Un système fondé sur la séparation de l'autorité et de la responsabilité ne peut mener qu'à l'échec
par Abdelhalim Mouhou
Le Jeune Indépendant : Commençons par le commencement. Doit-on vous considérer comme un témoin ou comme un acteur de ce qui s’était passé en janvier 1992 ?
Sid Ahmed Ghozali : Je suis un acteur du service public depuis le premier jour de l’indépendance jusqu’au jour où j’ai quitté la fonction publique à la fin de 1993.
En 1992, j’étais un acteur, en tout cas, dans mon sentiment. Comment pouvez-vous imaginer qu’un chef de gouvernement en poste lors de cette période très difficile que nous avons vécue puisse accéder à la tête du gouvernement pour être un simple témoin ?
Des témoignages affirment que l’armée vous a proposé, en premier, la présidence du HCE et que vous auriez rejeté l’offre en rétorquant que vous vouliez accéder à la présidence de la République par la voie des urnes ?
Ce n’est pas exact ! Il y avait, disons, entre l’interruption du processus électoral, plus exactement depuis la démission de Chadli, jusqu’à la mise en place du HCE, beaucoup de discussions au sein du gouvernement, avec des représentants de la société civile et la classe politique.
Et c’est au cours de cette période et devant le vide politique laissé par la démission du président Chadli, qu’il y avait eu des idées avancées çà et là pour voir comment combler le vide institutionnel. Parmi les nombreuses idées qui ont été émises, il y a eu effectivement celle qui consistait à dire qu’étant donné que le plus haut responsable de l’Etat n’est plus à sa place, ses prérogatives passeraient provisoirement au niveau de la plus haute autorité à l’époque qui était le chef du gouvernement.
Il ne s’agissait donc pas du HCE. Vous voyez que c’est très différent ! Bon, il se trouve que j’avais écarté une telle idée pour des raisons très précises. C’est une solution qui risque d’accréditer l’idée qui avait été émise dès ma nomination, à savoir que j’avais été amené à la tête du gouvernement dans le cadre d’un mini-coup d’Etat pour remplacer Chadli.
C’étaient, bien évidemment, les partants qui avaient dit cela. Mais si, six mois après, le Président démissionnait et que c’est le chef du gouvernement qui le remplaçait, cela ne pourra qu’accréditer cette thèse. Bien sûr, nous sommes passés, dans cette histoire, pour certains, et surtout pour ceux à qui ça ne plaisait pas de ne plus être au pouvoir, pour des putschistes.
Nous avons pris la décision, en notre âme et conscience, parce que nous considérions que c’était le devenir même du pays qui était en jeu. C’était notre unique souci, et laissez-moi vous dire que ce n’était pas la décision d’une seule personne… Dans notre conviction de l’époque – et cette conviction n’a pas changé 16 ans après – c’était la fin de l’Algérie en tant que nation, et nous ne pouvions permettre cela.
Vous estimez que le départ de Chadli n’était pas un coup d’Etat même si, par exemple, M. Belaïd Abdesselam l’a qualifié de coup d’Etat et M. Khaled Nezzar reconnaît que c’était une «démission provoquée», ce qui revient presque au même… Un chef d’Etat, que ce soit Chadli, Bush ou n’importe qui, est toujours soumis à des pressions, toujours ! Les décisions les plus déterminantes se font toujours sur la base de pressions extérieures et/ou intérieures.
Certaines d’entre elles sont plus fortes que d’autres, mais cela veut-il dire que parce qu’il y a pressions, il y a coup d’Etat ?
Se baser, ou se fonder sur le fait que des pressions aient été exercées, en tout cas, je ne fais pas partie de ceux qui auraient exercé de telles pressions, pour parler de coup d’Etat.
Le fait d’établir qu’il y a eu des pressions ne signifie absolument pas qu’il y a eu démission forcée. Je dis que quand on parle de pressions, on n’apporte pas la preuve qu’on «a démissionné» Chadli.
A votre avis, avec le recul, pensez-vous que tout ce qui s’était passé en janvier 1992 était juste, mais qui a dérapé, ou c’était carrément une erreur puisqu’ayant coûté la vie à des dizaines de milliers de citoyens ?
Il s’est passé beaucoup de choses en janvier 1992.
Mais, là aussi, il y a des forces politiques en Algérie qui ont effectivement voulu faire croire que le bain de sang dans lequel l’Algérie est tombée était une conséquence de l’arrêt du processus électoral. On a mis dans la tête des Algériens qu’en fin de compte, ceux qui se sont engagés dans la violence l’ont fait à cause de l’interruption du processus électoral.
Ceux-là ne s’étaient pas engagés dans la violence uniquement après l’arrêt de ce processus, mais bien avant. La violence n’était pas aussi massive, mais les égorgements et les assassinats ont commencé bien avant l’arrêt du processus électoral.
Elle a commencé avant même ma propre nomination, 7 mois avant l’arrêt du processus électoral, ma nomination a été précédée par une situation insurrectionnelle, je le rappelle, et par l’instauration de l’état de siège.
Comment la tragédie dite nationale peut-elle être la conséquence de l’arrêt du processus électoral ?
Ce serait admettre, notamment et en d’autres termes, que le FIS s’était lancé dans la violence pour défendre la démocratie ! Je ne laisserai pas le monopole de la parole à ceux qui, précisément dès le départ et jusqu’à maintenant, ont voulu occulter les vraies raisons de la violence qui s’est instaurée en Algérie.
Cette violence était un aboutissement et non point due à l’arrêt du processus électoral, mais à une crise politique très grave dont les racines remontaient à plus de dix ans. Elle était née de facteurs politiques mais aussi de facteurs économiques.
Le pouvoir, dès la mort de Boumediene, ne s’est pas occupé, en tout cas pas correctement, des problèmes des Algériens. Ce qui fait que ces problèmes économiques se sont mus en une crise financière, ensuite en une crise sociale et morale et le point d’orgue, l’exacerbation en une crise politique ! Je l’avais dit en juillet 1991 lors de la présentation de mon programme devant l’Assemblée populaire nationale.
J’avais dit aux députés que notre problème à nous est que depuis l’indépendance aucun gouvernement, y compris le mien, ni aucune institution, y compris la votre, n’a été l’émanation de la volonté populaire. A cette occasion, j’avais dit que la situation qui s’est développée et la violence qui s’est instaurée ne sont qu’une réponse à une autre violence qui s’était instaurée avant.
Il y avait des forces politiques agrippées au pouvoir sans pour autant vouloir changer les choses et négligeant en plus les problèmes quotidiens du pays et des gens. A ces forces s’est ajoutée une autre force pour accaparer le pouvoir profitant de la situation qui s’était créée.
J’avais dit aussi, et c’était suffisamment grave sortant de la bouche d’un chef de gouvernement, qu’il y avait un antagonisme apparent entre ces deux forces. Mais que c’était un écran de fumée qui visait à couvrir une entreprise de partage de pouvoir.
Tout le monde sait maintenant que bien avant que je vienne au gouvernement, il y avait eu négociation et compromis entre le bureau politique du parti (FLN, NDLR) et le FIS pour arranger les élections afin de partager le pouvoir entre eux.
à suivre....
par Abdelhalim Mouhou
Le Jeune Indépendant : Commençons par le commencement. Doit-on vous considérer comme un témoin ou comme un acteur de ce qui s’était passé en janvier 1992 ?
Sid Ahmed Ghozali : Je suis un acteur du service public depuis le premier jour de l’indépendance jusqu’au jour où j’ai quitté la fonction publique à la fin de 1993.
En 1992, j’étais un acteur, en tout cas, dans mon sentiment. Comment pouvez-vous imaginer qu’un chef de gouvernement en poste lors de cette période très difficile que nous avons vécue puisse accéder à la tête du gouvernement pour être un simple témoin ?
Des témoignages affirment que l’armée vous a proposé, en premier, la présidence du HCE et que vous auriez rejeté l’offre en rétorquant que vous vouliez accéder à la présidence de la République par la voie des urnes ?
Ce n’est pas exact ! Il y avait, disons, entre l’interruption du processus électoral, plus exactement depuis la démission de Chadli, jusqu’à la mise en place du HCE, beaucoup de discussions au sein du gouvernement, avec des représentants de la société civile et la classe politique.
Et c’est au cours de cette période et devant le vide politique laissé par la démission du président Chadli, qu’il y avait eu des idées avancées çà et là pour voir comment combler le vide institutionnel. Parmi les nombreuses idées qui ont été émises, il y a eu effectivement celle qui consistait à dire qu’étant donné que le plus haut responsable de l’Etat n’est plus à sa place, ses prérogatives passeraient provisoirement au niveau de la plus haute autorité à l’époque qui était le chef du gouvernement.
Il ne s’agissait donc pas du HCE. Vous voyez que c’est très différent ! Bon, il se trouve que j’avais écarté une telle idée pour des raisons très précises. C’est une solution qui risque d’accréditer l’idée qui avait été émise dès ma nomination, à savoir que j’avais été amené à la tête du gouvernement dans le cadre d’un mini-coup d’Etat pour remplacer Chadli.
C’étaient, bien évidemment, les partants qui avaient dit cela. Mais si, six mois après, le Président démissionnait et que c’est le chef du gouvernement qui le remplaçait, cela ne pourra qu’accréditer cette thèse. Bien sûr, nous sommes passés, dans cette histoire, pour certains, et surtout pour ceux à qui ça ne plaisait pas de ne plus être au pouvoir, pour des putschistes.
Nous avons pris la décision, en notre âme et conscience, parce que nous considérions que c’était le devenir même du pays qui était en jeu. C’était notre unique souci, et laissez-moi vous dire que ce n’était pas la décision d’une seule personne… Dans notre conviction de l’époque – et cette conviction n’a pas changé 16 ans après – c’était la fin de l’Algérie en tant que nation, et nous ne pouvions permettre cela.
Vous estimez que le départ de Chadli n’était pas un coup d’Etat même si, par exemple, M. Belaïd Abdesselam l’a qualifié de coup d’Etat et M. Khaled Nezzar reconnaît que c’était une «démission provoquée», ce qui revient presque au même… Un chef d’Etat, que ce soit Chadli, Bush ou n’importe qui, est toujours soumis à des pressions, toujours ! Les décisions les plus déterminantes se font toujours sur la base de pressions extérieures et/ou intérieures.
Certaines d’entre elles sont plus fortes que d’autres, mais cela veut-il dire que parce qu’il y a pressions, il y a coup d’Etat ?
Se baser, ou se fonder sur le fait que des pressions aient été exercées, en tout cas, je ne fais pas partie de ceux qui auraient exercé de telles pressions, pour parler de coup d’Etat.
Le fait d’établir qu’il y a eu des pressions ne signifie absolument pas qu’il y a eu démission forcée. Je dis que quand on parle de pressions, on n’apporte pas la preuve qu’on «a démissionné» Chadli.
A votre avis, avec le recul, pensez-vous que tout ce qui s’était passé en janvier 1992 était juste, mais qui a dérapé, ou c’était carrément une erreur puisqu’ayant coûté la vie à des dizaines de milliers de citoyens ?
Il s’est passé beaucoup de choses en janvier 1992.
Mais, là aussi, il y a des forces politiques en Algérie qui ont effectivement voulu faire croire que le bain de sang dans lequel l’Algérie est tombée était une conséquence de l’arrêt du processus électoral. On a mis dans la tête des Algériens qu’en fin de compte, ceux qui se sont engagés dans la violence l’ont fait à cause de l’interruption du processus électoral.
Ceux-là ne s’étaient pas engagés dans la violence uniquement après l’arrêt de ce processus, mais bien avant. La violence n’était pas aussi massive, mais les égorgements et les assassinats ont commencé bien avant l’arrêt du processus électoral.
Elle a commencé avant même ma propre nomination, 7 mois avant l’arrêt du processus électoral, ma nomination a été précédée par une situation insurrectionnelle, je le rappelle, et par l’instauration de l’état de siège.
Comment la tragédie dite nationale peut-elle être la conséquence de l’arrêt du processus électoral ?
Ce serait admettre, notamment et en d’autres termes, que le FIS s’était lancé dans la violence pour défendre la démocratie ! Je ne laisserai pas le monopole de la parole à ceux qui, précisément dès le départ et jusqu’à maintenant, ont voulu occulter les vraies raisons de la violence qui s’est instaurée en Algérie.
Cette violence était un aboutissement et non point due à l’arrêt du processus électoral, mais à une crise politique très grave dont les racines remontaient à plus de dix ans. Elle était née de facteurs politiques mais aussi de facteurs économiques.
Le pouvoir, dès la mort de Boumediene, ne s’est pas occupé, en tout cas pas correctement, des problèmes des Algériens. Ce qui fait que ces problèmes économiques se sont mus en une crise financière, ensuite en une crise sociale et morale et le point d’orgue, l’exacerbation en une crise politique ! Je l’avais dit en juillet 1991 lors de la présentation de mon programme devant l’Assemblée populaire nationale.
J’avais dit aux députés que notre problème à nous est que depuis l’indépendance aucun gouvernement, y compris le mien, ni aucune institution, y compris la votre, n’a été l’émanation de la volonté populaire. A cette occasion, j’avais dit que la situation qui s’est développée et la violence qui s’est instaurée ne sont qu’une réponse à une autre violence qui s’était instaurée avant.
Il y avait des forces politiques agrippées au pouvoir sans pour autant vouloir changer les choses et négligeant en plus les problèmes quotidiens du pays et des gens. A ces forces s’est ajoutée une autre force pour accaparer le pouvoir profitant de la situation qui s’était créée.
J’avais dit aussi, et c’était suffisamment grave sortant de la bouche d’un chef de gouvernement, qu’il y avait un antagonisme apparent entre ces deux forces. Mais que c’était un écran de fumée qui visait à couvrir une entreprise de partage de pouvoir.
Tout le monde sait maintenant que bien avant que je vienne au gouvernement, il y avait eu négociation et compromis entre le bureau politique du parti (FLN, NDLR) et le FIS pour arranger les élections afin de partager le pouvoir entre eux.
à suivre....
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