J'ai Trouvé ce Sujet Tres Interessant , il est un peu Ancien mais ca vaut la peine de le Poster
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Par Lahouari Addi, Le Quotidien d'Oran, 14 mai 2oo5
Les liens entre l’Algérie et le Maroc sont forts et réels et il est inutile de s’attarder à répéter des évidences: un seul peuple, une même histoire, etc. Ce dont ont besoin les Maghrébins, c’est qu’ils parlent de leurs échecs pour ouvrir les perspectives de développement.
A l’instar du monde arabe, le Maghreb accuse un retard important dans le développement économique et social en comparaison avec des pays comme la Corée du Sud, la Malaisie et même la Chine, devenue l’atelier du monde. Les Chinois fabriquent les jouets avec lesquels jouent les enfants du monde entier et en Algérie, ils construisent des logements que nous avons désappris à construire.
Aussi, je vais être critique, très critique vis-à-vis de l’Algérie et du Maroc et de leurs élites dirigeantes dont le bilan dans la gestion de l’Etat n’est pas brillant. Quant aux relations entre les deux pays, depuis les indépendances, elles se déclinent en termes de conflits, frontières, trabendo, visa, etc. Il sera évidemment question du Sahara occidental et il est temps de sortir du langage diplomatique pour se dire la vérité en face. La vérité que je vais dire, c’est celle de l’universitaire libre de toute attache politicienne et régionale et qui s’élève au-dessus des ethnocentrismes locaux qui compromettent l’avenir du Maghreb, communauté forte de bientôt 80 millions d’habitants. Le Doyen Moulay Rachid a parlé de la nécessité de restaurer la conscience. Je dirais qu’il faut restaurer la conscience critique dans les pratiques des universitaires et dans la vie quotidienne pour renforcer la culture civique.
Je serai donc critique pour différentes raisons. Tout d’abord, parce que les sciences sociales sont critiques. Toute société, aussi développée soit-elle, accuse un déficit d’humanité que la sociologie, l’histoire, l’anthropologie... pointent pour aider à prendre conscience de ce déficit. Concernant la société maghrébine, ce n’est pas d’un déficit dont elle souffre, c’est d’une faillite mesurée en termes de pauvreté, de chômage, d’inégalités, de hogra... La critique n’est pas l’expression d’un désespoir, elle est liée à l’espérance d’un changement de la situation présente. Le mouvement national au Maghreb avait gagné en pertinence historique parce qu’il était critique du système colonial qu’il a détruit. Mais au lendemain des indépendances, il avait perdu de sa dynamique parce qu’il s’était dévoyé dans le discours apologétique et l’idéalisation de notre passé. L’échec du nationalisme post-indépendance s’explique par son incapacité à critiquer les fondements culturels et idéologiques de la société maghrébine. J’y reviendrai dans la seconde partie.
Critiquer ne veut pas dire dénigrer ou attaquer verbalement des personnes. Si je dénigre, ce serait de l’auto-dénigrement, et mon cas relèverait de la psychanalyse. Mon approche critique cherche à contribuer à la prise de conscience pour sortir du sommeil profond dans lequel ont sombré les élites dirigeantes se complaisant dans un nationalisme autant étroit que stérile, dans ce que un grand Maghrébin appelait il y a déjà six siècles les ‘açabiyates.
Avant de développer, permettez-moi de dire qu’est-ce qui justifie mon attitude critique. Pourquoi me suis-je arrogé le droit de critiquer ? Tout d’abord, l’objet de ma critique est double: 1. le lien social et 2. les politiques publiques des Etats, ou plutôt leur absence.
l Critique du lien social. La société maghrébine a perdu de sa générosité d’antan, en cessant d’être traditionnelle (disparition des mécanismes de solidarité, des valeurs de rajla, karama, du nif, de la fierté...) tout en demeurant fermée à la modernité politique et à ses concepts d’autonomie individuelle, de liberté, de citoyenneté... Plus grave encore, nos sociétés combinent aujourd’hui les défauts de la tradition et ceux de la modernité en ce que désormais les restes de la tradition s’accommodent des inégalités de l’échange marchand et ses avatars, chômage et pauvreté. Il est frappant de constater que chez nous la pauvreté est moderne, dans ce sens que le chômage, les bidonvilles et les quartiers «bni oua skout» étaient inconnus du Maghreb pré-colonial, alors que la richesse et les fortunes privées sont traditionnelles, dans ce sens où elles sont ostentatoires et incapables de se transformer en capitaux créateurs d’emplois et de valeur. C’est vrai que la bourgeoisie au Maghreb est féodale, rentière, prédatrice, collée à l’Etat sans lequel elle disparaîtrait, ayant peur de produire la valeur et d’entrer en concurrence avec les Coréens et les Chinois. Bien sûr, cet Etat, son Etat lui refuse la possibilité de s’émanciper par la production craignant qu’elle ne devienne une force sociale autonome demandant la démocratie parlementaire. Dans ces conditions, le lien social tourne à la conflictualité sans perspectives et les plus pauvres, au lieu de revendiquer des réformes politiques et économiques, exigent un retour aux valeurs morales du passé idéalisé et mythifié. Aucune force sociale en vue à l’horizon, porteuse d’un projet moderne et démocratique, si ce n’est quelques individus courageux, militants d’associations, journalistes, étudiants... fichés par la police et vite dispersés quand ils manifestent. Aujourd’hui, la société au Maghreb semble fatiguée, après avoir donné naissance à un mouvement national vigoureux incarné par les Messali Hadj, Ben Bella, Aït Ahmed, Allal el Fassi, Ben Barka, Bourguiba... Les élites dirigeantes profitent et s’accommodent de cette fatigue pour jouir du pouvoir et de ses attributs matériels et symboliques.
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Par Lahouari Addi, Le Quotidien d'Oran, 14 mai 2oo5
Les liens entre l’Algérie et le Maroc sont forts et réels et il est inutile de s’attarder à répéter des évidences: un seul peuple, une même histoire, etc. Ce dont ont besoin les Maghrébins, c’est qu’ils parlent de leurs échecs pour ouvrir les perspectives de développement.
A l’instar du monde arabe, le Maghreb accuse un retard important dans le développement économique et social en comparaison avec des pays comme la Corée du Sud, la Malaisie et même la Chine, devenue l’atelier du monde. Les Chinois fabriquent les jouets avec lesquels jouent les enfants du monde entier et en Algérie, ils construisent des logements que nous avons désappris à construire.
Aussi, je vais être critique, très critique vis-à-vis de l’Algérie et du Maroc et de leurs élites dirigeantes dont le bilan dans la gestion de l’Etat n’est pas brillant. Quant aux relations entre les deux pays, depuis les indépendances, elles se déclinent en termes de conflits, frontières, trabendo, visa, etc. Il sera évidemment question du Sahara occidental et il est temps de sortir du langage diplomatique pour se dire la vérité en face. La vérité que je vais dire, c’est celle de l’universitaire libre de toute attache politicienne et régionale et qui s’élève au-dessus des ethnocentrismes locaux qui compromettent l’avenir du Maghreb, communauté forte de bientôt 80 millions d’habitants. Le Doyen Moulay Rachid a parlé de la nécessité de restaurer la conscience. Je dirais qu’il faut restaurer la conscience critique dans les pratiques des universitaires et dans la vie quotidienne pour renforcer la culture civique.
Je serai donc critique pour différentes raisons. Tout d’abord, parce que les sciences sociales sont critiques. Toute société, aussi développée soit-elle, accuse un déficit d’humanité que la sociologie, l’histoire, l’anthropologie... pointent pour aider à prendre conscience de ce déficit. Concernant la société maghrébine, ce n’est pas d’un déficit dont elle souffre, c’est d’une faillite mesurée en termes de pauvreté, de chômage, d’inégalités, de hogra... La critique n’est pas l’expression d’un désespoir, elle est liée à l’espérance d’un changement de la situation présente. Le mouvement national au Maghreb avait gagné en pertinence historique parce qu’il était critique du système colonial qu’il a détruit. Mais au lendemain des indépendances, il avait perdu de sa dynamique parce qu’il s’était dévoyé dans le discours apologétique et l’idéalisation de notre passé. L’échec du nationalisme post-indépendance s’explique par son incapacité à critiquer les fondements culturels et idéologiques de la société maghrébine. J’y reviendrai dans la seconde partie.
Critiquer ne veut pas dire dénigrer ou attaquer verbalement des personnes. Si je dénigre, ce serait de l’auto-dénigrement, et mon cas relèverait de la psychanalyse. Mon approche critique cherche à contribuer à la prise de conscience pour sortir du sommeil profond dans lequel ont sombré les élites dirigeantes se complaisant dans un nationalisme autant étroit que stérile, dans ce que un grand Maghrébin appelait il y a déjà six siècles les ‘açabiyates.
Avant de développer, permettez-moi de dire qu’est-ce qui justifie mon attitude critique. Pourquoi me suis-je arrogé le droit de critiquer ? Tout d’abord, l’objet de ma critique est double: 1. le lien social et 2. les politiques publiques des Etats, ou plutôt leur absence.
l Critique du lien social. La société maghrébine a perdu de sa générosité d’antan, en cessant d’être traditionnelle (disparition des mécanismes de solidarité, des valeurs de rajla, karama, du nif, de la fierté...) tout en demeurant fermée à la modernité politique et à ses concepts d’autonomie individuelle, de liberté, de citoyenneté... Plus grave encore, nos sociétés combinent aujourd’hui les défauts de la tradition et ceux de la modernité en ce que désormais les restes de la tradition s’accommodent des inégalités de l’échange marchand et ses avatars, chômage et pauvreté. Il est frappant de constater que chez nous la pauvreté est moderne, dans ce sens que le chômage, les bidonvilles et les quartiers «bni oua skout» étaient inconnus du Maghreb pré-colonial, alors que la richesse et les fortunes privées sont traditionnelles, dans ce sens où elles sont ostentatoires et incapables de se transformer en capitaux créateurs d’emplois et de valeur. C’est vrai que la bourgeoisie au Maghreb est féodale, rentière, prédatrice, collée à l’Etat sans lequel elle disparaîtrait, ayant peur de produire la valeur et d’entrer en concurrence avec les Coréens et les Chinois. Bien sûr, cet Etat, son Etat lui refuse la possibilité de s’émanciper par la production craignant qu’elle ne devienne une force sociale autonome demandant la démocratie parlementaire. Dans ces conditions, le lien social tourne à la conflictualité sans perspectives et les plus pauvres, au lieu de revendiquer des réformes politiques et économiques, exigent un retour aux valeurs morales du passé idéalisé et mythifié. Aucune force sociale en vue à l’horizon, porteuse d’un projet moderne et démocratique, si ce n’est quelques individus courageux, militants d’associations, journalistes, étudiants... fichés par la police et vite dispersés quand ils manifestent. Aujourd’hui, la société au Maghreb semble fatiguée, après avoir donné naissance à un mouvement national vigoureux incarné par les Messali Hadj, Ben Bella, Aït Ahmed, Allal el Fassi, Ben Barka, Bourguiba... Les élites dirigeantes profitent et s’accommodent de cette fatigue pour jouir du pouvoir et de ses attributs matériels et symboliques.
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