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Ils sont jeunes, musulmans, français et pleins de doutes. Pour savoir s'ils peuvent s'épiler les sourcils, porter une veste en peau de porc ou avaler leur salive pendant le jeûne, ils consultent les imams sur internet. Enquête
Leila (1) est musulmane. Enfin, Leila est une jeune fille française née près d'Aubervilliers, mais lorsqu'elle se présente elle dit d'abord : «Je suis musulmane.» Leila a un gilet vert, un sourire malicieux et un voile sur la tête. L'ennui, c'est qu'elle ne sait pas trop comment ça se met; un voile. Au lycée, il y a trois ans, elle a choisi de se couvrir les cheveux. Dans le magasin de vêtements où elle travaille, c'est interdit. Elle le porte donc à la tombée de la nuit, pour sortir avec des copines. Elle se farde aussi, légèrement. Du rouge à lèvres et un trait de crayon sous les yeux. Mais elle hésite. Du maquillage et un voile ? Est-ce autorisé par le Coran ? Leila a 20 ans et se pose beaucoup de questions. Elle aimerait savoir, par exemple, si elle peut embrasser un garçon pendant le ramadan. Ou bien si l'islam autorise le port de sandales en été. «Je voudrais être une bonne musulmane...», dit-elle.
Alors, souvent, Leila surfe sur internet. C'est là, sur la Toile, qu'elle recueille des avis juridiques, des fatwas, auprès d'imams. Il lui suffit de taper «forum musulman», ou «islam questions-réponses» sur le clavier de son ordinateur pour les trouver. Les adresses les plus fréquentées ? ************, almanhaj.com, fatwas.**********, ************, **********, islam- autrement.com... «Peu nombreux avant l'an 2000, les forums islamiques se sont multipliés ces dernières années», indique Ouisa Kies-Chiahou, doctorante à l'EHESS, spécialiste de l'islam en France. Sur ces sites, à côté des recettes de cuisine halal, des rubriques courrier du coeur et des informations pratiques, les questions religieuses se bousculent. Surtout pendant le ramadan, ce mois de grande ferveur religieuse. Elles expriment une demande pressante, une soif de savoir, presque une angoisse. Exemples ?«Est-ce qu'avaler de Veau en se lavant les dents rompt le jeûne ?» «Je suis enceinte de six mois, est-ce que ce n'est pas dangereux défaire le ramadan ?»
Tous les sujets de la vie quotidienne sont abordés. Esthétique : «Je déteste mon nez, et j'aimerais faire de la chirurgie, est-ce haram (illicite) ?» «Le Coran interdit-il les UV ?» «Est-ce que je peux m'épiler les sourcils ?» Vestimentaire : «On m'a donné une veste en peau de porc : est-il permis de la porter ?» Boisson : «On m'a dit que le musulman a droit à l'alcool, mais ne peut pas se saouler, est-ce vrai ?» Vie conjugale : «Mon mari me trompe avec notre baby-sitter. Est-ce interdit par l'islam ?» Certaines interrogations sont déconcertantes. «Est-ce qu'on peut voler un autoradio pendant le ramadan ?» demande un internaute. «Que dit le Coran sur la consommation de cannabis ?» s'enquiert un autre... L'anonymat du cyberespace lève tous les tabous : on parle beaucoup de sexe, de masturbation, d'homosexualité... Toujours en termes de licite et d'illicite.
Les habitués de ces forums ? Des jeunes, des 15-30 ans issus de la deuxième ou de la troisième génération. «On n'a jamais parlé de religion à la maison, explique Leila. D'ailleurs, mes parents, ils ne savent pas ce que c'est, être musulman en France. Quand ma mère est arrivée, il y a trente ans, elle a enlevé son voile. Mon père, lui, n'a jamais mis les pieds dans une mosquée française. Mes parents, ils voulaient s'intégrer. Ils ont laissés l'islam au bled.» Leila, elle, a grandi au milieu de jeunes filles voilées, en banlieue. Dans son quartier, il n'y avait pas de «cours sur l'islam». Juste une association cultuelle, dont les gens se méfiaient à cause de ses tendances réputées radicales. Elle est retournée une ou deux fois en Algérie. Mais là-bas, près d'Ouargla, on ne pratique pas la foi comme en France. «Pour mes grands- parents, l'islam est une évidence, dit-elle. Il se transmet de génération en génération, et puis tout le monde a la même religion. Nous, en France, on doit l'inventer.»
De ce côté-ci de la Méditerranée, la croyance n'est plus une norme sociale, mais une affaire privée. Karim l'admet à mi-mot : «La religion, c'est personnel.» Il préfère en parler sur internet avec des gens qu'il ne rencontre jamais. «C'est rassurant de voir que tu n'es pas le seul musulman à avoir des angoisses. Et on peut parler de choses qu'on n'aurait jamais osé demander à nos parents.» Les siens - une mère assistante maternelle, un père gardien de nuit - sont nés au Maroc. «Musulmans, mais pas très pratiquants.» Représentant commercial, Karim a commencé à observer le ramadan il y a cinq ans pour faire comme ses «copains». Sa crainte ? Ne pas parvenir à concilier ses impératifs professionnels avec les préceptes de l'islam. Comment réagir lorsqu'un client le convie à déjeuner ? Décliner l'invitation ? Autre motif d'inquiétude : son prochain mariage avec une catholique. Karim s'est renseigné auprès de «cyber-imams» sur les modalités de la cérémonie. Faut-il qu'elle se convertisse ? Ils ont emménagé ensemble avant les noces, est-ce interdit par l'islam ? Il a obtenu dix réponses contradictoires. «Entre les malékites, les wahhabites, les sunnites, je n'y comprends rien, regrette-t-il. Moi, je m'en fiche des écoles, je veux simplement suivre les bonnes règles.»
On croise de tout sur les forums. Jeunes des cités, mais aussi ingénieurs, juristes, lycéens, étudiants, commerçants ou sans-emploi.
Ahmed el-Keiy, le directeur en chef de Beur-FM, les connaît bien. Il tchatche avec eux tous les soirs. Pendant ce mois sacré, Beur-FM, radio laïque, organise des émissions spéciales. «Pour combler les manques, explique Ahmed el-Keiy. Les jeunes posent des questions sur la forme qui montrent qu'ils n'ont pas compris le fond de la religion.» Entouré de philosophes, de chercheurs et de théologiens, le journaliste répond aux auditeurs de la manière la plus ouverte possible. L'anthropologue Dounia Bouzar, qui milite pour l'émancipation des femmes et des jeunes dans l'islam (1), intervient régulièrement dans son débat. Pour elle, ces jeunes ont grandi dans des «trous de mémoire». «Ils sont nés dans un pays où l'islam n'est pas porté par l'ensemble de la communauté nationale, dit-elle. Mais ni leur famille, ni l'école, ni les médias traditionnels ne leur ont expliqué comment être musulman dans une France laïque.» Résultat, certains jeunes bricolent. Ils inventent «leur» islam avec les moyens du bord.
Ces interrogations ne datent pas d'aujourd'hui. A la fin des années 1990, déjà, les chercheurs soulignaient l'essor des born again, ces jeunes nés dans un pays non musulman et devenus plus pratiquants que leurs parents. A l'époque, ceux-ci se tournaient vers les livres. Ou bien vers les prêcheurs et les imams de quartier. «Aujourd'hui, la demande est la même. C'est l'outil qui a changé», dit Olivier Roy, politologue spécialiste de l'islam (1). Dans le monde réel, il faut parfois faire des kilomètres pour trouver un imam : il y en a 1 500 sur le territoire, pour 5 à 6 millions de musulmans... Sur la Toile, ils sont là, tout près. Natima (1), une jeune juriste de 25 ans, les a longtemps consultés. Elle n'a jamais su qui ils étaient vraiment. Née en Auvergne, de parents algériens non pratiquants, Natima s'installe à Paris pour ses études et, avec ses amies, décide de se voiler. «C'était tendance, dit-elle. On se retrouvait autour de notre appartenance religieuse parce qu'on avait l'impression d'être rejetées par les Français.» Les amies se lancent le défi d'être la meilleure musulmane possible. Aujourd'hui, Natima se dit qu'elles étaient bien inconscientes. Et si, en surfant sur la Toile, elles étaient tombées sur des extrémistes ? N'importe qui peut se présenter comme imam, ouléma ou théologien sur internet. N'importe quel prêcheur peut rendre des «cyber-fatwas» depuis la France, mais également depuis l'Arabie Saoudite, l'Algérie, l'Iran, etc. «Les cyber-imams se basent sur les textes sacrés, mais on peut faire tout dire aux textes», insiste-t-elle. Ces forums ? Natima ne les consulte plus. La prise de distance a été progressive, presque naturelle. Elle a grandi, a rencontré d'autres amies, est sortie de la «communauté». «Maintenant, j'aperçois que, même s'il y a des normes et des interdits, l'islam est d'abord une spiritualité. Je n'ai besoin de personne pour me dicter ma religion.»
(1)Certains prénoms ont été changés.
Léna Mauger
Le Nouvel Observateur
Leila (1) est musulmane. Enfin, Leila est une jeune fille française née près d'Aubervilliers, mais lorsqu'elle se présente elle dit d'abord : «Je suis musulmane.» Leila a un gilet vert, un sourire malicieux et un voile sur la tête. L'ennui, c'est qu'elle ne sait pas trop comment ça se met; un voile. Au lycée, il y a trois ans, elle a choisi de se couvrir les cheveux. Dans le magasin de vêtements où elle travaille, c'est interdit. Elle le porte donc à la tombée de la nuit, pour sortir avec des copines. Elle se farde aussi, légèrement. Du rouge à lèvres et un trait de crayon sous les yeux. Mais elle hésite. Du maquillage et un voile ? Est-ce autorisé par le Coran ? Leila a 20 ans et se pose beaucoup de questions. Elle aimerait savoir, par exemple, si elle peut embrasser un garçon pendant le ramadan. Ou bien si l'islam autorise le port de sandales en été. «Je voudrais être une bonne musulmane...», dit-elle.
Alors, souvent, Leila surfe sur internet. C'est là, sur la Toile, qu'elle recueille des avis juridiques, des fatwas, auprès d'imams. Il lui suffit de taper «forum musulman», ou «islam questions-réponses» sur le clavier de son ordinateur pour les trouver. Les adresses les plus fréquentées ? ************, almanhaj.com, fatwas.**********, ************, **********, islam- autrement.com... «Peu nombreux avant l'an 2000, les forums islamiques se sont multipliés ces dernières années», indique Ouisa Kies-Chiahou, doctorante à l'EHESS, spécialiste de l'islam en France. Sur ces sites, à côté des recettes de cuisine halal, des rubriques courrier du coeur et des informations pratiques, les questions religieuses se bousculent. Surtout pendant le ramadan, ce mois de grande ferveur religieuse. Elles expriment une demande pressante, une soif de savoir, presque une angoisse. Exemples ?«Est-ce qu'avaler de Veau en se lavant les dents rompt le jeûne ?» «Je suis enceinte de six mois, est-ce que ce n'est pas dangereux défaire le ramadan ?»
Tous les sujets de la vie quotidienne sont abordés. Esthétique : «Je déteste mon nez, et j'aimerais faire de la chirurgie, est-ce haram (illicite) ?» «Le Coran interdit-il les UV ?» «Est-ce que je peux m'épiler les sourcils ?» Vestimentaire : «On m'a donné une veste en peau de porc : est-il permis de la porter ?» Boisson : «On m'a dit que le musulman a droit à l'alcool, mais ne peut pas se saouler, est-ce vrai ?» Vie conjugale : «Mon mari me trompe avec notre baby-sitter. Est-ce interdit par l'islam ?» Certaines interrogations sont déconcertantes. «Est-ce qu'on peut voler un autoradio pendant le ramadan ?» demande un internaute. «Que dit le Coran sur la consommation de cannabis ?» s'enquiert un autre... L'anonymat du cyberespace lève tous les tabous : on parle beaucoup de sexe, de masturbation, d'homosexualité... Toujours en termes de licite et d'illicite.
Les habitués de ces forums ? Des jeunes, des 15-30 ans issus de la deuxième ou de la troisième génération. «On n'a jamais parlé de religion à la maison, explique Leila. D'ailleurs, mes parents, ils ne savent pas ce que c'est, être musulman en France. Quand ma mère est arrivée, il y a trente ans, elle a enlevé son voile. Mon père, lui, n'a jamais mis les pieds dans une mosquée française. Mes parents, ils voulaient s'intégrer. Ils ont laissés l'islam au bled.» Leila, elle, a grandi au milieu de jeunes filles voilées, en banlieue. Dans son quartier, il n'y avait pas de «cours sur l'islam». Juste une association cultuelle, dont les gens se méfiaient à cause de ses tendances réputées radicales. Elle est retournée une ou deux fois en Algérie. Mais là-bas, près d'Ouargla, on ne pratique pas la foi comme en France. «Pour mes grands- parents, l'islam est une évidence, dit-elle. Il se transmet de génération en génération, et puis tout le monde a la même religion. Nous, en France, on doit l'inventer.»
De ce côté-ci de la Méditerranée, la croyance n'est plus une norme sociale, mais une affaire privée. Karim l'admet à mi-mot : «La religion, c'est personnel.» Il préfère en parler sur internet avec des gens qu'il ne rencontre jamais. «C'est rassurant de voir que tu n'es pas le seul musulman à avoir des angoisses. Et on peut parler de choses qu'on n'aurait jamais osé demander à nos parents.» Les siens - une mère assistante maternelle, un père gardien de nuit - sont nés au Maroc. «Musulmans, mais pas très pratiquants.» Représentant commercial, Karim a commencé à observer le ramadan il y a cinq ans pour faire comme ses «copains». Sa crainte ? Ne pas parvenir à concilier ses impératifs professionnels avec les préceptes de l'islam. Comment réagir lorsqu'un client le convie à déjeuner ? Décliner l'invitation ? Autre motif d'inquiétude : son prochain mariage avec une catholique. Karim s'est renseigné auprès de «cyber-imams» sur les modalités de la cérémonie. Faut-il qu'elle se convertisse ? Ils ont emménagé ensemble avant les noces, est-ce interdit par l'islam ? Il a obtenu dix réponses contradictoires. «Entre les malékites, les wahhabites, les sunnites, je n'y comprends rien, regrette-t-il. Moi, je m'en fiche des écoles, je veux simplement suivre les bonnes règles.»
On croise de tout sur les forums. Jeunes des cités, mais aussi ingénieurs, juristes, lycéens, étudiants, commerçants ou sans-emploi.
Ahmed el-Keiy, le directeur en chef de Beur-FM, les connaît bien. Il tchatche avec eux tous les soirs. Pendant ce mois sacré, Beur-FM, radio laïque, organise des émissions spéciales. «Pour combler les manques, explique Ahmed el-Keiy. Les jeunes posent des questions sur la forme qui montrent qu'ils n'ont pas compris le fond de la religion.» Entouré de philosophes, de chercheurs et de théologiens, le journaliste répond aux auditeurs de la manière la plus ouverte possible. L'anthropologue Dounia Bouzar, qui milite pour l'émancipation des femmes et des jeunes dans l'islam (1), intervient régulièrement dans son débat. Pour elle, ces jeunes ont grandi dans des «trous de mémoire». «Ils sont nés dans un pays où l'islam n'est pas porté par l'ensemble de la communauté nationale, dit-elle. Mais ni leur famille, ni l'école, ni les médias traditionnels ne leur ont expliqué comment être musulman dans une France laïque.» Résultat, certains jeunes bricolent. Ils inventent «leur» islam avec les moyens du bord.
Ces interrogations ne datent pas d'aujourd'hui. A la fin des années 1990, déjà, les chercheurs soulignaient l'essor des born again, ces jeunes nés dans un pays non musulman et devenus plus pratiquants que leurs parents. A l'époque, ceux-ci se tournaient vers les livres. Ou bien vers les prêcheurs et les imams de quartier. «Aujourd'hui, la demande est la même. C'est l'outil qui a changé», dit Olivier Roy, politologue spécialiste de l'islam (1). Dans le monde réel, il faut parfois faire des kilomètres pour trouver un imam : il y en a 1 500 sur le territoire, pour 5 à 6 millions de musulmans... Sur la Toile, ils sont là, tout près. Natima (1), une jeune juriste de 25 ans, les a longtemps consultés. Elle n'a jamais su qui ils étaient vraiment. Née en Auvergne, de parents algériens non pratiquants, Natima s'installe à Paris pour ses études et, avec ses amies, décide de se voiler. «C'était tendance, dit-elle. On se retrouvait autour de notre appartenance religieuse parce qu'on avait l'impression d'être rejetées par les Français.» Les amies se lancent le défi d'être la meilleure musulmane possible. Aujourd'hui, Natima se dit qu'elles étaient bien inconscientes. Et si, en surfant sur la Toile, elles étaient tombées sur des extrémistes ? N'importe qui peut se présenter comme imam, ouléma ou théologien sur internet. N'importe quel prêcheur peut rendre des «cyber-fatwas» depuis la France, mais également depuis l'Arabie Saoudite, l'Algérie, l'Iran, etc. «Les cyber-imams se basent sur les textes sacrés, mais on peut faire tout dire aux textes», insiste-t-elle. Ces forums ? Natima ne les consulte plus. La prise de distance a été progressive, presque naturelle. Elle a grandi, a rencontré d'autres amies, est sortie de la «communauté». «Maintenant, j'aperçois que, même s'il y a des normes et des interdits, l'islam est d'abord une spiritualité. Je n'ai besoin de personne pour me dicter ma religion.»
(1)Certains prénoms ont été changés.
Léna Mauger
Le Nouvel Observateur
et nulle ne l'ignore 
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