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Interview. Jorvan Vieira. “Sunnites et Chiites refusaient de se passer le ballon”

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  • Interview. Jorvan Vieira. “Sunnites et Chiites refusaient de se passer le ballon”

    L’entraîneur brésilien Jorvan Vieira, l’ancien adjoint de Mehdi Faria lors du Mondial 86, a créé la surprise lors de la dernière Coupe d’Asie des nations en menant la sélection irakienne de football au sacre continental. Retour, avec le coach, sur une aventure sportive, mais d’abord humaine.


    Le 29 juillet, deux mois seulement après avoir pris les rênes de la sélection irakienne, vous remportez la Coupe d’Asie des nations. Comment avez-vous réussi ce coup de poker ?
    C’est vrai que nous avons enregistré des résultats extraordinaires, mais
    e préfère parler de challenge plutôt que de coup de poker. Le secret ? Il n’y en a pas ! Mon staff et moi, grâce à notre savoir-faire, notre expérience, notre sérieux et bien sûr beaucoup de travail, avons tout simplement su comment gérer au mieux cette équipe.

    Sincèrement, pensiez-vous aller aussi loin dans la compétition ?
    Les gens qui me connaissent savent que je suis quelqu’un de très gourmand (rires). Le jour où j’ai pris mes nouvelles fonctions, j’ai réuni tous les joueurs pour leur distribuer un planning très détaillé s’étalant jusqu’au 29 juillet, jour de la finale. À la vue de ce document, ces derniers se sont tous regardés et, instinctivement, se sont mis à sourire. Ils devaient probablement se dire que j’étais fou.

    Compte tenu des problèmes que connaît l’Irak, votre tâche n’a pas dû être des plus faciles…
    En effet ! Il y avait d’abord énormément de frictions avec les responsables de la Fédération irakienne de football, qui n’adhéraient pas totalement à mes méthodes, sachant que je suis très méticuleux dans mon travail, voire “emmerdant” des fois. Du côté de l’organisation, ce n’était pas fameux non plus. En Jordanie, où nous étions installés tout au long de notre préparation, les terrains gazonnés se comptent sur les doigts d’une main, certains joueurs ne se sont pas faits à la nourriture locale… Sans oublier que j’avais de sérieux conflits ethniques au sein du groupe entre les chiites et les sunnites, qui ne communiquaient pas entre eux et, pire, ne voulaient même pas se passer le ballon sur le terrain. Cela m’a tellement énervé qu’un jour j’ai quitté le camp d’entraînement, mais les joueurs se sont très vite rendu compte de la responsabilité qu’ils avaient sur les épaules. Ils m’ont retrouvé dans ma chambre d’hôtel et présenté leurs excuses, me promettant que, dorénavant, ils allaient tous faire de leur mieux.

    Vous n’avez pas été, non plus, épargné par les actes de violence qui frappent quotidiennement l’Irak…
    Tout à fait. Notre physiothérapeute, qui devait nous rejoindre en Jordanie, a été tué par une bombe à Bagdad alors qu’il faisait la queue pour acheter son billet d’avion. Notre gardien de but, une des révélations du tournoi, a, quant à lui, perdu son demi-frère… Ce genre de nouvelles nous parvenait tous les jours. C’était même devenu notre lot quotidien. Mais ce qui nous a le plus choqués, c’est la mort de cinquante personnes en Irak, le soir de notre qualification pour la finale. Nous étions à l’hôtel en train de fêter l’évènement lorsque nous avons appris la nouvelle. Tout le monde s’est alors mis à pleurer en regardant dans le hall de l’hôtel les images affreuses diffusées par la télévision. Les joueurs, choqués, disaient alors que gagner n’avait plus aucune importance, puisqu’en en cas de victoire ou de défaite, il y aura de toutes les manières des morts.

    Comment avez-vous géré cette situation ?
    J’admets que cela n’a pas été du tout facile, l’ensemble des joueurs était dans un état psychologique déplorable. J’ai dû les réunir et leur parler durant de longues heures pour leur faire comprendre qu’il fallait continuer à se battre pour donner un peu de bonheur et d’espoir au peuple irakien. Et puis, ce qui m’a le plus aidé dans la gestion de cette situation, c’est la confiance aveugle qu’ils avaient en moi. Vous savez, j’ai été plus qu’un entraîneur pour eux. Vu leur état psychologique, je me devais d’être aussi leur père, leur frère et leur confident. Ils venaient dans ma chambre me raconter leurs problèmes, me demander conseil et, figurez-vous que, malgré mon âge, je jouais même à la Playstation avec eux (rires). À mon tour, j’ai aussi énormément appris à leurs côtés, ils ont été tout à fait admirables. C’était un honneur pour moi de les côtoyer.

    Vous auriez pu poursuivre cette idylle en les coachant jusqu’à à la prochaine Coupe du Monde, pourtant vous avez préféré démissionner…
    C’est vrai que j’aurai pu prolonger mon contrat avec eux, mais pour des raisons personnelles, je ne l’ai pas fait. Ma mission étant accomplie et mes objectifs atteints, je me devais de partir. Mais un lien très fort m’unit toujours à ces joueurs avec qui j’ai vécu une expérience extraordinaire. Actuellement, il ne se passe pas un jour sans que l’un d’ eux ne me passe un coup de fil. Ils me racontent leur quotidien, me demandent mon avis concernant des propositions professionnelles qu’ils ont reçues…

    Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis ce fameux 29 juillet ?
    Déjà, j’ai beaucoup voyagé. Je sillonne le monde pour animer des conférences, donner des interviews, assister à des cérémonies... La semaine prochaine, par exemple, je dois me rendre à Bagdad où le Parlement local tiendra une session extraordinaire en notre honneur et devrait par la même occasion m’octroyer la nationalité irakienne ainsi qu’un passeport diplomatique. Je suis également attendu dans mon pays d’origine, le Brésil, pour être décoré par le président Lula qui m’a d’ailleurs téléphoné personnellement pour me féliciter. Toutes ces marques d’attention m’honorent et me font vraiment plaisir parce qu’elles sont une réponse à tous ceux qui n’ont pas cru en moi.

    Et professionnellement, où en êtes-vous ?
    Je ne me plains pas. J’ai reçu des offres d’un peu partout, à commencer par les pays du Golfe, et même du Maroc, puisque tout récemment le WAC a émis le souhait de faire appel à mes services. Il y a également des équipes nationales, notamment l’Australie, la Chine et la Corée du Sud qui m’ont contacté. Mais je préfère ne pas me précipiter. Je veux prendre tout mon temps pour étudier ces propositions. Et surtout, je veux me reposer. Le rythme de vie que j’ai mené durant cette période était infernal, je dormais à peine trois heures par nuit. Ce repos, je le mérite bien.

    Parcours. De Rio à Bagdad

    Celui qui a fait vibrer le coeur des Irakiens n’est pas un inconnu des Marocains. Souvenez-vous : 1986, le Mexique, les Lions de l’Atlas créent la surprise en parvenant à se qualifier pour les huitièmes de finale de la Coupe du Monde. À l’époque, l’adjoint de Mehdi Faria n’est autre que Jorvan Vieira. C’est d’ailleurs au Maroc que ce professeur d’éducation physique, qui parle pas moins de sept langues, formé au Brésil et en Allemagne, a glané le plus de titres. Avec l’équipe des FAR (toujours en tant que second de Faria), il décroche deux championnats (84-87), trois coupes du trône (84-85-86) et une coupe d’Afrique (85). Depuis, celui qu’on appelle au pays de la samba “El Professor”, et qui est marié à une Marocaine, a largement roulé sa bosse, essentiellement dans les pays du Golfe. En trente ans de carrière, cet instructeur de la Confédération asiatique de football et de la Fifa a tenu les rênes de 26 clubs et 4 équipes nationales (Maroc, Malaisie, Oman et Irak). Un record qui, semble t-il, vient d’inspirer un biographe suédois désirant retracer le parcours de Jorvan Vieira. Pour la postérité.
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