer dans le débat. Sur le manque de transparence au sein de la Banque mondiale et l’échec des projets de l’organisation dans son pays, la Tchadienne Thérèse Mekombe, membre de la commission chargée d’encadrer l’utilisation des revenus pétroliers, ne mâche pas ses mots. La Banque mondiale n’est pas un partenaire du développement et ne pourra jamais être un partenaire de notre développement, assure-t-elle. Tandis que le président sénégalais Wade exhorte les pays du G8 à investir en Afrique, comme le font l’Inde et la Chine. Dans l’analyse de ce chef d’Etat transparaît implicitement le sentiment très répandu que les promesses des Occidentaux ne sont guère plus que de bonnes paroles et que ce sont les nouveaux partenaires de l’Afrique qui ont une détermination susceptible de faire changer les choses.
Pour l’essentiel, l’expression africaine de la désillusion a été laissée au chanteur Bono, qui a fait du continent noir son combat personnel. Taxant de bla-bla de bureaucrate la promesse du G8 de consacrer 60 milliards de dollars à la lutte contre le sida et d’autres maladies en Afrique, le leader du groupe U2 a souligné qu’il s’agissait pour l’essentiel de sommes déjà promises et que ce plan était très loin des objectifs de l’ONU, selon lesquels le G8 doit consacrer, jusqu’en 2010, 15 milliards de dollars par an à la seule lutte contre le sida.
D’autres font remarquer que l’aide à l’Afrique n’a pas augmenté en 2006, malgré l’avancée prétendument historique du sommet de Gleneagles de 2005, où Tony Blair avait arraché à ses homologues du G8 la promesse d’une augmentation spectaculaire. Tout cela est à comparer avec l’action des Chinois, dont la diplomatie fait ces derniers temps un tabac sur tout le continent avec l’annulation de dettes, l’exemption de droits de douane pour les exportations africaines, les prêts de sommes toujours plus colossales. Globalement, la Chine fait bouger les choses de façon rapide et spectaculaire.
Nul doute que Pékin cherche à satisfaire ses intérêts. Reste que l’ardeur des Chinois fournit un comparatif instructif pour cet Occident si prompt à se gargariser de son aide et de ses grands principes. Car, dans cette compétition, on voit très bien lequel des deux tient la corde.
Source : IDLP/ Howard French
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