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Tous les chemins passent par Doha

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  • Tous les chemins passent par Doha

    Avant tous les chemins menaient à Rome, et maintenant ?
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    50 millions de passagers en 2015: c'est l'objectif de la capitale du Qatar, nouvelle plaque tournante du transport aérien. Pour mettre cet émirat du Golfe sur la carte du monde, Doha compte sur sa compagnie aérienne forte de 110 nationalités et sur une flotte ultramoderne

    De notre envoyée spéciale

    Toutes mignonnes dans leur uniforme prune et gris, le chignon bien serré sous le calot, elles sont une quinzaine, sagement installées dans cette cabine d'avion reconstituée qui leur tient lieu de centre de formation. Une jeune Indienne fait passer le chariot des boissons; les autres - des Chinoises, des Marocaines, Maliennes ou Thaïlandaises - jouent le rôle de passagères. D'ici à quelques semaines, tout ce petit monde fera équipe à bord. Alors il faut apprendre à travailler ensemble, surmonter ses particularités culturelles, gérer les conflits. «Dans certains pays, quand il y a un incident, on baisse les yeux. Dans d'autres, au contraire, on a tendance à se montrer trop directif. Il faut corriger et harmoniser ces comportements», explique la formatrice belge. Pas toujours facile de s'initier aux règles d'un service international. Pour quelques jeunes filles issues de la bonne bourgeoisie dans leur pays d'origine et habituées à être entourées de domestiques, distribuer des plateaux-repas n'a rien d'évident. Les musulmanes répugnent à proposer de l'alcool. Les Asiatiques ont du mal à dire non, considéré comme mal élevé. Mais ici pas de place pour les états d'âme culturels ou religieux. La seule culture qui vaille, c'est celle de la compagnie. Elle est globale.

    Bienvenue chez Qatar Airways, la grande compagnie aérienne du petit émirat qatarien. Moins flamboyante qu'Emirates (à Dubaï), plus développée qu'Etihad (à Abou Dhabi) c'est la compagnie du Golfe qui monte. A un jet de pierre de l'aéroport de Doha, l'immeuble de neuf étages du siège surmonté de l'oryx, l'emblématique antilope du désert, est un pur concentré de mondialisation. Une enclave internationale dans ce pays qui reste profondément traditionnel, religieux et polygame. A Doha, il y a un lieu de prière tous les 150 mètres. C'est la règle. La plupart des femmes sortent couvertes des pieds à la tête du niqab, laissant au mieux une fente pour les yeux. L'alcool, à l'exception d'une poignée d'hôtels internationaux, reste totalement proscrit. Mais une fois franchi le seuil du siège de la compagnie, on bascule dans un autre monde. Ici, à l'exception du big boss Akbar aï-Baker, installé dans un vaste bureau design au dernier étage, et d'une poignée de pilotes, les Qatariens se comptent sur les doigts d'une main. Le directeur technique est canadien. Le responsable de la restauration à bord, français. Le directeur des ressources humaines, tunisien. Le financier, sud-africain. Et les pilotes sont pour la plupart algériens, voire français, rescapés des défuntes Air Liberté et AOM. Cent dix nationalités en tout: le Qatar compte 1 million d'habitants, dont seulement 200 000 Qatariens, trop riches pour vouloir travailler. Avec quelque 12 000 salariés, cette petite compagnie du Golfe possède aujourd'hui 58 appareils. Elle dessert plus de 70 destinations, de Francfort à Lagos, de Londres à Bali, et transporte 8 millions de passagers dans le monde. Elle est au carrefour de toutes les civilisations.

    Au Salon du Bourget, en juin dernier, les emplettes d'Akbar al-Baker ont fait événement: chez Airbus, le président de Qatar Airways a acheté quatre-vingts A350 et deux A3BO, qui s'ajouteront aux trois qu'il avait déjà commandés. Chez Boeing, il a acheté vingt-deux 777... Pas étonnant que ce petit homme de 46 ans au regard vif, très pieux, généralement vêtu de la longue dishdasha blanche traditionnelle, y ait été reçu en star. Ses ambitions? Démesurées: «En 2015, Doha accueillera 50 millions de passagers.» Autant que Roissy-Charles-de-Gaulle. Bigre! Comment diable ce minuscule émirat du Golfe, ce bout de désert à peine plus grand que la Corse, a-t-il réussi à bâtir ce poids lourd de l'aviation mondiale? Question de chance, d'opportunité et de choix stratégique.

    L'aventure a commencé en 1997, lorsque Akbar al-Baker, alors directeur de l'Aviation civile, est propulsé par l'émir à la tête de la compagnie. A l'époque, Qatar Airways était une modeste compagnie régionale desservant l'Inde avec deux malheureux Boeing 747. L'aéroport de Doha? «Un petit bâtiment en préfabriqué planté au milieu de nulle part, tout juste climatisé», se souvient Eric Didier, le responsable du Qatar en France. Doha n'est encore qu'une grosse bourgade traversée par des caravanes de chameaux... Qui sait situer cette capitale sur une carte du monde? Personne! Et c'est bien ça le problème. Arrivé au pouvoir en 1995 après avoir destitué son père, le cheikh Ahmad bin Khalifa al-Thani se fixe, lui, pour objectif de sortir le pays de l'anonymat. Il cherche des débouchés pour les formidables réserves de gaz naturel du pays (voir encadré). Ses deux leviers pour «mettre Doha sur la cane», comme on dit ici, et donner au Qatar une visibilité sur la scène mondiale? Un: le lancement d'Al-Jazira, la chaîne d'information du monde arabe qui concurrence aujourd'hui CNN. Et le décollage de Qatar Airways, dont il veut faire une compagnie internationale de premier plan. En six mois, un autre aéroport aux normes mondiales sort de terre (voir encadré). Nouveau logo, nouvel uniforme, nouveaux avions, le président Aï-Baker revoit tout de fond en comble. Au diable la clientèle des pèlerins qui vont faire leur pèlerinage à La Mecque! Les clients que la compagnie veut désormais séduire, ce sont les voyageurs des grandes compagnies aériennes occidentales. Aller chasser sur les terres des majors. Certes, les Qatariens font encore le gros, avec les Russes, des clients de première classe. Mais ils ne suffisent pas à remplir les avions. Pour conquérir les touristes européens ou les hommes d'affaires asiatiques, le Qatar met le paquet sur les services. Vidéos individuelles même en classe éco, catalogue de 80 films de toutes nationalités, repas de choix, carte des vins hors pair, Champagne et foie gras... Au moment où les grandes compagnies occidentales rognent sur toutes les dépenses, faisant même payer les boissons sur les vols moyen-courriers, Qatar Airways ne lésine pas sur la dépense. Ultime concession à l'islam: des plateaux-repas garantis halal, l'absence de porc et la longueur de jupe des hôtesses, légèrement sous le genou! «Nous sommes une compagnie globale avec un accent arabe», résume Eric Didier, le patron de

    La suite
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

  • #2
    La compagnie en France ?

    Et ça marche! Car si la capitale du Qatar n'a guère d'atouts pour attirer les touristes, sa situation géographique est optimale. A la croisée de toutes les routes, entre l'est et l'ouest, le nord et le sud, l'Europe et l'Asie, l'Afrique et le Moyen-Orient, Doha, comme Dubaï ou Abou Dhabi, est un hub, une plaque tournante de trafic aérien stratégique. Et c'est bien ce qui exaspère le président d'Air France, qui reproche à ces compagnies qui n'ont ni marché local ni contraintes de rentabilité de venir jouer les prédateurs sur ses terres. «Il n'y a pas si longtemps, quand les avions avaient des rayons d'action plus faibles, les trois capitales du Golfe servaient de points de ravitaillement aux grandes compagnies occidentales», rétorque tranquillement Akbar al-Baker. Aujourd'hui, si les capitales du Golfe sont devenues des plaques tournantes du transport mondial, c'est en raison du débouché naturel offert par leur emplacement géographique...

    Deuxième atout, et non des moindres: la manne pétrolière. Gonflée par la flambée des cours, cette rente a permis au Qatar, comme à Dubaï, d'engager une formidable modernisation de sa flotte et des infrastructures aéroportuaires. Si Akbar al-Baker, comme Tim Clark, le patron d'Emirates, jurent qu'ils paient leur kérosène au prix mondial - l'eau minérale y coûte plus cher que le pétrole -, ils n'ont, en revanche, pas les mêmes contraintes financières que leurs concurrentes occidentales. Détenue à 50% par l'Etat et à 50% par des institutionnels locaux, Qatar Airways, qui ne publie aucun chiffre, n'envisage pas de devenir rentable avant... plusieurs années!
    N'allez pas pour autant imaginer que la compagnie a les poches percées: «Au contraire, la moindre dépense est contrôlée, et de manière ultra-bureaucratique et tatillonne», soupire un cadre sup du groupe. «Les émirs du Golfe ont essuyé beaucoup de déboires. On les a exploités. Maintenant ils ont toujours peur de se faire avoir et multiplient les vérifications», ajoute Eric Didier.

    Ultra-directif, Akbar al-Baker contrôle tout, surveille tout, et règne en maître sur la compagnie. Patron du duty-free, de l'aéroport, de l'office du tourisme, «Papa», comme on le surnomme au siège, dort peu, ne prend jamais un jour de repos, voyage en classe éco pour vérifier la qualité du service, « et -vous envoie un e-mail assassin s'il juge que le taboulé servi à bord n'est pas au niveau», affirme un responsable du siège... Cinq managers de la restauration à bord se sont d'ailleurs succédé en trois ans! Leur feuille de route? Simple: «Le meilleur, au moins citer. Et si Papa n'aime pas, c'est la porte», soupire un responsable. Les chefs valsent, mais les clients en redemandent: la compagnie, qui grossit comme un nénuphar, double de taille tous les deux ans et demi. Un véritable défi pour Youssef Bouni, le directeur des ressources humaines, qui doit recruter 2 500 nouveaux collaborateurs dans le monde chaque année! «C'est à la fois excitant et pas si simple, explique-t-il. Il faut surveiller en permanence ce qu'offrent les autres compagnies pour les retenir.» Ecrasée de chaleur, avec des températures qui grimpent à 50 degrés, et une ambiance pas vraiment folichonne, Doha n'a rien d'un charmant petit port de pêche. C'est aussi un pays sans taxes ni impôts. Un atout. Mais, du coup, beaucoup de jeunes recrues se comportent en mercenaires sans foi ni loi, prêts à partir à la première occasion. Pas forcément le meilleur socle d'une culture d'entreprise. Il faut faire travailler les équipes hétérogènes en bonne harmonie: «Faire prendre la sauce», comme l'explique le DRH. La culture très dirigiste de «Papa» pèse sur leurs habitudes. «Et puis il faut lutter contre les mafias qui se mettent naturellement en place, s'agace un cadre. Dès qu'un Indien prend du galon, il va avoir tendance à ne promouvoir que des Indiens de sa caste, de sa religion et de sa région.» Chassez le naturel....


    Doha/Dubaï: deux stratégies opposées



    Vu de Dubaï, Doha n'est qu'une grosse bourgade provinciale. Vu de Doha, Dubaï, c'est au mieux Disneyiand... Au pire, une espèce de Sodome et Gomorrhe dont on parle en levant les yeux au ciel. Certes, en dix ans, Doha aussi a changé. La capitale du Qatar, hérissée de grues, construit à toutva. Grands hôtels et centres commerciaux poussent ici comme des dattiers dans l'oasis. Mais on est loin, très loin, des folies de Dubaï. Ici, pas de pistes de ski, pas d'îles artificielles, pas d'hôtels délirants... «Dubaï a perdu toute identité», disent les Qatariens, pas mécontents toutefois de pouvoir aller y faire la fête le week-end. A une heure d'avion l'une de l'autre, les deux capitales du Golfe ont développé des stratégies radicalement différentes.

    Pour Dubaï, qui doit anticiper la fin de ses réserves pétrolières, le développement touristique n'a rien d'une fantaisie: c'est une nécessité économique absolue. Rien de tel à Doha, qui possède des réserves gazières pour les deux ou trois siècles à venir... Ici, hors de question de perdre son âme en attirant des hordes de touristes bas de gamme en mal de débauche. «Nous voulons garder une identité arabe et développer un tourisme sélectif, culturel et sportif», explique Daniela Grendene, directrice de l'Office du Tourisme du Qatar. Oui aux spas haut de gamme, à quelques golfs de haut vol. Non aux prostituées de l'Est, aux salles de jeu et à la débauche. Le pays voit grand: l'objectif de l'émir du Qatar, c'est d'être l'alternative la plus sérieuse à la Russie en matière d'hydrocarbures, qu'il espère exporter, un jour ou l'autre, en avion. Et de jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale. N'a-t-il pas été le premier chef d'Etat rencontré par Nicolas Sarkozv après sa prise de fonction.


    Très chers passagers...



    Ce terminal-là vaut le coup d'oeil! Dédié aux passagers en première et en classe affaires, il vous transporte, si vous faites partie de ces chers passagers dits à «haute contribution», à des années-lumière de la piétaille des touristes. A peine descendus de votre gros 4x4, un must à Doha, un portier vient chercher vos bagages avec son grand chariot doré façon palace. Installez-vous dans un fauteuil profond et laissez-vous faire: l'hôtesse se chargera de tout. Une famille qatarienne vient d'arriver. Ils sont cinq à partir pour Paris, en première bien sûr: le père en chemise sport, la femme entièrement voilée, l'ado trop gros, et une petite fille tout de rosé vêtue... Comptez 10 000 euros le billet pour Paris quand même! Ici, pas de vulgaire annonce, ni même de panneau d'affichage: on viendra vous chercher pour embarquer. D'ici là, vous avez le choix: shopping de luxe au rez-dechaussée, séance de fauteuil massant à l'étage, avec bar à cocktails, sushis ou Jaccuzi, à moins que vous n'optiez pour une séance de soins de la peau ou un massage dans un décor de spa grand luxe... Autre possibilité, un grand dîner ou une petite sieste dans une chambre particulière. Mais il y a aussi une salle de jeu équipée des dernières PlayStation pour les ados, une salle de travail pour hommes d'affaires, on en oublie...

    Ouvert il y a deux ans seulement, ce terminal unique au monde, qui aura coûté 90 millions de dollars, sera totalement détruit en 2009 pour l'ouverture du nouvel aéroport, un gigantesque chantier à 5 kilomètres de là. Un projet pharaonique de 7 milliards de dollars, construit pour moitié sur la mer, pour l'autre moitié sur l'ancienne grande décharge de Doha, qui sera à terme capable d'accueillir 50 millions de passagers. Taille du projet: 20 kilomètres carrés, soit à peu près la taille actuelle de Doha, plus de 5 milliards d'euros d'investissements, et 18 000 ouvriers, venus de Chine, d'Inde, du Pakistan ou du Népal. Logés dans un camp de préfabriqués qui s'alignent à perte de vue dans le désert, ils seront bientôt 22 000 à travailler ici six jours sur sept sous un soleil de plomb, pour quelque 600 dollars par mois qu'ils envoient à leur famille. Un autre aspect de la mondialisation. Ils rentreront chez eux à l'ouverture, prévue en 2009.

    Natacha Tatu
    Le Nouvel Observateur
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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