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Algérie: Mesurer le bonheur national brut

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  • Algérie: Mesurer le bonheur national brut

    Comment peut-on organiser 11 000 concerts en l'espace de deux jours sur un territoire cinq fois moins vaste que l'Algérie et deux fois plus peuplé ? Les spécialistes de la culture, les managers, les institutionnels, le mouvement associatif, les conservateurs de musées, d'espaces relevant du patrimoine national, les responsables des transports publics, les services de sécurité, ceux de la protection civile et ceux des urgences dans les hôpitaux peuvent, chacun mieux que trente-six discours politiques, mieux que le programme commun du FLN, du MSP et du RND, comment des synergies nationales s'organisent pour que se tiennent 11 000 concerts pour plus de 10 millions de fans de musique et de chansons.

    Les dirigeants arabes utilisent la culture, comme d'ailleurs la religion, à des fins strictement politiques, d'encadrement et de contrôle de la société, en injectant des budgets ridicules pour des moissons tout aussi rachitiques qui suscitent des exils massifs, des replis sur soi mortels, un sous-développement accéléré du champ culturel et créatif, dans l'indifférence absolue des pouvoirs publics. Aux USA, toutes les industries culturelles (cinéma, disque, l'édition, la majorité des TV, bande dessinée, la majorité des théâtres et des salles de concert, la presse écrite, les magazines spécialisés, etc...) relèvent du secteur privé dans tous les domaines, sur tous les supports. Et la mécanique fonctionne.

    En Europe, de nombreux pays, parmi les plus développés, offrent des aides, des subventions, des soutiens selon plusieurs procédés et procédures, selon des lois et règlements, en direction de PME/PMI, de structures privées de production, de diffusion, de recherche, d'exportation, de formation, etc. De l'argent public, celui des contribuables est orienté, selon des règles et des objectifs, en direction du secteur privé qui, de petits ruisseaux aux grandes entreprises, fait vivre des industries culturelles qui donnent à voir, à écouter, une certaine forme de bonheur.

    Dans les pays arabes, tout est «politique». la culture est politique, mais pas dans la liberté et le pluralisme. Elle l'est au seul service de la famille régnante, de la monarchie, du pouvoir sans partage, d'une junte militaire dont les chefs sont habillés en civil pour mieux ruiner leur pays. En Algérie, le système n'est ni celui des USA où les industries culturelles sont à 100% privées, ni celui en vigueur en Europe dans lequel l'Etat met de l'argent public dans des secteurs privés, chez des créateurs indépendants et dans des manifestations là où il y a des représentations diplomatiques. C'est un système semi-hybride, toujours en «transition». Sans salles de cinéma, avec quelques rares théâtres hérités de la France, sans studios pour le cinéma ou la musique, sans ballets ni vrais conservatoires, sans production de bandes dessinées, sans chaînes de TV à même de coproduire des produits à diffuser, sans salles de concerts ni stades couverts de gazon naturel, le pays se désertifie au sens premier et dans le champ culturel.

    Tous les pays arabes se ressemblent maintenant dans l'étouffement de la culture et des créateurs. Et l'Algérie s'intègre parfaitement dans un monde qui se décompose par la violence armée, par un islamisme inédit dans l'histoire de l'humanité et par un effondrement culturel sans précédent, occulté par le cours des hydrocarbures et l'instabilité chronique. En Europe, le don d'organes, par le travail des gouvernants et d'associations, est une cause nationale défendue à bras-le-corps. Les morts et les blessés dus aux accidents de la route font réagir et surtout parce que la vie dans ce continent est jugée inestimable. Le combat éternel contre la mort prend des formes modernes, scientifiques par l'organisation de réseaux, de relais et de systèmes de conservation et de greffe qui donnent des résultats probants. L'humain est prioritaire.

    L'Europe est croyante, pratique plusieurs religions. L'Espagne a été jugée la plus généreuse du monde. 15% d'Espagnols seulement refusent le don d'organes, contre 35% en France qui se classe à la fin du peloton. Où serait classée l'Algérie pour ce qui est du don d'organes ? Le mieux est bien entendu de ne pas participer à ce type de concours. Elle serait au même rang que la oumma qui regarde la Palestine disparaître chaque jour, en organisant des séances très coûteuses de palabres dans des palais pleins de fantômes, de souvenirs de coups d'Etat où les murs peuvent encore sentir le sang des cadavres enfouis depuis des générations.

    Paul Valéry disait que «le bonheur est une idée neuve en Europe». Mais c'était il y a bien longtemps. Cette idée est désormais une donne économique, chiffrable et mesurable. Le temps consacré aux loisirs et à la culture se planifie dans des projections réalistes. La qualité de l'environnement, le confort, la rapidité et la ponctualité des transports sont des paramètres de bonheur pris en charge par les gouvernants, les syndicats, les associations, les élites et la société entière. Les espaces verts, le contrôle étroit par les citoyens des élus à la mairie, la pression de la presse et des médias, tout un ensemble d'éléments et d'acteurs participent dès le plus jeune âge à donner du bonheur, une meilleure hygiène de vie, à lutter contre les nuisances sonores. Des haut-parleurs qui agressent dès la naissance jusqu'à la mort sont impensables sous n'importe quel régime démocratique et dans n'importe quelle religion. En Algérie, la technologie à faire du bruit est devenue un fondement indiscutable de la foi, de la croyance, de la pratique religieuse. Et ce ne sont sûrement pas les parlementaires de la majorité qui feront remarquer qu'aux origines de l'Islam, il n'y avait ni réveil, ni téléphone mobile, ni haut-parleurs, mais les gens allaient à la prière.

    Le bonheur des gens, leur sérénité, le respect de leur repos, de leur sommeil, ne font pas partie des «programmes» des partis dans le monde arabe où les dirigeants savent toujours, sur tout, n'importe où et n'importe quand ce que veulent et pensent les gouvernés. Ils lisent dans les pensées, connaissent l'avenir même si les prévisions de la simple météo sont étrangères. En Europe, des économistes ont très sérieusement étudié la façon d'intégrer le bonheur dans le calcul de la croissance. Le PNB serait remplacé par le BNB (bonheur national brut). Mille économistes et statisticiens ont été réunis durant une semaine par l'OCDE, dont la réputation de sérieux n'est plus à faire. L'objectif est d'étudier «les moyens d'introduire la notion de bien-être au coeur des instruments d'évaluation du progrès humain». Selon les participants à ce forum,» les indices de développement utilisés aujourd'hui et reposant essentiellement sur l'évaluation de la richesse accumulée - le fameux produit intérieur brut (PIB) notamment - sont désormais obsolètes'.

    Pour José Angel Gurria, le secrétaire général de l'OCDE, la cause est entendue. Pour lui: «Parce que nous mesurons le PIB par habitant, nous pensons savoir si les gens sont satisfaits ou non. Mais en fait, dans quelle mesure les dirigeants sont-ils informés de ce que veulent, ressentent et croient les gens? Les dirigeants de l'OCDE ont tout faux. Il leur suffit de consulter les dirigeants arabes qui leur diront comment ils font le bonheur de leurs concitoyens sans rien leur demander et surtout sans rien mesurer. Le bonheur! Mais quoi encore? Pour la fête de la musique, en juin dernier, 11 000 concerts ont été organisés en France sur deux jours. De quoi mesurer le bonheur.

    Par Abdou B, Le Quotidien d'Oran
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