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Quand Hawaï hébergeait un glacier

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  • Quand Hawaï hébergeait un glacier

    Oubliés les bikinis et les chemises à fleur… Et sortez vos moufles ! 15.000 ans plus tôt, les sommets d’Hawaii étaient recouverts d’une immense calotte de glace. Un résultat étonnant puisqu’à cette époque, la tendance générale à la surface de la Terre était au réchauffement et ce, depuis déjà 3.000 ans.

    Pourquoi une telle anomalie climatique ? Publiés dans le numéro de Nature du 4 octobre, ces résultats obtenus par cinq chercheurs français éclairent d’une lumière nouvelle le climat sévissant à cette époque dans le Pacifique Sud. Et apportent des enseignements sur les conséquences du dérèglement climatique actuel.

    Entretien avec l’un des auteurs, Pierre-Henri Blard, chercheur au Caltech de Pasadena en Californie.

    Se doutait-on que le paléo climat de Hawaï avait été si particulier?


    Des études pionnières du début du XXème siècle avaient déjà permis de décrire les moraines du Mauna Kea et de les interpréter comme les vestiges d’une ancienne calotte de glace. Cependant, avant notre étude, l’âge de cette calotte était encore très incertain et il y avait peu d’indices permettant de dire que la glace avait persisté à des altitudes aussi basses (3.500 m) et de manière aussi tardive, jusqu'à environ 15.000 ans avant aujourd’hui (13.000 ans av. JC). Ces résultats sont assez surprenants puisque la seule tentative de datation préalable en 1991 suggérait que la déglaciation avait eu lieu plus tôt, dès 18.000 ans. Ils suggèrent qu’il existe une connexion atmosphérique beaucoup plus étendue que ce que l’on pensait entre l’Atlantique Nord et le Pacifique Central.

    Des anomalies climatiques du même ordre ont-elles eu lieu ailleurs?

    Oui, en effet. Car, s’il est plutôt bien établi que les grandes calottes polaires (Arctique et Antarctique) ont atteint leur maximum il y a environ 21.000 ans, de plus en plus d’études montrent que les glaciers de montagne ont au contraire eu des comportements contrastés, avec des maxima locaux pouvant être décalés de plusieurs milliers d’années. Ceci tient au fait que la taille des glaciers est conditionnée par la température de l’air, mais aussi par les conditions locales de précipitations. Des chercheurs ont ainsi montré que, dans les Andes, certains glaciers ont commencé à reculer il y a plus de 34.000 ans. A l’inverse, d’autres auteurs ont des données indiquant que d’autres glaciers de la même région ont persisté jusqu'à 15.000 ans en position maximale. Ceci s’explique par des précipitations neigeuses localement plus importantes. Dans le cas d’Hawaii, ce sont des reconstitutions basées sur des pollens fossiles qui nous ont permis de connaître les précipitations de manière indépendante. Ce raisonnement nous autorise donc à établir de manière assez solide que le refroidissement de l’atmosphère était de l’ordre de 7°C jusqu'à environ 15.000 ans.


    Il y a 15.000 ans, Hawaï hébergeait donc un glacier. Globalement, quelles étaient les conditions climatiques alentour?

    La calotte de glace recouvrant le Mauna Kea a atteint son maximum d’extension entre 19.000 et 16.000 ans et a persisté quasiment dans la même position jusqu'à 15.000 ans. Lors de leur maximum d’extension, les glaciers descendaient localement en dessous de 3.200 mètres et, au sommet du volcan, à 4.200 mètres, les températures moyennes étaient négatives presque toute l’année. Toutefois, au même moment, les eaux de surface du Pacifique n’étaient pas beaucoup plus froides qu’aujourd’hui : avec une température de près de 25°C en été, il devait être agréable de s’y baigner… même si aucun être humain n’a pu en profiter. En effet, le peuplement de ces îles éloignées a seulement commencé il y a un peu plus de 1.000 ans. Lors du maximum glaciaire il n’y avait pas non plus de grands mammifères sur Hawaii (bétail et gibier ont été apportés plusieurs siècles plus tard par les Anglais) et les plus grands animaux terrestres étaient des oiseaux. Les données polliniques suggèrent que la végétation était représentée par des prairies et des arbustes, avec, par endroits, quelques forêts clairsemées.
    Pour peindre le portrait de la Terre à la même époque (entre 19000 et 16000 ans), les calottes de glaces continentales recouvraient encore la majorité du territoire du Canada, tout l’Antarctique et l’extrémité méridionale de l’Amérique du Sud. Le niveau marin global était près de 100 m en dessous du niveau actuel, si bien que l’on pouvait traverser à pieds secs le détroit de Béring ou la Manche.

    Comment ce qui s'est passé il y a 15.000 ans peut-il être un enseignement pour notre futur climatique?


    Il est indispensable de reconstituer le climat passé pour améliorer la qualité des modèles numériques, qui sont les seuls outils dont on dispose pour prédire l’évolution future du climat. Il s’agit donc d’un enjeu majeur si l’on veut anticiper les conséquences du réchauffement global d’origine anthropique. Or un des résultats de notre étude suggère que les variations de température au niveau de la mer sont amplifiées en altitude. Je vous laisse imaginer combien les conséquences de ce mécanisme peuvent être inquiétantes pour les dizaines de millions de personnes dont l'approvisionnement en eau dépend de la pérennité des glaciers de montagne (Andes, Himalaya).

    Quelles furent les circonstances de votre découverte?

    La manière dont ces résultats ont vu le jour est une illustration de l’adage selon lequel les découvertes scientifiques peuvent survenir par accident. Lorsque nous sommes partis échantillonner les grands volcans hawaïens en octobre 2004, le but principal de notre mission était de prélever des surfaces de coulées basaltiques pour calibrer le taux de production de l’hélium-3 (3He) cosmogénique.

    En effet, avant de prendre l’avion, nous savions que les sommets du Mauna Kea hébergeaient des moraines de la dernière glaciation, mais, au vu des études antérieures, nous étions assez sceptiques sur la possibilité de trouver des roches riches en olivines et pyroxènes, les seuls minéraux adéquats à la datation 3He. Sur l’île, une fois le but principal de notre mission accompli, nous avons tout de même pris deux jours pour arpenter à pied les sommets du Mauna Kea, ceux la même qui ont conservé les vestiges de la dernière glaciation… Après plusieurs heures de recherches difficiles dans des terrains très accidentés, nous sommes tombés, comme par magie, sur des moraines bourrées d’olivines et de pyroxènes… Nous étions aux anges, car nous savions que ces minéraux étaient de l’or : en effet, Hawaii est située en plein milieu de l’Océan Pacifique et elle est la seule terre à plus de 4.000 km à la ronde à avoir accueilli un glacier. La possibilité de dater ces paléo-glaciers représentait donc une étape essentielle si l’on voulait comprendre comment cette zone tropicale s’était comportée pendant la dernière déglaciation. Or ces échantillons uniques étaient la clef, la Pierre de Rosette sans laquelle nous n’aurions pas pu déchiffrer le signal paléoclimatique de ces moraines.

    Etait-ce agréable de travailler à Hawaï?


    J’avoue que les gens sont assez étonnés quand je leur dit que j’ai passé deux semaines à transporter des kilogrammes de cailloux en crapahutant sur des sommets de 4000 m, en souffrant du manque d’oxygène et du froid… ils sont même incrédules lorsque je leur dis que nous n’avons même pas pris le temps de nous baigner!

    Par Sciences et Avenir
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