Corruption socialisée en Algérie
par Abderrahmane Mebtoul*, Assisté de Mohamed Tayebi
« Il est universellement démontré qu'existe un lien dialectique entre bonne gouvernance économique et politique (dont la lutte contre la corruption) qui permet le développement avec un retour d'investissement à moyen terme de l'ordre de 300% et donc l'amélioration du niveau de vie de la majorité ».
Daniel Kaufmann, un des plus grands experts mondiaux.
LA REFORME GLOBALE EN PANNE
Suite à notre précédente contribution (1), cette modeste analyse pose la problématique de la moralisation de la société algérienne renvoyant à l'actualité des analyses ibn khaldouniennes de décadence de toute société anomique où les réserves de change ne sont qu'un signe monétaire et non synonyme de développement : méditons les expériences du syndrome hollandais (corrélation entre l'aisance financière et la corruption généralisée) et la Roumanie communiste qui avait une dette extérieure zéro mais une économie en ruine et une misère croissante. En effet, les différents scandales financiers à répétition atteignant une ampleur rarement égalée ces dernières années en Algérie, qui touchent l'ensemble des secteurs publics et privés, la corruption s'étant socialisée, relatés chaque jour par la presse nationale, dépassent souvent l'entendement humain du fait de leurs ampleurs, encore que tout Etat de droit suppose la présomption d'innocence afin d'éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Pourtant, ces constats témoignent de la désorganisation des appareils de l'Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures en cette période difficile de transition d'un système étatique à une véritable économie de marché concurrentielle tenant compte des nouvelles mutations mondiales. Ces scandales jouent comme facteur à la fois de démobilisation des citoyens par une névrose collective du fait que ces montants détournés sont la propriété de toute la collectivité nationale et comme frein à l'investissent national et international porteur de croissance et de création d'emplois durables à moyen et long terme. C'est ainsi que les organismes internationaux, dans leurs rapports 2004/2006, classent l'Algérie comme un des pays qui connaît un taux de corruption, un des plus élevé dans le monde (143ème sur 175, l'Egypte - 122ème, le Maroc 105ème, la Tunisie 96ème étant mieux classés, la palme d'or revenant au Nigeria). Par voie de conséquence, hommes d'affaires tant nationaux qu'étrangers du fait du manque de visibilité dans la démarche de la réforme globale, se réfugient dans des segments de court terme (importation, infrastructures notamment fonction du programme de soutien à la relance économique), sans risques, étant assurés d'être payés du fait de l'importance des liquidité bancaires et des réserves de change allant vers plus de 100 milliards de dollars US fin 2007, non fruit du travail, mais essentiellement à l'envolée des prix des hydrocarbures, l'Algérie important presque tout, assistant paradoxalement à l'exode massif de ses cerveaux du fait de leur dévalorisation et l'importation de l'assistance étrangère dont le poste au niveau de la balance de paiement risque à terme de remplacer le montant de l'endettement extérieur qui, grâce aux remboursements par anticipation, est inférieur à 5 milliards de dollars US fin 2006, posant un problème de dépendance encore plus grave pour le pays. Le divorce entre les objectifs et les moyens de réalisation (faiblesse des capacités d'absorption) entraîne un gaspillage des ressources rares, avec une mauvaise gestion généralisée que l'on voile par de l'activisme et sans bilans réels, une fuite en avant dans des projets non matures, ensuite mal faits, souvent réévalués expliquant la dégringolade du taux de croissance inférieur à 3% en 2006 selon la Banque mondiale, malgré des dépenses monétaires sans précédent expliquant que le rapport de la Banque mondiale 2006 en termes d'efficacité économique l'Algérie est classée la dernière au Maghreb derrière la Mauritanie. Or, existe une loi fondamentale en économie : le taux d'emploi, et donc la baisse du taux de chômage, tenant compte de la pression démographique (arrivée chaque année de 450.000/500.000 demandes d'emplois additionnelles qui s'additionnent au stock du taux de chômage actuel sous-estimé, surtout le segment féminin) est fonction du taux de croissance et des structures des taux de productivité. On ne peut assister à une baisse du taux de croissance et paradoxalement affirmer que le taux de chômage diminue ou que le pouvoir d'achat augmente, amplifié par la concentration excessive des revenus au profit d'une minorité rentière et non d'entrepreneurs mus par la création de richesses, sinon nos politiques algériens devraient déposer un brevet ou postuler à un prix Nobel d'économie.
D'où l'importance d'un discours de vérité, rien que la vérité, évitant tant de verser dans la sinistrose que dans l'auto-satisfaction néfaste, renvoyant à une autre culture d'Etat et donc de la mise en place de mécanismes transparents impliquant plus de liberté, d'efficacité économique, de justice sociale, de moralité des institutions et de démocratie tenant compte de l'ouverture sur la modernité, tout en tenant compte de notre authenticité; bref, posant la problématique de la refondation de l'Etat.
REFONDATION DE L'ETAT TENANT COMPTE
DE NOTRE ANTHROPOLOGIE CULTURELLE
DE NOTRE ANTHROPOLOGIE CULTURELLE
La prospérité ou le déclin des civilisations de l'Orient et de l'Occident avec ce brassage des cultures à travers le temps, ont montré qu'il ne s'agit pas de renier les traditions positives qui, moulées dans la trajectoire de la modernité, peuvent être facteurs de développement : l'expérience du Japon, de la Chine, de l'Inde et de bon nombre de pays émergents l'attestent car un peuple sans sa culture est comme un peuple sans âme. Or, l'absence d'une élite organique agissante en Algérie capable d'élaborer des idées structurantes et peser par ses analyses sur les tendances et les choix majeurs qui fondent et marquent le lien social, se fait cruellement sentir. Ce vide culturel a des incidences sur la décrédibilisation de la politique, ce qui réduit l'influence de l'élite politique qui, avec la tendance actuelle de son discours, risque d'être disqualifiée. Et le vide, si vide il y a, risque alors en cas d'un désespoir majeur de nourrir les appétits dormants ou naissants de franges en gestation. La tendance laborieusement démocratique qui se dessine alors perdrait l'essentiel de ses acteurs car la société civile avec les archaïsmes qui traversent bon nombre de ses segments, ne peut assurer à elle seule l'aboutissement du processus démocratique en cours dans notre pays. Car, les exigences d'un Etat fort de sa droiture et de son droit, si elles constituent un outil vital pour la cohésion nationale et le destin de la nation, ne doivent pas occulter les besoins d'autonomie de pouvoirs locaux qui doivent être restructurés en fonction de leur histoire anthropologique et non en fonction des nécessités électoralistes ou clientélistes. La refondation de l'Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile, passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. Quand le Président Bouteflika évoque pour ceux qui veulent bien l'entendre (est-il véritablement entendu ?) la fin de l'Etat de la mamelle, puis celle de la légitimité révolutionnaire, il signifie surtout que le pouvoir bienfaisant ou de bienfaisance inauguré comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l'échange d'une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. C'est la norme du droit qui reprend sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté. La gouvernance bonne ou mauvaise prend sa source de l'esprit des lois et non des fantaisies chatouilleuses.
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