Débat Bouteflika : huit ans après, quel bilan ?
La fermeture du champ politique
Toujours dans la colonne débit, il convient de signaler une autre « réussite » du président : le fermeture totale du champ politique et la mise entre parenthèses du jeu démocratique. En effet, le chef de l’Etat a non seulement refusé l’agrément de nouveaux partis appartenant à des mouvances diverses qui auraient pu changer quelque peu le paysage politique national, mais il a pratiquement interdit aux partis de l’opposition d’activer librement. Pour ce faire, il a en permanence refusé l’abrogation de la loi sur l’état d’urgence. Etat d’urgence maintenu malgré « le retour à la paix » revendiqué par le clan présidentiel. La main du Président est aussi présente dans les divisions et les scissions dans les partis et les mouvements d’opposition : les partis Ennahda et El Islah ont été victimes des manœuvres du clan présidentiel ; la création d’un troisième parti kabyle l’UNR d’Amara Benyounès (très vite agréé) chargé de concurrencer les deux autres, trop ancrés dans l’opposition, porte aussi la signature du président. Il en est de même du dynamitage, du mouvement citoyen (Arouch) qui a explosé en diverses tendances et qui, aujourd’hui, a perdu toute crédibilité. Même les partis de l’alliance présidentielle n’échappent pas aux risques de déstabilisation de la part du clan présidentiel, de manière à les maintenir toujours sous pression et à les rappeler à « leur devoir » de soutien sans faille, et à la politique du chef de l’Etat (tout le monde se rappelle l’action des « redresseurs » au sein du parti du FLN qui, sous la houlette d’Ali Benflis, avait eu des velléités d’indépendance vis-à-vis du président et de la féroce reprise en main qui s’en est suivie). La fermeture du champ politique n’a été rendue possible que parce que le champ audiovisuel est lui aussi fermé. Sans les médias lourds (radio et télévision), aucune ouverture politique n’est possible. Les partis d’opposition n’ont aucune chance de se faire entendre des citoyens sans la radio et la télévision. Or, les médias audiovisuels sont aux ordres entre les mains de l’Etat ; ils le resteront encore longtemps, par la volonté d’un président qui refuse toute ouverture du champ audiovisuel au privé, national et/ou étranger. Les champs politique et audiovisuel ne s’ouvrent qu’épisodiquement et au moment des élections. Et, encore, ne s’ouvrent-ils que pour crédibiliser des élections qui, sans cette mini-ouverture, ressembleraient aux élections d’antan, celles qui se déroulaient sous le régime du parti unique. L’ouverture réelle, celle qui permettrait une réelle activité démocratique, n’est pas pour demain : le président, qui a horreur du multipartisme (il l’a plusieurs fois déclaré), a mis en place un système qui donne l’impression d’être multipartisan mais qui, en réalité, fonctionne comme dans un régime de parti unique ou de parti dominant. Les trois partis de l’alliance ne sont, en réalité, que les trois facettes d’un mouvement plus large, une sorte de front qui regroupe les nationalistes, les islamistes et les modernistes (à défaut d’un autre qualificatif plus adéquat pour définir le RND). Car, même si ces trois partis gardent leur autonomie organisationnelle, il n’en demeure pas moins qu’ils activent tous dans un but unique : appliquer le programme du président de la République, et seulement lui. Les partis d’opposition, quant à eux, ne sont là que pour donner du système politique algérien une image fausse, de régime démocratique. Aucun des partis qui campent délibérément dans l’opposition au président n’a de chance d’arriver, un jour, relativement proche, au pouvoir, ni même de le partager. On peut facilement imaginer un gouvernement qui comprendrait des ministres venant d’horizons divers (y compris des ministres du Parti des travailleurs de Louiza Hanoune ou du RCD de Saïd Sadi) à la condition expresse, toutefois, que les partis dont ils sont originaires prêtent allégeance et adoptent le programme du Président.
La mise sous surveillance de la presse indépendante
La colonne débit du Président s’alourdit un peu plus par la mise sous surveillance étroite de la presse indépendante. Cette dernière, du moins les journaux les plus importants et les plus lus, s’est assez rapidement située dans le camp de l’opposition au président Bouteflika et à sa politique de main tendue aux islamistes (grâce amnistiante et réconciliation nationale). Les critiques, souvent sévères et touchant plus l’homme que sa politique, n’ont pas manqué qui n’ont pas eu l’heur de plaire au clan présidentiel. Et si, au début de son premier mandat, le chef de l’Etat se félicitait de n’avoir mis aucun journaliste en prison ni d’avoir procédé à la fermeture d’aucun journal, il a rapidement changé de position et mis sous haute surveillance et sous pression la presse privée. Pression économique, en faisant jouer la « commercialité » des imprimeries d’Etat (qui avaient le monopole du tirage des journaux) qui réclamaient le payement immédiat des créances détenues sur les journaux les plus virulents à l’encontre de la politique du chef de l’Etat. Le nombre de journaux empêchés de paraître, parfois pendant des semaines, pour non règlement immédiat de leur dette, se comptait par dizaines. Pression judiciaire en application d’une loi sur la presse très sévère, prévoyant la prison pour les journalistes et les éditeurs et de très fortes amendes pour les journaux qui peuvent se trouver, ainsi, mis en état de faillite et de dépôt de bilans. Beaucoup de journalistes et d’éditeurs ont été poursuivis en application de la nouvelle loi (appelée, par ironie, code pénal bis). Les condamnations à la prison ferme ont été nombreuses, bien que la majorité des condamnés n’ait pas été enfermée en attendant les recours. Un quotidien — le Matin — a été mis en faillite et ses actifs mis en vente ; son directeur a passé deux années entières en prison après avoir été condamné, non pas pour un délit de presse, mais pour un « délit économique ». En fait, il payait les prix d’une opposition intransigeante au Président et à sa politique et d’une liberté d’écriture qui refusait les limites imposées par le pouvoir en place. La mésaventure de Mohamed Benchicou a beaucoup joué dans le fait que le ton général de la presse indépendante est devenu moins virulent à l’égard du Président, de son clan et de sa politique. On a même vu des quotidiens, hier, sévèrement critiques envers « le pouvoir », ses hommes et son programme, devenir subitement de fervents soutiens du Président et de son œuvre.
La maladie du président et la révision de la constitution
La grande inconnue pour l’avenir immédiat du système mis en place par le Président réside dans l’état de santé du chef de l’Etat. C’est probablement le secret d’Etat le mieux gardé (à l’image de ce qui s’était passé pour feu le président Boumediène). Toute l’Algérie bruit de rumeurs alarmantes sur la maladie du Président. Personne ne croit au discours officiel ni aux images et vidéos présentant un président toujours très actif et en bonne santé. La question que pose l’état de santé du Président est relative au devenir du système qu’il a mis en place et à la réforme constitutionnelle qui devait avoir lieu, en 2006, mais qui a été reportée à plus tard pour des raisons non dites. Bouteflika est-il physiquement en état de briguer un troisième mandat et de le mener à son terme ? Le secret pesant qui entoure la maladie du Président ne permet pas de donner une réponse à cette question. Ce qui est certain, c’est que Bouteflika est désireux de changer la Constitution de manière, d’une part, à se libérer du carcan trop limitatif des deux mandats et, d’autre part, à instaurer un régime véritablement présidentiel qui permettrait au système qu’il a mis en place de lui survivre. En effet, si le Président disparaît subitement sans avoir préparé sa succession, le danger est réel de voir revenir en force le clan des généraux qu’il a si difficilement éloigné du pouvoir. Ce serait faire injure à son intelligence et à ses capacités manœuvrières que de croire qu’il n’est pas en train de préparer l’avenir, le sien propre et celui de son système. La révision constitutionnelle aura bien lieu. La seule question qui se pose encore est la date à laquelle elle se fera : en 2007, 2008 ou 2009, juste avant les futures élections présidentielles ? Si son état de santé le permet, nul doute qu’il reportera cette date au plus loin possible, sans pour autant attendre 2009. La nouvelle Constitution instaurera certainement un régime présidentiel à l’américaine avec la désignation d’un vice-président qui prendra automatiquement la relève en cas de disparition en cours de mandat du Président. C’est la seule manière de faire perdurer le système qu’il a mis en place en choisissant lui-même son successeur parmi sa famille politique (FLN ou RND) ou parmi ses proches.
La fermeture du champ politique
Toujours dans la colonne débit, il convient de signaler une autre « réussite » du président : le fermeture totale du champ politique et la mise entre parenthèses du jeu démocratique. En effet, le chef de l’Etat a non seulement refusé l’agrément de nouveaux partis appartenant à des mouvances diverses qui auraient pu changer quelque peu le paysage politique national, mais il a pratiquement interdit aux partis de l’opposition d’activer librement. Pour ce faire, il a en permanence refusé l’abrogation de la loi sur l’état d’urgence. Etat d’urgence maintenu malgré « le retour à la paix » revendiqué par le clan présidentiel. La main du Président est aussi présente dans les divisions et les scissions dans les partis et les mouvements d’opposition : les partis Ennahda et El Islah ont été victimes des manœuvres du clan présidentiel ; la création d’un troisième parti kabyle l’UNR d’Amara Benyounès (très vite agréé) chargé de concurrencer les deux autres, trop ancrés dans l’opposition, porte aussi la signature du président. Il en est de même du dynamitage, du mouvement citoyen (Arouch) qui a explosé en diverses tendances et qui, aujourd’hui, a perdu toute crédibilité. Même les partis de l’alliance présidentielle n’échappent pas aux risques de déstabilisation de la part du clan présidentiel, de manière à les maintenir toujours sous pression et à les rappeler à « leur devoir » de soutien sans faille, et à la politique du chef de l’Etat (tout le monde se rappelle l’action des « redresseurs » au sein du parti du FLN qui, sous la houlette d’Ali Benflis, avait eu des velléités d’indépendance vis-à-vis du président et de la féroce reprise en main qui s’en est suivie). La fermeture du champ politique n’a été rendue possible que parce que le champ audiovisuel est lui aussi fermé. Sans les médias lourds (radio et télévision), aucune ouverture politique n’est possible. Les partis d’opposition n’ont aucune chance de se faire entendre des citoyens sans la radio et la télévision. Or, les médias audiovisuels sont aux ordres entre les mains de l’Etat ; ils le resteront encore longtemps, par la volonté d’un président qui refuse toute ouverture du champ audiovisuel au privé, national et/ou étranger. Les champs politique et audiovisuel ne s’ouvrent qu’épisodiquement et au moment des élections. Et, encore, ne s’ouvrent-ils que pour crédibiliser des élections qui, sans cette mini-ouverture, ressembleraient aux élections d’antan, celles qui se déroulaient sous le régime du parti unique. L’ouverture réelle, celle qui permettrait une réelle activité démocratique, n’est pas pour demain : le président, qui a horreur du multipartisme (il l’a plusieurs fois déclaré), a mis en place un système qui donne l’impression d’être multipartisan mais qui, en réalité, fonctionne comme dans un régime de parti unique ou de parti dominant. Les trois partis de l’alliance ne sont, en réalité, que les trois facettes d’un mouvement plus large, une sorte de front qui regroupe les nationalistes, les islamistes et les modernistes (à défaut d’un autre qualificatif plus adéquat pour définir le RND). Car, même si ces trois partis gardent leur autonomie organisationnelle, il n’en demeure pas moins qu’ils activent tous dans un but unique : appliquer le programme du président de la République, et seulement lui. Les partis d’opposition, quant à eux, ne sont là que pour donner du système politique algérien une image fausse, de régime démocratique. Aucun des partis qui campent délibérément dans l’opposition au président n’a de chance d’arriver, un jour, relativement proche, au pouvoir, ni même de le partager. On peut facilement imaginer un gouvernement qui comprendrait des ministres venant d’horizons divers (y compris des ministres du Parti des travailleurs de Louiza Hanoune ou du RCD de Saïd Sadi) à la condition expresse, toutefois, que les partis dont ils sont originaires prêtent allégeance et adoptent le programme du Président.
La mise sous surveillance de la presse indépendante
La colonne débit du Président s’alourdit un peu plus par la mise sous surveillance étroite de la presse indépendante. Cette dernière, du moins les journaux les plus importants et les plus lus, s’est assez rapidement située dans le camp de l’opposition au président Bouteflika et à sa politique de main tendue aux islamistes (grâce amnistiante et réconciliation nationale). Les critiques, souvent sévères et touchant plus l’homme que sa politique, n’ont pas manqué qui n’ont pas eu l’heur de plaire au clan présidentiel. Et si, au début de son premier mandat, le chef de l’Etat se félicitait de n’avoir mis aucun journaliste en prison ni d’avoir procédé à la fermeture d’aucun journal, il a rapidement changé de position et mis sous haute surveillance et sous pression la presse privée. Pression économique, en faisant jouer la « commercialité » des imprimeries d’Etat (qui avaient le monopole du tirage des journaux) qui réclamaient le payement immédiat des créances détenues sur les journaux les plus virulents à l’encontre de la politique du chef de l’Etat. Le nombre de journaux empêchés de paraître, parfois pendant des semaines, pour non règlement immédiat de leur dette, se comptait par dizaines. Pression judiciaire en application d’une loi sur la presse très sévère, prévoyant la prison pour les journalistes et les éditeurs et de très fortes amendes pour les journaux qui peuvent se trouver, ainsi, mis en état de faillite et de dépôt de bilans. Beaucoup de journalistes et d’éditeurs ont été poursuivis en application de la nouvelle loi (appelée, par ironie, code pénal bis). Les condamnations à la prison ferme ont été nombreuses, bien que la majorité des condamnés n’ait pas été enfermée en attendant les recours. Un quotidien — le Matin — a été mis en faillite et ses actifs mis en vente ; son directeur a passé deux années entières en prison après avoir été condamné, non pas pour un délit de presse, mais pour un « délit économique ». En fait, il payait les prix d’une opposition intransigeante au Président et à sa politique et d’une liberté d’écriture qui refusait les limites imposées par le pouvoir en place. La mésaventure de Mohamed Benchicou a beaucoup joué dans le fait que le ton général de la presse indépendante est devenu moins virulent à l’égard du Président, de son clan et de sa politique. On a même vu des quotidiens, hier, sévèrement critiques envers « le pouvoir », ses hommes et son programme, devenir subitement de fervents soutiens du Président et de son œuvre.
La maladie du président et la révision de la constitution
La grande inconnue pour l’avenir immédiat du système mis en place par le Président réside dans l’état de santé du chef de l’Etat. C’est probablement le secret d’Etat le mieux gardé (à l’image de ce qui s’était passé pour feu le président Boumediène). Toute l’Algérie bruit de rumeurs alarmantes sur la maladie du Président. Personne ne croit au discours officiel ni aux images et vidéos présentant un président toujours très actif et en bonne santé. La question que pose l’état de santé du Président est relative au devenir du système qu’il a mis en place et à la réforme constitutionnelle qui devait avoir lieu, en 2006, mais qui a été reportée à plus tard pour des raisons non dites. Bouteflika est-il physiquement en état de briguer un troisième mandat et de le mener à son terme ? Le secret pesant qui entoure la maladie du Président ne permet pas de donner une réponse à cette question. Ce qui est certain, c’est que Bouteflika est désireux de changer la Constitution de manière, d’une part, à se libérer du carcan trop limitatif des deux mandats et, d’autre part, à instaurer un régime véritablement présidentiel qui permettrait au système qu’il a mis en place de lui survivre. En effet, si le Président disparaît subitement sans avoir préparé sa succession, le danger est réel de voir revenir en force le clan des généraux qu’il a si difficilement éloigné du pouvoir. Ce serait faire injure à son intelligence et à ses capacités manœuvrières que de croire qu’il n’est pas en train de préparer l’avenir, le sien propre et celui de son système. La révision constitutionnelle aura bien lieu. La seule question qui se pose encore est la date à laquelle elle se fera : en 2007, 2008 ou 2009, juste avant les futures élections présidentielles ? Si son état de santé le permet, nul doute qu’il reportera cette date au plus loin possible, sans pour autant attendre 2009. La nouvelle Constitution instaurera certainement un régime présidentiel à l’américaine avec la désignation d’un vice-président qui prendra automatiquement la relève en cas de disparition en cours de mandat du Président. C’est la seule manière de faire perdurer le système qu’il a mis en place en choisissant lui-même son successeur parmi sa famille politique (FLN ou RND) ou parmi ses proches.
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