Radio France Internationale
Mis en cause dans la mort d’Ahmed al-Bulawi, un quinquagénaire saoudien qu’ils avaient interpellé le 1er juin dernier pour atteinte aux bonnes mœurs wahhabites, quatre membres de la police religieuse, la mouttawa, étaient appelés ce 2 juillet à répondre de leur responsabilité devant une Cour de justice civile, à Tabouk, au nord-ouest du pays. C’est une première. Mais, depuis mai dernier, plusieurs affaires de meurtres impliquant des membres de la police religieuse ont vu des plaignants exiger des enquêtes judiciaires et même obtenir l’ouverture d’un procès, comme à Tabouk où les audiences ont repris dimanche.
Quand il est entré pour interrogatoire dans les locaux de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, Ahmed al-Bulawi «était en bonne santé», mais il a quitté les lieux «dans un sac à cadavre», plaide l’avocat du quinquagénaire interpellé par la police des mœurs le 1er juin alors qu’il s’apprêtait à embarquer une étrangère à bord de sa voiture. Et cela, à proximité d’un centre de loisirs, circonstance aggravante pour les volontaires de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, les mouttawayin (volontaires en arabe). Selon le quotidien saoudien Arab News, il est aujourd’hui établi que le modeste retraité des douanes, Ahmed al-Bulawi, arrondissait ses fins de mois en faisant le taxi-accompagnateur pour l’étrangère en question, dans le cadre d’un arrangement familial parfaitement licite. Ahmed al-Bulawi aurait succombé à une crise cardiaque. Sa famille accuse les quatre «mouttawayin» d’y être pour quelque chose et réclame une autopsie. Dans le dossier d’accusation, l’avocat des plaignants relève une charge selon laquelle les policiers de la vertu n’avaient nullement autorité pour détenir quiconque.
La mouttawa, pilier du royaume wahhabite
Pilier de l’islam, selon ses partisans, et, en l’occurrence, pilier du royaume des Saoud, la police religieuse est née avec le wahhabisme au XVIIIème siècle. Elle a été en quelque sorte l’aile missionnaire pour son promoteur, Mohammed Ibn Abdel Wahhab, aux côtés de l’aile militaire du père-fondateur Mohammed Ibn Saoud. Aujourd’hui, ce corps de volontaires salariés de l’Etat rassemble plusieurs milliers d’hommes qui quadrillent l’ensemble du territoire, surtout les villes. Il dispose de plusieurs centaines de locaux dotés de gros moyens informatisés pour veiller au respect de l'ordre en matière de prière, de jeûne, d’abstinence ou de stricte séparation des sexes. Les mouttawayin n’ont jamais ménagé leurs efforts pour promouvoir la vertu. Mais leur manière de réprimer s’avère peut-être un peu trop voyante dans un royaume plus soucieux que jamais de son image internationale.
En mars 2002, un incendie dans une école de jeunes filles à la Mecque s’était soldé par la mort de 15 élèves, les gardiens de la vertu refusant de les laisser sortir dévoilées du brasier, interdisant l’accès aux pompiers et repoussant même dans les flammes celles qui cherchaient à franchir la porte en l’absence de leurs tuteurs mâles. Officiellement, les jeunes martyrs de l’ordre moral saoudien avaient surtout ému l’opinion internationale. Mais ce drame a sans doute aussi laissé des traces dans le Royaume. Reste que bien d'autres raisons explique le fait que la police des mœurs a été la cible d’une vingtaine d’attaques l’année dernière, comme le rapporte le quotidien al-Watan.
Cette année 2007 a vu l'émir de la région de la Mecque, le prince Khaled Al-Fayçal, demander l'ouverture d'une enquête sur la mort à Djeddah d'une domestique asiatique tombée du 4e étage d'un immeuble où avaient pénétré des mouttawayin. Suicide ou défenestration, depuis mai dernier, la police religieuse a été mise en cause dans plusieurs autres affaires concernant cette fois des ressortissants saoudiens. Une Saoudienne a même saisi la justice, accusant des mouttawayin de l’avoir maltraitée, elle et sa fille, après leur avoir injustement reproché de «ne pas se conformer à l'habit décent». L’affaire est en cours. Les audiences ont repris ce 2 juillet, parallèlement à l’affaire de Tabouk. C’est une avancée. Le 25 juin dernier en effet, une enquête de police avait blanchi 18 mouttawayin pour le tabassage à mort perpétré en mai sur la personne d’un autre Saoudien, Souleimane al-Kharisi, accusé de «promouvoir l'alcool».
Certaines victimes osent demander des comptes
En 2006, le ministère de l’Intérieur avait demandé à la police religieuse de se défaire de ses dossiers d’accusation au profit du Parquet général. Cela n’a pas évité les «bavures», certains soldats de la loi islamique continuant de châtier eux-mêmes les contrevenants. Fait nouveau, les familles de leurs victimes semblent moins répugner que par le passé à demander des comptes. Et c’est donc une Cour de justice civile qui va arbitrer le cas al-Bulawi. Cela ne fait pas vraiment l’affaire du prince Nayef Ben Abdel Aziz, le ministre de l’Intérieur qui soutient que la mouttawa est «visée par les journalistes». «Savez-vous que la promotion de la vertu et la prévention du vice est un pilier de l'islam. Si nous sommes musulmans, nous devons l'admettre. Si nous ne sommes pas musulmans, c'est différent», a-t-il répété dimanche.
Des apostats donc, ceux qui ne comprennent pas que «la Commission a le soutien de tous les organismes de l'Etat, y compris le Majlis al-Choura», le Conseil consultatif, s’emporte le ministre de l’Intérieur. «La Commission doit être soutenue par tous les moyens», lance-t-il, à l’endroit cette fois d’un membre du Conseil consultatif, Khalil al-Khalil, qui a refusé de cautionner une motion de soutien à la police religieuse. Le prince Nayef Ben Abdel Aziz voit pour sa part à la mouttawa un «rôle élargi» face à l’idéologie de «la minorité égarée», al-Qaïda pour ne pas nommer le réseau terroriste. Khalil al-Khalil estime au contraire qu'il n’est pas opportun de s’afficher en inconditionnel de la mouttawa au moment où l’opinion saoudienne s’interroge sur «les abus dont elle est accusée» et où la commission des vices et des vertus s’avère «un fardeau, aux plans médiatique et moral, à l'intérieur et à l'extérieur du pays».
par Monique Mas
Article publié le 02/07/2007
Mis en cause dans la mort d’Ahmed al-Bulawi, un quinquagénaire saoudien qu’ils avaient interpellé le 1er juin dernier pour atteinte aux bonnes mœurs wahhabites, quatre membres de la police religieuse, la mouttawa, étaient appelés ce 2 juillet à répondre de leur responsabilité devant une Cour de justice civile, à Tabouk, au nord-ouest du pays. C’est une première. Mais, depuis mai dernier, plusieurs affaires de meurtres impliquant des membres de la police religieuse ont vu des plaignants exiger des enquêtes judiciaires et même obtenir l’ouverture d’un procès, comme à Tabouk où les audiences ont repris dimanche.
Quand il est entré pour interrogatoire dans les locaux de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, Ahmed al-Bulawi «était en bonne santé», mais il a quitté les lieux «dans un sac à cadavre», plaide l’avocat du quinquagénaire interpellé par la police des mœurs le 1er juin alors qu’il s’apprêtait à embarquer une étrangère à bord de sa voiture. Et cela, à proximité d’un centre de loisirs, circonstance aggravante pour les volontaires de la Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, les mouttawayin (volontaires en arabe). Selon le quotidien saoudien Arab News, il est aujourd’hui établi que le modeste retraité des douanes, Ahmed al-Bulawi, arrondissait ses fins de mois en faisant le taxi-accompagnateur pour l’étrangère en question, dans le cadre d’un arrangement familial parfaitement licite. Ahmed al-Bulawi aurait succombé à une crise cardiaque. Sa famille accuse les quatre «mouttawayin» d’y être pour quelque chose et réclame une autopsie. Dans le dossier d’accusation, l’avocat des plaignants relève une charge selon laquelle les policiers de la vertu n’avaient nullement autorité pour détenir quiconque.
La mouttawa, pilier du royaume wahhabite
Pilier de l’islam, selon ses partisans, et, en l’occurrence, pilier du royaume des Saoud, la police religieuse est née avec le wahhabisme au XVIIIème siècle. Elle a été en quelque sorte l’aile missionnaire pour son promoteur, Mohammed Ibn Abdel Wahhab, aux côtés de l’aile militaire du père-fondateur Mohammed Ibn Saoud. Aujourd’hui, ce corps de volontaires salariés de l’Etat rassemble plusieurs milliers d’hommes qui quadrillent l’ensemble du territoire, surtout les villes. Il dispose de plusieurs centaines de locaux dotés de gros moyens informatisés pour veiller au respect de l'ordre en matière de prière, de jeûne, d’abstinence ou de stricte séparation des sexes. Les mouttawayin n’ont jamais ménagé leurs efforts pour promouvoir la vertu. Mais leur manière de réprimer s’avère peut-être un peu trop voyante dans un royaume plus soucieux que jamais de son image internationale.
En mars 2002, un incendie dans une école de jeunes filles à la Mecque s’était soldé par la mort de 15 élèves, les gardiens de la vertu refusant de les laisser sortir dévoilées du brasier, interdisant l’accès aux pompiers et repoussant même dans les flammes celles qui cherchaient à franchir la porte en l’absence de leurs tuteurs mâles. Officiellement, les jeunes martyrs de l’ordre moral saoudien avaient surtout ému l’opinion internationale. Mais ce drame a sans doute aussi laissé des traces dans le Royaume. Reste que bien d'autres raisons explique le fait que la police des mœurs a été la cible d’une vingtaine d’attaques l’année dernière, comme le rapporte le quotidien al-Watan.
Cette année 2007 a vu l'émir de la région de la Mecque, le prince Khaled Al-Fayçal, demander l'ouverture d'une enquête sur la mort à Djeddah d'une domestique asiatique tombée du 4e étage d'un immeuble où avaient pénétré des mouttawayin. Suicide ou défenestration, depuis mai dernier, la police religieuse a été mise en cause dans plusieurs autres affaires concernant cette fois des ressortissants saoudiens. Une Saoudienne a même saisi la justice, accusant des mouttawayin de l’avoir maltraitée, elle et sa fille, après leur avoir injustement reproché de «ne pas se conformer à l'habit décent». L’affaire est en cours. Les audiences ont repris ce 2 juillet, parallèlement à l’affaire de Tabouk. C’est une avancée. Le 25 juin dernier en effet, une enquête de police avait blanchi 18 mouttawayin pour le tabassage à mort perpétré en mai sur la personne d’un autre Saoudien, Souleimane al-Kharisi, accusé de «promouvoir l'alcool».
Certaines victimes osent demander des comptes
En 2006, le ministère de l’Intérieur avait demandé à la police religieuse de se défaire de ses dossiers d’accusation au profit du Parquet général. Cela n’a pas évité les «bavures», certains soldats de la loi islamique continuant de châtier eux-mêmes les contrevenants. Fait nouveau, les familles de leurs victimes semblent moins répugner que par le passé à demander des comptes. Et c’est donc une Cour de justice civile qui va arbitrer le cas al-Bulawi. Cela ne fait pas vraiment l’affaire du prince Nayef Ben Abdel Aziz, le ministre de l’Intérieur qui soutient que la mouttawa est «visée par les journalistes». «Savez-vous que la promotion de la vertu et la prévention du vice est un pilier de l'islam. Si nous sommes musulmans, nous devons l'admettre. Si nous ne sommes pas musulmans, c'est différent», a-t-il répété dimanche.
Des apostats donc, ceux qui ne comprennent pas que «la Commission a le soutien de tous les organismes de l'Etat, y compris le Majlis al-Choura», le Conseil consultatif, s’emporte le ministre de l’Intérieur. «La Commission doit être soutenue par tous les moyens», lance-t-il, à l’endroit cette fois d’un membre du Conseil consultatif, Khalil al-Khalil, qui a refusé de cautionner une motion de soutien à la police religieuse. Le prince Nayef Ben Abdel Aziz voit pour sa part à la mouttawa un «rôle élargi» face à l’idéologie de «la minorité égarée», al-Qaïda pour ne pas nommer le réseau terroriste. Khalil al-Khalil estime au contraire qu'il n’est pas opportun de s’afficher en inconditionnel de la mouttawa au moment où l’opinion saoudienne s’interroge sur «les abus dont elle est accusée» et où la commission des vices et des vertus s’avère «un fardeau, aux plans médiatique et moral, à l'intérieur et à l'extérieur du pays».
par Monique Mas
Article publié le 02/07/2007
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