Les fils d’El Kala sont, de tradition, des pêcheurs. Ils tiennent à préserver leur métier contre vents et marées, disent-ils. Pourtant les vieux marins se souviennent, non sans une certaine nostalgie, de «la belle époque» où il suffisait de presque rien pour gagner sa croûte. Les plus jeunes, quant à eux, ne savent plus à quel saint se vouer. Eux, ils n’ont connu qu’un lot de misère. La rage au ventre, ils étalent leur désespoir de voir un jour «cette bureaucratie administrative, [la mafia au col blanc], comme ils disent, [se mettre à leur service]. Trop d’amertume.
La détresse est plus que tangible dans les propos des pêcheurs qui continuent à lutter contre la tentation du gain facile. Ils refusent d’abandonner leur métier pour s’adonner à l’illicite. Au pillage du corail. La voie sablée de la richesse. «Nous ne voulons pas gagner des millions par jour comme ces braconniers du corail et ne laisser qu’une mer sans faune comme héritage à nos enfants», dit un quadragénaire, propriétaire d’un sardinier. Il considère que «le vrai pêcheur n’est pas soutenu. Il lutte avec ses propres moyens». Le programme de la relance économique ? «Les gens du métier n’en ont pas profité ! !» s’exclame-t-il, avant d’enchaîner la mort dans l’âme : «Nous les voyons chaque jour ces jeunes, qui ont eu droit à l’aide de l’Etat, sortir pêcher le corail.» Ulcéré, il soutiendra : «au lieu d’aider des pères de famille, ce sont des voyous d’à peine vingt ans qui ont bénéficié des fonds de la relance». Des fonds, affirme-t-il, «utilisés dans le pillage des richesses de la côte et l’appauvrissement de sa faune, en plus du trafic de drogue qui s’y est greffé». Le teint halé, affairé à démêler ses filets, un autre pêcheur enchaîne «regardez le nombre de bateaux accostés. Chacun fait vivre, au minimum, huit familles.» Il poursuivra après une courte pause : «ces professionnels de la pêche n’ont rien eu. Ce bateau que vous voyez», dit-il, en désignant sa barque, «elle emploie treize marins, tous des pères de familles !» D’autres marins soutiennent que les premiers bénéficiaires de l’aide de l’Etat sont «les gens ayant le bras long et la bourse pleine. Il y a un employé des impôts, un ex-responsable au sein de la justice et des employés au sein de la santé ! Leurs dossiers ont tous été traités et acceptés pour l’obtention d’un chalutier en ne versant que 10% comme premier apport». Ses collègues renchérissent : «quand c’était le tour du traitement des demandes des [vrais pêcheurs], ceux qui exercent ce métier depuis leur jeune âge, l’apport du bénéficiaire a été revu à la hausse. Ils ont exigé 30% du coût global du bateau. Alors que ce dernier coûte au moins une dizaine de milliards !» Un marin, venu de Collo, précisera : «Si j’avais cette somme, je ne vois pas pourquoi je continuerais à pêcher alors que je pourrais mettre sur pied un commerce qui me garantirait une vie aisée.» Blasé, un collègue à lui, venu de Skikda, s'écriera : «tout fonctionne avec l’argent ! Je suis marin depuis près de vingt ans et je n’ai pas eu la chance de bénéficier de l’aide de la relance. J’ai déposé quatre dossiers depuis 2002, qui n’ont pas abouti et chaque année on me demande de renouveler mon dossier. Même la pêche au corail, je ne pourrais pas la pratiquer car, seuls ceux qui donnent la tchipa continuent à pêcher» ! !
L’argent ne fait pas le bonheur ? ! !
«En Algérie, c’est simple, si tu n’as pas d’argent, tu es mort. Pour pouvoir se protéger, il faut construire un mur autour de soi, et avec quoi on le construit ? Il faut de l’argent !» Constat amer ou conclusion rapide de ce marin qui en avait gros sur le cœur ? Le port de pêche d’El Kala ne désemplit pas de ces âmes en peine. Pour elles, c’est certain : la corruption est à l’origine du dysfonctionnement dans le secteur de la pêche. «Un originaire du Sud, qui n’a jamais vu la mer et ne connaît rien au métier de pêcheur, est aujourd’hui propriétaire de deux bateaux !! Comment ? Grâce au crédit que l’Etat lui a accordé ! Moi, je ne cherche plus à comprendre, c’est évident, il suffit de donner pour se faire accorder des choses», s’emporte un marin. D’autres raïs (capitaines de bateau) abordent le problème de l’inexistence et de la cherté des équipements : «à quelques centaines de mètres de là, juste chez les Tunisiens, le prix de revient des filets ou encore des crochets est beaucoup moins cher qu’ici. Même le mazout est à moitié prix ! Nous sommes alors obligés d’aller acheter en Tunisie, en tentant d’échapper aux services des douanes pour ne pas payer la taxe.» Même pour l’entretien des barques et autres chaloupes, les marins sont obligés d’aller faire la révision et le toilettage annuels en Tunisie.
Des problèmes en quête de solutions
Moins impulsif et plus subtil dans ses propos, M. Drif, président de l’association des marins pêcheurs d’El Kala, résume tous les problèmes dont souffrent ses confrères.
Il commencera d’ailleurs par affirmer que les pêcheurs ne voulaient pas d’un nouveau port. «Nous avons demandé juste une restauration et une réhabilitation du vieux port soumis à toutes les influences latérales en raison de son orientation vers le nord. C’est l’unique port d’Algérie construit de cette manière.» Selon M. Drif, plus de 1 200 marins sont opérationnels au niveau du port d’El Kala, cela sans compter les revendeurs, les mareyeurs, les mailleurs, les soudeurs et tous ceux qui sont annexés à la pêche. «Regardez, il y a plus d’une soixantaine de sardiniers. Chacun emploie au minimum 8 marins. Chaque chalutier emploie également entre 6 à 7 marins.» Il commencera par parler de «l’inexistence» des institutions du secteur de la pêche. Selon lui, «la pêche n’a pas ses institutions. Parler d’institutions de pêche, c’est avoir avant tout un syndic des gens de mer, d’un garde de pêche et un administrateur de la marine marchande ou de la marine de guerre». C’est à ce dernier que revient le droit d’être un procureur maritime. «Nous sommes le seul secteur à être commandé par l’armée. Quand on relève une infraction, par exemple, un défaut de brassière ou un extincteur périmé, c’est à l’administrateur d’infliger la sanction. Or, aujourd’hui, les raïs sont obligés de se présenter devant les tribunaux, laissant leurs bateaux amarrés au quai, pour payer une simple contravention ! ! », souligne-t-il. Il ajoutera, en plus, «l’incompétence des tribunaux pour juger les affaires maritimes». Cet ancien officier de la gendarmerie maritime ajoutera que les professionnels du secteur de la pêche sont soumis à beaucoup de taxes. «C’est ce qui porte préjudice aux marins, notamment ceux d’El Kala. Ces derniers, note-t-il», «ne font que trois à quatre sorties par mois, comparés à ceux de Annaba, par exemple, qui sortent 10 à 15 fois mensuellement». La raison de cette restriction, il l’imputera à «un très dangereux abord du port, soumis à toutes les influences naturelles».
La détresse est plus que tangible dans les propos des pêcheurs qui continuent à lutter contre la tentation du gain facile. Ils refusent d’abandonner leur métier pour s’adonner à l’illicite. Au pillage du corail. La voie sablée de la richesse. «Nous ne voulons pas gagner des millions par jour comme ces braconniers du corail et ne laisser qu’une mer sans faune comme héritage à nos enfants», dit un quadragénaire, propriétaire d’un sardinier. Il considère que «le vrai pêcheur n’est pas soutenu. Il lutte avec ses propres moyens». Le programme de la relance économique ? «Les gens du métier n’en ont pas profité ! !» s’exclame-t-il, avant d’enchaîner la mort dans l’âme : «Nous les voyons chaque jour ces jeunes, qui ont eu droit à l’aide de l’Etat, sortir pêcher le corail.» Ulcéré, il soutiendra : «au lieu d’aider des pères de famille, ce sont des voyous d’à peine vingt ans qui ont bénéficié des fonds de la relance». Des fonds, affirme-t-il, «utilisés dans le pillage des richesses de la côte et l’appauvrissement de sa faune, en plus du trafic de drogue qui s’y est greffé». Le teint halé, affairé à démêler ses filets, un autre pêcheur enchaîne «regardez le nombre de bateaux accostés. Chacun fait vivre, au minimum, huit familles.» Il poursuivra après une courte pause : «ces professionnels de la pêche n’ont rien eu. Ce bateau que vous voyez», dit-il, en désignant sa barque, «elle emploie treize marins, tous des pères de familles !» D’autres marins soutiennent que les premiers bénéficiaires de l’aide de l’Etat sont «les gens ayant le bras long et la bourse pleine. Il y a un employé des impôts, un ex-responsable au sein de la justice et des employés au sein de la santé ! Leurs dossiers ont tous été traités et acceptés pour l’obtention d’un chalutier en ne versant que 10% comme premier apport». Ses collègues renchérissent : «quand c’était le tour du traitement des demandes des [vrais pêcheurs], ceux qui exercent ce métier depuis leur jeune âge, l’apport du bénéficiaire a été revu à la hausse. Ils ont exigé 30% du coût global du bateau. Alors que ce dernier coûte au moins une dizaine de milliards !» Un marin, venu de Collo, précisera : «Si j’avais cette somme, je ne vois pas pourquoi je continuerais à pêcher alors que je pourrais mettre sur pied un commerce qui me garantirait une vie aisée.» Blasé, un collègue à lui, venu de Skikda, s'écriera : «tout fonctionne avec l’argent ! Je suis marin depuis près de vingt ans et je n’ai pas eu la chance de bénéficier de l’aide de la relance. J’ai déposé quatre dossiers depuis 2002, qui n’ont pas abouti et chaque année on me demande de renouveler mon dossier. Même la pêche au corail, je ne pourrais pas la pratiquer car, seuls ceux qui donnent la tchipa continuent à pêcher» ! !
L’argent ne fait pas le bonheur ? ! !
«En Algérie, c’est simple, si tu n’as pas d’argent, tu es mort. Pour pouvoir se protéger, il faut construire un mur autour de soi, et avec quoi on le construit ? Il faut de l’argent !» Constat amer ou conclusion rapide de ce marin qui en avait gros sur le cœur ? Le port de pêche d’El Kala ne désemplit pas de ces âmes en peine. Pour elles, c’est certain : la corruption est à l’origine du dysfonctionnement dans le secteur de la pêche. «Un originaire du Sud, qui n’a jamais vu la mer et ne connaît rien au métier de pêcheur, est aujourd’hui propriétaire de deux bateaux !! Comment ? Grâce au crédit que l’Etat lui a accordé ! Moi, je ne cherche plus à comprendre, c’est évident, il suffit de donner pour se faire accorder des choses», s’emporte un marin. D’autres raïs (capitaines de bateau) abordent le problème de l’inexistence et de la cherté des équipements : «à quelques centaines de mètres de là, juste chez les Tunisiens, le prix de revient des filets ou encore des crochets est beaucoup moins cher qu’ici. Même le mazout est à moitié prix ! Nous sommes alors obligés d’aller acheter en Tunisie, en tentant d’échapper aux services des douanes pour ne pas payer la taxe.» Même pour l’entretien des barques et autres chaloupes, les marins sont obligés d’aller faire la révision et le toilettage annuels en Tunisie.
Des problèmes en quête de solutions
Moins impulsif et plus subtil dans ses propos, M. Drif, président de l’association des marins pêcheurs d’El Kala, résume tous les problèmes dont souffrent ses confrères.
Il commencera d’ailleurs par affirmer que les pêcheurs ne voulaient pas d’un nouveau port. «Nous avons demandé juste une restauration et une réhabilitation du vieux port soumis à toutes les influences latérales en raison de son orientation vers le nord. C’est l’unique port d’Algérie construit de cette manière.» Selon M. Drif, plus de 1 200 marins sont opérationnels au niveau du port d’El Kala, cela sans compter les revendeurs, les mareyeurs, les mailleurs, les soudeurs et tous ceux qui sont annexés à la pêche. «Regardez, il y a plus d’une soixantaine de sardiniers. Chacun emploie au minimum 8 marins. Chaque chalutier emploie également entre 6 à 7 marins.» Il commencera par parler de «l’inexistence» des institutions du secteur de la pêche. Selon lui, «la pêche n’a pas ses institutions. Parler d’institutions de pêche, c’est avoir avant tout un syndic des gens de mer, d’un garde de pêche et un administrateur de la marine marchande ou de la marine de guerre». C’est à ce dernier que revient le droit d’être un procureur maritime. «Nous sommes le seul secteur à être commandé par l’armée. Quand on relève une infraction, par exemple, un défaut de brassière ou un extincteur périmé, c’est à l’administrateur d’infliger la sanction. Or, aujourd’hui, les raïs sont obligés de se présenter devant les tribunaux, laissant leurs bateaux amarrés au quai, pour payer une simple contravention ! ! », souligne-t-il. Il ajoutera, en plus, «l’incompétence des tribunaux pour juger les affaires maritimes». Cet ancien officier de la gendarmerie maritime ajoutera que les professionnels du secteur de la pêche sont soumis à beaucoup de taxes. «C’est ce qui porte préjudice aux marins, notamment ceux d’El Kala. Ces derniers, note-t-il», «ne font que trois à quatre sorties par mois, comparés à ceux de Annaba, par exemple, qui sortent 10 à 15 fois mensuellement». La raison de cette restriction, il l’imputera à «un très dangereux abord du port, soumis à toutes les influences naturelles».
Commentaire