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Le récit d'un djihadiste dans les rangs d'Al-Qaida

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  • Le récit d'un djihadiste dans les rangs d'Al-Qaida

    La 49 e chambre correctionnelle du tribunal de Bruxelles a vécu une scène inédite, vendredi 19 octobre. Un combattant islamiste a, pendant trois heures, raconté sa "guerre d'Irak", à Fallouja. Younès Loukili, 34 ans, un Belge d'origine marocaine, a vécu quelques mois au sein de la "résistance", en 2004. Il a été grièvement blessé à la jambe par un éclat d'obus de mortier. Il avait affirmé, jusque-là, avoir été victime d'un accident de voiture lors de vacances en Syrie.

    Le jeune homme fréquentait des milieux salafistes à Bruxelles. Il avait été acheminé vers l'Irak, via Damas, par une filière au service d'Abou Moussab Al-Zarkaoui, chef du mouvement Al-Tawhid et d'Al-Qaida en Irak depuis 2004, tué en 2006.

    Younès Loukili n'est pas seul à son arrivée dans la capitale syrienne, au printemps 2004. Son chef présumé, Bilal Soughir, l'accueille à l'aéroport. Cet ancien délinquant belge d'origine tunisienne est le fils d'un imam radical.

    Son frère, Kotob Soughir, est là aussi. Il suivra le même entraînement que Loukili avant, semble-t-il, de mourir au combat quelques mois plus tard. Deux autres Belges sont présents, mais le groupe comprend en fait des combattants venus "du monde entier", raconte le prévenu.

    Parmi eux, on trouvait "40 % d'Irakiens, et deux Français". Il ajoute : "Je ne suis pas sûr que la majorité étaient des rigoristes, mais on se posait tous les mêmes questions." D'une voix basse, cet homme empâté, crâne rasé, barbe rousse au bout du menton et longue chemise traditionnelle, explique qu'il voulait "aider l'Irak", contester "une guerre injuste" et expulser "l'envahisseur" américain.

    Il n'entendait viser que ce dernier, mais "les dommages collatéraux sont la réalité de la guerre". Le martyre ? "J'étais contre le suicide ; c'était un plus, mais pas le but pour moi." Réunis dans un logement de Damas, les djihadistes dont il fait partie ne suivent qu'un entraînement physique, "du style footing". Un peu plus tard, ils sont acheminés vers la banlieue, "près d'un grand stade auquel tout le monde peut accéder. On était un peu livrés à nous-mêmes, sans hiérarchie".

    "Pas tellement rigoureux", le jeune Belge va tomber amoureux d'une Syrienne dans un cybercafé. Déjà marié en Belgique, il va pourtant l'épouser. Viennent ensuite les entraînements au maniement des armes - " kalachnikov, armes de poing, mitraillettes, lance-roquettes" - puis, en septembre 2004, le passage en Irak. En voiture, avant de franchir la frontière à pied, sur 10 kilomètres. Pris en charge par des Irakiens dans le "bled" de Rawa, où une dizaine de combattants se retrouvent dans une maison ordinaire, sous la direction d'un émir.

    Après deux semaines, chaque combattant choisit sa zone de guerre, et Younès Loukili optera pour Fallouja, qu'il croit "plus calme". Affecté au quartier de la place des Martyrs, il sera chargé des missions de surveillance dans des tranchées et initié au maniement de missiles sol-air montés sur des camions. "Fabrication russe".

    Le jeune djihadiste sera blessé début novembre, lors d'un bombardement américain, alors qu'il veillait "sous un arbre, avec du lait chaud". Soigné à Fallouja, "exfiltré" vers une villa de Bagdad, puis vers la frontière à la fin du mois de décembre, il échappe à tous les contrôles jusqu'à son arrestation et son incarcération à Damas, à la mi-janvier 2005. "J'ai été interrogé sur mon voyage, frappé, projeté hors de ma chaise roulante, mais je n'ai pas craqué", dit-il. Bilal Soughir tentera en vain de le retrouver : il est expulsé vers le Maroc avant de revenir en Belgique, en mars 2005.

    Younès Loukili est jugé depuis le 15 octobre en compagnie de cinq autres hommes, mis en examen après l'enquête sur la mort, en Irak, de Murielle Degauque. Cette jeune convertie de Charleroi avait, le 9 novembre 2005, déclenché sa ceinture d'explosifs à Baaqouba, tuant cinq policiers et blessant des civils. Quelques jours plus tard, son mari, un Belgo-marocain, tombait sous les balles de l'armée américaine. Aujourd'hui, Younès Loukili affirme qu'il ne sait rien de la première femme kamikaze du conflit irakien. Rien non plus sur son mari.

    Le chef présumé du réseau de recrutement de djihadistes, Bilal Soughir, était directement en contact avec Abou Mazen, un dirigeant d'Al-Qaida en Turquie, soutient l'accusation. C'est lui qui, à Bruxelles, avait répercuté la "bonne nouvelle" après l'attentat commis par Murielle Degauque, en novembre 2005. Un autre converti, Pascal Cruypenninck, également prévenu au procès, dira à l'époque "c'est notre tour", faisant, semble-t-il, allusion à sa fiancée, une jeune Africaine.

    Les avocats des six prévenus du procès bruxellois vont, après le témoignage de Younès Loukili, changer de tactique. Ils entendent faire valoir que leurs clients sont des combattants, des résistants. Pas des terroristes.

    Jean-Pierre Sroobants (Le Monde)
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