ENTRETIEN/Abdelmalek Serraï, expert et consultant international
Nos problèmes agroalimentaires n’incombent pas aux seules fluctuations des bourses mondiales. Ils sont dus d’abord à l’absence de politique prévisionniste et de sécurité nationale, qui se traduirait par un contrôle rigoureux dans l’application des programmes ambitieux de l’autorité publique qui ne doit pas céder devant le pouvoir des spéculateurs. La solution n’est pas de recourir aux programmes d’aide au cas par cas, mais dans une stratégie globale qui toucherait à différents maillons de la chaîne agroalimentaire qui commence par la prise en charge des conditions de vie du monde rural et se termine par l’amélioration de celles de l’homme tout court. L’intérêt, la santé et la sécurité nationale en dépendent. L’avis d’un expert.
Les Débats : Vous avez évoqué, lors d’un récent séminaire, l’indispensable retour à la planification qui permet d’avoir une vision stratégique du développement. En Algérie, comme si les choses sont faites au jour le jour, alors qu’on assiste à l’application du programme de relance économique. Des explications, M. Serraï ?
Abdelmalek M. Serraï : Qui dit planification dit stratégie, dit vision à long terme. On doit planifier, puis ordonner l’application des programmes dans un délai bien déterminé. Il doit y avoir une vision. Comment peut-on, dans de telles conditions, prétendre réaliser un équilibre régional ? C’est en planifiant. C’est par la planification qu’on peut aplanir les disparités entre wilayas. Nous avons, comme vous le savez, des wilayas placées très haut et d’autres situées au bas du tableau. Il faut donner un ordre pour que toutes les wilayas soient équitablement alignées autour d’un axe défini. Celles qui ont plus doivent être légèrement ralenties et celles qui ont moins doivent bénéficier d’un budget conséquent pour pouvoir se rattraper. Sans une vision globale à long terme, on ne peut pas rectifier des situations, sinon au cas par cas. Un pays aussi grand que l’Algérie ne peut régler des problèmes au cas par cas. Il faut une vision nationale ; il faut responsabiliser l’ensemble des Algériens, pas uniquement le gouvernement. Rien ne peut se faire sans transparence, dans le cadre d’une bonne gouvernance.
D’aucuns vous diront c’est le retour à l’économie dirigée basée sur des programmes quinquennaux, entre autres…
Non, c’est le contraire. Je crois qu’on a inversé les rôles. L’économie libérale est plus exigeante en matière de projection et de prévision.
Nous vivons une situation inflationniste jamais égalée, au point où la pomme de terre s’est alignée sur le baril de pétrole : 80 DA pour 80 dollars. Que pensez-vous, en tant qu’expert, de ces fluctuations économiques mondiales moins attendues mais pressantes ?
Le cas de la pomme de terre qui perdure depuis huit mois est assez visible et nous l’avons dénoncé aux responsables en temps opportun. Il y a dix mois, j’ai eu à dire : attention, il faut asseoir un vrai programme de recherche, d’amélioration de semences et de production de la pomme de terre tout en tenant compte des équilibres régionaux parce qu’il y a le problème de l’équation des prix, le problème de la main d’œuvre et le problème du transport. J’ai dit qu’il n’y a pas à proprement dit problème du produit lui-même.
Il s’agit de régulariser pas mal de difficultés comme l’emploi, la valorisation des terres, la rentabilisation de l’eau, les engrais et surtout contrer le flux migratoire de l’exode rural, etc. Pas mal de problèmes donc à régler autour de la production agricole qu’il s’agisse de pomme de terre, d’oignon, de poivron ou de tomate car la flambée des prix, dois-je le rappeler, n’a pas affecté que la pomme de terre. Ça concerne donc un ensemble de solutions inhérentes au monde rural.
Il faut donc fixer le monde rural en améliorant les conditions de vie et de travail des gens et leur permettre de s’exprimer. La preuve que l’on a pas réussi à arrêter le flux migratoire, qui est de l’ordre de 6% chaque année, c'est que les gens continuent de délaisser la campagne.
Nous avons des régions qui se vident et par conséquent nous avons donc des productions ancestrales qui commencent à se raréfier et c’est comme ça qu’on a, de temps à autre, des pics d’insuffisance de produits qui ont tendance à nous amener à faire malheureusement appel au commerce international en recourant aux subventions à l’importation. Ce qui n’est pas la bonne solution. Faire appel à chaque fois à des pays étrangers pour colmater les insuffisances jusqu’à flirter avec l’impopularité totale parce qu’il y a un produit de large consommation qui manque, ça nous donne à réfléchir. Il faut faire part des doléances du monde agricole, par exemple, afin de dégager une politique agricole à long et moyen termes.
Cette situation ne dénote-t-elle pas de l’échec du PNDRA ?
Le PNDRA a donné une partie très intéressante de résultats et quand on regarde l’immense perte du budget alloué, on peut dire qu’il y a un demi-échec. Car il y a eu beaucoup d’argent gaspillé dans la mesure où une bonne partie des subventions agricoles n’est jamais arrivée au monde rural puisqu’elle a été détournée par des spéculateurs. Donc c’est le PNDRA qui a perdu cet argent en dehors du circuit agricole, ce qui explique que si l’on compare l’enveloppe financière allouée au PNDRA avec le total de la production, on constate effectivement qu’il y a un déséquilibre criard. Ceci revient au fait qu’il y a un manque sérieux de suivi des programmes, d’une part, et de contrôle de l’octroi des crédits de l’autre. Je suggère donc un retour à un meilleur suivi et à un contrôle systématique des crédits pour que les faux agriculteurs ne détournent plus des crédits vers d’autres secteurs spéculatifs. Ce n’est pas le PNDRA qui est mis en cause, mais la manière dont il est appliqué sans suivi.
L’Etat a aussi une responsabilité dans la régulation du marché et, partant, de la production. D’un autre côté, avons-nous une carte agricole, M. Serrai ?
Oui la cartographie agricole existe. Nous savons parfaitement où se situent les terres agricoles et où se trouve l’eau. Mais il faut revenir à situer la responsabilité de l’Etat en terme de régulation du marché. On parle de pomme de terre, mais on doit aussi parler des céréales. Ceci dit, combien la responsabilité de l’Etat est grande pour réguler le marché intérieur en organisant la production de certains produits sensibles tels la pomme de terre, les céréales, les huiles oléagineuses aussi.
L’ouverture totale du marché algérien ne veut pas dire abandon des principes de base d’une économie, parce que même dans une économie de marché, il y a des principes à respecter. Prenez l’exemple des Etats-Unis, où la carte agricole est établie au mm², de même que l’utilisation de l’eau est connue avec grande précision, ainsi que le programme des cultures. Les traitements sanitaires le sont aussi. Pour notre part, nous n’avons rien à inventer mais seulement à copier un peu ce que font les pays modernes qui sont arrivés au summum de la politique du libre-marché et voir comment ils s’occupent de leurs terres.
La France est plus proche de nous. Tout en étant une puissance politique et militaire dans le monde, elle est aussi une puissance agricole dans un monde de libéralisme total. Parce que les agriculteurs disposent de tous les moyens nécessaires, à savoir les informations indispensables ainsi que les moyens de vulgarisation. Ils ont à leur disposition les semences qu’il faut, les engrais qu’il faut, les moyens techniques qu’il faut…
Nos problèmes agroalimentaires n’incombent pas aux seules fluctuations des bourses mondiales. Ils sont dus d’abord à l’absence de politique prévisionniste et de sécurité nationale, qui se traduirait par un contrôle rigoureux dans l’application des programmes ambitieux de l’autorité publique qui ne doit pas céder devant le pouvoir des spéculateurs. La solution n’est pas de recourir aux programmes d’aide au cas par cas, mais dans une stratégie globale qui toucherait à différents maillons de la chaîne agroalimentaire qui commence par la prise en charge des conditions de vie du monde rural et se termine par l’amélioration de celles de l’homme tout court. L’intérêt, la santé et la sécurité nationale en dépendent. L’avis d’un expert.
Les Débats : Vous avez évoqué, lors d’un récent séminaire, l’indispensable retour à la planification qui permet d’avoir une vision stratégique du développement. En Algérie, comme si les choses sont faites au jour le jour, alors qu’on assiste à l’application du programme de relance économique. Des explications, M. Serraï ?
Abdelmalek M. Serraï : Qui dit planification dit stratégie, dit vision à long terme. On doit planifier, puis ordonner l’application des programmes dans un délai bien déterminé. Il doit y avoir une vision. Comment peut-on, dans de telles conditions, prétendre réaliser un équilibre régional ? C’est en planifiant. C’est par la planification qu’on peut aplanir les disparités entre wilayas. Nous avons, comme vous le savez, des wilayas placées très haut et d’autres situées au bas du tableau. Il faut donner un ordre pour que toutes les wilayas soient équitablement alignées autour d’un axe défini. Celles qui ont plus doivent être légèrement ralenties et celles qui ont moins doivent bénéficier d’un budget conséquent pour pouvoir se rattraper. Sans une vision globale à long terme, on ne peut pas rectifier des situations, sinon au cas par cas. Un pays aussi grand que l’Algérie ne peut régler des problèmes au cas par cas. Il faut une vision nationale ; il faut responsabiliser l’ensemble des Algériens, pas uniquement le gouvernement. Rien ne peut se faire sans transparence, dans le cadre d’une bonne gouvernance.
D’aucuns vous diront c’est le retour à l’économie dirigée basée sur des programmes quinquennaux, entre autres…
Non, c’est le contraire. Je crois qu’on a inversé les rôles. L’économie libérale est plus exigeante en matière de projection et de prévision.
Nous vivons une situation inflationniste jamais égalée, au point où la pomme de terre s’est alignée sur le baril de pétrole : 80 DA pour 80 dollars. Que pensez-vous, en tant qu’expert, de ces fluctuations économiques mondiales moins attendues mais pressantes ?
Le cas de la pomme de terre qui perdure depuis huit mois est assez visible et nous l’avons dénoncé aux responsables en temps opportun. Il y a dix mois, j’ai eu à dire : attention, il faut asseoir un vrai programme de recherche, d’amélioration de semences et de production de la pomme de terre tout en tenant compte des équilibres régionaux parce qu’il y a le problème de l’équation des prix, le problème de la main d’œuvre et le problème du transport. J’ai dit qu’il n’y a pas à proprement dit problème du produit lui-même.
Il s’agit de régulariser pas mal de difficultés comme l’emploi, la valorisation des terres, la rentabilisation de l’eau, les engrais et surtout contrer le flux migratoire de l’exode rural, etc. Pas mal de problèmes donc à régler autour de la production agricole qu’il s’agisse de pomme de terre, d’oignon, de poivron ou de tomate car la flambée des prix, dois-je le rappeler, n’a pas affecté que la pomme de terre. Ça concerne donc un ensemble de solutions inhérentes au monde rural.
Il faut donc fixer le monde rural en améliorant les conditions de vie et de travail des gens et leur permettre de s’exprimer. La preuve que l’on a pas réussi à arrêter le flux migratoire, qui est de l’ordre de 6% chaque année, c'est que les gens continuent de délaisser la campagne.
Nous avons des régions qui se vident et par conséquent nous avons donc des productions ancestrales qui commencent à se raréfier et c’est comme ça qu’on a, de temps à autre, des pics d’insuffisance de produits qui ont tendance à nous amener à faire malheureusement appel au commerce international en recourant aux subventions à l’importation. Ce qui n’est pas la bonne solution. Faire appel à chaque fois à des pays étrangers pour colmater les insuffisances jusqu’à flirter avec l’impopularité totale parce qu’il y a un produit de large consommation qui manque, ça nous donne à réfléchir. Il faut faire part des doléances du monde agricole, par exemple, afin de dégager une politique agricole à long et moyen termes.
Cette situation ne dénote-t-elle pas de l’échec du PNDRA ?
Le PNDRA a donné une partie très intéressante de résultats et quand on regarde l’immense perte du budget alloué, on peut dire qu’il y a un demi-échec. Car il y a eu beaucoup d’argent gaspillé dans la mesure où une bonne partie des subventions agricoles n’est jamais arrivée au monde rural puisqu’elle a été détournée par des spéculateurs. Donc c’est le PNDRA qui a perdu cet argent en dehors du circuit agricole, ce qui explique que si l’on compare l’enveloppe financière allouée au PNDRA avec le total de la production, on constate effectivement qu’il y a un déséquilibre criard. Ceci revient au fait qu’il y a un manque sérieux de suivi des programmes, d’une part, et de contrôle de l’octroi des crédits de l’autre. Je suggère donc un retour à un meilleur suivi et à un contrôle systématique des crédits pour que les faux agriculteurs ne détournent plus des crédits vers d’autres secteurs spéculatifs. Ce n’est pas le PNDRA qui est mis en cause, mais la manière dont il est appliqué sans suivi.
L’Etat a aussi une responsabilité dans la régulation du marché et, partant, de la production. D’un autre côté, avons-nous une carte agricole, M. Serrai ?
Oui la cartographie agricole existe. Nous savons parfaitement où se situent les terres agricoles et où se trouve l’eau. Mais il faut revenir à situer la responsabilité de l’Etat en terme de régulation du marché. On parle de pomme de terre, mais on doit aussi parler des céréales. Ceci dit, combien la responsabilité de l’Etat est grande pour réguler le marché intérieur en organisant la production de certains produits sensibles tels la pomme de terre, les céréales, les huiles oléagineuses aussi.
L’ouverture totale du marché algérien ne veut pas dire abandon des principes de base d’une économie, parce que même dans une économie de marché, il y a des principes à respecter. Prenez l’exemple des Etats-Unis, où la carte agricole est établie au mm², de même que l’utilisation de l’eau est connue avec grande précision, ainsi que le programme des cultures. Les traitements sanitaires le sont aussi. Pour notre part, nous n’avons rien à inventer mais seulement à copier un peu ce que font les pays modernes qui sont arrivés au summum de la politique du libre-marché et voir comment ils s’occupent de leurs terres.
La France est plus proche de nous. Tout en étant une puissance politique et militaire dans le monde, elle est aussi une puissance agricole dans un monde de libéralisme total. Parce que les agriculteurs disposent de tous les moyens nécessaires, à savoir les informations indispensables ainsi que les moyens de vulgarisation. Ils ont à leur disposition les semences qu’il faut, les engrais qu’il faut, les moyens techniques qu’il faut…
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