La vie est une grande désillusion. Oscar Wilde
L'Algérie libre et indépendante est aujourd'hui adulte. Notre pays n'est plus ce qu'il était en 1962. A tout point de vue. Les Algériens, longtemps brimés, exploités, rejetés, parqués, massacrés par un colonialisme capable des pires atrocités, ont été libérés le 5 juillet 1962, par le souffle de novembre 54. Mais l'indépendance ne signifie pas la prospérité pour le pays et le peuple. L'Algérie a d'ailleurs tout connu en quarante-cinq années d'indépendance. Les citoyens ont été soumis à toutes les épreuves politiques et à toutes les violences… Un véritable laboratoire politique où les expériences les plus extrêmes sont tentées.
A l'autogestion et au populisme démagogique de Ben Bella, concoctés par les propagandistes de la "révolution permanente", a succédé la manière forte et brutale de Boumediene, s'appuyant sur un capitalisme d'Etat, générant la grande corruption à l'ombre des monopoles, s'aventurant dans une industrialisation hasardeuse et désastreuse (un miroir aux alouettes) qui a miné toutes les chances du pays de se doter d'une économie créant de la richesse. Les opposants sont froidement assassinés et la révolution agraire donne l'illusion que la justice sociale est rétablie, alors qu'en réalité c'est le travail de la terre qu'on enterre. C'est l'époque des grandes pénuries. Boumediene cherche à se doter d'une légitimité lorsqu'il comprend qu'il a lamentablement échoué sur le plan économique. L'ère de Chadli n'est pas meilleure. Le pétrole est à 40 dollars. Les caisses pleines sont gaspillées.
Très peu de projets économiques sont réellement lancés, mis à part l'infrastructure routière. Mais lorsque le brent chute lourdement, c'est la panique. L'économie est à nu, l'Algérie apparaît comme un colosse aux pieds d'argile. C'est la descente aux enfers. Tous s'acharnent contre nous. Nos voisins, l'ancien colonisateur, les Etats-Unis, qui nous font payer notre politique de non-alignement et nos relations privilégiées avec Moscou, les monarchies arabes, qui nous craignent pour notre nationalisme. L'Arabie Saoudite et l'Iran financent le FIS et l'islamisme radical à coups de millions de dollars. Chadli s'en va en laissant derrière lui le chaos.
Le projet d'Etat-nation du FLN de la guerre de libération accouche d'une tragédie, dont les principaux responsables sont nos hommes politiques, qui ont géré le pays avec une extraordinaire désinvolture, une irresponsabilité totale. Des décisions majeures sont concoctées par un groupe d'individus coupés de tout – du peuple, des élites et des forces vives de la nation… Les erreurs de jugement s'accumulent, la corruption se généralise. Un pouvoir rentier s'installe. Le sens patriotique cède le pas aux calculs les plus abjects. L'Etat est privatisé. Les espoirs de juillet 1962 de tout un peuple avide de liberté tournent à la désillusion.
A quoi a servi l'indépendance, lorsqu'elle accouche, dans les années 1990, d'une guerre contre les civils, qui a fait près de 100 000 morts ? Oui, le tableau est noir, mais la réalité est implacable. C'est aussi l'échec de toute une génération, celle qui, avec beaucoup d'héroïsme, a pourtant permis l'indépendance du pays, mais qui a conduit les affaires du pays depuis 1962 de manière catastrophique, s'appuyant essentiellement sur les rapports de force, l'autoritarisme, en cherchant à composer avec l'islamisme. Les Algériens méritent mieux.
Omar Belhouchet
El Watan
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