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En Inde, le plus grand bidonville du monde est en vente

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  • En Inde, le plus grand bidonville du monde est en vente

    Le plus grand bidonville du monde Dharavi, en Inde, est à vendre.

    Avec son plateau légèrement de guingois, sur lequel tanguent six verres de tchaï brûlant - thé au lait sucré agrémenté d'épices -, Ahmed semble surgi de nulle part. Les cheveux en bataille, le gamin d'une dizaine d'années environ se fraie un chemin dans un dédale de ruelles en terre battue, jusqu'à la petite boutique d'Iqbal. Il dépose sans ménagement son fardeau sur le comptoir du marchand de peausseries. Mais, après avoir empoché ses dix roupies, au lieu de déguerpir pour rejoindre le dhaba (restaurant rustique), où il est employé, au fin fond du bidonville de Dharavi, Ahmed reste planté là, intéressé par la conversation. On s'échange les dernières nouvelles sur l'avenir de Dharavi. Elles ne sont guère rassurantes. Le plus grand bidonville d'Asie - superlatif invérifiable qui vaut à ce « slum » de Bombay sa notoriété internationale - a été mis aux enchères. Il sera vendu à tout promoteur, indien ou étranger, appelé à le transformer en l'une des banlieues les plus chics de la capitale économique de l'Inde. Fin mai, des pages entières de publicité, vantant cette « affaire du millénaire », ont été publiées dans des journaux d'une vingtaine de pays. Mis sur pied par Mukesh Mehta, un architecte américain d'origine indienne, le projet de réhabilitation est évalué à 2,3 milliards de dollars. À la clé, des immeubles de sept étages abritant des bureaux et des logements ultramodernes, des cliniques, des écoles, des jardins, des parcours réservés aux joggers, un terrain de golf, etc.

    Mais que deviendront les quelque 600 000 habitants qui s'entassent à Dharavi et qui en ont fait, depuis trois générations, une ruche industrieuse ?

    Tous considèrent le projet d'assainissement décrété par les autorités de l'État du Mahastra, dont Bombay est la capitale, comme une trahison. Un miroir aux alouettes surtout. Dès qu'ils en ont eu vent, ils sont montés au créneau. Certains ont planté des drapeaux noirs aux devantures des ateliers et des boutiques. Des manifestations ont lieu actuellement. Cité dans la cité, le bidonville, qui court sur 223 hectares, est certes convoité par les rois de l'immobilier pour son excellente situation. Mais il est aussi considéré comme une « plaie embarrassante » par les autorités, qui rêvent de faire de la mégalopole économique un nouveau Shanghaï sur les bords de la mer d'Arabie. La Bourse du diamant jouxte Dharavi et, un peu plus loin, s'étendent les studios de cinéma du clinquant Bollywood. « Ici, tout le monde a du travail, tout le monde mange à sa faim. Les riches côtoient les pauvres, les musulmans vivent en harmonie avec les hindous et les chrétiens. La seule chose qui fait cruellement défaut, c'est la place. Et on veut encore nous la rationner ! Si le projet se réalise, comment pourrons-nous conserver nos ateliers ? », lance Kamruddin, un jeune tailleur venu se ravitailler auprès d'Iqbal pour honorer une commande de blousons qui vient juste de tomber. « À Dharavi, il y a des gens qui gagnent 300 roupies par mois (6 euros environ), mais il y en a d'autres qui s'en font 300 000 (6 000 euros) », poursuit-il. D'excellente qualité, une grande partie de la production de vêtements en cuir du bidonville finit dans des collections haut de gamme du monde entier. Iqbal fouille dans les coupons de cuir sagement rangés sur des étagères. Un parfum de gingembre, de cannelle et de cardamome monte du thé fumant. Agréable diversion : quelques mètres plus loin, une odeur pestilentielle s'échappe d'un égout à ciel ouvert.

    Plus loin, une large artère bordée de magasins : des épiceries, des pharmacies, des maroquineries... Et puis, plusieurs boutiques offrant les derniers modèles de téléphones portables. Au beau milieu de la chaussée, une vieille femme fouine dans un énorme tas d'ordures. « Le recyclage des déchets est une activité propre à Dharavi, explique Iqbal. Toutes les poubelles de Bombay atterrissent ici. Les gens trient et transforment tout. » Un petit attroupement s'est formé devant son échoppe. Des vendeurs de peausseries, comme lui. La matière première, la plupart vont la chercher à Madras, parce qu'il n'y a plus guère de tanneries à Dharavi. Nombre de travailleurs du cuir viennent d'ailleurs du sud-est de l'Inde. Comme Iqbal. Il a laissé sa famille à Madras, et cela lui tire une belle épine du pied pour le logement. Avec ses huit enfants, Abrar Ahmed a moins de chance. Originaire de Fatehpur, en Uttar Pradesh (nord de l'Inde), il est arrivé à Dharavi en 1978. Il a construit une petite baraque en tôle ondulée sur la terrasse de sa boutique.

    À Dharavi, la place est tellement chiche qu'il arrive que les gens dorment au rythme des trois-huit, un même lit servant à trois personnes. Voilà pourquoi, aussi, le bidonville travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Arputham Jockin, le président de la National Slum Dwellers Federation (NSDF), ne décolère pas. Cela fait vingt-cinq ans qu'il s'échine à améliorer le sort des habitants de Dharavi. Il leur a fait construire quelques logements spacieux et aérés. « Pas comme ceux où les promoteurs veulent entasser les familles, lance-t-il, furieux. Des pièces de 20 m² ! Si petites qu'une femme n'aura même pas assez d'espace pour y draper son sari (9 m de tissu, NDLR). » En 2003, le prince Charles, qui passait par là, a inauguré le bureau où Jockin mûrit aujourd'hui son plan de bataille. « Tout cela n'est qu'une affaire de gros sous, tempête-t-il. Dharavi a été créé dans les années 1930 par de pauvres tanneurs venus de l'Uttar Pradesh, chassés par des brahmanes incommodés par l'odeur des tanneries. Et maintenant, on veut encore les faire fuir. » Jockin se plante devant une vue aérienne de Dharavi placardée au mur : « Le bidonville est délimité par les deux voies ferrées par lesquelles sont acheminés tous les jours vers Bombay des millions de gens et des tonnes de marchandises. Il suffit, pour asphyxier Bombay, que des milliers de manifestants occupent les rails ou les arrachent. » Une perspective, espère-t-il, qui fera réfléchir à deux fois les promoteurs.

    Par Le Figaro
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