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Les deux phases du terrorisme

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  • Les deux phases du terrorisme

    Les Débats

    Partie I

    Au point de vue officiel, les choses sont plutôt claires pour ce qui est du terrorisme. S’il constitue une réalité indéniable, il se trouve pour l’heure à l’état résiduel, et bientôt il appartiendra au passé car la détermination des autorités d’en finir avec lui est désormais bien réelle.

    Le fait qu’il soit qualifié de résiduel depuis maintenant presque une décennie non seulement ne pose pas problème, mais semble conforter les responsables dans l’idée qu’ils ont remporté sur lui une victoire, peut-être pas totale au point qu’il n’existe plus trace de lui dans le pays, mais en tout cas décisive, en ce sens qu’il est condamné à voir ses forces s’amenuiser chaque jour davantage, et que le temps somme toute n’est pas si loin où il aura cessé de faire partie du décor.

    Mais dire que les jours du terrorisme sont comptés laisse en réalité indéterminé le temps qu’il lui reste à vivre. Sa maladie est incurable, soit, mais il n’est guère possible de fixer une limite que dans tous les cas de figure, il ne pourra dépasser. A moins de supposer qu’il puisse bénéficier dans l’intervalle d’un apport de forces extérieures, ou qu’il change assez profondément pour échapper au sort qui lui était prescrit dans l’état où il s’était d’abord présenté. Cela fait une décennie, ou presque, qu’il est décrit comme un phénomène résiduel. Il n’est pas interdit de penser qu’il puisse durer un certain nombre d’années de plus en tant que tel. Mieux encore, cette possibilité n’est théoriquement pas en contradiction avec l’affirmation qu’il est finissant. Son présent peut très bien en effet se révéler extensible. N’en est-il pas ainsi des groupuscules politiques capables de se survivre un temps indéfini, quand les circonstances qui les ont vu naître ont quant à elles disparu depuis longtemps ? A croire que la miniaturisation est un garant de survie en politique.

    Evidemment, une fois qu’on a décrété que le terrorisme ne représente plus un danger pour la stabilité du pays, il devient incompréhensible de proposer rien de moins qu’une réconciliation nationale à ses débris, et d’appeler dans le même temps la nation à donner son onction à cette initiative. En effet, parler en termes de réconciliation nationale laisse supposer que le pays s’est divisé en deux camps, pour le moins, engagées dans une guerre implacable l’un contre l’autre et que si cela devait durer, il serait à craindre que l’unité de l’Etat s’en trouve brisée. Or, en Algérie, bien que gravissime à une certaine période, la crise n’a pas évolué jusqu’à mettre l’Etat au bord de l’effondrement.

    Elle n’a pas dégénéré en guerre civile. Elle est restée de bout en bout une crise politique, certes paroxystique, et particulière en ceci qu’un courant politique, au départ majoritaire, a versé dans la violence à outrance après l’arrêt des élections dont il avait remporté le premier tour. Et ce choix de la violence s’explique en premier lieu, non par ce qui peut passer à première vue pour une injustice commise à son endroit, mais par sa nature de parti en réalité décidé à tout pour s’emparer du pouvoir et imposer au pays son programme fondamentaliste. Si la crise s’était développée en guerre civile, elle aurait pu se traduire à terme par une division territoriale. Mais ce qui n’aurait pas manqué de se produire dans tous les cas de figure, c’est la dualité du pouvoir politique, et l’islamisme dans cette hypothèse n’aurait eu aucun besoin de recourir à l’arme du terrorisme. L’Etat aurait éclaté, et la mêlée aurait été générale entre ceux qui auraient soutenu le nouveau pouvoir et, conséquemment, auraient mis un point d’honneur à arborer ses symboles, et ceux qui seraient restés fidèle à l’ordre politique tel qu’il était avant la crise. Si celle-ci avait évolué jusque-là, il n’est pas certain que tout le personnel politique aujourd’hui aux responsabilités aurait choisi le camp dans lequel il se range pour le moment, compte tenu de l’attitude pour le moins ambiguë observée par nombre de ses représentants tout le temps où le terrorisme paraissait de force à l’emporter. Ce n’était pas pur opportunisme de leur part, mais au contraire l’indice qu’ils étaient tout disposés à servir un autre régime, en l’occurrence la théocratie pour l’établissement de laquelle les groupes terroristes ravageaient le pays et massacraient leurs concitoyens.

    Si les intégristes de l’ex-Fis n’avaient d’autre programme que d’exercer le pouvoir dans le cadre de l’Etat existant, et pendant la durée du mandat obtenu par leurs candidats, ils n’auraient jamais pris prétexte de l’arrêt des élections pour basculer dans une violence tous azimuts. Ils auraient considéré cette mesure comme une provocation, comme un coup de force contre la légalité, et ils en auraient appelé à l’opinion nationale et internationale pour être rétablis dans leur droit. Mais une bonne partie des éléments de cette mouvance fondamentaliste ne s’étaient engagés dans ces premières élections législatives pluralistes qu’avec beaucoup de répugnance, et uniquement avec l’arrière-pensée de recourir à la violence si la voie des urnes ne débouchaient pas sur le pouvoir.

    Même s’ils avaient perdu ces élections, ils en seraient venus aux armes tôt ou tard. Si on les avait laissés jouir de leur victoire de décembre 1991, et former le gouvernement, ils n’auraient jamais accepté de cohabiter avec un président de la République appartenant à un autre camp que le leur, ni d’ailleurs de composer avec aucune institution qui ne se serait pas trouvée sous leur coupe. Les islamistes radicaux se trouvaient alors dans un état d’esprit révolutionnaire, ils n’auraient jamais admis de ne posséder qu’une partie du pouvoir. Ils n’admettaient déjà que difficilement d’avoir à passer par des élections pour y accéder.

    Le prétexte pour pousser leur avantage une fois les législatives remportées par eux était d’ailleurs tout trouvé : demander l’organisation d’une présidentielle anticipée, à la fois parce qu’ils avaient annoncé que telle était leur intention des semaines auparavant, et pour être en accord avec leur base qui n’aurait pas manqué de l’exiger, convaincus qu’ils étaient tous, dirigeants et simples militants, que rien n’était capable de leur barrer la route ou de leur résister.

    à suivre...
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

  • #2
    Suite de la Partie I

    A ne tenir compte que de ces données (parce qu’il en existait d’autres, l’islamisme n’étant pas une réalité purement nationale, mais un mouvement de dimension et à vocation internationales), force est de reconnaître qu’à ses débuts la violence revêtait un caractère massif, qu’elle n’a plus aujourd’hui, qu’elle a perdu en fait depuis des années, dès la deuxième moitié des années 1990. Il ne pouvait en être autrement du reste, puisque le mouvement intégriste grossissait sans cesse depuis au moins la révolution islamique en Iran, et ce dans tout le monde musulman, mais particulièrement en Algérie où il allait bientôt prendre, à la faveur d’une crise interne au régime, les allures d’une déferlante irrésistible, bien qu’il s’y soit affirmé plus tardivement qu’ailleurs. Ou bien cette vague gigantesque, qui enflait au fur et à mesure que se précisait la perspective de l’accession au pouvoir, allait renverser tout sur son passage, ou bien elle allait se briser contre un obstacle que sa première ligne avait cru pouvoir facilement déborder. C’est le deuxième terme de l’alternative qui, contre toute attente, va se produire en Algérie.

    Mais de là vient que la violence, au moment où elle éclate, implique un nombre considérable de personnes. En fait, tout ce que compte une mouvance d’éléments déterminés à rester sur leur élan quoi qu’il advienne, et dont, de plus, l’énergie est redoublée maintenant qu’ils se sentent victimes d’une injustice. A ses débuts donc, la violence est de type insurrectionnel.

    C’est à peu de chose près tout l’ex-Fis, principale force politique alors, qui s’insurge, en apparence contre l’arrêt des élections, mais en réalité parce que cette mesure prise à son détriment affranchit de ses dernières préventions sa fraction déjà désireuse de s’engager dans la lutte armée, dans le même temps où elle fait tomber ce qui reste d’attachement à la légalité chez ses militants les moins enclins à la violence. Ceux qui sont gagnés à cette dernière depuis longtemps, avant même que commence l’ouverture politique, au premier rang desquels sont bien sûr les vétérans de l’Afghanistan, se voient confortés dans l’idée que l’action armée est la seule qui soit payante, et ceux qui auraient préféré que la conquête du pouvoir se fasse dans le respect de la légalité, sont obligés de reconnaître à l’expérience que cette voie n’est pas praticable et que ce sont les premiers qui avaient raison dès le début.

    Ce premier type de violence, c’était déjà certes du terrorisme. Il faut d’ailleurs dire que l’enveloppe légale qu’était le FIS abritait sinon une branche militaire toute faite et prête à entrer en action à la première occasion venue, du moins les prémices de ce que seront plus tard les groupes armés. Il faut rappeler que dans ses manifestations de l’époque, figurait presque toujours un carré de combattants en tenue de paras, défilant au pas et poussant leur cri de guerre pour impressionner le badaud. On devait par la suite s’apercevoir qu’ils n’avaient pas été là uniquement pour la parade. Moins qu’un parti, le FIS était une nébuleuse composée de tout ce que le pays comptait de fondamentalistes prêts à en découdre, d’une façon ou d’une autre, bil sandouk aoua bil bandouk (par l’urne ou par le fusil), comme ils diraient plus tard, avec leur sens de la formule, à l’approche des législatives. Et s’étaient formées en son sein des brigades de nervis qui faisaient la loi dans les quartiers populaires, avec pour principale mission de forcer les femmes à se voiler.

    Le terrorisme est consubstantiel à l’islamisme radical, et peut-être même à l’islamisme tout court. Reste que ce mot est susceptible de revêtir plusieurs sens. Du fait que ce premier type de violence était exercé par un grand nombre des membres de la mouvance islamiste radicale, du plus aguerri au dernier des novices, il relevait plus de l’insurrection armée que du terrorisme dans le sens où ce mot est pris généralement, c’est-à-dire celui d’une violence plus ou moins aveugle et nihiliste commise par une minorité qui a désespéré d’entraîner les masses derrière elle. Au départ, c’est le parti majoritaire qui s’était soulevé, en apparence pour redresser un tort, en réalité pour s’emparer du pouvoir comme on cueille un fruit mûr, convaincu qu’il était qu’il suffisait de prêcher d’exemple pour que le peuple suive massivement et fait advenir la douala islamia, avec les fusils ou à mains nues, mais par la violence de toute façon. Pour nommer ce premier type de violence, mais surtout pour le distinguer de celui qui lui succèdera bientôt et qui dure jusqu’à présent, il conviendrait peut-être de le désigner par le terme de terreur plutôt que celui de terrorisme, le premier renvoyant à un phénomène de masse et le second à l’action d’une minorité qui a cessé de croire à l’utilité de l’action purement politique et dont le projet est révolutionnaire.

    Or l’islamisme radical, à la différence de l’islamisme modéré, est un mouvement révolutionnaire, qui avait atteint de surcroît à la fin des années 1980 et au début des années 1990, donc au moment où il raflait la mise aux élections, des dimensions telles qu’il se croyait sur le point de s’emparer du pouvoir. Quelques faits montraient dès ce moment qu’il n’en était rien, mais entraîné par sa vitesse acquise et victime de sa propre surenchère, il ne leur prêtait pour sa part aucune attention. Son écrasante victoire aux législatives interrompues aurait d’ailleurs achevé de convaincre ses dirigeants que le Grand Soir est arrivé, si tant est qu’ils soient restés circonspects. Or, bien avant ces élections, pour la tenue desquelles ils n’ont pas hésité à fomenter une grève insurrectionnelle, qui a échoué, ils étaient parvenus à se convaincre de l’inéluctabilité de leur victoire. Non pas seulement aux élections du moment, dont au fond ils se moquaient bien, mais contre le régime impie dont ils disaient qu’il les opprimait dès le départ, alors qu’en réalité il avait favorisé le développement de leur mouvement avant d’en perdre le contrôle.

    Cette première vague terroriste est particulière à l’Algérie. C’est qu’elle est aussi le seul pays arabe où le mouvement islamiste avait à la fois atteint une croissance suffisante et trouvé l’occasion de se lancer à l’assaut du pouvoir. Le seul autre exemple pouvant lui être comparé, c’est la révolution des mollahs en Iran. Les Iraniens auront d’ailleurs tout tenté pour que cette expérience aboutisse comme la leur. D’où la rupture à cette époque des relations diplomatiques entre les deux pays. Mais tant de choses séparent les deux pays à cet égard. Et d’abord le fait qu’il n’y a pas eu en Iran de vague terroriste insurrectionnelle comme celle qui a déferlé sur notre pays, mais tout au plus une période de terreur et d’épuration comme il arrive parfois quand survient un nouveau régime.

    M. Habili
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

    Commentaire


    • #3
      Bonsoir

      Situation sécuritaire

      Les deux phases du terrorisme (Partie 2)


      Le terrorisme de type insurrectionnel est un paradoxe. En toute logique, on ne peut parler à la fois de terrorisme et d’insurrection, mais seulement de l’un ou de l’autre, car dans le principe ils s’excluent mutuellement. C’est ce double aspect de la violence politique qui permettait aux deux camps en présence, les anti-islamistes convaincus d’une part, partisans d’une lutte sans concession contre les groupes armés, les islamistes radicaux et leurs alliés de tous bords de l’autre, d’estimer avoir raison l’un contre l’autre aussi longtemps que l’issue du conflit restait incertaine. Ce paradoxe ne pouvait se résoudre que dans le processus réel. L’insurrection enclenchée au lendemain de l’arrêt des élections dégénérait en terrorisme pur et simple, ou bien elle se généralisait pour embrasser tout le pays et toutes les couches sociales, et se développait en un mouvement révolutionnaire sous une forme reconnaissable.

      Au commencement de 1992, il y avait, en théorie tout ou moins, autant de raisons de privilégier l’une que l’autre possibilité. Précisons toutefois que si la violence trouvait son origine dans l’interruption des élections, et dans rien d’autre d’antérieur à cela, ceux qui pariaient sur son extension continue avaient bien plus de chance de se voir conforter ultérieurement dans leur position que ceux qui professaient un avis contraire. Il se trouve que la crise n’est pas provoquée par l’arrêt des premières législatives pluralistes, mais qu’elle commence des mois auparavant, à proprement parler dès l’amorce du processus d’ouverture politique consécutif aux émeutes d’octobre 1988. Les deux camps, avant que la situation ne tourne à la violence sans rémission, ont eu le temps de se mesurer l’un de l’autre. Et il faut dire que ce n’était pas à l’avantage des islamistes que ces préliminaires s’étaient soldés. Mais les islamistes radicaux, les salafistes comme on les nommera plus généralement par la suite, ne formaient pas une organisation politique capable de méditer les leçons du passé et de s’en pénétrer, et dont la direction pouvait contrôler les différentes tendances coexistant sous cette couverture commune qu’était l’ex-Fis.

      Les partisans de la voie pacifique étaient condamnés à être débordés par ceux qui ne croyaient qu’à la violence, qui s’y étaient préparés en conséquence, dès lors que l’option venait d’être démentie par la réalité. Pour autant, les deux tendances n’avaient rien d’irréconciliable, autrement elles n’auraient pas ralliées la même organisation. S’il existe une différence entre elles, celle-ci se situe au seul niveau de la préférence tactique, en particulier du fait que les représentants de l’une et de l’autre n’ont pas eu le même parcours. Alors que les premiers ont surtout investi le terrain politique, les autres ont plutôt évolué dans les filières guerrières, au premier rang desquels il faut compter ceux qui sont passés par l’Afghanistan.

      L’ex-Fis était rien moins qu’un parti discipliné. A vrai dire, c’était beaucoup plus une nébuleuse qu’un parti. Le fait de se demander ce qui aurait pu se produire s’il s’était présenté comme une base populaire soudée autour d’un organe de direction reconnu comme tel, et où un courant majoritaire impose ses vues à des fractions minoritaires, relève d’une certaine façon de la fiction. Il n’en est pas moins intéressant d’essayer d’imaginer le développement de la crise sur cette base. Dans ce cas de figure, il était possible que l’ex-Fis ne bascule pas dans la violence.

      En effet, le mode de fonctionnement d’un parti n’est pas celui d’une nébuleuse, où les liens organiques et hiérarchiques sont bien plus lâches que dans une formation politique ordinaire, et où la décision finale, notamment dans les moments fatidiques, revient presque toujours à la tendance la plus tentée par la violence. Un parti regroupant les islamistes radicaux qui aurait été bien tenu en mains par ses dirigeants, n’aurait pas suivi aussi facilement ceux des siens qui, les premiers, ont basculé dans la violence. Et dans ce cas, il est fort possible que le caractère insurrectionnel aurait pris le dessus sur la prédisposition déjà fortement marquée à la violence, peut-être jusqu’à l’étouffer complètement.

      Difficile de dire cependant quelle aurait été la tournure des événements. Ce parti supposé discipliné et qui a choisi de ne pas dévier de la voie pacifique en dépit du tort qu’il vient de subir, aurait-il conservé sa cohésion ou, au contraire, aurait-il éclaté ? Le plus probable est qu’il aurait fini à plus ou moins brève échéance par réaliser ses objectifs, peut-être pas tous en même temps, de même qu’il a réussi d’abord par se vaincre. Et peu importe si au fond il était minoritaire dans la société, car ce sont les minorités en mouvement qui font les révolutions, ou plus exactement qui en constituent le moteur.

      Le caractère insurrectionnel de la violence à ses débuts signifie que celle-ci ne visait pas à la prise du pouvoir directement, et du premier élan. Le but qu’elle recherchait c’était dans un premier temps sa propre généralisation. C’est bien ce qui se produisait du reste : on la voyait monter en puissance. Bientôt elle va s’étendre à toutes les grandes villes au nord du pays, comme un feu qui se propage et que rien ne semble en mesure d’arrêter La déferlante pourtant bute assez tôt sur un obstacle que ceux qui lui ont donné l’impulsion ne pouvaient pas prévoir.

      Ils ne pouvaient en effet s’imaginer que cette même société qui leur octroie la majorité écrasante aux élections, se refuse cependant à les suivre maintenant qu’ils veulent imposer par la voie forte le choix qu’elle-même a fait. Il leur semblait naturel que l’électeur qui vote pour eux soit aussi disposé à leur emboîter le pas en toutes circonstances, et pour n’importe quelle finalité. Ils aspiraient à la révolution théocratique, et ils pensaient, induits en erreur par le triomphe électoral que leur mouvance vient de remporter, que les larges masses n’étaient pas loin de se trouver dans le même état d’esprit que le leur, et qu’il leur suffisait de poursuivre leur effort pour que les indécis eux-mêmes basculent de leur côté.

      Expliquer pourquoi ce calcul ne s’est finalement pas réalisé, n’est pas chose aisée. Pourquoi une société opte largement pour un courant dans les élections, en l’occurrence l’islamisme radical, mais n’abonde pas dans le même sens que lui dès lors qu’il recourt à l’action armée, non pas du reste à contretemps, mais à un moment au contraire qui paraîtrait à tout autre que lui comme le plus indiqué ?

      à suivre....
      “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

      Commentaire


      • #4
        Suite et fin .

        On peut être tenté de répondre par la désinvolture à cette question et dire qu’en fait le problème est d’une grande simplicité. Si les choses se sont passées ainsi, ce serait parce qu’il n’existe pas quelque chose qu’on pourrait appeler une opinion nationale ou une société civile ; ou plutôt que celle-ci serait si changeante, si insaisissable que cette notion ne répondrait à aucune réalité précise. Par contre, ce qui existerait indubitablement, c’est un Etat et une armée, et ce serait contre cette double réalité que la lame de fond serait venue se briser. Mais il se trouve que le cours des événements s’inscrit complètement en faux contre ce point de vue, qui est pourtant monnaie courante, sous sa double forme, explicite ou implicite.

        Sous la première forme, quelques-uns de ses tenants n’ont pas craint de l’exprimer en affichant parfois tout leur mépris pour une société qui a enfanté le monstre, qui désormais lui fait violence de toutes les façons possibles. Sous la seconde, se regroupent à peu près tous les éclairages qui ramènent la crise à un seul coupable : le populisme, donné pour le seul courant politique capable d’obtenir le soutien massif du peuple, le seul à avoir accédé au pouvoir, et qui a le don de changer de couleur selon les circonstances.

        Ainsi, il était flniste quand le FLN n’était pas en crise et qu’il avait les moyens de faire face aux besoins essentiels du pays, et il n’aurait pas demandé mieux que de devenir fissiste si toute la liberté du choix lui était laissée. Mais quel que soit son avatar du moment, en fait c’est le même courant de pensée qui est à l’œuvre, et qui n’a cesse, lorsqu’il est chassé par la porte, de revenir par la fenêtre, en prenant soin dans l’intervalle de changer d’habit pour donner le changer, pour paraître autre qu’il n’est.

        La réalité, c’est qu’il est impossible de vaincre un terrorisme de type insurrectionnel si la société ne s’implique pas d’une façon ou d’une autre dans ce combat. En Algérie même, il aura fallu finalement peu de temps pour que celle-ci opte pour un camp contre l’autre.

        Pendant la phase ascendante du terrorisme, il n’était pas à exclure que l’insurrection armée évolue en un mouvement prenant de plus en plus les allures d’une poussée révolutionnaire. Il n’était déjà plus possible à des forces de sécurité, nécessairement travaillées par les mêmes idées que celles qui soulèvent la société tout entière, de briser à elles seules l’élan de la rébellion.

        Dès 1993, il se commettait un nombre incalculable d’attentats par jour, à peu près dans toute la partie du nord bien que ce soit à des degrés divers, et le reflux n’était guère envisageable. D’autant que le clivage était profond au niveau politique entre ceux qui sympathisaient avec le terrorisme sous différents motifs et ceux qui appelaient à la mobilisation générale contre lui.

        Sous cette première forme prise par le terrorisme, insurrectionnelle et pour l’essentielle urbaine, il aurait été impossible de prendre le dessus sur lui si la société s’était rangée de son côté (comme cela a d’ailleurs été le cas ici ou là dans le pays, partout en fait où l’ex-Fis régnait sans partage dans la situation antérieure), ou si seulement elle s’était cantonnée dans une attitude de neutralité.

        Il convient d’ailleurs de distinguer deux moments dans cette première phase, une phase ascendante, où les groupes terroristes paraissaient soutenus par au moins une partie des habitants là où ils étaient passés à l’action, et une autre, commençant dès le milieu des années 1990, où la population s’était retournée et mise à s’armer contre eux, notamment dans les campagnes et à la périphérie des villes. Il convient d’ailleurs de noter que la décrue n’a vraiment débuté qu’à partir du moment où la société s’était mise massivement à les combattre.

        S’il faut vraiment prendre l’aspect le plus caractéristique de cette période, on peut dire que la lutte antiterroriste était essentiellement prise en charge par la société, et que l’armée et la police agissaient comme des forces spéciales auxquelles on faisait appel pour achever le travail, en somme quand arrivait le moment où celui-ci nécessitait à la fois équipement adéquat et savoir-faire technique. C’est ainsi que vers la fin de cette période, les groupes agissant dans les villes, en particulier ceux qui étaient implantés dans la capitale, tombent l’un après l’autre à une cadence de plus en plus rapide.

        Mais déjà la mouvance terroriste s’est divisée en deux obédiences, l’une qui ne veut pas, ou plus exactement qui ne veut plus retourner les armes contre le peuple, et une autre, se situant en quelque sorte à l’extrême de l’extrême, qui entend au contraire le châtier pour être resté sourd à ses appels au djihad contre le pouvoir impie, et plus encore, pour avoir ensuite basculé dans le camp de l’ennemi, pour partie tout au moins. L’AIS et le GIA non seulement ont divorcé, mais se combattent à l’occasion. Toutefois, c’est au sein du second, qui sombre dans une violence de plus en plus barbare, que la guerre des chefs va s’exaspérer à mesure qu’il perd du terrain.

        Dès la fin des années 1990, le terrorisme, grâce à la mobilisation populaire, est battu en brèche et le feu qu’il a allumé tend à s’éteindre, aussi rapidement, semble-t-il qu’il s’est propagé. Il a cessé de représenter une réelle menace pour la stabilité du pays. C’est cette même société où pourtant l’idéologie d’où il procède a trouvé un terrain favorable, qui aura raison de lui.

        Sans doute ne l’a-t-elle pas enfanté, ou du moins n’a-t-elle pas été seule à le faire. L’intégrisme est en effet un phénomène international. Et c’est ailleurs qu’il est arrivé à maturité. C’est pourtant de tous les pays sunnites, en Algérie, que ce mouvement, à la faveur d’une crise de régime d’abord puis de l’ouverture politique, déborde les limites dans lesquelles il est confiné ailleurs, et déferle comme pour tout submerge.

        M. Habili

        Source: Les Débats
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        • #5
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