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Yakouren : retour sur un terrain miné

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    Yakouren : retour sur un terrain miné

    Yakouren, son microclimat, ses randonnées pédestres… C’était il y a peu. A présent, c’est plutôt Yakouren, son maquis terroriste, ses ratissages...

    Une petite bourgade, à 50 km à l’est de Tizi Ouzou, bombardée, centre de gravité de la nébuleuse terroriste. Al Qaîda du Maghreb islamique se réunit en congrès au cœur de la Kabylie, dans une forêt qui n’inspirait, il y a quelques années, que les sportifs de haut niveau, en quête de stages d’oxygénation. Nettoyés de toute présence terroriste depuis 10 ans, les massifs de Tamgout et de l’Akfadou se sont subitement révélés être, au lendemain d’un attentat foudroyant, d’insidieuses bases arrière des groupes islamistes armés, avec des camps d’entraînement et casemates suréquipées. Toutes les thèses développées jusqu’ici au sujet de la présence terroriste en Kabylie ont été remises en cause. Alors que l’on évoquait une centaine de terroristes encore en activité dans la région, les services de sécurité retrouvent plus de 500 noms dans un ordinateur portable récupéré dans le maquis ratissé par l’armée, en plus d’un matériel de transmission et de communication de la dernière génération. Leur repaire le plus sûr est Yakouren, à l’est de Tizi Ouzou, et non pas Mizrana au nord, Aït Yahia au sud ou Oued Ksari au sud-ouest de la wilaya. Qu’est-ce qui a permis cette faillite sécuritaire, qui s’est traduite par la tenue d’un congrès de plusieurs centaines de terroristes, et l’attaque simultanée de trois positions des services de sécurité (brigade de gendarmerie, détachement de la garde communale, barrage de l’ANP) ? Les réponses sont multiples, formulées avec peine par des citoyens qui tentent de réfléchir après un survol d’hélicoptère, et entre deux pilonnages de l’artillerie lourde. On évoque le désarmement des patriotes (par les autorités), les événements de Kabylie et le recul de l’autorité de l’Etat, l’anarchie consécutive ou encouragée, la prolifération du commerce informel assurant l’approvisionnement et le renseignement pour les terroristes… Les préoccupations sont parfois très simples pour le commun des citoyens, notamment les jeunes. « Tout ce que je sais, c’est que je n’irai plus faire du footing à Yakouren. L’été passé, je ne rencontrais que des pilleurs de liège. Mais là, apparemment, je risquerais ma vie », lance un jeune commerçant d’Azazga, au chef-lieu de daïra, à 10 km à l’ouest de Yakouren. Même dans sa ville, il sent un climat lourd, qui commence à l’oppresser. « Pour rentrer au village, il faut passer un barrage militaire. Hier, on nous a fait passer au détecteur d’explosifs. On n’a pas le sentiment qu’on est en paix, mais en guerre », dit-il encore. « Oui, nous sommes en guerre », rétorque un autre jeune, sans plus d’explication.

    La nuit des lance-roquettes

    « C’est du jamais vu ! » Celui qui parle ainsi en a pourtant vu de toutes les couleurs. Nous l’avons rencontré dans un café à Yakouren, mais il a été DEC (délégué exécutif communal) et patriote dans la localité entre 1994 et 1997. « On les avait laminés et chassés de la région. On employait la même tactique qu’eux (les terroristes). On intervenait en commandos, sur renseignements et en parfaite connaissance du terrain », nous lance-t-il. Il est complètement absorbé par le climat de jeu à l’intérieur du café alors que les explosions des obus retentissent dans le maquis qui enserre la petite ville. Il a une surprenante réponse quand on l’interroge sur l’efficacité des bombardements aériens et du pilonnage intensif : « C’est une perte d’argent », a-t-il estimé. Et d’ajouter : « Les militaires par milliers, cela fait fuir les terroristes. » « Quand on était sur le terrain, nous ramenions deux corps de terroristes chaque fois qu’on sortait en opération », dit-il, parlant des années 1990. « Chaque village comptait des patriotes, vigilants sur le renseignement et opérationnels avec l’armée et la gendarmerie. Le groupe intervenait sans attendre un ordre central », explique-t-il encore, signifiant que l’Algérie a désappris la lutte antiterroriste. Il cite les islamistes armés qui avaient été abattus dans la forêt de Yakouren, avant leur disparition complète de la localité en 1997. Ils étaient désignés, en ce temps-là, par leurs noms de famille, sans lien avec les pseudos d’aujourd’hui, venus d’un autre monde, comme Abdelouadoud ou Abdelkahar. Dix ans après leur déroute dans les maquis de la région, les terroristes réapparaissent, armés de RPG7 et de fusils-mitrailleurs. Nouvelle stratégie : ils ne terrorisent plus la population. Celle-ci avait montré lors de la décennie précédente qu’elle pouvait mener une guerre décisive contre ceux qui s’en prennent à la quiétude des villages. La logistique de guerre, les terroristes la destinent aux services de sécurité. Dans la nuit de vendredi 13 à samedi 14 juillet, ils ont opéré sans faire face à une hostilité du terrain, sans essuyer un revers inattendu autour de la cible. Ils piègent la route à la sortie est de la ville, surprennent le barrage militaire à l’entrée ouest, assiègent le détachement de la garde communale au centre-ville et tentent de détruire pendant 2 heures la brigade de gendarmerie à l’explosif et au lance-roquettes. Ils ne décamperont qu’à l’arrivée des hélicoptères de l’ANP, sans venir à bout de la résistance des gendarmes retranchés dans leur brigade. Quatre terroristes seront abattus dans leur retraite, tombés dans une embuscade tendue par les soldats de l’ANP à quelques kilomètres de la ville. « Ils étaient en ville dès 19 h. Si on avait reçu une seule information, ça ne se serait pas passé comme cela. » C’est un officier de la brigade de gendarmerie qui lâchera ces mots quelques jours après l’attaque terroriste. Une douloureuse prise de conscience de la totale étanchéité entre ce corps de sécurité et le milieu extérieur immédiat. Des terroristes en ville plusieurs heures avant l’attaque, cela semble plausible. Mais y a-t-il un moyen de faire remonter le renseignement dans cette ville qui, à l’instar de nombreux autres chefs-lieux de la région, est sans service de police et où la gendarmerie est mise en « quarantaine » depuis les événements de 2001 ? Il est même problématique de s’adresser à la brigade de gendarmerie pour déposer plainte même lorsque le citoyen est personnellement victime d’agression. Il existe un délégué à la sécurité dans la commune, mais l’on s’interroge ouvertement depuis des années sur le rôle de ce commis de l’Etat dans les APC où il est encore en poste.

    Quand le renseignement ne va pas…

    « Le délégué à la sécurité assurait son rôle de contact avec les patriotes au temps des DEC, mais à l’arrivée des partis aux APC, on leur a montré la porte de sortie », souligne l’ex-délégué exécutif. Les partis d’opposition se sentent sans doute plus surveillés que la subversion islamiste. Les villes sans commissariat de police sont devenues villes ouvertes. A Yakouren, du côté des autorités, on s’est aperçu du siège terroriste qu’aux premiers coups de feu et aux cris des « Allah Akbar », suivis de vociférations à l’encontre du chef de brigade. Une pareille opération a pourtant demandé des semaines de préparation et de reconnaissance du terrain. Si le renseignement relevant des services de sécurité est à réinventer, chez les terroristes la machine est bien huilée, puisque les attentats ne sont « déjoués » que dans leur phase d’exécution. La situation est telle que le wali de Tizi Ouzou a « sauté » l’étape de Aït Yahia, à Aïn El Hammam, lors de sa visite dans la région le 5 juillet, une bombe ayant explosé à l’entrée du chef-lieu au passage du cortège officiel. C’est la voiture des policiers qui a été touchée, causant des blessures à un agent. La charge explosive n’était pas forte et le système de télécommande a bégayé en raison de difficultés du réseau téléphonique. Le groupe terroriste de la localité n’était pas aguerri mais a surpris par sa capacité à adapter ses forfaitures au programme des sorties officielles. A Yakouren, la devanture touristique de la localité, constituée de dizaines de marchands de produits artisanaux, et de restauration rapide, soulève des interrogations. « Il est temps que les autorités réglementent ce marché non contrôlé. Il y a urgence à recenser et identifier les exploitants de ces baraques », souligne-t-on. Le marché informel est aux portes de la ville de Yakouren, sur la RN12, mais sur le territoire de la commune d’Azazga. Dans d’autres localités de la wilaya de Tizi Ouzou, comme dans la partie sud-ouest, ce sont les débits de boissons illicites que l’on soupçonne d’avoir des liens d’argent ou de renseignement avec le maquis terroriste. Les services de sécurité sont formels à ce sujet, mais le front du commerce informel n’est pas encore ouvert en raison de problèmes de territorialité ou de frilosité de l’administration. Avant de quitter Yakouren, nous faisons une halte à l’hôtel Tamgout, à deux kilomètres à l’ouest de la ville. Le parking est vide, inutile de se renseigner sur l’activité de l’établissement. Le directeur est aussi raide dans son silence qu’un soldat en opération. Il dira simplement que le tourisme n’est pas en crise depuis deux semaines seulement, mais depuis 15 ans. Cette station d’oxygénation, qui était la destination privilégiée des équipes nationales depuis son ouverture, n’arrive pas à confirmer la réservation d’un club de football d’Azazga. « Prenez un bol d’air pur », dit une affiche à l’entrée de l’hôtel. Ce jour-là, l’air était chargé des cendres du maquis qui brûle sous le feu de l’artillerie.

    Djaffar Tamani (El Watan)
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