Une preuve pour les nouvelles théories de la gravitation ?
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
En étudiant en 2005 la galaxie Markarian 501, les astrophysiciens ont fait une bien curieuse découverte : des photons semblent se déplacer à des vitesses différentes ! Selon les plus audacieux d’entre-eux, il pourrait s’agir d’une des toutes premières preuves en faveur de certaines théories de gravitation quantique comme la Loop Quantum Gravity ou la théorie des supercordes.
L’astrophysique des hautes énergies ne cesse de se développer depuis quelques années. Certains phénomènes en physique des particules élémentaires sont en effet difficilement observables sur Terre, voire pas du tout. Heureusement, l’Univers réalise pour nous les plus grandes expériences de physique de tous les temps, que ce soit avec le Big Bang lui-même ou avec des objets astrophysiques mystérieux mais fascinants : les noyaux actifs de galaxies ou AGN.
On pense actuellement que les noyaux actifs de galaxies, dont les plus spectaculaires sont les célèbres quasars, sont en fait de gigantesques trous noirs de Kerr en rotation entourés par un disque de gaz et de poussières spiralant en direction de l’horizon de ce dernier. Des processus fort complexes de magnétohydrodynamique relativiste se produisent alors, et une partie de l’énergie gravitationnelle associée à la chute de la matière sur le trou noir, ainsi que l’énergie cinétique de rotation de celui-ci, se trouvent converties en faisceaux de particules très énergétiques et en radiations lumineuses. En particulier, des rayons gamma possédant une énergie de quelques Tev (téra elctronVolts) sont produits. En arrivant dans les hautes couches de l’atmosphère terrestre, ils sont convertis en gerbes de particules élémentaires lesquelles, à leur tour, s’accompagnent d’un rayonnement particulier appelé rayonnement Tcherenkov. En mesurant celui-ci au sol, on peut remonter aux caractéristiques précises des photons gamma. C’est ce que font des télescopes gamma terrestres comme Hess en Namibie et Magic sur l’île de La Palma aux Canaries.
Des photons qui semblent ne pas voyager à la vitesse de la lumière
Or, au milieu de l’année 2005, alors que l’équipe de scientifiques utilisant Magic étudiait l’AGN de la galaxie Markarian 501 située à environ 700 millions d’années-lumière, deux flashs gamma correspondant à de véritables éruptions dans une zone très proche du trou noir central furent enregistrés. La taille de la région d’où sont originaires ces éruptions ne semble pas excéder la distance que parcourt la lumière en trois secondes et chacune d’entre elles a produit des photons gamma dont les énergies s’échelonnent entre 100 Gev et 10 Tev, et ce, pendant un temps estimé à 2 minutes à peu près. Là où les choses commencent à devenir très intéressantes, c’est que les photons gamma les plus énergétiques sont arrivés sur Terre avec 4 minutes de retard environ sur les moins énergétiques !
Ce décalage ne semble pas avoir d’explication dans le cadre de la physique établie et des modèles des noyaux actifs de galaxies. Mais comme la théorie des AGN reste approximative, il n’est pas non plus exclu qu’une compréhension un peu plus fine de la physique des plasmas autour d’un trou noir de quelques millions à quelques milliards de masses solaires ne fournisse une explication naturelle.
Beaucoup pensent donc qu’avant de faire intervenir des hypothèses plus exotiques, il serait plus sage d’attendre que les observations et les modèles se perfectionnent. D’ailleurs, l’échelle de temps des éruptions et celle des décalages observés sont quasiment identiques.
On pourrait très bien imaginer un processus classique aux abords du trou noir conduisant à un piégeage temporaire des rayons gamma les plus énergétiques. On sait bien, par exemple, que les photons produits au cœur du Soleil mettent un million d’années pour en sortir, à cause de chocs successifs avec la matière solaire, alors que les neutrinos faiblement couplés à cette dernière quittent la surface solaire presque instantanément.
John Ellis dans la salle de prise de données du détecteur Auger en Argentine (Crédit : John Ellis).
Prévu par des théories non conventionnelles
Seulement voilà, il y a dix ans, les théoriciens John Ellis, Nick Mavromatos et leur collègue Dimitri Nanopoulos, en utilisant la théorie des cordes, avaient prédit que le jour où la sensibilité des télescopes gamma aurait atteint un niveau suffisant, des phénomènes comme ceux de Markarian 501 seraient observés.
Simultanément, une des théories alternatives de la gravitation quantique, la théorie de gravitation quantique à boucles ou en anglais la Loop Quantum Gravity, avait fourni des prédictions similaires comme l’avait souligné fortement Giovanni Amelino-Camelia. Une publication conjointe avait d’ailleurs été faite par ces théoriciens, pour qui l’expression « gravitation quantique expérimentale » ne devait pas nécessairement être condamnée à n’être qu’un oxymoron, tellement les différents phénomènes prédits par les spéculations des théoriciens semblaient devoir être à tout jamais inaccessibles aux observations et à l’expérimentation, en raison des incroyables énergies nécessaires pour les produire en laboratoire.
Giovanni Amelino-Camelia (Crédit : Institute for Gravitational Physics and Geometry at The Pennsylvania State University).
Espace-temps en ébullition
En tout premier lieu, il faut bien garder à l’esprit que le tissu de l’espace-temps peut être considéré comme un milieu élastique et déformable comme Einstein nous l’a appris. Sa structure même impose des limites à la façon dont des signaux peuvent se déplacer dans l’Univers, qu’ils soient constitués par des particules sans masse comme le photon et le graviton ou au contraire massives comme les protons et les neutrinos. Ce qui veut dire que si sa structure change, le comportement des particules précédentes, et surtout la façon dont elles peuvent se déplacer dans l’Univers, pourront être affectés.
En particulier, John Wheeler et Stephen Hawking ont défendu depuis longtemps l’idée qu’en raison des lois de la mécanique quantique, si l’espace-temps semble lisse et calme à notre échelle, il n’en est pas de même lorsqu’on le considère à des échelles de distances bien plus petites qu’un milliardième de la taille d’un noyau d’atome. Si l’on se donne une image de fluide pour décrire ce qui se passe à une échelle de 10-35 m, la longueur de Planck, on obtient celle d’un liquide en ébullition, très turbulent. Les lois de la gravitation quantique impliquent en effet alors une structure très similaire à celle de l’écume d’une vague se brisant sur un rocher. C’est ce que John Wheeler a justement baptisé en anglais la « foam like structure » de l’espace-temps.
La structure en écume de l'espace-temps (Crédit : Brian Greene/Nova)
Par Laurent Sacco, Futura-Sciences
En étudiant en 2005 la galaxie Markarian 501, les astrophysiciens ont fait une bien curieuse découverte : des photons semblent se déplacer à des vitesses différentes ! Selon les plus audacieux d’entre-eux, il pourrait s’agir d’une des toutes premières preuves en faveur de certaines théories de gravitation quantique comme la Loop Quantum Gravity ou la théorie des supercordes.
L’astrophysique des hautes énergies ne cesse de se développer depuis quelques années. Certains phénomènes en physique des particules élémentaires sont en effet difficilement observables sur Terre, voire pas du tout. Heureusement, l’Univers réalise pour nous les plus grandes expériences de physique de tous les temps, que ce soit avec le Big Bang lui-même ou avec des objets astrophysiques mystérieux mais fascinants : les noyaux actifs de galaxies ou AGN.
On pense actuellement que les noyaux actifs de galaxies, dont les plus spectaculaires sont les célèbres quasars, sont en fait de gigantesques trous noirs de Kerr en rotation entourés par un disque de gaz et de poussières spiralant en direction de l’horizon de ce dernier. Des processus fort complexes de magnétohydrodynamique relativiste se produisent alors, et une partie de l’énergie gravitationnelle associée à la chute de la matière sur le trou noir, ainsi que l’énergie cinétique de rotation de celui-ci, se trouvent converties en faisceaux de particules très énergétiques et en radiations lumineuses. En particulier, des rayons gamma possédant une énergie de quelques Tev (téra elctronVolts) sont produits. En arrivant dans les hautes couches de l’atmosphère terrestre, ils sont convertis en gerbes de particules élémentaires lesquelles, à leur tour, s’accompagnent d’un rayonnement particulier appelé rayonnement Tcherenkov. En mesurant celui-ci au sol, on peut remonter aux caractéristiques précises des photons gamma. C’est ce que font des télescopes gamma terrestres comme Hess en Namibie et Magic sur l’île de La Palma aux Canaries.
Des photons qui semblent ne pas voyager à la vitesse de la lumière
Or, au milieu de l’année 2005, alors que l’équipe de scientifiques utilisant Magic étudiait l’AGN de la galaxie Markarian 501 située à environ 700 millions d’années-lumière, deux flashs gamma correspondant à de véritables éruptions dans une zone très proche du trou noir central furent enregistrés. La taille de la région d’où sont originaires ces éruptions ne semble pas excéder la distance que parcourt la lumière en trois secondes et chacune d’entre elles a produit des photons gamma dont les énergies s’échelonnent entre 100 Gev et 10 Tev, et ce, pendant un temps estimé à 2 minutes à peu près. Là où les choses commencent à devenir très intéressantes, c’est que les photons gamma les plus énergétiques sont arrivés sur Terre avec 4 minutes de retard environ sur les moins énergétiques !
Ce décalage ne semble pas avoir d’explication dans le cadre de la physique établie et des modèles des noyaux actifs de galaxies. Mais comme la théorie des AGN reste approximative, il n’est pas non plus exclu qu’une compréhension un peu plus fine de la physique des plasmas autour d’un trou noir de quelques millions à quelques milliards de masses solaires ne fournisse une explication naturelle.
Beaucoup pensent donc qu’avant de faire intervenir des hypothèses plus exotiques, il serait plus sage d’attendre que les observations et les modèles se perfectionnent. D’ailleurs, l’échelle de temps des éruptions et celle des décalages observés sont quasiment identiques.
On pourrait très bien imaginer un processus classique aux abords du trou noir conduisant à un piégeage temporaire des rayons gamma les plus énergétiques. On sait bien, par exemple, que les photons produits au cœur du Soleil mettent un million d’années pour en sortir, à cause de chocs successifs avec la matière solaire, alors que les neutrinos faiblement couplés à cette dernière quittent la surface solaire presque instantanément.
John Ellis dans la salle de prise de données du détecteur Auger en Argentine (Crédit : John Ellis).
Prévu par des théories non conventionnelles
Seulement voilà, il y a dix ans, les théoriciens John Ellis, Nick Mavromatos et leur collègue Dimitri Nanopoulos, en utilisant la théorie des cordes, avaient prédit que le jour où la sensibilité des télescopes gamma aurait atteint un niveau suffisant, des phénomènes comme ceux de Markarian 501 seraient observés.
Simultanément, une des théories alternatives de la gravitation quantique, la théorie de gravitation quantique à boucles ou en anglais la Loop Quantum Gravity, avait fourni des prédictions similaires comme l’avait souligné fortement Giovanni Amelino-Camelia. Une publication conjointe avait d’ailleurs été faite par ces théoriciens, pour qui l’expression « gravitation quantique expérimentale » ne devait pas nécessairement être condamnée à n’être qu’un oxymoron, tellement les différents phénomènes prédits par les spéculations des théoriciens semblaient devoir être à tout jamais inaccessibles aux observations et à l’expérimentation, en raison des incroyables énergies nécessaires pour les produire en laboratoire.
Giovanni Amelino-Camelia (Crédit : Institute for Gravitational Physics and Geometry at The Pennsylvania State University).
Espace-temps en ébullition
En tout premier lieu, il faut bien garder à l’esprit que le tissu de l’espace-temps peut être considéré comme un milieu élastique et déformable comme Einstein nous l’a appris. Sa structure même impose des limites à la façon dont des signaux peuvent se déplacer dans l’Univers, qu’ils soient constitués par des particules sans masse comme le photon et le graviton ou au contraire massives comme les protons et les neutrinos. Ce qui veut dire que si sa structure change, le comportement des particules précédentes, et surtout la façon dont elles peuvent se déplacer dans l’Univers, pourront être affectés.
En particulier, John Wheeler et Stephen Hawking ont défendu depuis longtemps l’idée qu’en raison des lois de la mécanique quantique, si l’espace-temps semble lisse et calme à notre échelle, il n’en est pas de même lorsqu’on le considère à des échelles de distances bien plus petites qu’un milliardième de la taille d’un noyau d’atome. Si l’on se donne une image de fluide pour décrire ce qui se passe à une échelle de 10-35 m, la longueur de Planck, on obtient celle d’un liquide en ébullition, très turbulent. Les lois de la gravitation quantique impliquent en effet alors une structure très similaire à celle de l’écume d’une vague se brisant sur un rocher. C’est ce que John Wheeler a justement baptisé en anglais la « foam like structure » de l’espace-temps.
La structure en écume de l'espace-temps (Crédit : Brian Greene/Nova)
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