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“Cessons la politique des colmatages”

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  • “Cessons la politique des colmatages”

    ENTRETIEN/Abdelmalek Serraï, expert et consultant international

    Nos problèmes agroalimentaires n’incombent pas aux seules fluctuations des bourses mondiales. Ils sont dus d’abord à l’absence de politique prévisionniste et de sécurité nationale, qui se traduirait par un contrôle rigoureux dans l’application des programmes ambitieux de l’autorité publique qui ne doit pas céder devant le pouvoir des spéculateurs. La solution n’est pas de recourir aux programmes d’aide au cas par cas, mais dans une stratégie globale qui toucherait à différents maillons de la chaîne agroalimentaire qui commence par la prise en charge des conditions de vie du monde rural et se termine par l’amélioration de celles de l’homme tout court. L’intérêt, la santé et la sécurité nationale en dépendent. L’avis d’un expert.



    Les Débats : Vous avez évoqué, lors d’un récent séminaire, l’indispensable retour à la planification qui permet d’avoir une vision stratégique du développement. En Algérie, comme si les choses sont faites au jour le jour, alors qu’on assiste à l’application du programme de relance économique. Des explications, M. Serraï ?

    Abdelmalek M. Serraï
    : Qui dit planification dit stratégie, dit vision à long terme. On doit planifier, puis ordonner l’application des programmes dans un délai bien déterminé. Il doit y avoir une vision. Comment peut-on, dans de telles conditions, prétendre réaliser un équilibre régional ? C’est en planifiant. C’est par la planification qu’on peut aplanir les disparités entre wilayas. Nous avons, comme vous le savez, des wilayas placées très haut et d’autres situées au bas du tableau. Il faut donner un ordre pour que toutes les wilayas soient équitablement alignées autour d’un axe défini. Celles qui ont plus doivent être légèrement ralenties et celles qui ont moins doivent bénéficier d’un budget conséquent pour pouvoir se rattraper. Sans une vision globale à long terme, on ne peut pas rectifier des situations, sinon au cas par cas. Un pays aussi grand que l’Algérie ne peut régler des problèmes au cas par cas. Il faut une vision nationale ; il faut responsabiliser l’ensemble des Algériens, pas uniquement le gouvernement. Rien ne peut se faire sans transparence, dans le cadre d’une bonne gouvernance.



    D’aucuns vous diront c’est le retour à l’économie dirigée basée sur des programmes quinquennaux, entre autres…

    Non, c’est le contraire. Je crois qu’on a inversé les rôles. L’économie libérale est plus exigeante en matière de projection et de prévision.



    Nous vivons une situation inflationniste jamais égalée, au point où la pomme de terre s’est alignée sur le baril de pétrole : 80 DA pour 80 dollars. Que pensez-vous, en tant qu’expert, de ces fluctuations économiques mondiales moins attendues mais pressantes ?

    Le cas de la pomme de terre qui perdure depuis huit mois est assez visible et nous l’avons dénoncé aux responsables en temps opportun. Il y a dix mois, j’ai eu à dire : attention, il faut asseoir un vrai programme de recherche, d’amélioration de semences et de production de la pomme de terre tout en tenant compte des équilibres régionaux parce qu’il y a le problème de l’équation des prix, le problème de la main d’œuvre et le problème du transport. J’ai dit qu’il n’y a pas à proprement dit problème du produit lui-même.

    Il s’agit de régulariser pas mal de difficultés comme l’emploi, la valorisation des terres, la rentabilisation de l’eau, les engrais et surtout contrer le flux migratoire de l’exode rural, etc. Pas mal de problèmes donc à régler autour de la production agricole qu’il s’agisse de pomme de terre, d’oignon, de poivron ou de tomate car la flambée des prix, dois-je le rappeler, n’a pas affecté que la pomme de terre. Ça concerne donc un ensemble de solutions inhérentes au monde rural.

    Il faut donc fixer le monde rural en améliorant les conditions de vie et de travail des gens et leur permettre de s’exprimer. La preuve que l’on a pas réussi à arrêter le flux migratoire, qui est de l’ordre de 6% chaque année, c'est que les gens continuent de délaisser la campagne.

    Nous avons des régions qui se vident et par conséquent nous avons donc des productions ancestrales qui commencent à se raréfier et c’est comme ça qu’on a, de temps à autre, des pics d’insuffisance de produits qui ont tendance à nous amener à faire malheureusement appel au commerce international en recourant aux subventions à l’importation. Ce qui n’est pas la bonne solution. Faire appel à chaque fois à des pays étrangers pour colmater les insuffisances jusqu’à flirter avec l’impopularité totale parce qu’il y a un produit de large consommation qui manque, ça nous donne à réfléchir. Il faut faire part des doléances du monde agricole, par exemple, afin de dégager une politique agricole à long et moyen termes.



    Cette situation ne dénote-t-elle pas de l’échec du PNDRA ?

    Le PNDRA a donné une partie très intéressante de résultats et quand on regarde l’immense perte du budget alloué, on peut dire qu’il y a un demi-échec. Car il y a eu beaucoup d’argent gaspillé dans la mesure où une bonne partie des subventions agricoles n’est jamais arrivée au monde rural puisqu’elle a été détournée par des spéculateurs. Donc c’est le PNDRA qui a perdu cet argent en dehors du circuit agricole, ce qui explique que si l’on compare l’enveloppe financière allouée au PNDRA avec le total de la production, on constate effectivement qu’il y a un déséquilibre criard. Ceci revient au fait qu’il y a un manque sérieux de suivi des programmes, d’une part, et de contrôle de l’octroi des crédits de l’autre. Je suggère donc un retour à un meilleur suivi et à un contrôle systématique des crédits pour que les faux agriculteurs ne détournent plus des crédits vers d’autres secteurs spéculatifs. Ce n’est pas le PNDRA qui est mis en cause, mais la manière dont il est appliqué sans suivi.



    L’Etat a aussi une responsabilité dans la régulation du marché et, partant, de la production. D’un autre côté, avons-nous une carte agricole, M. Serrai ?

    Oui la cartographie agricole existe. Nous savons parfaitement où se situent les terres agricoles et où se trouve l’eau. Mais il faut revenir à situer la responsabilité de l’Etat en terme de régulation du marché. On parle de pomme de terre, mais on doit aussi parler des céréales. Ceci dit, combien la responsabilité de l’Etat est grande pour réguler le marché intérieur en organisant la production de certains produits sensibles tels la pomme de terre, les céréales, les huiles oléagineuses aussi.

    L’ouverture totale du marché algérien ne veut pas dire abandon des principes de base d’une économie, parce que même dans une économie de marché, il y a des principes à respecter. Prenez l’exemple des Etats-Unis, où la carte agricole est établie au mm², de même que l’utilisation de l’eau est connue avec grande précision, ainsi que le programme des cultures. Les traitements sanitaires le sont aussi. Pour notre part, nous n’avons rien à inventer mais seulement à copier un peu ce que font les pays modernes qui sont arrivés au summum de la politique du libre-marché et voir comment ils s’occupent de leurs terres.

    La France est plus proche de nous. Tout en étant une puissance politique et militaire dans le monde, elle est aussi une puissance agricole dans un monde de libéralisme total. Parce que les agriculteurs disposent de tous les moyens nécessaires, à savoir les informations indispensables ainsi que les moyens de vulgarisation. Ils ont à leur disposition les semences qu’il faut, les engrais qu’il faut, les moyens techniques qu’il faut…
    “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

  • #2
    suite

    Et aussi le soutien de l’Etat en cas de crise…

    Oui absolument. Dans un marché régional, nous n’avons rien à inventer, il faudrait peut-être suivre le voisinage, s’intéresser davantage à l’agriculture et porter plus d’importance au monde agricole qui est un secteur sensible. Pour assurer notre sécurité alimentaire, alléger la facture alimentaire et surtout nous libérer progressivement des pressions que nous subissons, notamment de l’Europe et des principaux fournisseurs de céréales, tels que les Etats-Unis et le Canada. C’est un devoir politique parce qu’il faut alléger la pression du marché international et aussi un souci de garantir notre sécurité alimentaire. Il faut arriver donc à avoir les meilleurs stocks, compter d’abord sur la production nationale et non sur les importations. C’est aussi créer des postes de travail, créer de la richesse locale, fixer les populations dans leurs villages, dans leurs secteurs agricoles et dégager les produits à consommation locale.



    S’agissant de la cherté de la facture alimentaire, on impute cette hausse aux fluctuations des bourses mondiales. Jusqu’où peut-on résister à ces pressions et quels sont, à votre avis, les moyens à même de réduire cette dépendance ?

    C’est le énième avertissement que nous subissons. L’Algérie est touchée de plein fouet par toute fluctuation puisque nous importons plus de 3,2 milliards de dollars de produits alimentaires. Et à chaque fois qu’il y a crise, il y a des avertissements à nos gouvernants pour qu’ils prennent les mesures appropriées. Or les mesures qu’il faut ce ne sont pas les importations qu’on vient de faire. Il faut surtout mettre en place un programme pluriannuel avec une vision à moyen et long termes à l’objet d’alléger au moins l’effet de ces sursauts internationaux et avoir une production nationale destinée à l’exportation qui nous offre des ressources financières.

    Est-ce à dire revoir en profondeur le PNDRA ?

    S’il le faut oui, pourquoi pas ? Toutefois il ne faut pas continuer de gaspiller nos ressources financières qui s’élèvent cette année à 27 milliards de dollars sans arriver pour autant à régler nos problèmes. J’aurai souhaité dégager 15 à 20% de ces ressources destinées à l’importation de produits sans utilité publique ni pour la santé des Algériens pour les orienter vers les agriculteurs. C'est-à-dire vers la mise en valeur des terres agricoles dans les Hauts Plateaux et le Grand Sud. Pourquoi ne pas susciter une émulation au sein de grandes familles agricoles, notamment les céréaliculteurs et les producteurs de pomme de terre ou de légumes secs et encourager ceux qui s’intéressent à la production d’oléagineux, qui font partie des éléments de notre consommation de base ?

    Il ne faut pas non plus occulter l’importance des viandes rouges. Si nous avons réussi dans les viandes blanches, pourquoi ne pas continuer l’effort pour la multiplication des viandes rouges et la quantité du lait aussi, en mettant en place une politique d’élevage de vaches et de vaches laitières adossée à une culture fourragère pour alimenter le bétail ? Là je déplore aussi le fait que l’Algérie continue d’importer, depuis l’indépendance, d’énormes quantités d’aliment pour le cheptel national, au lieu de faire des recherches agronomiques et des mises en valeur de terres agricoles pour commencer à produire un peu plus que par le passé des aliments fourragers qui se vendent au prix fort (orge, avoine, seigle) qui causent la cherté du cheptel et de la viande rouge.

    Cela n’est envisageable que si l’on dispose de grandes superficies réservées exclusivement au pâturage. Ce dernier souffre d’un immense déficit d’espace et de l’exode rural.


    Oui parce que nous n’arrivons plus à contrôler sérieusement la transhumance. Parce que aussi il y a des terres qui subissent un pâturage excessif et donc elles se déshabillent. C’est dommage par ce que le sable gagne du terrain, alors que nous avons les moyens de mettre en place des projets d’envergure pour stopper un tant soit peu cette atteinte à l’environnement.

    Il y a des efforts qui sont fait, mais ils restent insuffisants compte tenu des grands espaces. Mais avec les moyens financiers qu’on a et la sensibilisation de l’opinion publique, nous sommes en mesure de mettre en place des projets pour stopper l’avancée des sables et gagner des terres agricoles et de pâturages. A condition d’introduire également de nouvelles espèces animales qui s’adaptent à nos terres, à notre climat et aussi à l’insuffisance de l’eau dans certaines régions.

    L’absence de l’aide aux éleveurs a causé une saignée irréparable parmi eux. J’ai en tête un cas grave : à Laghouat, en trois ans, 66 éleveurs ont vendu leur bêtes et ont quitté une si belle région. Face à la cherté des aliments qu’on importe aussi au prix fort et aux problèmes de collecte du lait, une région qui pourrait être la meilleure en matière de pâturage et de tourisme est totalement abandonnée. A titre d’exemple une botte de foin coûte 1 900 à 2 000 DA, c'est-à-dire deux fois plus cher que le blé. C’est très grave ! Voilà un exemple concret qui dénote de l’insuffisance de vision lointaine pour doter les régions de Djelfa, Aïn Defla et Mila par exemple d’une politique d’équilibre afin de rattraper leur grand retard en matière d’agriculture. Il faut donc revoir cette situation d’équilibre régional en terme de développement économique.

    S’agissant de visions lointaines justement, l’Accord d’association avec l’UE n’a pas eu l’impact qu’on souhaitait. Quelles sont les raisons de ce non-sens alors qu’on nous promettait monts et merveilles avec le démantèlement tarifaire ? Pourquoi ça n’a pas marché, d’après vous ?

    Ma vision est très claire. Je suis désolé de le dire, la solution de l’Algérie n’est pas l’Union européenne, elle est dans le cadre national. Si nous voulons régler nos problèmes, il faut corriger d’abord notre façon de gérer les choses. Il faut se mettre au travail un peu plus, penser comment gérer notre argent et faire surtout attention à notre façon de réfléchir nos investissements. Les solutions aux problèmes de l’Algérie ne peuvent pas nous arriver de l’Europe. Pour preuve, depuis qu’on a ouvert le marché, les marchandises européennes entrent en Algérie alors qu’aucun produit algérien n’entre chez les Européens, même les Algériens ne peuvent voyager en Europe. Il y a comme un refus du flux humain. Il y a un flux commercial Europe-Algérie, l’inverse ne se fait pas puisque nous avons rien, en dehors du gaz, à offrir. Inversement, les Algériens ne peuvent pas circuler librement en Europe.



    Quel bilan faites-vous des deux ans passés sur l’application du soi-disant partenariat ?

    Où sont les résultats ? Il n’y en a pas, hélas. On ne peut dresser un bilan, mais on peut établir un constat. C’est encore une réalité amère qui nous pousse à revoir nos batteries réglementaires de sorte à ce que nous nous mettions sérieusement au travail d’une manière plus rationnelle, en portant un autre regard.



    Pourtant ça marche bien pour nos voisins marocains et tunisiens. Pourquoi pas nous ?

    Ce n’est pas la même chose. Le point de départ et les objectifs sont différents. Moi je dis : l’Union européenne c’est bien, à condition que nous soyons bien préparés, or nous le sommes très mal. Dites-moi quel est l’ingénieur, le médecin, le pharmacien qui va faire face à son homologue européen qui, lui, a tout les moyens en terme d’hygiène, de contrôle de qualité, de normalisation, d’appui, d’information, de formation continue et de vulgarisation.



    Vous voulez dire que les choses sont faites dans la précipitation ?

    En plus, nous manquons de beaucoup de choses. Autrement dit, nous sommes incapables de faire face à une concurrence largement ouverte alors qu’eux sont arrivés depuis des années à ce niveau. Mais il faut continuer à former les jeunes et leur inculquer les meilleures méthodes. Axons nos efforts sur le management moderne pour pouvoir améliorer nos performances. Si le transfert technologique qui nous coûte très cher se fait sans accompagnement, il ne donne rien. Oui nous avons besoin des Européens, à condition qu’ils soient avec nous. S’ils nous envoient seulement des équipements excessivement chers et refusent de recevoir nos étudiants pour des formations de haut niveau, le résultat ne sera pas probant. Oui aux Européens, mais pas seulement pour qu’ils prennent nos marchés et notre gaz pour sécuriser leur approvisionnement en énergie non polluante. Nous aussi avons des enfants à chauffer, à former, notamment en zones rurales. Nous devons redémarrer une machine industrielle en panne.
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    • #3
      suite

      Ne pensez-vous pas que nos négociateurs ont été floués par des engagements qui tardent à voir le jour ? Autrement dit moins avertis, moins expérimentés ?

      Tout est possible. Nous en tout cas avons fait, de notre côté, notre devoir et peut-être même plus. Nous réclamons une coopération de qualité pour que les Algériens développent la création de postes d’emploi, entre autres, grâce au partenariat européen. Mais pas de cette manière-là.

      Nous avons constaté que l’Algérie investit plus que l’Europe dans l’exploitation du gaz. Pour preuve, Sonatrach a dépensé sept milliards de dollars ces dernières années pour l’exploitation du gaz alors que les Européens, eux, n’ont pas dépassé la barre d’un milliard de dollars d’investissement, tous secteurs confondus. Nous sommes devant une espèce de déséquilibre énorme qui dénote d’un égoïsme avéré. Donc oui à la coopération, à la condition qu’elle soit équilibrée. Oui à une coopération de qualité, mais qu’elle soit bénéfique et réciproque. Il faut que trois millions d’Algériens trouvent un emploi grâce, entre autres, à l’intervention des Européens. Or, ce n’est pas le cas, doit-je déplorer.

      Des opérateurs économiques demandent la révision de certaines clauses de cet Accord, alors que des politiques demandent son annulation systématique…

      C’est tout à fait légitime. Vous savez, l’Algérie est un jeune pays qui évolue très vite. Nous avons besoin de réviser en permanence certaines clauses. L’Europe aussi évolue notamment en termes de droit, de réglementation du commerce international, de protection de la propriété intellectuelle et industrielle. Etant jeunes, nous avons besoin de revoir certains articles, mais ce n’est pas facile face à un bloc homogène, solide et plus expérimenté que nous. Il faut beaucoup de persévérance. Il faut que nos responsables au niveau des affaires étrangères, du commerce, de l’industrie ou d’autres secteurs spécialisés puissent être prêts et à l’écoute de la population qui est le vrai miroir de la situation économique du pays, et non pas faire comme certains bureaucrates retranchés dans leurs bureaux, coupés de la réalité algérienne.



      Quel serait, selon vous, l’impact de l’adhésion à l’OMC, au milieu de ces tendances déséquilibrées visiblement orientées contre l’Algérie ?

      D’abord, l’adhésion tarde car nous sommes l’un des derniers pays à adhérer à l’OMC. Mais nous, nous avons dépassé le cap de certains aspects conditionnés par l’organisation. Pour preuve, nous avons toutes sortes de produits qui circulent, dont certains ne sont même pas autorisés ni à la vente, ni à la consommation ni à l’utilisation en Europe. Cela veut dire que certaines règles de l’OMC sont déjà dépassées par l’ouverture du marché algérien bien avant l’adhésion.

      Alors, que veut donc dire adhérer à l’OMC ?

      Ça veut dire que nous allons apprendre pas mal de choses notamment dans le cadre des règles et des habitudes dans la gestion et dans le commerce. D’un autre côté, au départ nous allons perdre énormément et sans doute de nombreuses entreprises publiques et privées vont fermer. Celles qui n’ont pas les moyens, qui ont un mauvais management, qui n’ont pas de cellule commerciale vont baisser rideau. A ma connaissance, près de 40% des entreprises algériennes n’ont aucun moyen de faire face à une ouverture tous azimuts dans le cadre de l’OMC. Nous allons encore une fois voir notre production péricliter à la faveur d’une entrée ahurissante de produits de tous bords parce que nous sommes tous simplement mal préparés. Il nous faut des milliers d’experts de haut niveau en commerce international, il nous faut des centaines d’excellents financiers et des managers de haut niveau pour pouvoir ouvrir nos portes à ces pays. Nous n’avons pas les armes d’une telle compétition, d’autant que nous sommes un pays jeune, mal expérimenté et que malheureusement, nombre de cadres valables sont partis pour différentes raisons et font les beaux jours d’entreprises américaines, canadiennes, françaises, saoudiennes, qataries, etc. Ils ont quitté le pays pas seulement pour des raisons politiques, mais beaucoup plus pour des raisons socioprofessionnelles, de logement, d’école… Et là l’Algérie a perdu beaucoup d’argent et les meilleurs de ses enfants pour le bienfait de ces pays qui profitent de cette manne intellectuelle.
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      • #4
        suite et fin

        Il y a aussi problème au niveau de l’investissement. Vous avez avancé récemment le chiffre de 565 000 dossiers de création de micro-entreprises bloqués au niveau des banques. Notre PME/PMI va mal aussi. La privatisation est accélérée. Que signifient ces blocages et à quoi servent les banques si elles n’accompagnent pas cet élan de développement entamé ?

        C’est la contradiction principale qui prévaut actuellement en Algérie. Je m’explique : nous avons 100 milliards de dollars de réserves ; de l’autre côté nous avons des milliers de jeunes candidats à l’investissement, des centaines d’opérateurs PME/PMI qui attendent le feu vert des banques. Ce blocage est en nette contradiction avec le discours politique officiel qui est en faveur de l’investissement, de la création d’emplois, de la création de richesse. L’Etat est favorable à la prise en charge des jeunes, mais dans la pratique cette ambition est démentie.

        J’ai dénoncé récemment lors d’un colloque le blocage de 565 000 dossiers – agrées par l’Ansej, la CNAC et les différentes structures d’agriculture et de tourisme – qui attendent d’être pris en charge par les banques. Quand on sait que ces milliers de jeunes promoteurs créent chacun 5 à 6 emplois, ça fait quelque 3 millions d’emplois et même plus. Aller dans une banque publique, demander un emprunt, est un droit citoyen, tout comme celui d’aller à l’école ou à l’université, d’avoir un logement, un emploi.

        Si l’Etat ne peut pas leur offrir un emploi, qu’on leur donne les moyens de le créer eux-mêmes, au lieu de s’étonner quand certains jeunes se jettent à la mer ou se suicident. Orientation politique ou pas, par esprit commercial et par prudence, les banques ne donnent rien sans garanties suffisantes, mais c’est au gouvernement de prendre les décisions qu’il faut pour présenter les garanties à même de booster l’investissement en renforçant le système de garantie en faveur des jeunes investisseurs ou en créant une caisse de solidarité pour les jeunes pour être à l’abri d’une explosion sociale. Car le danger numéro un actuellement est les jeunes ; pour le reste on peut rectifier le tir. On peut réviser la carte de l’agriculture, faire face à la carte de formation, mais comment faire taire trois millions de chômeurs ! Comment leur donner l’espoir ? Il faut surtout créer un microclimat d’entreprenariat.

        Le secteur privé vit la même situation ; il est malmené. Quand on sait que pour avoir un crédit il faut attendre un, deux ou trois ans, les investisseurs se découragent, prennent des visas et partent. Quant aux étrangers, ils ne viennent pas. Voilà donc les contradictions de l’Algérie. Nous sommes malades de la bureaucratie qui a enfanté une corruption qui se propage à grande vitesse. Il faut que le discours politique soit suivi par des actions réelles sur le terrain.



        Entre le commercial pur et dur et la volonté politique, que proposez-vous pour concilier l’économie du pétrole avec celle basé sur le savoir ?

        Il faut d’abord jouer la carte de l’équilibre. Par équilibre j’entends moins d’achats inutiles. Je milite pour une économie rentable, une importation utile pour le pays. On importe n’importe quoi qui n’a rien à voir avec les besoins réels des citoyens et des citoyennes : du plastique qui ne sert à rien, des cheveux pour femme, etc. au lieu d’apporter plus de machines agricoles, plus de médicaments, plus d’équipements de laboratoire, plus de technologie. Oui à l’ouverture mais non à l’anarchie et au gain facile. Nous sommes en droit de dire non à certaines importations. Et puis ce n’est pas n’importe qui ramène n’importe quoi. Il faut établir une nomenclature de produits importables selon les besoins nationaux. Aux USA, quant il s’agit de l’intérêt, de la santé ou de la sécurité du pays, les autorités agissent. Cela peut se faire par le biais de larges consultations entre responsables de l’Etat afin de dégager un programme clair et efficace.



        Un système bancaire mixte est-il la solution idoine pour la relance des IDE en Algérie ?

        La présence des banques étrangères est nécessaire mais pas indispensable. Car il faut créer la compétition et l’émulation. Il faut créer la comparaison qualitative dans le rendement et les délais de prestation, sans pour autant dire qu’il faut compter uniquement sur les étrangers. Le pays se construit d’abord par ses propres moyens. Le problème se pose, à mon avis c’est là le plus important, du côté humain. Le jour où on donnera aux banques plus de moyens humains, en leur versant des salaires plus élevés, en les sécurisant, ce jour-là nous aurons des cadres de qualité. Les meilleurs banquiers que nous avons formés ont fui le pays parce qu’ils ont trouvé des salaires meilleurs ailleurs. Il faut stopper cette hémorragie de cadres algériens. Le système bancaire algérien va s’améliorer si l’on améliore les conditions de vie de nos banquiers et qu’on assure la formation continue. Ensuite on établit la comparaison dans le savoir-faire avec les financiers étranger. Les banques étrangères sont bonnes pour le commerce international, mais l’investissement lourd est du domaine des banques nationales. 90% des investissements sont tenus par les banques de l’Etat.



        Voilà que le gaz, dont on loue le mérite de devenir l’énergie du siècle, prolonge davantage notre dépendance dans l’après-pétrole. Qu’en pensez-vous quand on sait que l’Algérie est le deuxième producteur dans le monde d’une énergie qu’on risque encore de mal exploiter ?


        Le gaz est une richesse propre. C’est une ressource non polluante et pas très chère. Avec le gaz nous allons avoir un meilleur environnement. Les Algériens avec le développement du gaz auront des conditions de vie meilleures que celles vécues avec le pétrole. Les conditions de commercialisation du gaz diffèrent totalement de celles du pétrole.

        Maintenant que nous sommes avertis, il faut que nous soyons suffisamment intelligents pour utiliser savamment les moyens financiers des ressources du gaz pour développer, une fois pour toutes, notre agriculture. Il faut qu’on assoie définitivement une politique d’agriculture réfléchie. Il faut qu’on retrouve le tourisme. Il faut qu’on développe et régénère encore notre culture artisanale qu’on doit réactualiser pour que l’artisanat algérien s’affirme en faisant travailler les femmes au foyer dans des activités qui leur rapportent, dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler “politique d’économie domestique”, pour que le pays retrouve son image, sa culture et son histoire à travers une pléthore de produits artisanaux. Encore faut-il que l’Etat mette les moyens de redynamiser et de développer les marchés locaux pour les petits métiers dont les produits sont très convoités par les étrangers donc éligibles à l’exportation. Rappelons la marche révolution verte en Indonésie et l’Allemagne de l’après-guerre qui a émergé par le développement des petits métiers. Et c’est l’image de marque du pays qui en bénéficierait.

        Le tout est d’injecter des capitaux dans la formation spécialisée des Algériens. En conclusion, toute politique de développement doit être basée sur les conditions de vie de la personne, c'est-à-dire le développement humain. Si nous n’arrivons pas à améliorer le cadre de vie de l’Algérien, c’est que nous avons échoué quelque part…

        Interview réalisée par Salah Bey
        pour Les débats .
        “La vérité est rarement enterrée, elle est juste embusquée derrière des voiles de pudeur, de douleur, ou d’indifférence; encore faut-il que l’on désire passionnément écarter ces voiles” Amin Maalouf

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        • #5
          On va lire ça en rentrant à la maison...
          Qu'en penses-tu l'Impré (si tu permets) ?
          La mauvaise langue n'est jamais à court d'inventions !

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          • #6
            Bonsoir l'agent secret

            Bien entendu que je permet

            Ce que je pense c'est que la place de ce Monsieur est dans le staff de la direction de gestion du pays, de tels experts, avec des avis aussi lucides, ne courent pas les rues . Un économiste de qualité . Son analyse est très lucide et réaliste . ça nous change des discours creux avec les quels on nous assomme matin midi et soir .

            Les enfants de l'Algérie sert les intérêts des autres quel dommage .

            L'intervention est tout simple grandiose, un plaisir à lire .
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            • #7
              Salut L'impré !

              Un économiste de qualité
              Voilà pourquoi il ne sera jamais, dans un avenir proche, consulté par le gouvernement ou avoir un poste clé . Même s'il y arrive, on va lui mettre tellement de batons dans les roues que sur ce même forum, il sera traité d'incompétent, d'incapable. Vraiment dommage !
              La mauvaise langue n'est jamais à court d'inventions !

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              • #8
                Il faut se demander a qui profite l'etat actuelle des choses, importer, importer et importer?
                Si l'etat ou precisement le president ne savent plus quoi faire avec les 100 milliards de dollars, au point d'aller les mettres dans des bons de trasors (mieux que rien en tout cas ) , c'est a cause d'une abscence de vision economique et sociale. On appele ca du baclage, eurika j'ai trouvé on fera ceci, cela...
                Si le gouvernement consacrera seulement 0.1% de ce montant pour mener une etude par un cabinet afain de determiner l'existant, evaluer les opportunités et definir les orientations pour faire un choix strategique, les infrastructures suiveront selon ces choix .ca raportera gros pour l'algerie.
                Elle a tout ya 3ibadllah. :22:

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                • #9
                  Je l'ai critique sur un autre topic, sur l'approche planifie qui me rappele les plans par lequel la couruption s'est bien gavee, n'ayant pas lut le papier en entier, je reconnais que j'ai fait une erreur, il a ete d'une claivoyance rare, et j'aimerai bien que les journaux algerien donne une tribune a des personnes aussi eclairees et pointues dans leurs vision des problemes que rencontre notre pays.

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                  • #10
                    Sans une vision globale à long terme, on ne peut pas rectifier des situations, sinon au cas par cas. Un pays aussi grand que l’Algérie ne peut régler des problèmes au cas par cas. Il faut une vision nationale ; il faut responsabiliser l’ensemble des Algériens, pas uniquement le gouvernement. Rien ne peut se faire sans transparence, dans le cadre d’une bonne gouvernance.
                    Excellente analyse. On ne peut qu'être d'accord !

                    Il faut mettre en place une stratégie globale à l'échelle du pays. Celle-ci devrait précéder les stratégies sur l'industrialisation, l'agiculture ou l'agro-alimentaire. Et pas le contraire !
                    De plus, il faut que tout le monde soit impliqué ! Le gouvernement et le peuple ! Le premier doit montrer l'exemple et le peuple doit suivre !

                    Quel gachis !
                    La mauvaise langue n'est jamais à court d'inventions !

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