De nos jours, pour de nombreuses femmes enceintes en Algérie, accoucher constitue une épreuve tellement difficile que beaucoup d’entre elles ont subi des traumatismes qui les ont marquées à vie. Désormais, le temps où le malade se livrait en toute confiance aux mains des médecins est bel et bien révolu. Donner la vie aujourd’hui est devenu un acte qui fait peur aussi bien au futur papa qu’à la maman…
Il y a quelque temps, une femme a subi le calvaire dans un hôpital public à Alger. Un accouchement au forceps s’imposait. Malheureusement cet acte tournera à l’horreur. L’appareil génital de cette pauvre femme sera détruit. La sentence tomba : «Votre femme ne pourra plus avoir d’enfants.» Depuis, nous dira son époux, «ma femme, qui, autrefois, était belle et pleine de vie, s’éteint de jour en jour. Son corps s’affaiblit et elle n’accepte pas le fait de ne plus pouvoir donner la vie». Voilà l’histoire d’un jeune couple qui ne pourra plus jamais avoir d’enfants. Des accouchements qui tournent mal se comptent par centaines. Énormément touchés par le récit de ce papa qui a vu sa vie se transformer en cauchemar, nous décidons d’aller voir de plus près ce qui se passe réellement dans ces lieux publics censés initialement donner la vie. Nous nous rendons donc à l'hôpital de Béni-Messous. Une fois sur les lieux, nous évitons de décliner notre profession afin de passer inaperçus. A première vue, le service des urgences de gynécologie et obstétrique offre un semblant d’ordre. Adossés à un mur de la salle d’attente, il nous suffit de «tendre l’oreille» pour découvrir les dessous insolites d’une maternité. Une dizaine de femmes enceintes attendent avec lassitude leur tour. Elles narrent, tour à tour, l’histoire d’un accouchement difficile, d’une ségrégation ou d’une maltraitance, vécus dans l’une des maternités algéroises. Avoir une connaissance, plus communément une «maârifa», est le «mot-clé», pour pouvoir bénéficier de la meilleure des prises en charge.
“Repassez, il n’y a rien à voir”
Horrifiés par certains récits, décrivant l’état des lieux et surtout le traitement réservé aux patientes, notre curiosité va en s’attisant. Nous attendîmes l’heure de visite pour accéder à la maternité. Il est indiqué que les horaires de visite sont fixes et limités. Afin de les faire respecter, la porte d’accès à ce service est fermée la matinée. Une manière de faire régner «l’ordre». A 13h, les visiteurs commencent à se regrouper devant les urgences. L’anarchie et les premières altercations font leur apparition. Sans nouvelle de leurs femmes, des maris inquiets haussent le ton. Un véritable bras de fer est engagé entre ces derniers et les agents chargés de la sécurité. La porte s’ouvre à 13h25... C’est la bousculade. Toute cette foule en furie emprunta alors l’escalier pour accéder à l’étage. Encouragés par deux femmes, nous faisons le tour du propriétaire. Au niveau du service maternité, l’anarchie est totale. Des va-et-vient interminables dans le long couloir où s’entremêlent femmes enceintes, visiteurs et personnel hospitalier. Le brouhaha est tel qu’on se croit dans un stade de football ! Plusieurs mamans attendent devant la salle d’accouchement. Les youyous stridents annonçant l’arrivée d’un bébé masquent des cris provenant de cette même salle. Les chambres sont bondées de visiteurs. Nous sommes terriblement secoués par l’insalubrité des chambres. Des chambres de deux et trois lits vétustes. Chaque lit, initialement prévu pour une personne, en contient deux. Censées trouver le repos et le réconfort après une dure «délivrance», ces mamans se retrouvent obligées à «partager» leur lit. D’autres femmes qui attendent péniblement le moment d’accoucher, sont aux aguets. Debout dans le couloir, elles attendent qu’une «place» — dans un lit — se libère. Au moment de la sortie, les accouchées et leurs bébés quittent l’«endroit», emportant avec elles leur literie. Ceci dénote du non-respect de la décision de Amar Tou. Entrée en vigueur il ya une année, celle-ci interdit aux familles des malades hospitalisés de faire entrer de la literie et de l’alimentation dans les établissements hospitaliers. Pour les besoins de notre enquête, nous tentons de nous rapprocher d’un bonhomme en blouse blanche usée. Il sortait d’un bureau dont la porte portait l’inscription «chef de service». Probablement pas le chef de service... Ce dernier nous rabroue sur-lechamp, en usant de termes qui dénotent une grande nervosité mêlée à de la lassitude : «Vous n’avez pas le droit de pénétrer dans ce service sans l’autorisation du ministère. Et puis pourquoi venir enquêteur ici, allez voir plutôt du côté de ceux qui ont appauvri le peuple.» La sentence est implacable. Il nous faut déguerpir avant l’arrivée des agents de sécurité. Tout en nous dirigeant vers la sortie, nous rembobinons les propos de cette personne. Il y a tout de même du vrai…
Alger, la «kibla» de 47 wilayas
Deuxième halte : l’hôpital Mustapha, l’une des plus vieilles structures hospitalières de la capitale. C’est une sorte de «kibla» pour toutes les wilayas du pays. Face au manque de moyens et de personnels qualifiés dans les différentes régions du pays, des centaines de malades sont orientés vers ce centre hospitalier, «saturé». Ici, le même scénario se répète. Interrogé sur l’état de ce service, une employée au CPMC nous révélera l’état désastreux des lieux. «Personne ne s’en cache, c’est désastreux», lance-t-elle. Acharnée, cette jeune employée n’hésite pas à donner libre cours à sa colère. C’est l’absence totale d’hygiène et de conscience professionnelle. Des femmes sur le point d’accoucher sont livrées à elles-mêmes. Après avoir averti maintes fois et à haute voix l’arrivée imminente de son bébé, sa poche d’eau ayant éclaté, une femme aurait même accouché dans la salle d’attente. Elle a été soutenue par des femmes qui se trouvaient dans le même état. Elles attendaient leur admission. Selon des témoignages, la sage-femme de service avait fait la sourde oreille, car elle n’avait pas pris au sérieux les appels de la pauvre femme. Finalement, cette dernière et son bébé s’en sortirent bien. Un miracle. On évoque aussi, la présence de patientes séropositives qui viennent accoucher, sans que des précautions et de mesures de sécurité soient prises. La situation est des plus alarmantes sur les lieux. Un véritable «souk», disent la majorité des patientes rencontrées sur les lieux. Les services de maternité ressemblent à un grand «bazar» ou brouhaha et allées et venues font bon ménage. Admise à ce service à 5h du matin, suite à des contractions, cette jeune femme attend d’accoucher. Nous ayant identifiés, elle nous supplie de faire quelque chose pour l’introduire dans la salle d’accouchement. «Vous verrez, c’est infect», nous certifie-t-elle. Et d’ajouter : «Je me demande comment se déroulera mon accouchement dans de telles conditions sanitaires.» Elle nous raconte que lors de l’examen préliminaire effectué à son arrivée au service maternité : «La table d’accouchement encore pleine de sang et de déchets organiques. Une femme venait juste d’accoucher. La sage-femme m’a demandé de m’installer sur cette même table ! Vous vous rendez compte !! Ils ne prennent même pas la peine de nettoyer. » A leur tour, des responsables refusent de s'exprimer allant jusqu’à nous exiger à l’instar de ceux de Béni-Messous l’autorisation du ministère.
Tout le monde est unanime à affirmer que le secteur de la santé publique ne sait plus où donner de la tête. Les CHU et les centres spécialisés de la wilaya d’Alger se retrouvent «dépassés».
Les arrivées massives des autres wilayas vers ces hôpitaux sont l’une des raisons de cette décadence de ces structures. A cela s’ajoute la démobilisation du personnel en place et ce, pour diverses raisons. Les conditions de travail lamentable et portant atteinte au symbole de la profession, la faiblesse des salaires et l’indiscipline font que tout le monde s’en fout. A ce titre, le ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière a déclaré en janvier dernier que «la gestion hospitalière et la maintenance des équipements demeurent les deux points noirs» de ce secteur. Sans oublier le statut du personnel paramédical. Le secteur a du pain sur la planche !
Il y a quelque temps, une femme a subi le calvaire dans un hôpital public à Alger. Un accouchement au forceps s’imposait. Malheureusement cet acte tournera à l’horreur. L’appareil génital de cette pauvre femme sera détruit. La sentence tomba : «Votre femme ne pourra plus avoir d’enfants.» Depuis, nous dira son époux, «ma femme, qui, autrefois, était belle et pleine de vie, s’éteint de jour en jour. Son corps s’affaiblit et elle n’accepte pas le fait de ne plus pouvoir donner la vie». Voilà l’histoire d’un jeune couple qui ne pourra plus jamais avoir d’enfants. Des accouchements qui tournent mal se comptent par centaines. Énormément touchés par le récit de ce papa qui a vu sa vie se transformer en cauchemar, nous décidons d’aller voir de plus près ce qui se passe réellement dans ces lieux publics censés initialement donner la vie. Nous nous rendons donc à l'hôpital de Béni-Messous. Une fois sur les lieux, nous évitons de décliner notre profession afin de passer inaperçus. A première vue, le service des urgences de gynécologie et obstétrique offre un semblant d’ordre. Adossés à un mur de la salle d’attente, il nous suffit de «tendre l’oreille» pour découvrir les dessous insolites d’une maternité. Une dizaine de femmes enceintes attendent avec lassitude leur tour. Elles narrent, tour à tour, l’histoire d’un accouchement difficile, d’une ségrégation ou d’une maltraitance, vécus dans l’une des maternités algéroises. Avoir une connaissance, plus communément une «maârifa», est le «mot-clé», pour pouvoir bénéficier de la meilleure des prises en charge.
“Repassez, il n’y a rien à voir”
Horrifiés par certains récits, décrivant l’état des lieux et surtout le traitement réservé aux patientes, notre curiosité va en s’attisant. Nous attendîmes l’heure de visite pour accéder à la maternité. Il est indiqué que les horaires de visite sont fixes et limités. Afin de les faire respecter, la porte d’accès à ce service est fermée la matinée. Une manière de faire régner «l’ordre». A 13h, les visiteurs commencent à se regrouper devant les urgences. L’anarchie et les premières altercations font leur apparition. Sans nouvelle de leurs femmes, des maris inquiets haussent le ton. Un véritable bras de fer est engagé entre ces derniers et les agents chargés de la sécurité. La porte s’ouvre à 13h25... C’est la bousculade. Toute cette foule en furie emprunta alors l’escalier pour accéder à l’étage. Encouragés par deux femmes, nous faisons le tour du propriétaire. Au niveau du service maternité, l’anarchie est totale. Des va-et-vient interminables dans le long couloir où s’entremêlent femmes enceintes, visiteurs et personnel hospitalier. Le brouhaha est tel qu’on se croit dans un stade de football ! Plusieurs mamans attendent devant la salle d’accouchement. Les youyous stridents annonçant l’arrivée d’un bébé masquent des cris provenant de cette même salle. Les chambres sont bondées de visiteurs. Nous sommes terriblement secoués par l’insalubrité des chambres. Des chambres de deux et trois lits vétustes. Chaque lit, initialement prévu pour une personne, en contient deux. Censées trouver le repos et le réconfort après une dure «délivrance», ces mamans se retrouvent obligées à «partager» leur lit. D’autres femmes qui attendent péniblement le moment d’accoucher, sont aux aguets. Debout dans le couloir, elles attendent qu’une «place» — dans un lit — se libère. Au moment de la sortie, les accouchées et leurs bébés quittent l’«endroit», emportant avec elles leur literie. Ceci dénote du non-respect de la décision de Amar Tou. Entrée en vigueur il ya une année, celle-ci interdit aux familles des malades hospitalisés de faire entrer de la literie et de l’alimentation dans les établissements hospitaliers. Pour les besoins de notre enquête, nous tentons de nous rapprocher d’un bonhomme en blouse blanche usée. Il sortait d’un bureau dont la porte portait l’inscription «chef de service». Probablement pas le chef de service... Ce dernier nous rabroue sur-lechamp, en usant de termes qui dénotent une grande nervosité mêlée à de la lassitude : «Vous n’avez pas le droit de pénétrer dans ce service sans l’autorisation du ministère. Et puis pourquoi venir enquêteur ici, allez voir plutôt du côté de ceux qui ont appauvri le peuple.» La sentence est implacable. Il nous faut déguerpir avant l’arrivée des agents de sécurité. Tout en nous dirigeant vers la sortie, nous rembobinons les propos de cette personne. Il y a tout de même du vrai…
Alger, la «kibla» de 47 wilayas
Deuxième halte : l’hôpital Mustapha, l’une des plus vieilles structures hospitalières de la capitale. C’est une sorte de «kibla» pour toutes les wilayas du pays. Face au manque de moyens et de personnels qualifiés dans les différentes régions du pays, des centaines de malades sont orientés vers ce centre hospitalier, «saturé». Ici, le même scénario se répète. Interrogé sur l’état de ce service, une employée au CPMC nous révélera l’état désastreux des lieux. «Personne ne s’en cache, c’est désastreux», lance-t-elle. Acharnée, cette jeune employée n’hésite pas à donner libre cours à sa colère. C’est l’absence totale d’hygiène et de conscience professionnelle. Des femmes sur le point d’accoucher sont livrées à elles-mêmes. Après avoir averti maintes fois et à haute voix l’arrivée imminente de son bébé, sa poche d’eau ayant éclaté, une femme aurait même accouché dans la salle d’attente. Elle a été soutenue par des femmes qui se trouvaient dans le même état. Elles attendaient leur admission. Selon des témoignages, la sage-femme de service avait fait la sourde oreille, car elle n’avait pas pris au sérieux les appels de la pauvre femme. Finalement, cette dernière et son bébé s’en sortirent bien. Un miracle. On évoque aussi, la présence de patientes séropositives qui viennent accoucher, sans que des précautions et de mesures de sécurité soient prises. La situation est des plus alarmantes sur les lieux. Un véritable «souk», disent la majorité des patientes rencontrées sur les lieux. Les services de maternité ressemblent à un grand «bazar» ou brouhaha et allées et venues font bon ménage. Admise à ce service à 5h du matin, suite à des contractions, cette jeune femme attend d’accoucher. Nous ayant identifiés, elle nous supplie de faire quelque chose pour l’introduire dans la salle d’accouchement. «Vous verrez, c’est infect», nous certifie-t-elle. Et d’ajouter : «Je me demande comment se déroulera mon accouchement dans de telles conditions sanitaires.» Elle nous raconte que lors de l’examen préliminaire effectué à son arrivée au service maternité : «La table d’accouchement encore pleine de sang et de déchets organiques. Une femme venait juste d’accoucher. La sage-femme m’a demandé de m’installer sur cette même table ! Vous vous rendez compte !! Ils ne prennent même pas la peine de nettoyer. » A leur tour, des responsables refusent de s'exprimer allant jusqu’à nous exiger à l’instar de ceux de Béni-Messous l’autorisation du ministère.
Tout le monde est unanime à affirmer que le secteur de la santé publique ne sait plus où donner de la tête. Les CHU et les centres spécialisés de la wilaya d’Alger se retrouvent «dépassés».
Les arrivées massives des autres wilayas vers ces hôpitaux sont l’une des raisons de cette décadence de ces structures. A cela s’ajoute la démobilisation du personnel en place et ce, pour diverses raisons. Les conditions de travail lamentable et portant atteinte au symbole de la profession, la faiblesse des salaires et l’indiscipline font que tout le monde s’en fout. A ce titre, le ministre de la Santé et de la Réforme hospitalière a déclaré en janvier dernier que «la gestion hospitalière et la maintenance des équipements demeurent les deux points noirs» de ce secteur. Sans oublier le statut du personnel paramédical. Le secteur a du pain sur la planche !
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