POINT DU JOUR
L’appel du large
Des chiffres. Dans toute leur sécheresse.
Un autre verdict. Sans appel. Nos jeunes ne tiennent pas en place. Veulent partir. Par tous les moyens. Même au péril de leur vie. L’appel du large. Plus pressant que par le passé. Qui ne reconnaît plus les frontières et ne s’accommode pas ou plus des procédures administratives souvent humiliantes pour décrocher le fameux sésame que reste ce «visa» pour le paradis. Quelque 2.340 harragas ont été interceptés en plein mer où sur les côtes algériennes durant les trois dernières années, a-t-on appris lors d'une rencontre-débat sur ce phénomène transnational, organisée par le ministère de la Solidarité nationale. A travers l’énormité des chiffres officiels communiqués à l’occasion, on apprécie aujourd’hui avec effarement le nouveau mode de «voyage» menant au paradis. Des milliers de jeunes, minés par le manque de perspectives, écrasés par un quotidien de plus en plus impossible à vivre, mettent le cap sur d’autres cieux jugés plus cléments. «Harraga», en arabe algérien dans le texte, un mot promis à la postérité, à une place dans une des prochaines éditions du dictionnaire Le Robert. Qui dit ce qu’il veut dire : brûler les frontières. Au péril de sa vie. Une définition certes sommaire mais qui a le mérite de souligner le malaise que vit une jeunesse qu’on sait impatiente de s’affirmer, fatiguée de vivre sur des promesses jamais tenues et de discours creux. «Harragas», un nouveau «métier», non sans risques, qu’exercent ces milliers de candidats à l’émigration clandestine parmi lesquels seule une infime minorité arrive à bon port. 2007, une année référence. Des chiffres, comme pour le terrorisme et les traumatismes qui en découlent, qui dérangent dans leur quiétude légendaire et leur confort douillet, les premiers responsables des espoirs déçus d’une jeunesse bridée et mal dans sa peau. Lasse d’attendre que les horizons s’ouvrent à leurs rêves. Entre le rêve et le cauchemar, une petite embarcation de fortune. La mort au bout d’une aventure plus que risquée. Des chiffres pour dire la détresse des candidats à ces bouts de «paradis» si proches mais si inaccessibles, ces destinations de «rêve» que sont l’Italie et l’Espagne, sauvés quotidiennement en mer d’une mort certaine. Nos côtes Est et Ouest ont vraiment la «cote». Sont devenues, bon an mal an, des destination prisées. A l’ombre desquelles prospèrent des filières de trafic de migrants, un nouveau commerce de la mort, une nouvelle race de vendeurs de mort proposant leurs services pour des traversées finissant pour beaucoup dans le drame. Jeudi, des jeunes expulsés d’Europe et des «harragas» qui n’ont pu passer au travers des mailles tissées par les forces navales, sont venus témoigner de leur expérience, d’une expérience douloureuse. Dans la foulée, des responsables ont évoqué l'«insuffisance et la faiblesse» du dispositif juridique se rapportant à la lutte contre l'émigration clandestine que la majorité des intervenants jugent «assez clément» dans sa forme actuelle, soulignant l'impératif de son durcissement. En attendant de brosser le profil des jeunes attirés par cette aventure à hauts risques et, par conséquent, leur origine sociale (facile à deviner), on semble occulter les vraies raisons qui les poussent à ce qui s’apparente à un suicide collectif, à un jeu de la mort qui donne froid au dos. Sèchement, sans états d’âme, les chiffres parlent leur langage : «près de vingt «harragas» trouvent la mort chaque année au large de nos côtes avant d'arriver à leur destination rêvée». Des morts de trop et l’impression toujours bizarre qu’on occulte les causes, les vraies, pour la prise en charge d’un phénomène s’installant dans la durée. Gare à l’effet d’entraînement.
Abdelaziz Azizi.
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