C'est un peu long mais très interessant.
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L'opinion, ça parle
par Gérard Le Gall, conseiller politique en matière de sondages et de communication à la direction du Parti socialiste
Intervention prononcée lors du colloque du 10 septembre 2007, La démocratie peut-elle survivre au système politico-médiatico-sondagier ?
Je remercie Jean-Pierre Chevènement de cette invitation et de la sélection de ce thème, bien que celui-ci soit déjà éprouvé depuis quinze ou vingt ans, preuve de notre impuissance à modifier la réalité des choses. Je crains que dans dix ans le même séminaire, sur le même sujet, ne reprenne la même argumentation !
C'est que des logiques profondes sont à l'œuvre. Mon point de vue ne sera pas celui d'un théoricien, ni d'un idéologue. Je n'évoquerai ni les logiques financières, ni la nature de la propriété des instituts de sondages ou des journaux qui les diffusent. Je connais ce type d'approche, je ne la juge pas opératoire. Je crois à l'autonomie du politique, je pense qu'il existe des marges de liberté à l'intérieur de la sphère politique. Les déterminants économiques présentent une rationalité peut-être plus apparente que réelle, dès lors qu'on appréhende la sphère politique.
Je voudrais prosaïquement reprendre l'illustration que donne Jean-Pierre Chevènement dans son intervention en évoquant ce salarié de General Electric à Belfort qui, quand on lui parle du capital financier, répond : « C'est bien possible mais je ne vois pas ces capitalistes tous les jours, ce ne sont pas mes voisins » Il veut dire qu'au regard de son quotidien, dans son HLM : l'assistanat, les contradictions au sein du peuple, l'explication séculaire d'un capitalisme financier qui serait à l'œuvre lui paraît très abstraite. Loin de lui la raison intellectuelle - la raison critique en l'occurrence - sa raison à lui est plus de proximité, c'est son vécu et il cherche des explications qui peuvent d'ailleurs passer par des boucs émissaires.
Je me situerai sur un plan pratico-pratique. Depuis trente ans, je m'occupe de « la chose sondages » pour la direction du Parti socialiste. Je l'ai enseignée à l'université. Si je suis devenu « spécialiste » des sondages, c'est que François Mitterrand, en 1979, après les élections européennes, alors que mes « prévisions » s'étaient avérées (c'est-à-dire qu'il ferait moins de 25%, ce qui était préoccupant dans la perspective de 1981) m'a dit : « Vous avez bien vu les choses. Vous êtes spécialiste des sondages ? » « Bien sûr », lui répondis-je. Puisqu'il me prenait pour un spécialiste, il a fallu que je le devienne !
C'est à partir de là je me suis intéressé de plus près à cette petite technique qu'on maltraite beaucoup :
Le débat sur la taille des échantillons est vieux de vingt-cinq ans, tout comme l'ordre des questions, les effets de halo que critiquaient Pierre Bourdieu et quelques autres ... Les grands instituts de sondages ont beaucoup progressé, grâce d'ailleurs aux critiques qui avaient été formulées. Je ne vais donc pas m'y attarder. J'évoquerai quand même la critique des sondages par téléphone. En 2007, les sondages faits par téléphone et en face à face donnaient exactement les mêmes résultats. Cela a été démontré : deux instituts sur les six principaux qui réalisaient des sondages aux mêmes dates, avec le même ordre de questionnaire obtenaient au téléphone les mêmes réponses que leurs confrères. Evitons donc de nous embarrasser de faux problèmes. !
La démocratie est à l'épreuve.
La démocratie se décline sous plusieurs formes, plusieurs pratiques, elle se métamorphose depuis un ou deux siècles. Mais elle est à l'épreuve, elle souffre, elle est menacée, elle peut périr. Bonne question… Mais peut-on situer l'âge d'or de la démocratie ? Le sondage est une invention récente. Importé en France en 1938, il ne connaît un développement conséquent que dans les années 1960-65.
Que dire de la démocratie d'avant les sondages ? Une démocratie parlementaire, des petits partis, ce n'était pas vraiment l'âge d'or !
Si j'avais le temps et le talent, je pourrais vous démontrer que les sondages ont permis une meilleure connaissance de l'opinion, de la société, de l'adversaire, des améliorations des formes du combat politique et une plus grande lucidité. Interroger mille personnes vaut mieux que recevoir quinze ou vingt personnes dans sa permanence ou questionner son chauffeur, comme sous la Troisième République. Il y a une démocratie dans le sondage, on ne force pas les gens à répondre, on ne leur met pas le pistolet sur la tempe. On ne va pas les interroger comme la Guépéou à six heures du matin ! (Il n'y avait d'ailleurs pas de sondages dans les pays totalitaires). Il y a bien un certain rapport entre les sondages et la démocratie, à condition, naturellement, que les questions soient bien posées. Les vérifications sont possibles : il est donné à chacun de lire le libellé des questions et de voir s'il n'y a pas de biais idéologique, d'imposition de problématique etc.
La démocratie souffre, elle est menacée… Mais il faut toujours, lorsqu'on critique quelque chose, la Ve République par exemple, s'interroger sur les effets d'une sixième République. Il est facile de critiquer l'existant mais ce n'est pas parce que l'existant est imparfait que l'alternative est bonne ! Le XXe siècle a vu la réalisation de quelques grands projets alternatifs ! Peut-être le léninisme, pendant quelques années, était-il préférable au tsarisme mais on connaît la suite… Je ne citerai pas d'autres exemples. La critique du réel est importante mais une critique supérieure consisterait à se demander, quand on s'en prend à l'institution-sondages, par exemple, ce que serait la démocratie sans les sondages. Or on sait comment elle fonctionnait avant les sondages.
Les résistances aux sondages, au fait sondagier, a quelque chose à voir avec la résistance à la psychanalyse. A travers les sondages quelque chose parle de la société. Quiconque comme moi peut passer deux ou trois heures par jour à lire des sondages, à les analyser, à essayer de les comprendre, à discuter avec les sondeurs, vous dira que c'est du vivant, c'est la société qui parle. Quand on pose la question : « Que pensez-vous de telle candidate ou de tel candidat ? », on dispose des verbatim de mille personnes, de leur CSP, de leurs votes antérieurs. C'est d'une richesse extraordinaire.
Pourquoi, en 2002, un conseiller du Premier Ministre, membre de la direction de campagne, déclare-t-il six jours avant le premier tour que Le Pen pourrait arriver devant Jospin ? (Celui-là c'est moi !) C'est peut-être un petit peu grâce aux sondages, non ? Les sondages m'aident à comprendre la société. Si je ne dis pas que c'est le 14 juillet 2001 que la question de la sécurité s'est imposée dans l'espace public, c'est parce que je regarde les baromètres - en l'occurrence Figaro magazine-SOFRES - et je sais que, six mois plus tôt, la question de la sécurité est passée devant celle du chômage. Je n'ai pas besoin du tam-tam du 14 juillet ! Ensuite, TF1 tam-tamise, certes mais c'est déjà dans la tête des gens. Il ne faut donc pas inverser la cause et l'effet mais regarder la chronologie. Le respect de la chronologie est un élément important de l'analyse de la vie politique, Mais Chirac l'avait perçu. Pendant les réunions de cabinet, à Matignon, j'avertissais : « Attention, c'est une question très importante, une question qui monte » (Je n'ai pas, non plus, attendu Villepinte pour dire que l'insécurité était aussi une inégalité). Je ne pouvais m'expliquer l'incompréhension de mes camarades sur cette question de l'insécurité que par le fait qu'ils la considéraient comme un thème de droite. A La Rochelle, il y a dix ou douze ans, les Jeunesses socialistes me disaient : « Mais c'est le discours de Le Pen » !
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L'opinion, ça parle
par Gérard Le Gall, conseiller politique en matière de sondages et de communication à la direction du Parti socialiste
Intervention prononcée lors du colloque du 10 septembre 2007, La démocratie peut-elle survivre au système politico-médiatico-sondagier ?
Je remercie Jean-Pierre Chevènement de cette invitation et de la sélection de ce thème, bien que celui-ci soit déjà éprouvé depuis quinze ou vingt ans, preuve de notre impuissance à modifier la réalité des choses. Je crains que dans dix ans le même séminaire, sur le même sujet, ne reprenne la même argumentation !
C'est que des logiques profondes sont à l'œuvre. Mon point de vue ne sera pas celui d'un théoricien, ni d'un idéologue. Je n'évoquerai ni les logiques financières, ni la nature de la propriété des instituts de sondages ou des journaux qui les diffusent. Je connais ce type d'approche, je ne la juge pas opératoire. Je crois à l'autonomie du politique, je pense qu'il existe des marges de liberté à l'intérieur de la sphère politique. Les déterminants économiques présentent une rationalité peut-être plus apparente que réelle, dès lors qu'on appréhende la sphère politique.
Je voudrais prosaïquement reprendre l'illustration que donne Jean-Pierre Chevènement dans son intervention en évoquant ce salarié de General Electric à Belfort qui, quand on lui parle du capital financier, répond : « C'est bien possible mais je ne vois pas ces capitalistes tous les jours, ce ne sont pas mes voisins » Il veut dire qu'au regard de son quotidien, dans son HLM : l'assistanat, les contradictions au sein du peuple, l'explication séculaire d'un capitalisme financier qui serait à l'œuvre lui paraît très abstraite. Loin de lui la raison intellectuelle - la raison critique en l'occurrence - sa raison à lui est plus de proximité, c'est son vécu et il cherche des explications qui peuvent d'ailleurs passer par des boucs émissaires.
Je me situerai sur un plan pratico-pratique. Depuis trente ans, je m'occupe de « la chose sondages » pour la direction du Parti socialiste. Je l'ai enseignée à l'université. Si je suis devenu « spécialiste » des sondages, c'est que François Mitterrand, en 1979, après les élections européennes, alors que mes « prévisions » s'étaient avérées (c'est-à-dire qu'il ferait moins de 25%, ce qui était préoccupant dans la perspective de 1981) m'a dit : « Vous avez bien vu les choses. Vous êtes spécialiste des sondages ? » « Bien sûr », lui répondis-je. Puisqu'il me prenait pour un spécialiste, il a fallu que je le devienne !
C'est à partir de là je me suis intéressé de plus près à cette petite technique qu'on maltraite beaucoup :
Le débat sur la taille des échantillons est vieux de vingt-cinq ans, tout comme l'ordre des questions, les effets de halo que critiquaient Pierre Bourdieu et quelques autres ... Les grands instituts de sondages ont beaucoup progressé, grâce d'ailleurs aux critiques qui avaient été formulées. Je ne vais donc pas m'y attarder. J'évoquerai quand même la critique des sondages par téléphone. En 2007, les sondages faits par téléphone et en face à face donnaient exactement les mêmes résultats. Cela a été démontré : deux instituts sur les six principaux qui réalisaient des sondages aux mêmes dates, avec le même ordre de questionnaire obtenaient au téléphone les mêmes réponses que leurs confrères. Evitons donc de nous embarrasser de faux problèmes. !
La démocratie est à l'épreuve.
La démocratie se décline sous plusieurs formes, plusieurs pratiques, elle se métamorphose depuis un ou deux siècles. Mais elle est à l'épreuve, elle souffre, elle est menacée, elle peut périr. Bonne question… Mais peut-on situer l'âge d'or de la démocratie ? Le sondage est une invention récente. Importé en France en 1938, il ne connaît un développement conséquent que dans les années 1960-65.
Que dire de la démocratie d'avant les sondages ? Une démocratie parlementaire, des petits partis, ce n'était pas vraiment l'âge d'or !
Si j'avais le temps et le talent, je pourrais vous démontrer que les sondages ont permis une meilleure connaissance de l'opinion, de la société, de l'adversaire, des améliorations des formes du combat politique et une plus grande lucidité. Interroger mille personnes vaut mieux que recevoir quinze ou vingt personnes dans sa permanence ou questionner son chauffeur, comme sous la Troisième République. Il y a une démocratie dans le sondage, on ne force pas les gens à répondre, on ne leur met pas le pistolet sur la tempe. On ne va pas les interroger comme la Guépéou à six heures du matin ! (Il n'y avait d'ailleurs pas de sondages dans les pays totalitaires). Il y a bien un certain rapport entre les sondages et la démocratie, à condition, naturellement, que les questions soient bien posées. Les vérifications sont possibles : il est donné à chacun de lire le libellé des questions et de voir s'il n'y a pas de biais idéologique, d'imposition de problématique etc.
La démocratie souffre, elle est menacée… Mais il faut toujours, lorsqu'on critique quelque chose, la Ve République par exemple, s'interroger sur les effets d'une sixième République. Il est facile de critiquer l'existant mais ce n'est pas parce que l'existant est imparfait que l'alternative est bonne ! Le XXe siècle a vu la réalisation de quelques grands projets alternatifs ! Peut-être le léninisme, pendant quelques années, était-il préférable au tsarisme mais on connaît la suite… Je ne citerai pas d'autres exemples. La critique du réel est importante mais une critique supérieure consisterait à se demander, quand on s'en prend à l'institution-sondages, par exemple, ce que serait la démocratie sans les sondages. Or on sait comment elle fonctionnait avant les sondages.
Les résistances aux sondages, au fait sondagier, a quelque chose à voir avec la résistance à la psychanalyse. A travers les sondages quelque chose parle de la société. Quiconque comme moi peut passer deux ou trois heures par jour à lire des sondages, à les analyser, à essayer de les comprendre, à discuter avec les sondeurs, vous dira que c'est du vivant, c'est la société qui parle. Quand on pose la question : « Que pensez-vous de telle candidate ou de tel candidat ? », on dispose des verbatim de mille personnes, de leur CSP, de leurs votes antérieurs. C'est d'une richesse extraordinaire.
Pourquoi, en 2002, un conseiller du Premier Ministre, membre de la direction de campagne, déclare-t-il six jours avant le premier tour que Le Pen pourrait arriver devant Jospin ? (Celui-là c'est moi !) C'est peut-être un petit peu grâce aux sondages, non ? Les sondages m'aident à comprendre la société. Si je ne dis pas que c'est le 14 juillet 2001 que la question de la sécurité s'est imposée dans l'espace public, c'est parce que je regarde les baromètres - en l'occurrence Figaro magazine-SOFRES - et je sais que, six mois plus tôt, la question de la sécurité est passée devant celle du chômage. Je n'ai pas besoin du tam-tam du 14 juillet ! Ensuite, TF1 tam-tamise, certes mais c'est déjà dans la tête des gens. Il ne faut donc pas inverser la cause et l'effet mais regarder la chronologie. Le respect de la chronologie est un élément important de l'analyse de la vie politique, Mais Chirac l'avait perçu. Pendant les réunions de cabinet, à Matignon, j'avertissais : « Attention, c'est une question très importante, une question qui monte » (Je n'ai pas, non plus, attendu Villepinte pour dire que l'insécurité était aussi une inégalité). Je ne pouvais m'expliquer l'incompréhension de mes camarades sur cette question de l'insécurité que par le fait qu'ils la considéraient comme un thème de droite. A La Rochelle, il y a dix ou douze ans, les Jeunesses socialistes me disaient : « Mais c'est le discours de Le Pen » !
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