Débordé par les folles exigences des ses “partenaires”, Abbas, comme on pouvait s'y attendre, s'est abrité derrière le roi. Lequel a chargé son conseiller Meziane Belfqih de régler l'affaire en deux jours. Résultat : un gouvernement surprenant, et une série d'implosions partisanes dans son sillage. Mais tout n'est pas encore joué…
Mercredi 10 octobre dans la soirée, Abbas El Fassi a appelé sur leurs portables les chefs de parti de sa majorité, un par un. Et il a rendu une visite personnelle à chacun d’eux, pour les “informer de la liste
définitive du gouvernement”. Les “informer”, oui. Tout à coup, après trois semaines de négociations et l'impression générale que la situation était irrémédiablement bloquée. Oui mais voilà, le Premier ministre a aussi apporté d'autres nouvelles : cette liste était “validée” par Mohammed VI, lequel avait aussi décidé de changer d'interface. Désormais, c'est l'influent conseiller Abdelaziz Meziane Belfqih qui chapeautera les tractations gouvernementales au nom du roi, en lieu et place de son homologue Mohamed Moâtassim, témoin impuissant de l'impasse dans laquelle El Fassi et ses “partenaires” s'étaient progressivement enferrés. La liste peut-elle encore être modifiée ? Peu de chances, d'après nos sources : “Tout amendement risquerait d'être interprété comme un affront direct à Sa Majesté”. Voilà qui est clair. Et tant pis pour la pureté de la “méthodologie démocratique”. On n'allait pas y passer 110 ans non plus…
Abbas en façade, Belfqih à la manœuvre
La nuit de mercredi a été longue. De téléphone en téléphone, la liste s'est répandue comme une traînée de poudre et tous les états-majors des partis se sont réunis - souvent, aux domiciles de leurs chefs, et parfois jusqu'au s'hour. Certains ont pavoisé, d'autres ont serré les dents. Et tous ont commenté l'afflux au gouvernement de “stars” fraîchement repeintes aux couleurs d'un parti ou d'un autre : Aziz Akhennouch, Nawal El Moutawakil, Amina Benkhadra… Que de surprises, M. Belfqih !
Jeudi 11 octobre en fin de journée, la liste était quasi définitive, mais l'investiture officielle du gouvernement annoncée seulement en début de semaine prochaine. C'est du moins ce que croyaient savoir les responsables politiques que nous avons interrogés ce jeudi soir, avant de passer sous presse. Le roi, justifient-ils, a un agenda serré. Vendredi, il se rendra au Parlement pour y prononcer son traditionnel discours d'ouverture de la session inaugurale. Et vu que l'Aïd tombe ce week-end, il y a “de fortes chances”, disaient-ils, que l'annonce se fasse lundi ou mardi. Ils n'en savaient certainement rien, pas plus qu'ils n'étaient préparés, mercredi encore, à un dénouement aussi soudain. Le roi, que nul ne l'oublie, est toujours le maître du jeu, et son calendrier s'impose à tous.
Le nouveau gouvernement comprend donc, toujours à l'heure où nous mettons sous presse, 31 ministres et secrétaires d'Etat, dont 6 dits “de souveraineté”. C'est plus qu'El Fassi n'avait annoncé au début des négociations. Son objectif d'alors (sans doute ces “orientations et conseils royaux” qu'il disait vouloir appliquer “à la lettre” le jour de sa nomination) était de distribuer 20 portefeuilles et d'en réserver 8 autres au Palais. On sait ce qu'il est advenu de ce pieux objectif, tant que Abbas était seul à le défendre : tous les partis ont demandé des rallonges. Pire : moins bien ils étaient classés au Parlement, plus ils en demandaient. L'USFP, arrivé bon cinquième, réclamait ainsi 6 sièges (au lieu des 4 proposés par El Fassi), et le RNI, quatrième au compteur, a carrément remis en cause toute l'architecture proposée par le Premier ministre, menaçant de… passer à l'opposition !
Vite débordé, El Fassi n'a pas tardé à s'en remettre à l'arbitrage royal. Pourquoi était-ce si désespérément prévisible… ? Au début de la dernière semaine de tractations, les principaux chefs de parti ont même été à Fès pour “rapprocher leurs points de vue” sous la supervision du conseiller Moâtassim, pas encore débarqué à ce moment-là. Cinq chefs de parti, dont le Premier ministre désigné, qui se déplacent tous pour rencontrer un seul conseiller royal, appréciez le symbole ! Pendant le dîner, Abbas, studieux, a proposé une “architecture gouvernementale retouchée”. Philosophie de la chose : “Il me faut plus de sièges pour contenter tout le monde”. On ne sait si c'est Moâtassim ou son successeur Belfqih qui a donné le feu vert à El Fassi (c'est probablement le second), mais ce soir-là, à Fès, le secrétaire général de l'Istiqlal s'est quand même fait drôlement enguirlander. Sa Majesté, lui aurait dit Moâtassim, n'apprécie pas que la présidence du Parlement soit intégrée dans les négociations. “Le conseiller royal a dit à El Fassi que son job était de former le gouvernement, pas de s'occuper du Parlement”, nous raconte-t-on. On imagine Abbas au comble de la contrition…
Puis Belfqih est entré en scène, avec les coudées plus franches et sans doute un soutien royal plus nettement marqué. Mais il fallait quand même tenir compte des revendications des partis. Premier dommage : la belle structure “en pôles” (un nombre réduit de “grands ministères thématiques” affublés de ministères délégués et de secrétariats d'Etat, et confiés chacun d'un bloc à une formation, pour une action gouvernementale plus claire)… a vite fait d'exploser. La fringale des partis était tellement grande que les architectes de l'ombre du gouvernement, menés par un Belfqih pressé, trop pressé, ont saucissonné les pôles pour arriver à satisfaire tout le monde. La pêche a ainsi été détachée de son vaisseau-amiral traditionnel, l'agriculture, l'artisanat est devenu un secrétariat d'Etat indépendant du tourisme…
Mais surtout, la répartition de la liste Belfqih est loin de respecter le classement des partis au Parlement. L'USFP, arrivé cinquième, hérite ainsi de 6 postes… autant que l'Istiqlal, arrivé premier. Il est vrai qu'avec Abbas, ça fait 7 pour l'Istiqlal ; et si on retranche Elyazghi, ministre d'Etat sans portefeuille et nouveau bonnet d'âne du gouvernement, ça en fait 5 pour l'USFP. Il n'empêche. Les Istiqlaliens, qui ont réuni leur conseil exécutif au lendemain de la divulgation de la liste, n'ont pas apprécié de se voir “traités sur un pied d'égalité” avec leurs frères ennemis socialistes - même si El Fassi a tout fait pour les associer au gouvernement. “Ce qui a ajouté à notre déception, déplore un Istiqlalien, c'est de voir la Jeunesse et les sports, où nous voulions placer Abdellah Bekkali, nous filer entre les doigts”. Que voulez-vous, ce sont les vicissitudes de la “méthodologie démocratique” !
Mercredi 10 octobre dans la soirée, Abbas El Fassi a appelé sur leurs portables les chefs de parti de sa majorité, un par un. Et il a rendu une visite personnelle à chacun d’eux, pour les “informer de la liste
Abbas en façade, Belfqih à la manœuvre
La nuit de mercredi a été longue. De téléphone en téléphone, la liste s'est répandue comme une traînée de poudre et tous les états-majors des partis se sont réunis - souvent, aux domiciles de leurs chefs, et parfois jusqu'au s'hour. Certains ont pavoisé, d'autres ont serré les dents. Et tous ont commenté l'afflux au gouvernement de “stars” fraîchement repeintes aux couleurs d'un parti ou d'un autre : Aziz Akhennouch, Nawal El Moutawakil, Amina Benkhadra… Que de surprises, M. Belfqih !
Jeudi 11 octobre en fin de journée, la liste était quasi définitive, mais l'investiture officielle du gouvernement annoncée seulement en début de semaine prochaine. C'est du moins ce que croyaient savoir les responsables politiques que nous avons interrogés ce jeudi soir, avant de passer sous presse. Le roi, justifient-ils, a un agenda serré. Vendredi, il se rendra au Parlement pour y prononcer son traditionnel discours d'ouverture de la session inaugurale. Et vu que l'Aïd tombe ce week-end, il y a “de fortes chances”, disaient-ils, que l'annonce se fasse lundi ou mardi. Ils n'en savaient certainement rien, pas plus qu'ils n'étaient préparés, mercredi encore, à un dénouement aussi soudain. Le roi, que nul ne l'oublie, est toujours le maître du jeu, et son calendrier s'impose à tous.
Le nouveau gouvernement comprend donc, toujours à l'heure où nous mettons sous presse, 31 ministres et secrétaires d'Etat, dont 6 dits “de souveraineté”. C'est plus qu'El Fassi n'avait annoncé au début des négociations. Son objectif d'alors (sans doute ces “orientations et conseils royaux” qu'il disait vouloir appliquer “à la lettre” le jour de sa nomination) était de distribuer 20 portefeuilles et d'en réserver 8 autres au Palais. On sait ce qu'il est advenu de ce pieux objectif, tant que Abbas était seul à le défendre : tous les partis ont demandé des rallonges. Pire : moins bien ils étaient classés au Parlement, plus ils en demandaient. L'USFP, arrivé bon cinquième, réclamait ainsi 6 sièges (au lieu des 4 proposés par El Fassi), et le RNI, quatrième au compteur, a carrément remis en cause toute l'architecture proposée par le Premier ministre, menaçant de… passer à l'opposition !
Vite débordé, El Fassi n'a pas tardé à s'en remettre à l'arbitrage royal. Pourquoi était-ce si désespérément prévisible… ? Au début de la dernière semaine de tractations, les principaux chefs de parti ont même été à Fès pour “rapprocher leurs points de vue” sous la supervision du conseiller Moâtassim, pas encore débarqué à ce moment-là. Cinq chefs de parti, dont le Premier ministre désigné, qui se déplacent tous pour rencontrer un seul conseiller royal, appréciez le symbole ! Pendant le dîner, Abbas, studieux, a proposé une “architecture gouvernementale retouchée”. Philosophie de la chose : “Il me faut plus de sièges pour contenter tout le monde”. On ne sait si c'est Moâtassim ou son successeur Belfqih qui a donné le feu vert à El Fassi (c'est probablement le second), mais ce soir-là, à Fès, le secrétaire général de l'Istiqlal s'est quand même fait drôlement enguirlander. Sa Majesté, lui aurait dit Moâtassim, n'apprécie pas que la présidence du Parlement soit intégrée dans les négociations. “Le conseiller royal a dit à El Fassi que son job était de former le gouvernement, pas de s'occuper du Parlement”, nous raconte-t-on. On imagine Abbas au comble de la contrition…
Puis Belfqih est entré en scène, avec les coudées plus franches et sans doute un soutien royal plus nettement marqué. Mais il fallait quand même tenir compte des revendications des partis. Premier dommage : la belle structure “en pôles” (un nombre réduit de “grands ministères thématiques” affublés de ministères délégués et de secrétariats d'Etat, et confiés chacun d'un bloc à une formation, pour une action gouvernementale plus claire)… a vite fait d'exploser. La fringale des partis était tellement grande que les architectes de l'ombre du gouvernement, menés par un Belfqih pressé, trop pressé, ont saucissonné les pôles pour arriver à satisfaire tout le monde. La pêche a ainsi été détachée de son vaisseau-amiral traditionnel, l'agriculture, l'artisanat est devenu un secrétariat d'Etat indépendant du tourisme…
Mais surtout, la répartition de la liste Belfqih est loin de respecter le classement des partis au Parlement. L'USFP, arrivé cinquième, hérite ainsi de 6 postes… autant que l'Istiqlal, arrivé premier. Il est vrai qu'avec Abbas, ça fait 7 pour l'Istiqlal ; et si on retranche Elyazghi, ministre d'Etat sans portefeuille et nouveau bonnet d'âne du gouvernement, ça en fait 5 pour l'USFP. Il n'empêche. Les Istiqlaliens, qui ont réuni leur conseil exécutif au lendemain de la divulgation de la liste, n'ont pas apprécié de se voir “traités sur un pied d'égalité” avec leurs frères ennemis socialistes - même si El Fassi a tout fait pour les associer au gouvernement. “Ce qui a ajouté à notre déception, déplore un Istiqlalien, c'est de voir la Jeunesse et les sports, où nous voulions placer Abdellah Bekkali, nous filer entre les doigts”. Que voulez-vous, ce sont les vicissitudes de la “méthodologie démocratique” !
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