reportage du magazine marocain : telquel.
Après un demi-siècle de militantisme révolutionnaire, l'Algérie frappe à la porte de l'économie de marché et accélère sa marche vers une certaine modernité. Une mue qui se fait sur fond de tensions et d'attentes. Reportage dans la capitale Alger.
L’avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumediene d'Alger, le premier portail de la nouvelle Algérie qui s'ouvre devant les visiteurs. Véritable symbole de la quête de modernité qui mobilise aujourd’hui le pays, l’ouvrage impressionne : une capacité de 7 millions de passagers, un budget colossal (24 milliards de dinars, environ 2,4 milliards de dirhams) et un délai de réalisation pharaonique (10 ans de travaux). Ce fleuron est actuellement géré par quatre «expats» français, détachés par la Société des Aéroports de Paris, dans le cadre d’un contrat de gré à gré. À proximité, l'ancienne aérogare, cible d'un attentat terroriste durant ce que les Algérois appellent la “décennie noire”, attend sa transformation en aéroport d'affaires.
Après les formalités d'usage, nous voici sous le ciel d’Alger, ses 30 degrés et son climat humide, caractéristique des villes côtières. Direction : le grand parking de l'aéroport, aménagé dans un terre-plein cerné de cordons de sécurité, en attendant l’érection d’un mur. Les centaines de voitures qui s’y alignent sont un bon indicateur du niveau de richesse du pays, deuxième PIB d'Afrique, avec un marché automobile de 160 000 véhicules par an. Aux aguets, des hommes en uniforme, armés, rôdent sans se départir d’une certaine bonne humeur toute méditerranéenne. “Depuis le dernier attentat, la surveillance a été considérablement renforcée”, nous avertit-on. Les mesures de sécurité, draconiennes, sont à l'image de l'ampleur du péril terroriste. Le “dépose-minute”, qui permettait aux accompagnants de laisser le voyageur aux portes de l’aéroport et de repartir sans s'arrêter, a été supprimé, car trop proche de la bâtisse. En revanche, la crispation sécuritaire se relâche sur l’autoroute menant de l'aéroport à la ville, perpétuellement bouchonnée.
Aux abords de l’asphalte encore lisse, et à quelques encablures d’Alger, il est facile d’apercevoir ce vieux bâtiment dévasté, qui n’est autre que le commissariat de police, secoué en mai dernier par une attaque terroriste, revendiquée par Al Qaïda au Maghreb islamique. Depuis, la municipalité de Bab Ezzouar, théâtre de l'attaque sanglante, est l’objet de tous les soins sécuritaires.
Cela ne suffit pas, pourtant, pour déprimer la capitale nichée au pied des collines, dont le relief escarpé est harmonieusement mis en valeur par l'architecture néo-mauresque qui fait la fierté des urbanistes locaux. Une architecture menacée par les grands chantiers et par l'expansion du parc automobile algérois, trop abondant pour des artères d'un autre siècle.
Si Alger essaye de tourner la page du terrorisme, ailleurs, le GSPC reste très actif. Pourtant, à en croire la presse locale, l'influence du mouvement ne fait que s’affaiblir. “Bel Mokhtar serait sur le point de se rendre. L'émir des islamistes du sud du pays négocie sa retraite, il projette de s'installer au Mali pour y faire fructifier ses revenus”, révèle un quotidien à grand tirage. Toujours est-il que les automobilistes sont constamment sollicités par les contrôles aux barrages routiers.
Des projets d’infrastructure à foison
Ce souci sécuritaire, mélangé aux relents du dirigisme socialiste, s’illustre parfois de manière insolite. Ainsi, pour acquérir une “puce” prépayée de téléphonie mobile, la présentation de la photocopie d'une pièce d'identité ou d'un passeport pour les non-résidents, est nécessaire. Dans les hôtels, encore majoritairement gérés par l'Etat (à l'exception de quelques enseignes internationales), la disponibilité de l’outil Internet en est à encore l’état quasi expérimental. Car, n'étant pas soumis à la logique du marché, les établissements traînent les pieds pour se moderniser.
Celui où nous résidons, situé en plein centre d'Alger, affiche sur un écriteau bien peu discret : “Coupures entre 18 heures et six heures du matin”. C’est que depuis quelques mois, des quartiers entiers d’Alger sont confrontés à des problèmes d’approvisionnement en eau. En cause : les travaux d'adduction de la nouvelle unité de dessalement de l'eau de mer au réseau d'eau potable. L'emplacement choisi pour l’installation de cette unité a d’ailleurs suscité de nombreuses critiques : elle est située près du port, en pleine baie d'Alger, ou l'eau est plus polluée que partout ailleurs sur le littoral algérois.
Autre projet annoncé en grande pompe, le métro d'Alger, devenu indispensable pour désengorger le trafic. Objet de causeries dans les cafés et les jardins publics, la mise en service de la première ligne, couvrant une distance de 23 km, est prévue courant 2008. Autre gros projet d’infrastructure attendu, l'autoroute Est-Ouest, dont les travaux ont été confiés à des entreprises chinoises et japonaises. Ce vaste chantier, dont le budget s’élève à quelque 11 milliards de dollars, débouchera sur une liaison routière de 1000 km, reliant Tlemcen à Annaba dès 2009.
Des déviations y sont prévues pour joindre les frontières, tunisienne à l'est et marocaine à l'ouest, dans le cadre de l'autoroute transmaghrébine. L'autoroute de l'Oriental engagée par le Maroc y serait d'ailleurs un bon complément. La simple mention de l’idée renvoie nos interlocuteurs au sujet de la frontière fermée entre les deux pays. “La seule solution pour obliger les politiques à la rouvrir, c’est de réunir des représentants de la société civile des deux pays et faire le forcing”, explique ce gauchiste qui aime prendre ses quartiers à la Brasserie de la Faculté, rendez-vous mythique de la belle époque de l'Internationale socialiste. Difficile pourtant de déceler, dans le regard de l’homme, les traces joyeuses de cette “belle époque”.
De tous les hommes d'Etat qui ont dirigé le pays, Houari Boumediene fut sans doute celui qui a le plus marqué cette gauche algérienne. “Parce que l'homme était ascète, un vrai fils de la paysannerie pauvre, qui n'a même pas eu le temps de se marier”, lance un ancien militant. Même si, rétorque un journaliste, correspondant d'une publication française, “il s'est embourgeoisé sur la fin”. Cette conversation a vite fait de se transformer en rétrospective. Chadli Benjedid est surnommé “le bâtisseur”, à cette nuance près que les chantiers entamés sont restés inachevés, à cause de la crise pétrolière des années 90. L'Algérie lui doit aussi le fameux monument aux martyrs - un colossal totem en trépied -, qui trône au-dessus de la ligne de crête qui coiffe la ville. Les islamistes ont depuis longtemps rebaptisé cet ouvrage “Houbal”, du nom d’une idole de l’Arabie pré-islamique, trouvant scandaleuse l’érection d’une telle représentation imagée en terre d'islam.
Passage obligé pour les chefs d'Etat étrangers, la Place des Martyrs est surveillée, même si l’affluence y est peu notable. Ainsi, pour accéder au parking souterrain, il faut montrer patte blanche. Le coffre arrière des voitures est systématiquement fouillé, avec cependant une certaine nonchalance. “La prochaine fois, dites-nous que vous êtes des diplomates et nous ne vous contrôlerons pas”, lance, sur un ton jovial, le gardien des lieux.
L’avion atterrit sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumediene d'Alger, le premier portail de la nouvelle Algérie qui s'ouvre devant les visiteurs. Véritable symbole de la quête de modernité qui mobilise aujourd’hui le pays, l’ouvrage impressionne : une capacité de 7 millions de passagers, un budget colossal (24 milliards de dinars, environ 2,4 milliards de dirhams) et un délai de réalisation pharaonique (10 ans de travaux). Ce fleuron est actuellement géré par quatre «expats» français, détachés par la Société des Aéroports de Paris, dans le cadre d’un contrat de gré à gré. À proximité, l'ancienne aérogare, cible d'un attentat terroriste durant ce que les Algérois appellent la “décennie noire”, attend sa transformation en aéroport d'affaires.
Après les formalités d'usage, nous voici sous le ciel d’Alger, ses 30 degrés et son climat humide, caractéristique des villes côtières. Direction : le grand parking de l'aéroport, aménagé dans un terre-plein cerné de cordons de sécurité, en attendant l’érection d’un mur. Les centaines de voitures qui s’y alignent sont un bon indicateur du niveau de richesse du pays, deuxième PIB d'Afrique, avec un marché automobile de 160 000 véhicules par an. Aux aguets, des hommes en uniforme, armés, rôdent sans se départir d’une certaine bonne humeur toute méditerranéenne. “Depuis le dernier attentat, la surveillance a été considérablement renforcée”, nous avertit-on. Les mesures de sécurité, draconiennes, sont à l'image de l'ampleur du péril terroriste. Le “dépose-minute”, qui permettait aux accompagnants de laisser le voyageur aux portes de l’aéroport et de repartir sans s'arrêter, a été supprimé, car trop proche de la bâtisse. En revanche, la crispation sécuritaire se relâche sur l’autoroute menant de l'aéroport à la ville, perpétuellement bouchonnée.
Aux abords de l’asphalte encore lisse, et à quelques encablures d’Alger, il est facile d’apercevoir ce vieux bâtiment dévasté, qui n’est autre que le commissariat de police, secoué en mai dernier par une attaque terroriste, revendiquée par Al Qaïda au Maghreb islamique. Depuis, la municipalité de Bab Ezzouar, théâtre de l'attaque sanglante, est l’objet de tous les soins sécuritaires.
Cela ne suffit pas, pourtant, pour déprimer la capitale nichée au pied des collines, dont le relief escarpé est harmonieusement mis en valeur par l'architecture néo-mauresque qui fait la fierté des urbanistes locaux. Une architecture menacée par les grands chantiers et par l'expansion du parc automobile algérois, trop abondant pour des artères d'un autre siècle.
Si Alger essaye de tourner la page du terrorisme, ailleurs, le GSPC reste très actif. Pourtant, à en croire la presse locale, l'influence du mouvement ne fait que s’affaiblir. “Bel Mokhtar serait sur le point de se rendre. L'émir des islamistes du sud du pays négocie sa retraite, il projette de s'installer au Mali pour y faire fructifier ses revenus”, révèle un quotidien à grand tirage. Toujours est-il que les automobilistes sont constamment sollicités par les contrôles aux barrages routiers.
Des projets d’infrastructure à foison
Ce souci sécuritaire, mélangé aux relents du dirigisme socialiste, s’illustre parfois de manière insolite. Ainsi, pour acquérir une “puce” prépayée de téléphonie mobile, la présentation de la photocopie d'une pièce d'identité ou d'un passeport pour les non-résidents, est nécessaire. Dans les hôtels, encore majoritairement gérés par l'Etat (à l'exception de quelques enseignes internationales), la disponibilité de l’outil Internet en est à encore l’état quasi expérimental. Car, n'étant pas soumis à la logique du marché, les établissements traînent les pieds pour se moderniser.
Celui où nous résidons, situé en plein centre d'Alger, affiche sur un écriteau bien peu discret : “Coupures entre 18 heures et six heures du matin”. C’est que depuis quelques mois, des quartiers entiers d’Alger sont confrontés à des problèmes d’approvisionnement en eau. En cause : les travaux d'adduction de la nouvelle unité de dessalement de l'eau de mer au réseau d'eau potable. L'emplacement choisi pour l’installation de cette unité a d’ailleurs suscité de nombreuses critiques : elle est située près du port, en pleine baie d'Alger, ou l'eau est plus polluée que partout ailleurs sur le littoral algérois.
Autre projet annoncé en grande pompe, le métro d'Alger, devenu indispensable pour désengorger le trafic. Objet de causeries dans les cafés et les jardins publics, la mise en service de la première ligne, couvrant une distance de 23 km, est prévue courant 2008. Autre gros projet d’infrastructure attendu, l'autoroute Est-Ouest, dont les travaux ont été confiés à des entreprises chinoises et japonaises. Ce vaste chantier, dont le budget s’élève à quelque 11 milliards de dollars, débouchera sur une liaison routière de 1000 km, reliant Tlemcen à Annaba dès 2009.
Des déviations y sont prévues pour joindre les frontières, tunisienne à l'est et marocaine à l'ouest, dans le cadre de l'autoroute transmaghrébine. L'autoroute de l'Oriental engagée par le Maroc y serait d'ailleurs un bon complément. La simple mention de l’idée renvoie nos interlocuteurs au sujet de la frontière fermée entre les deux pays. “La seule solution pour obliger les politiques à la rouvrir, c’est de réunir des représentants de la société civile des deux pays et faire le forcing”, explique ce gauchiste qui aime prendre ses quartiers à la Brasserie de la Faculté, rendez-vous mythique de la belle époque de l'Internationale socialiste. Difficile pourtant de déceler, dans le regard de l’homme, les traces joyeuses de cette “belle époque”.
De tous les hommes d'Etat qui ont dirigé le pays, Houari Boumediene fut sans doute celui qui a le plus marqué cette gauche algérienne. “Parce que l'homme était ascète, un vrai fils de la paysannerie pauvre, qui n'a même pas eu le temps de se marier”, lance un ancien militant. Même si, rétorque un journaliste, correspondant d'une publication française, “il s'est embourgeoisé sur la fin”. Cette conversation a vite fait de se transformer en rétrospective. Chadli Benjedid est surnommé “le bâtisseur”, à cette nuance près que les chantiers entamés sont restés inachevés, à cause de la crise pétrolière des années 90. L'Algérie lui doit aussi le fameux monument aux martyrs - un colossal totem en trépied -, qui trône au-dessus de la ligne de crête qui coiffe la ville. Les islamistes ont depuis longtemps rebaptisé cet ouvrage “Houbal”, du nom d’une idole de l’Arabie pré-islamique, trouvant scandaleuse l’érection d’une telle représentation imagée en terre d'islam.
Passage obligé pour les chefs d'Etat étrangers, la Place des Martyrs est surveillée, même si l’affluence y est peu notable. Ainsi, pour accéder au parking souterrain, il faut montrer patte blanche. Le coffre arrière des voitures est systématiquement fouillé, avec cependant une certaine nonchalance. “La prochaine fois, dites-nous que vous êtes des diplomates et nous ne vous contrôlerons pas”, lance, sur un ton jovial, le gardien des lieux.
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