Une interview interessante et à prendre aussi avec prudence . C'est Zbiri qui donne ses versions, son point de vue..
Entretien réalisé par Belkacem Bellil. Journal Le Soir d'Algérie édition du 13-10-1990
L'Ex-Colonel Tahar Zbiri au Soir "Comment je me suis rebellé contre Boumediene"
Il a vécu des événements aussi dramatiques et bouleversants que passionnants: la "crise de 1962"qui a failli entraîner le pays dans des affrontements fratricides, la disparition du colonel Chaabani, le limogeage de Ben Bella, la tentative de coup d'Etat et l'attentat contre Boumediene, M. Tahar Zbiri, premier chef d'état-major de l'armée de l'Algérie indépendante, reste pour l'histoire, le dernier responsable d'une wilaya qui a tout donné pour la libération du pays, les Aurès et surtout le premier - et le dernier à s'être opposé d'une manière assez énergique à Boumediene.
Dans son verbe comme dans son tempérament, il garde toujours la rudesse du climat des Aurès et de ces cimes aux neiges éternelles. Il a eu également le privilège de côtoyer des hommes aussi prestigieux que Ben Boulaid, Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane et de parler en parfait en connaisseur de la période post-indépendance, de ces hommes et de ses événements.
Très tôt, il commença à militer au sein du PPA ensuite au MTLD (1946) avant de rejoindre les rangs du CRUA en 1954, pour la préparation du 1er Novembre. Fait prisonnier fin 1954, il s’évade avec Ben Boulaid et rejoint Souk-Ahras ou il en devient le chef de la zone. Ensuite, membre de la direction de la base de l’Est, membre du commandement de la wilaya 1, il en devient le responsable vers la fin de 1960, jusqu’à l’indépendance.
Apres l’indépendance, il est successivement chef d’Etat-major, membre du bureau politique du FLN et membre du Conseil de la Révolution après 1965.
Ses contacts avec la presse sont volontairement restés insignifiants. Tahar Zbiri a néanmoins accepté de nous entretenir en exclusivité de certaines "vérités historiques que le peuple doit savoir".
Le Soir : A la veille de l'indépendance, des différends profonds sont apparus entre des dirigeants historiques et entre des dirigeants historiques et entre les structures elles-mêmes. C'est ce qui était communément appelé "la crise de 1962". Est-ce que vous pouvez nous en parler?
Tahar Zbiri : Avant d'aborder cet aspect précis de l'indépendance, il faut tout d'abord rappeler quelques éléments historiques déterminants pour la suite des événements. D'une part il y'avait les grandes offensives militaires par l'armée française et dont le seul but évident l'anéantissement de l'ALN et d'autre part, l'action politique de De Gaulle, qui voulait négocier à partir d'une position de force, en affaiblissant nos potentialités révolutionnaires. Ce sont là deux démarches qui convergeaient vers le même point à savoir miner les rangs de l'armée. Ceci dit, il existait effectivement une crise entre l'état-major et le gouvernement provisoire. De même, un autre différend apparut entre les "ex-prisonniers" et le GPRA. Au moment du cessez-le feu, cette crise est devenue plus apparente surtout à la libération des "cinq". Etait-ce un différend idéologique? Bref, la situation est devenue explosive. Je fus alors convoqué en tant que responsable de wilaya et membre du Conseil National de la révolution Algérienne(CNRA) à une réunion à Rocher Noir (Boumerdes), siège de l'Exécutif provisoire. A cet effet, j'ai pris contact avec les colonels Boubnider de la wilaya1 et Mohand Ouelhadj de la wilaya3 pour examiner ensemble la situation qui prévalait, à laquelle il faut ajouter un autre élément décisif, à savoir l'émergence injustifiée de Ben Bella parmi les cinq libérés, ils étaient tous au même niveau, ce qui n'expliquait guère la campagne publicitaire en faveur de Ben Bella dans la presse égyptienne et française.
Le Soir : Quelle était la position des colonels Boubnider et Ouelhadj?
Tahar Zbiri : Ils n'étaient pas du tout satisfaits de la situation. On avait discuté et j'ai essayé de les convaincre de la nécessité de notre présence à la réunion, pour voir quelle serait notre position dans cet échiquier et surtout pour mieux apprécier la situation. Ils ont refusé de venir.
Le Soir : Vous vous êtes présentés seuls à la réunions?
Tahar Zbiri : Oui, et j'ai trouvé que la situation était explosive, Ben Bella et l'état-major d'un coté, le GPRA d'un autre, ainsi qu'un groupe qui a préféré la neutralité. La direction semblait être visiblement divisée. Une réunion qui n'a abouti à rien de positif.
Le Soir : Ensuite, vous vous êtes rendu à Tunis?
Tahar Zbiri : A Tunis, la situation était devenue extrêmement tendue. Les responsables de wilayas refusaient l'armée des frontières. Ensuite, nous avons appris que des consultations secrètes avaient lieu avec l'OAS... Tous ces éléments, conjugués à ceux précédemment cités, auguraient de l'imminence d'une guerre civile. Il fallait donc agir en urgence pour apaiser la situation. A Tripoli, au congres du FLN, il y a lieu un accord sur le contenu idéologique, politique, économique et social. Mais au moment de la constitution du Bureau Politique, des désaccords profonds sont encore apparus. Une commission fut constituée, chargée de consulter séparément tous les membres du CNRA et a abouti a un consensus autour d'une liste de 7 personnes : les "cinq" plus Hadj Ben Alla et Mohammedi Said.
Le Soir : Le GPRA avait-il admis de ne pas être solidement représenté dans ce bureau?
Tahar Zbiri : Bien sur que non. Seul Mohammedi Said représentait le GPRA. Krim Belkacem, Boussouf, Benkhedda, eux aussi espéraient être dans le bureau politique. J’ai personnellement tout fait pour ajouter au moins deux de ces dirigeants historiques. Mais les autres membres se sont fermement opposés.
Le Soir : la situation était loin d’être apaisée ?
Tahar Zbiri : Oui, effectivement. Après cette réunion, chacun prit un chemin différent. Ait Ahmed et Boudiaf quittèrent le Bureau et ne revinrent pas au pays. Khider et Bitat démissionnèrent, Ben Bella resta ainsi seul maître de la situation. Boumediene était à la tête de l’état-major. Ben Bella organisa ensuite des élections pour l’Assemblée constituante, désign, désigna un gouvernement et mit sur pied un autre Bureau Politique dont il sera le secrétaire général. Les élections présidentielles l’ont tout de suite désigné à la tête du pays. On constatait déjà un cumul de trois fonctions. Ce fut là la situation préliminaire à une série de différends qui sont apparus par la suite et qui ont profondément bouleversé…
Le Soir : Parlons-en. Le colonel Chaabani, mort dans des conditions tout à fait dramatiques, reste toujours et pour beaucoup une énigme dans l'histoire contemporaine de notre pays. Tout d'abord, quel genre d'homme était-il?
Tahar Zbiri : Le colonel Chaabani était responsable de la wilaya VI il avait, à peine 27 ans. Il était d'une grande intelligence et avait une vaste culture. Seulement Chaabani refusait catégoriquement l'autorité de Boumediene et n'avait jamais toléré les ingérences de celui-ci dans les affaires de sa wilaya. En fait, il refusait l'encadrement francophile (anciens officiers de l'armée française) dont s'était entouré Boumediene.
Le Soir : Comment étaient les relations entre Chaabani et Ben Bella?
Tahar Zbiri : Chaabani s'entendait très bien avec Ben Bella ainsi qu'avec Khider. Et Boumediene n'était guère satisfait de cet état de fait.
Le Soir : Est-il vrai que le colonel Chaabani avait des prétentions hégémoniques, s'approprier le Sahara par exemple?
Tahar Zbiri : C'est faux. Ce n'est là qu'un pur mensonge. Il refusait je le répète encore, l'autorité de Boumediene et du ministère de la défense nationale de l'époque. Il y'avait aussi son amitié avec Khider, lequel insistait constamment auprès de Ben Bella pour que l'armée se cantonne dans les casernes et qu'elle abandonne la politique.
Entretien réalisé par Belkacem Bellil. Journal Le Soir d'Algérie édition du 13-10-1990
L'Ex-Colonel Tahar Zbiri au Soir "Comment je me suis rebellé contre Boumediene"
Il a vécu des événements aussi dramatiques et bouleversants que passionnants: la "crise de 1962"qui a failli entraîner le pays dans des affrontements fratricides, la disparition du colonel Chaabani, le limogeage de Ben Bella, la tentative de coup d'Etat et l'attentat contre Boumediene, M. Tahar Zbiri, premier chef d'état-major de l'armée de l'Algérie indépendante, reste pour l'histoire, le dernier responsable d'une wilaya qui a tout donné pour la libération du pays, les Aurès et surtout le premier - et le dernier à s'être opposé d'une manière assez énergique à Boumediene.
Dans son verbe comme dans son tempérament, il garde toujours la rudesse du climat des Aurès et de ces cimes aux neiges éternelles. Il a eu également le privilège de côtoyer des hommes aussi prestigieux que Ben Boulaid, Larbi Ben M’hidi, Abane Ramdane et de parler en parfait en connaisseur de la période post-indépendance, de ces hommes et de ses événements.
Très tôt, il commença à militer au sein du PPA ensuite au MTLD (1946) avant de rejoindre les rangs du CRUA en 1954, pour la préparation du 1er Novembre. Fait prisonnier fin 1954, il s’évade avec Ben Boulaid et rejoint Souk-Ahras ou il en devient le chef de la zone. Ensuite, membre de la direction de la base de l’Est, membre du commandement de la wilaya 1, il en devient le responsable vers la fin de 1960, jusqu’à l’indépendance.
Apres l’indépendance, il est successivement chef d’Etat-major, membre du bureau politique du FLN et membre du Conseil de la Révolution après 1965.
Ses contacts avec la presse sont volontairement restés insignifiants. Tahar Zbiri a néanmoins accepté de nous entretenir en exclusivité de certaines "vérités historiques que le peuple doit savoir".
Le Soir : A la veille de l'indépendance, des différends profonds sont apparus entre des dirigeants historiques et entre des dirigeants historiques et entre les structures elles-mêmes. C'est ce qui était communément appelé "la crise de 1962". Est-ce que vous pouvez nous en parler?
Tahar Zbiri : Avant d'aborder cet aspect précis de l'indépendance, il faut tout d'abord rappeler quelques éléments historiques déterminants pour la suite des événements. D'une part il y'avait les grandes offensives militaires par l'armée française et dont le seul but évident l'anéantissement de l'ALN et d'autre part, l'action politique de De Gaulle, qui voulait négocier à partir d'une position de force, en affaiblissant nos potentialités révolutionnaires. Ce sont là deux démarches qui convergeaient vers le même point à savoir miner les rangs de l'armée. Ceci dit, il existait effectivement une crise entre l'état-major et le gouvernement provisoire. De même, un autre différend apparut entre les "ex-prisonniers" et le GPRA. Au moment du cessez-le feu, cette crise est devenue plus apparente surtout à la libération des "cinq". Etait-ce un différend idéologique? Bref, la situation est devenue explosive. Je fus alors convoqué en tant que responsable de wilaya et membre du Conseil National de la révolution Algérienne(CNRA) à une réunion à Rocher Noir (Boumerdes), siège de l'Exécutif provisoire. A cet effet, j'ai pris contact avec les colonels Boubnider de la wilaya1 et Mohand Ouelhadj de la wilaya3 pour examiner ensemble la situation qui prévalait, à laquelle il faut ajouter un autre élément décisif, à savoir l'émergence injustifiée de Ben Bella parmi les cinq libérés, ils étaient tous au même niveau, ce qui n'expliquait guère la campagne publicitaire en faveur de Ben Bella dans la presse égyptienne et française.
Le Soir : Quelle était la position des colonels Boubnider et Ouelhadj?
Tahar Zbiri : Ils n'étaient pas du tout satisfaits de la situation. On avait discuté et j'ai essayé de les convaincre de la nécessité de notre présence à la réunion, pour voir quelle serait notre position dans cet échiquier et surtout pour mieux apprécier la situation. Ils ont refusé de venir.
Le Soir : Vous vous êtes présentés seuls à la réunions?
Tahar Zbiri : Oui, et j'ai trouvé que la situation était explosive, Ben Bella et l'état-major d'un coté, le GPRA d'un autre, ainsi qu'un groupe qui a préféré la neutralité. La direction semblait être visiblement divisée. Une réunion qui n'a abouti à rien de positif.
Le Soir : Ensuite, vous vous êtes rendu à Tunis?
Tahar Zbiri : A Tunis, la situation était devenue extrêmement tendue. Les responsables de wilayas refusaient l'armée des frontières. Ensuite, nous avons appris que des consultations secrètes avaient lieu avec l'OAS... Tous ces éléments, conjugués à ceux précédemment cités, auguraient de l'imminence d'une guerre civile. Il fallait donc agir en urgence pour apaiser la situation. A Tripoli, au congres du FLN, il y a lieu un accord sur le contenu idéologique, politique, économique et social. Mais au moment de la constitution du Bureau Politique, des désaccords profonds sont encore apparus. Une commission fut constituée, chargée de consulter séparément tous les membres du CNRA et a abouti a un consensus autour d'une liste de 7 personnes : les "cinq" plus Hadj Ben Alla et Mohammedi Said.
Le Soir : Le GPRA avait-il admis de ne pas être solidement représenté dans ce bureau?
Tahar Zbiri : Bien sur que non. Seul Mohammedi Said représentait le GPRA. Krim Belkacem, Boussouf, Benkhedda, eux aussi espéraient être dans le bureau politique. J’ai personnellement tout fait pour ajouter au moins deux de ces dirigeants historiques. Mais les autres membres se sont fermement opposés.
Le Soir : la situation était loin d’être apaisée ?
Tahar Zbiri : Oui, effectivement. Après cette réunion, chacun prit un chemin différent. Ait Ahmed et Boudiaf quittèrent le Bureau et ne revinrent pas au pays. Khider et Bitat démissionnèrent, Ben Bella resta ainsi seul maître de la situation. Boumediene était à la tête de l’état-major. Ben Bella organisa ensuite des élections pour l’Assemblée constituante, désign, désigna un gouvernement et mit sur pied un autre Bureau Politique dont il sera le secrétaire général. Les élections présidentielles l’ont tout de suite désigné à la tête du pays. On constatait déjà un cumul de trois fonctions. Ce fut là la situation préliminaire à une série de différends qui sont apparus par la suite et qui ont profondément bouleversé…
Le Soir : Parlons-en. Le colonel Chaabani, mort dans des conditions tout à fait dramatiques, reste toujours et pour beaucoup une énigme dans l'histoire contemporaine de notre pays. Tout d'abord, quel genre d'homme était-il?
Tahar Zbiri : Le colonel Chaabani était responsable de la wilaya VI il avait, à peine 27 ans. Il était d'une grande intelligence et avait une vaste culture. Seulement Chaabani refusait catégoriquement l'autorité de Boumediene et n'avait jamais toléré les ingérences de celui-ci dans les affaires de sa wilaya. En fait, il refusait l'encadrement francophile (anciens officiers de l'armée française) dont s'était entouré Boumediene.
Le Soir : Comment étaient les relations entre Chaabani et Ben Bella?
Tahar Zbiri : Chaabani s'entendait très bien avec Ben Bella ainsi qu'avec Khider. Et Boumediene n'était guère satisfait de cet état de fait.
Le Soir : Est-il vrai que le colonel Chaabani avait des prétentions hégémoniques, s'approprier le Sahara par exemple?
Tahar Zbiri : C'est faux. Ce n'est là qu'un pur mensonge. Il refusait je le répète encore, l'autorité de Boumediene et du ministère de la défense nationale de l'époque. Il y'avait aussi son amitié avec Khider, lequel insistait constamment auprès de Ben Bella pour que l'armée se cantonne dans les casernes et qu'elle abandonne la politique.
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