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Le Nationalisme turc

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  • Le Nationalisme turc

    une chronologie

    http://www.lexpress.fr/info/monde/do...asp?ida=455090


    1918 : L'Etat ottoman sort vaincu et démantelé de la Première guerre mondiale.
    1919 : Mustapha Kemal, officier militaire, lance un appel au sursaut national turc. Un congrès réuni à Erzerum organise un mouvement national qui proclame l’indépendance et l’unité de la Turquie et le droit de former un gouvernement provisoire en cas de défaillance du gouvernement ottoman.

    1920 : En avril, la Grande assemblée nationale confie le pouvoir à Mustapha Kemal qui amorce la guerre d’indépendance contre les Grecs. En août, le sultan Mehmed VI accepte le traité de Sèvres, qui consacre le morcellement de l'Empire et le contrôle des Alliés. L’Asie Mineure est partagée entre Britanniques, Grecs, Français, Italiens, Arméniens et Kurdes ; la Turquie proprement dite se limite au centre du plateau anatolien et aux rives de la Mer noire ; les détroits du Bosphore et des Dardanelles sont placés sous contrôle international.
    1921 : les Grecs sont arrêtés à Inönü.
    1923 : le traité de Lausanne reconnaît les frontières de la Turquie moderne. Mustafa Kemal obtient l'Anatolie et la Thrace orientale. S'ensuivent des échanges de populations grecques et turques. La Turquie reconnaît l'appropriation de Chypre par les Britanniques. Mustapha Kemal devient président de la République. Il crée le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi - CHP), parti nationaliste et laïque. Ankara devient la capitale.

    1924 : abolition du Califat. Les tribunaux musulmans et les établissements d’enseignement religieux sont supprimés.
    1925 : une révolte kurde est réprimée dans l’est de l’Anatolie.
    1925-1928 : transformation de la Turquie en un Etat laïque ; nouveau code civil, abolition de la polygamie, suppression des ordres religieux, adoption du calendrier grégorien et de l’alphabet latin.
    1932 : la Turquie entre à la Société des Nations.
    1938 : Mort de Mustapha Kemal, surnommé Ata Turk ("le père des Turcs") par l’Assemblée nationale en 1934. Ismet Inönü lui succède.
    1939-1945 : la Turquie choisit la neutralité pendant la guerre.
    1945 : fondation du Parti démocrate (conservateur).
    1947 : la Turquie bénéficie du Plan Marshall.
    1950 : large victoire du Parti démocrate aux élections. Adnan Menderes devient Premier ministre. Le succès du Parti démocrate sera confirmé en 1954 et en 1957.
    1951 : la Turquie, qui pratique une politique résolument pro-occidentale, est admise dans le Pacte atlantique. Installation d’une base militaire américaine à Incirlik.
    1955 : création du Pacte de Bagdad (devenu CENTO en 1958) avec l’Iran, l’Irak, la Pakistan, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
    1960 : coup d’Etat militaire dirigé par le général Cemal Gürsel. Adnan Menderes est exécuté.
    1963 : accord d’association entre la Turquie et la Communauté économique européenne.
    1965 : Süleyman Demirel (Parti de la Justice, héritier du Parti démocrate) devient Premier ministre. Il mène une politique conservatrice. A la récession économique et aux troubles politiques, il répond par la répression.
    1971 : l’armée exige la démission de Süleyman Demirel. Poursuite de la politique de répression.
    1974 : Bülent Ecevit (CHP) dirige un gouvernement de coalition.
    1975 : à la suite du coup d’Etat des colonels en Grèce, le gouvernement Makarios est renversé à Chypre par des Chypriote grecs qui veulent le rattachement de l’île à la Grèce. Intervention militaire de la Turquie et partition de l’île.

  • #2
    Un nationalisme profond, ancré qui vient de loin .


    Commentaire


    • #3
      article de Philippe Couanon, professeur agrégé d’histoire.

      http://www.turquieeuropeenne.eu/article1971.html

      Le nationalisme turc est apparu, lui aussi au XIXème siècle, d’abord de manière marginale avant « d’exploser » brusquement au moment des Guerres Balkaniques (15).
      Il s’apparente à un phénomène réactif face aux menaces que faisaient peser d’autres nationalismes sur l’intégrité et le devenir de l’Empire Ottoman.
      Il résulte donc d’un réflexe de peur et bien qu’il présentera différentes formes dans son évolution, il conservera jusqu’à nos jours, un caractère essentiellement défensif.
      Il n’offrira que rarement un visage expansionniste, jamais ouvertement conquérant, les épisodes panturquistes et pantouraniens s’inscrivant dans le ponctuel de minorités bruyantes à défaut d’être représentatives d’un vaste courant d’opinion, n’en déplaise aux détracteurs de la Turquie qui agitent le chiffon rouge du risque que constituerait une axe turcophone de Tirana au Turkestan chinois (16).

      En outre, même depuis l’implosion de l’URSS qui a donné naissance à plusieurs états turcophones en Asie centrale, l’orientation d’Ankara vers l’espace turcophone est surtout culturelle avec l’espoir de retombées politiques et économiques que lui assurerait sa position de « grand frère » ; l’analogie avec la francophonie est flagrante. Toutefois, ses avances n’ont rencontré qu’un écho modeste, sauf en Azerbaïdjan qui a besoin de la Turquie pour rompre l’isolement que lui procure le voisinage hostile de l’Iran, de la Russie et de l’Arménie ; par contre, les peuples balkaniques (Bosniaques, Albanais, Kosovars) lorgnent en priorité vers Bruxelles alors que les turcophones des nouveaux états d’Asie centrale recherchent surtout la protection de Moscou et les dollars américains.

      Au cours du siècle qui sépare ses premiers soubresauts de l’assassinat de Hrant Dink, le nationalisme turc s’adaptera pour répondre à des contextes variés.
      Dans un premier temps, il sera une réponse aux velléités séparatistes des nations de l’empire ; ensuite, il apparaîtra comme le recours susceptible d’enrayer l’effondrement inéluctable du sultanat ; après la 1ère Guerre mondiale, il constituera le ferment fédérateur, entre les mains de Mustafa Kemal, pour garantir la survie d’une entité anatolienne face aux ambitions charognardes des vainqueurs, avides de dépecer et de se partager les restes de l’empire déchu ; en corollaire, le futur Atatürk en fera l’élément fondateur puis protecteur de sa république ; enfin, depuis la disparition du Gazi, l’idéologie nationaliste sera pérennisée et institutionnalisée en tant qu’héritage du « père fondateur » et comme moyen de sauvegarder cet héritage face aux périls (réels ou supposés) qui menacent l’intégrité territoriale et nationale.




      1/ De l’ottomanisme au turquisme
      Le nationalisme turc apparaît comme un phénomène extrêmement tardif au regard de ce qui se passait ailleurs en Europe et au Moyen Orient. Il faut attendre les années qui précèdent la 1ère Guerre mondiale pour le voir émerger de la confidentialité des quelques cercles marginaux où il était confiné. Il faut dire que la dimension turque n’était pas du tout valorisée au sein de l’Empire Ottoman au cours du XIXème siècle ; le « Turc », assimilé à l’Anatolien, revêt une connotation péjorative synonyme d’arriérisme, l’équivalent du « plouc » français. Dans les milieux stambouliotes, la réaction au nationalisme grandissant des minorités prend la forme de l’ottomanisme, c’est-à-dire la défense d’un empire supranational et de son intégrité territoriale face aux visées émancipatrices des nationalités dominées. On oppose donc une ambition fédérative et unitaire aux aspirations séparatistes. Dans les milieux influents, on se sent bien plus « Ottomans », à savoir héritiers d’Osman et Soliman, les bâtisseurs d’un empire qui s’étend sur trois continents que « Turcs », descendants frustres des nomades originaires des steppes d’Asie centrale. Rien de plus logique d’ailleurs au vu de la composition sociale : Constantinople est une métropole cosmopolite où l’élément turco-musulman est minoritaire ; les tenants du pouvoir politique et militaire, comme le personnel impérial sont issus des 4 coins de l’empire alors que les Grecs, les Juifs et les Arméniens contrôlent l’économie et le commerce ; les sultans eux-mêmes sont des métis nés d’unions mixtes qui utilisent un langage incompréhensible aux habitants de l’Anatolie, agrémenté d’emprunts aux langues perse, arabe et européennes. Les pôles dynamiques de l’empire sont la capitale mais aussi Salonique et le Caire, très loin de l’espace occupé par la composante turque. Ceux-ci sont majoritairement des paysans peu instruits, vivants chichement sur les plateaux et les steppes pauvres d’Asie Mineure ; l’état ne lui accorde d’autres intérêts que celui d’être une chair à canon disciplinée pour son armée. Pas étonnant dans ces conditions que la « turcité » n’ait fait que peu d’émules et inspire davantage de répulsion que d’attractivité. Lorsque le pouvoir hamidien s’est senti menacé par les prétentions européennes, c’est vers la supranationalité panislamique qu’il s’est tourné en vertu de son titre califal ; là encore, la dimension ethnico-nationale a été totalement ignorée pour générer un vaste front de résistance. De même, le mouvement Jeunes Turcs (17) ne fut que l’ultime avatar d’une multitude de courants, parmi lesquels celui des « Jeunes Ottomans », qui n’avançaient aucune référence nationalistes et étaient avant tout pluriethniques ; ils avaient en commun des aspirations réformatrices et constitutionnalistes qui les opposaient au conservatisme despotique d’Abdülhamid et prônaient la modernisation, la démocratisation et l’égalité entre les communautés confessionnelles et ethniques d’un empire qui devait en ressortir revigoré. Créés à Salonique, les Jeunes Turcs regroupaient une minorité de Turcs à côté de musulmans et de chrétiens issus de toutes les régions de l’Empire : s’y côtoyaient des Grecs, des Macédoniens, des Albanais, des Arméniens, des Kurdes… dont beaucoup étaient exilés de longue date en Europe occidentale. Ca ne fut qu’avec l’accession du CUP au pouvoir et surtout lorsqu’il tomba sous la coupe du triumvirat Talaat-Enver-Cemal que la turcomanie l’emporta sur la tolérance supranationale ottomanienne avant de sombrer dans les dérives pantouraniennes. Le virage de l’ottomanisme au turquisme peut être daté précisément de 1906 (18). Paradoxalement, le Comité Union et Progrès conservait encore cette année là une composition cosmopolite et gardait une alliance étroite avec le parti arménien Dashnak mais sa direction échut entre les mains des Dr Nazim et Bahaeddin Sakir partisans des thèses pantouraniennes. Ils s’entourèrent d’intellectuels nationalistes comme Ziya Gökalp, Tekin Alp ou Yusuf Akçura ; leur idéologie préconisait de turquifier l’Anatolie, centre d’un futur empire réunifié autour d’une base ethnique turque mais qui, à terme, réunirait tous les peuples issus de la mythique Touran, c’est-à-dire les turcophones mais aussi les Finlandais, Magyars, Japonais, Coréens… Les organisations nationalistes éclorent alors en nombre comme l’Association de la Patrie Turque (Türk Yurdu Cemiyeti / 1911), les Foyers Turcs (Türk Ocaklari / 1912) et la Force Turque (Türk Gücü / 1913). Le turquisme de Gökalp, devenu idéologue officiel, reposait sur 3 objectifs :

      Turquifier le nouvel état dans les domaines sociaux, économiques et politiques

      Islamiser, la foi musulmane devant transcender la société

      Occidentaliser, c’est-à-dire moderniser le pays, seul moyen de le renforcer.
      Dernière modification par Sioux foughali, 25 octobre 2007, 22h11.

      Commentaire


      • #4
        suite article

        Ce programme imposait l’instauration d’un exécutif fort dans lequel les droits des individus s’effacent derrière l’omnipotence étatique ; c’est ce qui a été concrétisé avec la transformation en parti unique aux méthodes totalitaires. Les théories de Gökalp n’ont rien d’exceptionnelles dans l’Europe du premier XXème siècle ; elle préfigure le fascisme mussolinien et fondent l’étroite union entre la nation et l’état tout puissant qui constitue l’élément essentiel des nationalismes, en Turquie comme ailleurs (19). Le nationalisme turc semble donc être une réaction ultime à un moment où l’empire agonise, menacé de disparition et en passe d’exploser sous les coups de butoir conjugués des impérialismes européens et des nationalités minoritaires triomphantes. Il n’émerge que comme recours désespéré lorsque l’unité ottomane ne relève plus que de l’illusion et la solidarité intercommunautaire et supranationale que du mythe (20). Le turquisme et ses dérivés panturc et pantouranien s’apparente ainsi à un repli identitaire sur les racines turques, seules valeurs refuges crédibles, accepté d’abord sans enthousiasme puis glorifié comme futur noyau survivant de la désagrégation inéluctable de l’ensemble impérial censé renaître sous une forme touranienne dont l’Anatolie serait le cœur. L’orientation prise par le CUP popularise une idéologie jusqu’alors marginale car confinée à un cercle restreint d’intellectuels nourris des écrits de Comte, Dürkeim, Taine ou Renan et qui se délectent des poèmes de Namik Kemal et des déclarations enflammées de Z. Gökalp et consorts, considérés comme les chantres précurseurs d’un nationalisme teinté de romantisme et de darwinisme social ; ils seront rejoints par de jeunes officiers désabusés par l’incapacité hamidienne d’enrayer la décrépitude de l’empire et qui vont constituer le bras armé et dynamique du mouvement. Parmi eux figure un certain Mustafa Kemal qui n’y joue qu’un rôle secondaire et prendra certaines distances avec les ténors du groupe, en particulier à cause de l’antipathie, d’ailleurs réciproque, qu’il ressent à l’encontre d’Enver. Cet éloignement le préservera du naufrage collectif de 1918, mais il puisera dans son expérience au sein des Jeunes-Turcs, l’inspiration qui guidera son action dans l’après guerre comme il s’appuiera, dans le combat pour l’indépendance, sur les réseaux préservés en Anatolie. Le virage idéologique du CUP provoqua des inquiétudes légitimes et des réactions hostiles, tant dans les communautés chrétiennes (grecque et arménienne) que musulmanes (arabe, kurde, albanaise…) chez qui émergèrent des tendances séparatistes affirmées et parfois violentes (insurrection de l’Albanie en 1910, révolte kurde de 1914…). Ainsi, si le nationalisme turc apparaît d’abord comme défensif ou réactif à la déliquescence de l’empire, son essor suscita l’émergence, le développement ou le renforcement, selon le cas, de nationalismes également défensifs mais à caractère autonomiste, chez les minorités qui y pressentaient une menace. L’engrenage dangereux des réactions en chaîne, exacerbées par les craintes et les brutalités réciproques, était enclenché… il perdure encore un siècle plus tard ! Par contre, le nationalisme expansionniste (panturquisme ou pantouranisme) ne survivra pas comme tendance dominante à la défaite de 1918 ; l’idéologue Gökalp disparaîtra en 1924 après s’être converti au turquisme anatolien (21), alors qu’Enver Pacha se fera tuer en Asie centrale (1922) par les Bolcheviks en poursuivant ses chimères ; ces options conquérantes seront totalement absentes de la politique suivie par M. Kemal.

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        • #5
          Le cheminement idéologique de Mustafa Kemal

          2/ Le cheminement idéologique de Mustafa Kemal

          Les biographies (22) qui lui sont consacrées révèlent un vainqueur des Dardanelles désemparé par la défaite de 1918. Il faut reconnaître que la situation apparaît préoccupante pour le pays. L’empire n’existe plus que dans les esprits et son territoire effectif se trouve réduit à l’Asie Mineure ; Istanbul est occupée par les vainqueurs qui y paradent et multiplient les humiliations ; à Versailles, la Sublime Porte est exclue des débats où s’opposent le projet de création d’un état-nation sur l’espace majoritairement peuplé de Turcs, envisagé par l’article 12 des 14 points wilsoniens, aux ambitions expansionnistes des vainqueurs et aux aspirations nationalistes arméniennes et kurdes ; ceux-ci réclament la constitution d’entités nationales indépendantes qui leur ont été promises mais avec des exigences territoriales démesurées et inacceptables par les leaders de l’Entente.

          Plus au Sud, les visées coloniales des Britanniques et des Français se heurtent aux projets nationalistes arabes symbolisés par les revendications du chérif de La Mecque ; le contentieux porte en particulier sur le contrôle de la Mésopotamie et de ses réserves de pétrole, sur lesquels Kurdes et Turcs lorgnent aussi. Ceci dit, ces régions sont déjà perdues pour l’empire moribond et nous nous limiterons aux questions relatives à l’Anatolie où les ambitions européennes sont nombreuses.

          Les Grecs ont la volonté d’annexer la Thrace orientale, les îles égéennes, la région de Smyrne et celle du Pont où l’élément grec est conséquent ; même s’ils ne l’expriment pas explicitement, ils caressent le rêve de reconstituer à leur profit l’espace hellénique et byzantin ce qui sous entend de faire main basse, à terme, sur Constantinople / Istanbul.

          Les Italiens qui se sont appropriés le Dodécanèse exigent la cession d’une zone d’influence, colonie déguisée ou prélude à une future annexion, qui couvrirait tout le Sud Ouest anatolien de Smyrne à Antalya .

          Les Français, quant à eux, ont jeté leur dévolu sur une tutelle imposée à la Cilicie, dans le prolongement de leur futur protectorat syrien. Les Britanniques, enfin, n’affichent pas d’intérêts spécifiques en Anatolie, préférant se concentrer sur leur projet irakien dont les perspectives économiques et stratégiques, sur la route des Indes, sont prioritaires ; par contre, ils agissent en maîtres à Istanbul et entendent tenir un rôle de leader dans le contrôle qui s’exerce sur le futur ex-empire… et ils s’en donnent les moyens, militaires et diplomatiques, n’hésitant pas outrepasser les accords signés avec leurs alliés.

          Dans ce contexte où le sultan et son gouvernement sont privés de toute marge de manœuvre et où la Turquie risque de se retrouver réduite au tiers Nord Est de l’Anatolie, Mustafa Kemal multiplie les démarches, les rencontres et les initiatives dans sa quête d’influer sur le cours des évènements mais sans que l’on puisse dégager un fil conducteur clair à son action. Ainsi, il joue de ses relations amicales avec le sultan Vahideddin pour faire prévaloir, sans succès, ses idées ; il utilise ses relations militaro-politiques et son aura de héros de guerre pour essayer de décrocher un poste ministériel ; il noue des contacts, a priori fructueux pour l’avenir mais inopérants à court terme, avec certains notables étrangers, comme le comte Sforza qui représente les intérêts italiens à Istanbul ; il entretient, enfin, les solides amitiés nées durant sa période de formation militaire, mais sans jamais parvenir à s’imposer en tant que chef de fil.

          Dans les mois qui suivent la capitulation ottomane, il offre l’image d’un Don Quichotte moderne, affrontant sans relâche les moulins de l’incapacité du régime à s’extirper de l’emprise des vainqueurs. Certes, il est connu, admiré pour ses exploits passés et respecté pour son érudition et sa clairvoyance mais il reste cantonné dans un rôle de figurant. Le fait qu’il échappe à l’arrestation et à la déportation opérées par les occupants dans les rangs des principaux agitateurs indique clairement qu’il ne représente pas un danger dans l’esprit de ceux-ci. Ses interlocuteurs du palais impérial comme du parlement l’écoutent d’une oreille polie mais ses initiatives se heurtent à l’inertie ambiante et ne sont pas suivies d’effets, preuve du peu de crédibilité dont il jouit. Enfin, que les chefs des forces d’occupation aient accepté sans broncher sa nomination comme inspecteur des armées à Samsun confirme la reconnaissance unanime de sa valeur militaire, mais aussi qu’il n’apparaît pas comme une menace politique à leurs yeux.

          La question cruciale qui se pose est de savoir quand s’est forgé en lui le projet d’une résistance nationale et nationaliste turque à partir de la base territoriale anatolienne. La majorité des historiens occidentaux penche pour une décision tardive, concomitante de son départ pour la côte de la Mer Noire, après une longue hésitation entre différentes options ; la prise de Smyrne, quelques jours plus tôt, par les troupes grecques avec l’assentiment des autres puissances aurait été un facteur déterminant de son choix. Ses biographes turcs, à l’instar de ses mémoires, affirment, quant à eux, la précocité d’une conviction que sa nomination en Anatolie a permis de mettre en application à la première occasion ; il aurait d’ailleurs consacré toute son énergie à trouver un moyen pour s’échapper d’Istanbul et pour déjouer l’étroite surveillance dont il était l’objet.

          Toutefois, le caractère fortement apologétique de ces sources affaiblit leur argumentation et transforme son installation en Anatolie en acte héroïque prémédité, point de départ d’une geste épique façon « Longue Marche de Mao ». Mustafa Kemal est, quant à lui resté toujours extrêmement discret sur cette période de sa vie et sur son cheminement intellectuel durant les mois passés dans la capitale ; il fait d’ailleurs commencer son fameux Nutuk de 1927 à son arrivée à Samsun.

          Quoiqu’il en soit, il est évident que le 19 Mai 1919 constitue l’évènement fondateur de la politique de Mustafa Kemal dont l’action devient, dorénavant, absolument capitale pour l’histoire du pays ; désormais, il va s’appuyer sur une idéologie affirmée dont il ne se départira jamais. Il est également notoire que l’orientation nationaliste qu’il donne à son combat se révèle réellement à ce moment-là ; auparavant, même si ses affinités avec les Jeunes Turcs sont avérées, il semble avoir hésité entre reconstruction d’un empire ottoman recomposé et repli sur le noyau turc comme base d’un état-nation inédit (23). C’est cette seconde option qui prévaut à partir de 1919 et va devenir le fondement de son œuvre.

          Dorénavant, sa conviction est affermie : l’Empire Ottoman est définitivement mort et la survie ne peut se faire qu’à l’intérieur des frontières de l’espace majoritairement turc, c’est-à-dire l’Anatolie et son excroissance de Thrace orientale. Pour cela, l’objectif devient l’état-nation de peuplement homogène pour lequel il convient de faire coïncider limites ethniques et limites politiques et donc, d’organiser une résistance nationale face aux velléités d’empiètement qui amputeraient la Turquie de parties de son espace naturel. Le turquisme devient dès lors l’affirmation de la prééminence turco-anatolienne sur ce territoire ethnique et le moyen de mobiliser les masses pour ce combat vital. Il faut remarquer que le terme « Turc » est compris par le Mustafa Kemal de 1919 dans le sens d’Anatolien ; il indique dans les années 20 que « dans les frontières du « Pacte National » il est de nombreuses différences ethniques mais que ce qui les rassemble n’est autre que l’Islam » (24) ; par contre, durant les dernières années de sa vie, il fera ressortir le concept de « turcité » dans sa définition de la nation turque, affirmant par là même, la primauté de l’ethnie turque sur les autres composants de la population de Turquie qui doivent être assimilées ; son nationalisme a donc évolué d’une vision pluriethnique de la nationalité turque à une conception mono ethnique exclusivement turco-musulmane.

          Il est vrai que dans le contexte de 1919 comme dans celui de la construction de l’état-nation républicain, un discours rassembleur est indispensable.

          Lors du Congrès d’Erzurum (Juillet / Août 1919) il prononce une déclaration en 10 points qui définit les limites des régions de l’empire habitées majoritairement par des Turcs et qui ne peuvent faire l’objet de tractations ou en être détachées (25) ; ce texte qui annonce le Pacte National, fixe les frontières de la future Turquie, base de l’état-nation turc et sera la référence obligée de l’action militaire et diplomatique de Mustafa Kemal durant toute sa présidence. Ainsi, les occupants sont perçus comme une menace pour l’intégrité de l’état-nation rêvé ; le Sultanat, le Califat et leurs administrateurs, des complices des puissances puisqu’ils se montrent incapables de s’opposer à leurs prétentions ; les « étrangers de l’intérieurs » (non musulmans grecs, arméniens et juifs), des agents potentiels des forces participant au projet de dépeçage. On a là, les bases idéologiques de la logique nationaliste de Mustafa Kemal qui perdurera bien après son décès en tant que pensée fondatrice de l’état-nation turc et garant de sa pérennisation.
          Dernière modification par Sioux foughali, 28 octobre 2007, 09h50.

          Commentaire


          • #6
            Politique Kemaliste

            3/ Turquifier, Moderniser, Occidentaliser

            Ces trois objectifs, de prime abord contradictoires, vont devenir le leitmotiv de la politique de Mustafa Kemal pour asseoir solidement l’Etat et la république qu’il a créés et les ancrer dans le XXème siècle.

            Mais, avant de pouvoir concrétiser ce programme, il faut sauvegarder l’état-nation en gestation et l’installer dans ses frontières naturelles. C’est à cette tâche qu’il va s’atteler dès son arrivée en Anatolie et elle restera son obsession prioritaire jusqu’à la signature du Traité de Lausanne en juillet 1923. Cette période connue aujourd’hui sous le vocable de « Guerre d’indépendance » s’apparente davantage à une guerre de libération nationale.

            En 1919, la situation apparaît désespérée face aux appétits des vainqueurs comme des Kurdes et des Arméniens et le Traité de Sèvres ne laisse à la Turquie que la partie Nord Est de l’Anatolie ; la résistance militaire et politique organisée par Kemal, avec des forces essentiellement anatoliennes (Turcs, Kurdes et circassiens) consistera à repousser les envahisseurs au-delà des limites ethniques fixées par le Pacte National.

            Les adversaires désignés sont principalement les Grecs qui seront chassés après les deux batailles d’Inönü, celle de la Sakarya et la prise de Smyrne ; les Italiens se retireront d’eux-mêmes d’Anatolie ; les Français, quant à eux, conscients de leurs faiblesses, renonceront à récupérer la Cilicie et se contenteront du Sandjak d’Alexandrette… momentanément car Mustafa Kemal n’aura de cesse de les en chasser, ce qui sera fait à la veille de la seconde Guerre mondiale.

            A l’Est, le rapprochement de raison ponctué par des accords négociés avec la Russie rouge, lui permettra de récupérer des districts occupés par les armées tsaristes et surtout d’enterrer définitivement le projet de Grande Arménie, les Arméniens étant, en outre, lâchés par les alliés. Les acquis du terrain sont confirmés à la table des négociations lors du Traité de Lausanne qui entérine les frontières naturelles de la future république de Turquie (26), désormais état-nation reconnu et de nouveau crédible ; en outre, les diplomates lui restituent la souveraineté entière sur Istanbul et les détroits (mais qui restent démilitarisés).

            Seule ombre au tableau, Mustafa Kemal n’est pas parvenu à fléchir les Anglais sur les districts mésopotamiens de Kirkuk et Mossoul qui rejoignent le protectorat britannique d’Irak ; la promesse d’un Kurdistan indépendant passe aux oubliettes de l’Histoire et, pire encore, l’espace kurde se retrouve éclaté entre plusieurs Etats ou futurs Etats.

            Mustafa Kemal a (presque) gagné et cette victoire ne tient qu’aux efforts et au courage des Turcs (et « assimilés ») eux-mêmes. Ce constat assure un prestige nouveau à ce peuple longtemps méprisé et décrié, qui renforce les convictions nationalistes insufflées par le leader et instaure l’idée que les Turcs sont les seuls garants de leur sécurité et de la survie future de leur nation et de leur Etat ; ils en sont les uniques acteurs, les maîtres et les défenseurs et ont su triompher des ennemis coalisés et acharnés à leur perte. Ce sentiment de fierté teintée de paranoïa ne disparaîtra jamais des esprits ; le slogan « Il n’est pas au Turc d’autre ami que lui-même » reflète cette disposition mentale et psychologique du citoyen turc lambda devenue récurrente (27).

            Parmi les prémices de ce nationalisme institutionnalisé et légitimé, la question de l’Anatolie orientale, telle qu’elle a été posée par Mustafa Kemal, annonce une constance inébranlable. Dans son esprit, l’Arménie historique, à l’exception des secteurs inclus dans l’URSS, font partie intégrante de l’espace turc ; or, au XIXème siècle, ces régions étaient qualifiées de « provinces arméniennes de l’Empire Ottoman » ; de peuplement cosmopolite à majorité chrétienne, elles sont devenues essentiellement turco-musulmanes par les évènements de 1915 et le Gazi pratique la politique du fait accompli, sans référence au passé ce qui est typique des modes de pensée nationalistes, provoque une réaction nationaliste de frustration chez les Arméniens et fonde un siècle d’hostilité entre les deux peuples (28).

            Concernant le Kurdistan (29), les revendications territoriales de Mustafa Kemal durant la guerre d’indépendance, l’incluent à l’espace turc dans sa quasi-totalité (Kurdistan turc, syrien et irakien actuel). En agissant de la sorte il assimile l’ensemble des Kurdes aux Turco-anatoliens et inaugure la politique de négation des spécificités culturelles, ethniques et linguistiques (voire religieuses) des Kurdes qui s’est maintenue jusqu’à ces dernières années. L’assimilation voulue des Kurdes repose sur l’objectif de « turquification » scandé par Atatürk, un terme qui n’a jamais levé l’ambiguïté entre « citoyens de Turquie » en référence au peuplement pluriethnique de l’Anatolie et « citoyens turcs » qui renvoie à la notion de « turcité » (30).

            Turquifier sous entend homogénéiser le peuplement de l’espace national par le gommage des particularismes qui concernent autant les cultures que les croyances, à l’instar de la négation de l’alévisme ; turquifier c’est aussi favoriser l’homogénéisation ethnique par l’expulsion ou le déplacement de populations ; nous ne reviendrons pas sur les départs volontaires ou non des chrétiens de l’Empire ni sur les installations massives de réfugiés musulmans mais signalons la volonté constante, qui s’est poursuivie bien après la mort du Gazi, d’un « brassage ethnique » destiné à limiter la surconcentration démographique kurde dans le Sud Est anatolien par des transferts imposés vers d’autres parties du pays et l’implantation de colons turcs à leur place. Ceci dit, la Turquie n’a pas l’exclusivité de ces pratiques et les déplacements forcés de populations gênantes sont monnaie courante tout au long du XXème siècle. Personne ne s’est offusqué, en 1945, de l’expulsion de millions d’Allemands de Russie, de Pologne et de Tchécoslovaquie ; la méthode fut également appliquée par Staline pour punir les « peuples collaborateurs » et elle a été réactualisée par Milosevic, à coups de canon, puis suggérée à haute voix par l’ONU et l’OTAN pour régler les questions bosniaque et kosovare… La Chine est aussi spécialiste du genre pour « noyer » ses minorités sous une marée han ! Concernant la Turquie, les flux internes imposés par le pouvoir et par l’exode rural ont modifié la répartition ethnique du pays ; aujourd’hui, les Kurdes sont plus nombreux dans les métropoles de l’Ouest et du centre que dans les provinces du Sud Est ; ce phénomène a pour effet d’atténuer les risques pesant sur l’unité territoriale en substituant petit à petit des revendications de reconnaissance culturelles aux ambitions séparatistes (31).
            Dernière modification par Sioux foughali, 28 octobre 2007, 09h51.

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            • #7
              suite Politique kemaliste

              Anatoliser
              Dans un autre registre, turquifier sous entend aussi anatoliser, c’est-à-dire privilégier le cœur turc, le foyer de la nation, au détriment de la Thrace orientale et d’Istanbul trop cosmopolites et trop marquées du sceau ottoman. C’est ainsi qu’Ankara fut intronisée comme pôle politique de l’état-nation en remplacement de la capitale de l’empire supranational, concrétisant le recentrage anatolien.

              Pour confirmer la primauté anatolienne, Atatürk s’essaya à une réécriture de l’histoire de l’Asie mineure destinée à faire du plateau anatolien l’un des berceaux originels du peuple turc, bien antérieur à l’arrivée des Seldjoukides… et même à celle des Grecs, des Romains et des Chrétiens. Pour cela, il initia une commission d’historiens turcs présidée par sa fille adoptive, qui tenta de démontrer la parenté entre les Turcs modernes et les Hittites, Sumériens et autres civilisations protohistoriques de l’Anatolie et du Moyen Orient ; ces investigations douteuses furent complétées par l’élaboration de la délirante théorie de la « Langue soleil » qui faisait du turc, la langue à l’origine de tous les groupes linguistiques (32). Devant le faible crédit rencontré dans la communauté scientifique mondiale, l’opération de falsification historique tourna court mais elle est emblématique d’une volonté nationaliste irrédentiste de légitimation par l’histoire, destinée à prouver une occupation nationale antérieure aux autres composantes ethniques et donc à affirmer le droit des Turcs à revendiquer la primauté sur ces terres ; cette démarche est aussi symbolique de l’évolution idéologique de Mustafa Kemal de la turquicité vers le concept de turcité (33).

              Peut on dès lors en conclure que Kemal Atatürk était raciste et xénophobe comme se plaisent à l’affirmer nombre d’adversaires du pays, en particulier dans la diaspora arménienne, arguant de sa propension à la discrimination des minorités, souvent victimes d’une répression brutale et massive ?

              La réalité s’avère bien plus complexe. Rien, en effet, dans ses discours et ses déclarations ne vient étayer cette thèse. Le fait d’affirmer la grandeur de la nation turque pour stimuler sa fierté n’implique pas explicitement un dénigrement des autres peuples. D’une manière générale, concernant les premières décennies de la république, associer nationalisme turquiste à racisme paraît erroné dans la mesure où « racisme » signifie infériorisation d’un peuple dans sa globalité ; bien sûr, ce sentiment existe chez certaines individualités mais dans l’esprit d’Atatürk comme des idéologues du turquisme (34), les Arméniens, les Grecs, les Kurdes… ne sont pas des peuples inférieurs mais des obstacles qu’il faut combattre s’ils portent atteinte à l’unité nationale ou à l’intégrité territoriale turque . Ils sont donc des adversaires ou des concurrents.

              Plus tard, la confrontation des nationalismes qui se disputent les mêmes espaces fera naître des ressentiments générateurs de haines à connotation raciste, mais il convient de ne pas généraliser le phénomène. De même, Mustafa Kemal admire sincèrement les peuples occidentaux, surtout les Français, ce qui tend à infirmer l’accusation de xénophobie ; il en attend, par contre, qu’ils ne s’immiscent pas dans les affaires intérieures de la Turquie, ce qui correspond plutôt à la volonté patriotique d’affirmer l’indépendance nationale ; il en va de même à l’encontre des « minorités nationales » qu’il respecte tant qu’elles respectent ce qu’il considère comme l’intérêt national.

              La répression, bien réelle, qui s’abattit à plusieurs reprises sur les minorités ne leur fut toutefois pas exclusivement réservée. L’écrasement des révoltes kurdes répond à différentes motivations ; elle vise d’abord à annihiler une opposition résolue à l’assimilation, à étouffer des aspirations autonomistes qui menace l’intégrité territoriale, à mater la contestation traditionaliste à sa volonté d’imposer la laïcisation de la société et enfin à casser l’organisation clanique et féodale qui prévalait dans les provinces kurdes et menaçait l’omnipotence de l’état (35).

              Les massacres des Arméniens de Cilicie, accusés de vouloir créer un foyer indépendant relève à peu près de la même logique de défense de l’unité nationale que ces agissements menacent de compromettre. De plus, Atatürk y voit, sans doute avec quelques raisons, la main des puissances étrangères qui cherchent à déstabiliser son régime : française au bénéfice des Arméniens de Cilicie (36), britannique (37) et russe (38) en faveur des Kurdes. Bien entendu, il ne s’agit pas d’excuser ces brutalités (ça n’est pas le rôle de l’historien) mais de les comprendre dans l’optique nationaliste d’Atatürk.

              A l’inverse, nombre de turco-musulmans ont subi des violences ou ont payé de leur vie de s’être mis en travers du chemin tracé par le Gazi, surtout lorsqu’il jugeait que cela portait atteinte à l’Etat ou à la nation.

              Ainsi, expédia t-il à l’échafaud certains de ses anciens compagnons de lutte, accusés de trahison envers la république (ou envers lui-même), lors du complot des Pachas, comme Cavit ou le colonel Arif, pendus en 1926. Le même sort attendait les opposants à la « réforme du chapeau » et la terrible répression qui suivit l’émeute de Menemen (1930) toucha exclusivement des sunnites turcs (39).

              A l’évidence, le régime kémalien présentait des tendances autoritaires… ce qui n’a rien d’exceptionnel dans l’entre-deux-guerres où l’autoritarisme répressif étatique est presque la norme comme sont omniprésentes les idéologies nationalistes et fascisantes, y compris dans les pays qui parviennent à sauvegarder leur démocratie. En France, la montée des Ligues d’extrême droite et le succès populaire du PPF de Doriot sont l’illustration que ces modes de pensée sont largement répandus. En Turquie, outre la personnalisation autocratique du pouvoir qui explique le recours à des méthodes de répression brutale, ces pratiques étaient légitimées par la volonté d’Atatürk d’imposer une modernisation sur le modèle occidental, et donc étranger, à une société très traditionnelle que les atteintes portées au dogme musulman choquaient et à une population, souvent inculte, qui n’était pas préparée à de tels bouleversements. La transformation radicale des mentalités et des habitudes ne pouvait être imposée qu’ « en force » et ne souffrir d’aucune contestation ; la question de la nature profonde du kémalisme peut être posée ; l’affirmation d’un désir réel de démocratie chez Atatürk est crédible, mais sa volonté de promouvoir la modernisation accélérée d’une société turque sans maturité démocratique, justifia une phase transitoire de dictature destinée à conforter les réformes et permettre une transition progressive vers la démocratie (40). La violence étatique apparaît donc conjoncturelle et ne repose pas que sur des fondements nationalistes et assimilateurs, même si ces motivations ont influé sur la politique menée à l’encontre des minorités nationales.

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              • #8
                suite et fin Politique kemaliste

                Quelle modernisation ?
                « Turquifier, moderniser, occidentaliser », le slogan préféré d’Atatürk est inspiré des théories de l’idéologue nationaliste Gökalp, mais la laïcisation s’est substituée à l’islamisation. A priori, la modernisation sur le modèle occidental, couplée à une remise en cause de l’omniprésence de l’Islam dans la sphère publique, paraît incompatible avec l’orientation nationaliste suggérée par « turquifier » qui induit un rejet des valeurs étrangères et même ottomanes. En fait, le kémalisme reposait sur cette dualité : adopter des techniques et des principes de l’Ouest européen tout en insistant sur la prééminence de la culture turque et en préservant des spécificités qui sont glorifiées ; en ce sens, la pensée kemalienne révèle son aspect visionnaire qui place la Turquie en situation de pont entre l’Occident et l’Orient, par l’adaptation du modernisme des puissances européenne à la réalité turque. Il est hors de propos d’inventorier ici l’ensemble des réformes d’Atatürk, mais on peut en distinguer quatre qui sont emblématiques de ce mélange des genres et illustrent le nationalisme kémalien sous jacent.

                La première est assez anecdotique et s’inscrit dans la décision d’obliger les Turcs à adopter un patronyme, selon le principe occidental du nom de famille… avec interdiction des noms à consonance étrangère. Mustafa Kemal se verra attribuer celui « d’Atatürk » (« le Turc père ») qui contribue à son culte de la personnalité et il fera disparaître le prénom « Mustafa », trop marqué du sceau de l’arabisme.

                La seconde réforme concerne l’organisation d’un système scolaire moderne, très inspiré des écoles européennes. Le lycée francophone de Galatasaray, fondé sous Napoléon III et qui formait déjà les cadres du régime ottoman avait montré la voie de l’excellence pédagogique de l’enseignement européen ; mais il ne s’agissait plus pour le Gazi de privilégier l’élite mais d’instruire les masses illettrées d’Anatolie pour élever le niveau intellectuel général et former les serviteurs de la République et de la nation ; l’objectif reprend textuellement les motivations des lois de Jules Ferry. De plus, l’école deviendra le cœur de l’éducation nationaliste de la population ; c’est sur ses bancs que se façonnera l’esprit des enfants pour leur inculquer l’amour de la patrie, la fierté d’être turc et la nécessité de défendre la nation contre ses multiples ennemis… au vu des dispositions mentales observées aujourd’hui, c’est un succès !

                Troisième exemple significatif : la turquisation de la langue écrite et orale. Par l’adoption des caractères latins, on inscrit le turc dans la sphère linguistique occidentale mais en épurant le vocabulaire des termes arabisants, on l’expurge des influences étrangères et on en facilite l’accès aux populations analphabètes d’Anatolie qui se reconnaissent mieux dans cette langue plus proche de leurs dialectes ; en outre, elle devient l’outil de communication unificateur et obligatoire qui nie le droit à l’existence des autres idiomes (kurde…).

                Enfin, retenons la laïcisation de la société qui fut d’abord un moyen d’affaiblir l’emprise des religieux sur le peuple et les institutions. Atatürk s’est il souvenu des mesures anticléricales de la Révolution Française ? Sans doute, car sa référence est bien plus proche de 1789 que de 1905 ! Sa laïcité est d’inspiration européenne mais elle conserve une spécificité turque ; d’abord parce qu’elle est appliquée en terre d’Islam, mais surtout parce qu’elle se traduit par un contrôle étatique strict sur le religieux et non par une séparation église / état à la française ; sur ce plan, la laïcité kémalienne se rapproche davantage des systèmes allemands ou suédois (41). Il s’agit essentiellement de fonctionnariser le fait religieux et d’assujettir sa hiérarchie au pouvoir étatique tout en préservant l’omniprésence des croyances et des pratiques, désormais confinées à la sphère privée ; en outre, la laïcité de Kemal Atatürk impose la prééminence du sunnisme hanéfite par la négation ou l’interdiction des autres observances musulmanes (confréries, alévisme…) (42). On retrouve là, la volonté d’affirmer l’unicité nationaliste et de lutter contre les facteurs susceptible d’y porter atteinte.

                Dans chacun de ces exemples, s’affichent le nationalisme turquiste et la valorisation des spécificités nationales et de la turcité qui engendrent la négation ou l’étouffement des particularismes minoritaires ; mais cette orientation délibérée et constante dans les réformes kémalienne est associée systématiquement à une volonté de moderniser le pays en adaptant le modèle occidental, référence incontournable pour Atatürk (43). On peut en conclure que le turquisme constitue le fondement idéologique de la politique réformiste et modernisatrice kémalienne ; les emprunts étrangers ne sont qu’un outil nécessaire au service de la grandeur de l’état-nation moderne avec la volonté d’inscrire solidement la République turque dans l’espace occidental tout en préservant, voire en renforçant, les spécificités culturelles turques, facteur d’unification nationale.


                --------------------------------------------------------------------------------

                Notes :

                26 : ces frontières sont restées immuables jusqu’à nos jours à l’exception du Hatay (le sandjak d’Alexandrette), « récupéré » par la Turquie en Novembre 1937.

                27 : « Türk’un Türkten baska dostu yok », L. Köker, op.cit. n°19

                28 : La quête de la « Grande Arménie » reste très présente au sein de la diaspora arménienne, davantage qu’en République d’Arménie ; la reconnaissance de l’Holocauste au lendemain de la 2nde Guerre mondiale a ravivé l’espoir d’une « restitution territoriale » et d’une indemnisation financière des spoliations ; ces perspectives justifient l’insistance à réclamer la qualification en « génocide » des évènements de 1915 ce qui placerait les victimes arméniennes sur un pied d’égalité avec les Juifs et légitimerait leurs revendications. (Informations fournies par M. Baskin Oran)

                29 : Sur le sujet, voir en priorité : H. Bozarslan, La question kurde. Etats et minorités au Moyen Orient, Presses de Sciences-po, Paris, 1997

                30 : L. Köker, op.cit. n° 19

                31 : St. Yerasimos, Un état qui bannit les différences, op.cit. n° 10, p. 93

                32 : H. Bozarslan, Histoire de la Turquie contemporaine, op.cit. p. 37

                33 : Dans cette étude nous utilisons le terme « turcité » pour désigner la conception mentale qui considère l’ethnie turque comme nation exclusive de l’Anatolie, à la différence de la « turquicité » qui fait référence à la pluriethnicité de la communauté musulmane de Turquie. Le « turquisme » est l’idéologie qui se propose d’appliquer politiquement ces théories ; l’ambiguïté jamais levée qui entoure ces deux concepts fait du turquisme un amalgame qui puise son inspiration dans les deux théories.

                34 : cf. note n° 6

                35 : Sur la révolte de 1925 du cheikh Saïd, voir : Y. Ternon, op.cit. n°18, p. 434

                36 : id, p. 415

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                • #9
                  manifestations turques à Bruxelles

                  http://www.courrierinternational.com...p?obj_id=79118

                  BELGIQUE • Les extrémistes turcs sèment le trouble à Bruxelles

                  Deux manifestations violentes viennent de se dérouler dans la capitale belge, prenant pour cible des lieux kurdes et arméniens. Un journaliste de Courrier international a également été pris à partie.



                  Manifestation du mercredi 24 octobre 2007 à Bruxelles
                  AFP


                  Environ 600 Turcs, qui s'étaient passé le mot par SMS, ont violemment manifesté, le mercredi 24 octobre, dans les rues de Bruxelles. "Une manifestation pour laquelle aucune autorisation n'avait été demandée et qui s'inscrit dans le contexte du conflit entre la Turquie et l'Irak à propos du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ainsi que dans des relents de rejet à l'égard des Arméniens", rapporte La Libre Belgique, qui pointe l'activisme des Loups gris, la principale mouvance turque d'extrême droite. Des groupes, "très mobiles, attiraient les policiers dans telle rue, tel carrefour, devant un lieu arménien ou kurde, en incendiant un conteneur ou une voiture, puis refluaient à l'approche des pelotons, parfois sous les jets à haute pression des arroseuses", raconte le quotidien. Bilan : quelques blessés, dont des policiers, des dégradations et une centaine d'arrestations. Dimanche, déjà, plusieurs dizaines de manifestants s'en étaient pris à des lieux arméniens et kurdes, à l'ambassade des Etats-Unis et à un journaliste indépendant d'origine turque, Mehmet Koksal, qui est également le correspondant de Courrier international en Belgique. Il livre ici son témoignage.

                  Mehmet Koksal, que s'est-il passé dimanche ?

                  Dès la fin de la semaine dernière, il y eut une campagne en Turquie pour les soldats "martyrs", tués dans des combats avec le PKK. Cette campagne a été suivie par les médias turcs en Belgique. Les radios ont remplacé les émissions de divertissement par des émissions spéciales en hommage aux "martyrs", les sites internet ont lancé des appels à la mobilisation. Il serait naïf de croire que tout cela est spontané.

                  Dimanche, j'ai reçu un appel me prévenant d'une manifestation à Bruxelles, je suis allé voir. Comme je le raconte sur mon blog (allochtone.be), les manifestants ont arraché un drapeau devant l'ambassade américaine et certains se sont mis à crier : "Yak, yak !", ce qui veut dire "Brûle, brûle !" Et pendant que je prends des notes, un manifestant me reconnaît et m'insulte. Je suis connu comme quelqu'un qui n'aime pas les nationalistes turcs. Je suis considéré comme un traître, notamment parce que je me suis prononcé pour la reconnaissance du génocide arménien et que j'ai critiqué le double discours des élus d'origine turque en Belgique. Je collabore à plusieurs médias, La Tribune de Bruxelles, Point critique, une revue de l'Union des progressistes juifs de Belgique, Resistances.be, et mon blog est très lu par les journalistes et les politiques. Une vingtaine de personnes m'ont sauté dessus, m'ont frappé à coups de poing et à coups de pied. Un manifestant a fini par me tirer de là en me disant : "Casse-toi", puis des policiers m'ont mis dans une voiture banalisée et m'ont laissé devant le Parlement, un peu plus loin.

                  Quelles sont les réactions en Belgique ?

                  Pour ce qui est de la manifestation, la presse belge a fait des comptes rendus, et les manifestants ont continué leur campagne sur Internet. L'ambassadeur de Turquie a publié un communiqué appelant les jeunes à ne pas céder à la provocation. C'est bizarre, ce sont plutôt eux qui font de la provocation, c'est une autre lecture des faits. Mais je n'ai jamais entendu l'ambasssadeur condamner ce genre d'acte.

                  En ce qui me concerne, l'Association des journalistes professionnels (AJP) a publié un communiqué dénonçant la non-assistance à personne en danger de la part des services de police. Quand j'ai commencé à être agressé, j'ai demandé à des policiers de m'ouvrir la porte d'une de leurs voitures, mais ils ne l'ont pas fait. Plus par peur, je pense, que par manque de volonté. Aujourd'hui, Reporters sans frontières a également publié un communiqué. Je reçois des menaces, sur des sites Internet de Turcs de Belgique, sur mon e-mail aussi. Il y a des insultes et des commentaires agressifs sur mon blog. Ils font monter la pression, mais je ne suis pas du tout impressionné. Je suis plus inquiet pour mon entourage.

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                  • #10

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                    • #11

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                      • #12
                        http://fr.wikipedia.org/wiki/Partis_politiques_turcs





                        Partis représentés au parlement 2002

                        Adalet ve Kalkınma Partisi ou AKP (Parti de la justice et du développement: parti conservateur démocrate-musulman fondé par Recep Tayyip Erdoğan après interdiction du Refah Partisi ; 365 députés ; 34,41 % (législatives 2002).

                        Cumhuriyet Halk Partisi ou CHP (Parti républicain du peuple) : parti social-démocrate, nationaliste et laïque fondé par Atatürk ; il fut le parti unique jusqu’à la création du Demokrat Parti ; 177 députés ; 19,42 % (législatives 2002).


                        Partis non représentés au parlement

                        Doğru Yol Partisi ou DYP (Parti de la juste voie) : parti conservateur des anciens 1er ministres Süleyman Demirel et Tansu Çiller ( une femme ex premier ministre) ; 9,55 % (législatives 2002).

                        Milliyetçi Hareket Partisi ou MHP (Parti d’action nationaliste) : parti d’extrême-droite nationaliste de Devlet Bahçeli ; 8,44 % (législatives 2002).

                        Genç Parti ou GP (Parti jeune) : parti populiste et nationaliste fondé par Cem Uzan ; 7,25 % (législatives 2002).

                        Demokratik Halk Partisi ou DEHAP (Parti démocratique du peuple) : parti pro-kurde ; 6,14 % (législatives 2002).

                        Anavatan Partisi ou ANAP (Parti de la mère patrie) : parti libéral ; 5,10 % (législatives 2002).

                        Saadet Partisi ou SA (Parti de la félicité) : parti islamiste issu, comme l’AKP du Refah Partisi ; 2,48 % (législatives 2002).

                        Demokratik Sol Parti ou DSP (Parti de la gauche démocratique) : parti social-démocrate et laïque de l’ancien premier ministre Bülent Ecevit ( ex premier ministre) ; 1,23 % (législatives 2002).

                        Yeni Türkiye Partisi ou YTP (Parti de la nouvelle Turquie) : parti social-démocrate, nationaliste et laïque, issu d’une scission avec le DSP ; 1,15 % (législatives 2002).

                        Büyük Birlik Partisi ou BBP (Parti de la grande unité) : parti d’extrême-droite, nationaliste et islamiste de Muhsin Yazıcıoğlu ; 1,02 % (législatives 2002).

                        Yurt Partisi ou YP (Parti de la patrie) ; 0,94 % (législatives 2002).

                        İşçi Partisi ou IP (Parti des travailleurs) : parti maoïste et nationaliste ; 0,52 % (législatives 2002).

                        Bağımsız Türkiye Partisi ou BTP (Parti pour une Turquie indépendante) ; 0,48 % (législatives 2002).

                        Özgürlük ve Dayanışma Partisi ou ÖDP (Parti de la liberté et de la solidarité) : parti socialiste de Hayri Kozanoğlu ; 0,34 % (législatives 2002).

                        Liberal Demokrat Parti ou LDP (Parti libéral démocrate) : parti libéral ; 0,29 % (législatives 2002).

                        Millet Partisi ou MP (Parti de la nation) ; 0,22 % (législatives 2002).

                        Türk Komünist Partisi ou TKP (Parti communiste turc) : parti communiste ; 0,19 % (législatives 2002).

                        Emek Partisi ou EMEP (Parti du travail) : parti communiste de Levent Tüzel .
                        Sosyaldemokrat Halk Partisi ou SHP (Parti social-démocrate populaire) ; non représenté aux législatives de 2002.

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                        • #13
                          journal Tv RTBF

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                          • #14
                            depuis les élections d'aout sont représenté l'AKP (musulman-démocrate, ancien islamiste), le CHP ( nationaliste social-démocrate) et le MHP (ultranationaliste raciste) et des députés indépendantistes kurdes (même si ils ne peuvent pas le revendiquer) élu en indépendant.

                            La Turquie est une horreur, même en France les filles ont droit de porter le voile à l'université alors qu'en Turquie s'est interdit.

                            J'espère que l'AKP fera changer les choses. et qu'ils arriveront à diminuer le nationalisme, ce qui est bien déjà, c'est qu'Ergogan n'est pas un vrai turc ethnique mais un Laze (peuple à la langue proche du géorgien).

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                            • #15
                              Les Arabes ont joué un rôle extrêmement actif dans le dépeçage de l'empire musulman othoman en s'alliant, dans une violation des préceptes de la religion musulmane, avec les Anglais et les Français. Pour les remercier, ces derniers leur ont crée Israël et un tas d'autres État microscopiques arabes, mais incroyablement riches en pétrole.

                              Les Franco-anglais ont aussi permis, car il l'arrange leurs affaires, l'éclosion du fascisme dans sa version arabe, le baâthisme. Une idéologie dont les premiers victimes sont les Arabes eux-mêmes( meurtres massifs, sous-développement chronique...). Quant aux peuples sous domination arabe, comme les Amazighs et les Kurdes, c'est une autre paire de manches.
                              Le Tamazgha, c'est la terre des Amazighs.

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