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Du bon usage de la "résilience"

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  • Du bon usage de la "résilience"

    Dans leur beau livre SurVivantes, Esther Mujawayo et Souâd Belhaddad expliquent comment les Tutsis qui possédaient une chèvre ou un lopin de terre ont pu mieux survivre aux traumatismes du génocide. Cette chèvre ou ce lopin furent pour eux une raison de continuer à vivre et un lien à la réalité.

    Le cinéaste Rithy Panh, quant à lui, montre dans ses films sur le génocide cambodgien comment les drames psychiques apparemment résolus peuvent resurgir vingt ans plus tard, voire à la génération suivante. La plupart des questions qui divisent actuellement les spécialistes de la résilience tiennent dans ces deux exemples. Quels facteurs privilégier parmi la multitude de ceux qui interviennent dans la capacité de se reconstruire après une catastrophe ? Quelle valeur accorder à une adaptation sociale apparemment réussie ? Comment éviter qu'un traumatisme dépassé à une génération ne ressurgisse à la suivante ? Et faut-il utiliser le mot pour désigner la capacité de surmonter tous les traumatismes, ou bien seulement les plus graves ? Car, contrairement à ce que laisse entendre Boris Cyrulnik (Le Monde du mardi 17 juillet), il n'y a pas, autour de la résilience, le tranquille travail des chercheurs d'un côté et les divagations des marchands de bonheur de l'autre. La résilience est d'abord un mot, et ce mot, de par son histoire et ses enjeux, n'a pas une seule définition parmi les scientifiques, mais plusieurs.
    La multiplicité de ses usages est d'abord liée aux deux significations de son origine latine : sauter en arrière pour mieux revenir ou bien se reculer vivement. Ces deux significations ont connu des fortunes diverses selon les pays. Les Français ont opté pour la dimension de "se reculer vivement", qui a donné le mot "résiliation", tandis que les Anglo-Saxons privilégiaient le substantif resiliency, que Paul Claudel déclarait intraduisible parce qu'il réunit "des idées d'élasticité, de ressort, de ressource et de bonne humeur". Contrairement à ce qui s'est passé pour l'adjectif "sublime" par exemple, le mot existait donc dans la culture, en l'occurrence anglo-saxonne, avant son adoption par les scientifiques, et il y était associé à des valeurs morales.
    Les physiciens sont les premiers à l'avoir introduit dans leur vocabulaire technique : le mot anglais resilience désigne à l'origine l'élasticité d'un matériau capable de retrouver sa forme après avoir subi des pressions. A ce stade, les références morales qui faisaient partie de l'usage commun du terme ne posaient évidemment aucun problème. Puis le mot s'est étendu au domaine de l'épidémiologie médicale et à la psychologie des comportements. Et là, le problème des résonances morales a ressurgi. Il désigne en effet une personne qui parvient à réussir sa vie après avoir fait face à un traumatisme grave. Or il est évidemment très difficile de savoir ce que signifie "réussir sa vie"... Mais le mot, parmi les spécialistes mêmes, a continué son évolution.
    Aujourd'hui, on parle de résilience en sociologie pour désigner la capacité d'une société de faire face à un changement fort - par exemple politique, économique ou démographique - sans traumatisme et sans disparaître culturellement. Enfin, le mot est en voie d'être adopté par le développement durable pour désigner la capacité d'une collectivité à dépasser les conséquences d'une catastrophe majeure en termes de dommages, de productivité moindre et de qualité de vie réduite. C'est ainsi qu'une équipe de spécialistes mise en place à Londres après les attentats du 11 septembre 2001, dans le but de permettre une réponse rapide et efficace à toutes les formes de catastrophe, s'est appelée The London Resilience Team. En encourageant notamment le travail de mémoire sur les catastrophes vécues par les générations précédentes, cette équipe permet d'améliorer la capacité de faire face aux risques nouveaux en même temps qu'elle favorise le développement des liens sociaux.
    On retrouve là l'une des idées majeures de Julius Segal, l'un des "pères" de la résilience, qui est de "donner du sens aux épreuves traversées". Car les risques constituent malheureusement trop souvent des sortes de "secrets de société" qui sont un peu l'équivalent des secrets de famille : il faudrait éviter d'en parler pour ne pas affoler. Mais on s'aperçoit depuis quelques années que c'est le contraire qui est vrai !
    Dans chacun de ces domaines, des spécialistes donnent donc au même mot des significations différentes, et, en psychologie, il en a même plusieurs. Autour de la résilience, il y a des écoles, des tendances, des lignes de force qui s'opposent. Par exemple, des thérapeutes cognitivistes proposent d'évaluer la résilience d'une personne à partir de tests de comportement, voire de la prédire pour des traumatismes à venir, alors que l'idée paraît absurde et dangereuse aux psychanalystes.
    Bref, la psychologie de bazar qui met aujourd'hui la résilience à toutes les sauces ne fait que tirer les conséquences du flottement dans lequel se trouvent les spécialistes. Et au bout du compte, c'est vrai, le mot de résilience est devenu un véritable test de personnalité. "Dis-moi de quelle résilience tu parles et je te dirai qui tu es." Mais ce test n'est pas valable seulement pour le grand public, il vaut aussi pour les chercheurs, et pas uniquement du point de vue de leurs choix professionnels. Il éclaire leurs choix éthiques, philosophiques, voire politiques. C'est aujourd'hui tout l'intérêt de ce mot aux mille visages : révéler des enjeux qui traversent les grandes options de notre société.



    Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste, directeur de recherches à l'université Paris-X
    Article paru dans le MOnde d'aujourd'hui.
    Ouf... Intéressant. Merci à ce professeur d'avoir pris le temps et le recul sur ce sujet fourre-tout et idéologiquement marqué, comme il le fait remarquer à juste titre
    Je reviens plus tard pour les commentaires.
    Bonne lecture !

  • #2
    j'avais lu ce livre à sa sortie ... puissant témoignage ...
    de plus je cotoie étroitement des personnes qui ont vécu l'enfer des génocides ...
    certains s'en sortent pas trop mal ... leur enfant aussi ...

    d'autres sont en psychiatrie ...détruits !

    pour ce qui est de la résilience , peut importe ce quelle signifie vraiment , en psychologie rien n'est figé surtout face à un concept émergeant...

    Donner du sens aux épreuves traversées est un moyen comme un autre de s'en sortir , de la même façon que de dire qu'elles proviennent d'une " volonté supérieure" ou "mystérieuse".
    Quand l'insoutenable parait, l'esprit humain a besoin de comprendre donc de donner du sens pour ne pas sombrer dans la folie ..


    Comment éviter qu'un traumatisme dépassé à une génération ne ressurgisse à la suivante ?
    INTERESSANTE QUESTION .... en effet,les survivants des camps de la mort juif se sont tus après leur délivrance pendant des années, incapables qu'ils étaient de raconter ce qu'ils voulaient oublier ...la même chose pour tous les destructions ou humilitions humaines systématisées...

    Seulement, tous nous portons , par le poids de l'éducation, les peines et les " boulets" de nos générations précédentes ..cela fait parti du patrimoine familial que l'on nous transmet et que nous transmettons à notre tour....

    comment échapper à la transmission de traumatisme ?
    si quelqu'un a une réponse qu'il me la fasse savoir ! merci d'avance....

    ON A, suite à divers traumatisme subis collectivement, recemment mis sur pied des cellules psychologiques systématiquement ...afin d'éviter le dévelopement de PTSD ( post traumatic syndrom disorder) pouvant conduire à des troubles anxieux généralisés voire même à des comportements auto destructeurs et suicidaires
    le résultat est assez mitigé ...
    car si cela s'avere efficace pour les uns , d'autres sont vraiment dans l'incapacité de parler sur le moment et ne ressortent les choses que des années après ...
    Dernière modification par Absente, 02 août 2007, 09h13. Motif: orthographe comme d'habitude...

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