Nicolas Sarkozy a finalement réservé son tout premier voyage d’Etat au Maroc. Trois jours durant, le président français a sillonné le pays. TelQuel ne l’a pas lâché d’une semelle.
La scène se passe dans un grand palace marrakchi. Nicolas Sarkozy vient à la rencontre d’hommes d’affaires français et marocains. Décontracté et souriant, le président s’installe sur la tribune officielle et salue de la main “quelques connaissances” dans le gotha des affaires franco-marocain. Quelques minutes plus tard, un membre du protocole présidentiel lui remet quelques feuillets contenant le discours qu’il est
censé prononcer devant les patrons des deux pays. Nicolas Sarkozy parcourt le texte en diagonale, esquisse un large sourire et repose, avec un chouia de dédain, les feuilles sur la table. “Mes chers amis, dit-il à l’assistance, on m’a préparé un discours qui ne m’aurait fâché avec personne, mais je préfère vous parler cash”. Nicolas Sarkozy se lance alors dans un rare exercice d’improvisation. Il interpelle, fustige, explique et défend, sans détours, ses choix politiques et économiques. Il se permet même quelques blagues et un vocabulaire de “vieux copains”. Le président se lâche. Son discours (“improvisé de bout en bout”, jurent ses conseillers) dure plus de 40 minutes et se termine sur une phrase : “Je suis arrivé fatigué, je repars en pleine forme. Il faudra vraiment que je revienne”. L’assistance est incontestablement sous le charme. “Votre roi a réussi un exploit extraordinaire : il a déridé notre président. Cela fait longtemps qu’on ne l’a pas vu aussi enthousiaste et aussi énergique”, s’étonne, presque admiratif, un diplomate français. Il ne croit pas si bien dire.
Marrakech, acte 1.
Lorsqu’il prend l’avion ce lundi 22 octobre, à destination de Marrakech, Nicolas Sarkozy est en effet “un homme chagriné, limite abattu”, dit un proche du président, qui poursuit : “Théoriquement, il avait toutes les raisons du monde pour annuler son voyage au Maroc. Divorce surmédiatisé, grèves des cheminots, retard de la croissance… Mais il a tenu à répondre à l’invitation du roi. C’est son petit côté combatif”. À Marrakech, Nicolas Sarkozy a droit à un accueil… royal. Il découvre, impressionné, le faste monarchique. “Le vrai”, fait noter un journaliste français. Avec Mohammed VI, Sarkozy traverse les principales artères de la ville ocre, répond aux acclamations de la foule et arrive, exténué, au palais royal de Marrakech. “Mohammed VI a fait du zèle protocolaire, affirme un observateur. Après la visite-éclair refusée de l’été dernier, le Palais a voulu en mettre plein la vue à Sarkozy. Une manière de lui dire : vous voyez, le Maroc mérite bien plus que trois heures sur votre agenda”.
Dans la cour du palais de Marrakech, Sarkozy présente fièrement ses deux fils à Mohammed VI et à Moulay Rachid. “Il voulait une visite familiale au Maroc, mais Cécilia en a décidé autrement”, commente, un brin ironique, un membre du protocole. Fidèle à sa réputation, le président français passe rapidement à l’essentiel. Il assiste, avachi dans son fauteuil, à la signature de gros contrats entre les deux pays : TGV à 2 milliards d’euros, frégate militaire à 500 millions d’euros… “Au Maroc, les contrats pleuvent”, commentent, dans la soirée, les chaînes de télévision françaises. Presque au même moment, le juge français Patrick Ramaël lance des mandats d’arrêt internationaux contre des officiels marocains, dont Housni Benslimane et Abdelhak Kadiri, pour leur présumée implication dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka. Pour les deux chefs d’Etat, le coup (médiatique) est dur, mais ils n’émettent évidemment aucun commentaire. Interrogée par TelQuel, Rachida Dati, ministre française de la Justice, se contentera de répondre : “Je n’ai aucun commentaire à faire. Le dossier est encore en instruction”. De son côté, Nicolas Sarkozy annule, dans la soirée, une rencontre avec Abbas El Fassi (personne n’a tiqué, c’est drôle) et regagne discrètement sa résidence officielle. Le lendemain, il se rend à Rabat, puis à Tanger, avant de revenir à Marrakech. “Une journée marathon, comme il les aime”, commente un diplomate marocain en poste à Paris.
Tanger Med, version Sarkozy
Mardi 23 octobre, Nicolas Sarkozy prononce un discours devant le Parlement. L’homme parle clairement et sans détours, s’épargnant les formules diplomatiques… ou presque. Il fait l’éloge de Mohammed VI, salue les grandes réformes initiées par le roi et omet de citer les maux qui continuent de ronger la société et l’économie marocaines (corruption, justice, éducation, etc.). Même lorsqu’il parle de l’épineux dossier du Sahara, Sarkozy reste fidèle à son franc-parler, quitte à fâcher le voisin algérien. “Le royaume a proposé un plan d’autonomie sérieux et crédible. Pour la France, c’est une solution politique, négociée et agréée des deux parties qui permettra de résoudre le conflit. Le plan marocain est sur la table… Je formule le souhait qu’il puisse servir de base de négociation pour la recherche d’un règlement raisonnable”. Qui l’eût cru ? Sarkozy fait mieux que Chirac et appelle, sans ambages, à adopter le plan d’autonomie marocain comme base de négociation. Furieux, les dirigeants du Polisario qualifient les propos du président français de “dangereux”. Mohammed VI marque un joli point. Dans l’hémicycle, plusieurs députés sont littéralement magnétisés par la performance de ce “monstre politique”. D’autres, non moins nombreux, n’ont tout simplement rien compris au discours, lu dans la langue de Molière… mais l’ont quand même chaudement applaudi. Pas de temps à perdre, Sarko embarque pour Tanger. Un autre discours l’y attend, celui censé lancer la fameuse Union méditerranéenne, rêvée par le candidat Sarkozy. À l’aéroport Ibn Battouta, le président français prend un hélico tricolore pour survoler Tanger Med. Il est escorté par des appareils de la Gendarmerie royale et de l’Armée de terre. Son guide du jour n’est autre que Karim Ghellab, le ministre de l’Equipement et des Transports. Les deux hommes ne se quitteront d’ailleurs plus. Plus tard, ils prendront le même avion pour rentrer à Marrakech. “Ghellab a apparemment été chargé par le Palais d’accompagner Sarkozy”, croit savoir un membre du gouvernement. Il est vrai que, comme guide, Abbas aurait difficilement fait l’affaire !
En arrivant au palais Marchane de Tanger, Sarkozy a les traits tirés. Il marche doucement et ne sourit pratiquement plus. Toute la délégation française a finalement fait le déplacement : Rachida Dati (aussi élégante que réservée), Bernard Kouchner (pressé mais chaleureux), mais également Faudel (perdu dans la foule) et Abdellatif Benazzi, ancienne gloire de l’équipe de France de rugby. Jean, l’aîné du président, vient également assister au discours de papa. Un discours qui démarre avant même que l’assistance n’ait pris place, après avoir salué le président. Sarkozy défend son projet méditerranéen, encore vague, et appelle à la tenue d’un sommet de chefs d’Etat en juin 2008 en France. À nouveau, il salue les réformes initiées par Mohammed VI, rappelle la protection dont avaient bénéficié les juifs marocains sous Mohammed V et affirme que le “Maroc sera un pivot essentiel de l’Union méditerranéenne”. “C’est une date importante pour Sarkozy. Il lance aujourd’hui un projet qu’il a défendu tout au long de sa campagne et sur lequel il mise beaucoup. Mohammed VI lui a offert une belle tribune. Tanger est une ville haute en symbolique”, analyse un diplomate français. Du coup, rien n’a été laissé au hasard. “Les équipes de l’Elysée nous ont remis un cahier des charges détaillé, concernant la tribune, les couleurs en arrière-plan, l’emplacement des drapeaux, le pupitre…”, affirme un membre de l’organisation. Puis, quand un responsable marocain tente d’ajouter une petite touche chérifienne au décor républicain, la réponse est cinglante : “Entre 300 personnes dans la salle, et des millions de téléspectateurs, notre choix est tout fait”. Soit, répond notre gentil organisateur marocain, “mais vos millions de téléspectateurs ne seraient pas contents de voir le président devant une salle vide non plus”. Une menace finalement sans effet : c’est l’Elysée qui aura le dernier mot sur le decorum. Et la salle, comble, boira les paroles du président dans un silence religieux… interompu deux fois par les sonneries des portables de quelques gardes royaux ! Pire, l’un d’entre eux n’a pas pu s’empêcher de voler un cliché du président sur son mobile.
La scène se passe dans un grand palace marrakchi. Nicolas Sarkozy vient à la rencontre d’hommes d’affaires français et marocains. Décontracté et souriant, le président s’installe sur la tribune officielle et salue de la main “quelques connaissances” dans le gotha des affaires franco-marocain. Quelques minutes plus tard, un membre du protocole présidentiel lui remet quelques feuillets contenant le discours qu’il est
Marrakech, acte 1.
Lorsqu’il prend l’avion ce lundi 22 octobre, à destination de Marrakech, Nicolas Sarkozy est en effet “un homme chagriné, limite abattu”, dit un proche du président, qui poursuit : “Théoriquement, il avait toutes les raisons du monde pour annuler son voyage au Maroc. Divorce surmédiatisé, grèves des cheminots, retard de la croissance… Mais il a tenu à répondre à l’invitation du roi. C’est son petit côté combatif”. À Marrakech, Nicolas Sarkozy a droit à un accueil… royal. Il découvre, impressionné, le faste monarchique. “Le vrai”, fait noter un journaliste français. Avec Mohammed VI, Sarkozy traverse les principales artères de la ville ocre, répond aux acclamations de la foule et arrive, exténué, au palais royal de Marrakech. “Mohammed VI a fait du zèle protocolaire, affirme un observateur. Après la visite-éclair refusée de l’été dernier, le Palais a voulu en mettre plein la vue à Sarkozy. Une manière de lui dire : vous voyez, le Maroc mérite bien plus que trois heures sur votre agenda”.
Dans la cour du palais de Marrakech, Sarkozy présente fièrement ses deux fils à Mohammed VI et à Moulay Rachid. “Il voulait une visite familiale au Maroc, mais Cécilia en a décidé autrement”, commente, un brin ironique, un membre du protocole. Fidèle à sa réputation, le président français passe rapidement à l’essentiel. Il assiste, avachi dans son fauteuil, à la signature de gros contrats entre les deux pays : TGV à 2 milliards d’euros, frégate militaire à 500 millions d’euros… “Au Maroc, les contrats pleuvent”, commentent, dans la soirée, les chaînes de télévision françaises. Presque au même moment, le juge français Patrick Ramaël lance des mandats d’arrêt internationaux contre des officiels marocains, dont Housni Benslimane et Abdelhak Kadiri, pour leur présumée implication dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka. Pour les deux chefs d’Etat, le coup (médiatique) est dur, mais ils n’émettent évidemment aucun commentaire. Interrogée par TelQuel, Rachida Dati, ministre française de la Justice, se contentera de répondre : “Je n’ai aucun commentaire à faire. Le dossier est encore en instruction”. De son côté, Nicolas Sarkozy annule, dans la soirée, une rencontre avec Abbas El Fassi (personne n’a tiqué, c’est drôle) et regagne discrètement sa résidence officielle. Le lendemain, il se rend à Rabat, puis à Tanger, avant de revenir à Marrakech. “Une journée marathon, comme il les aime”, commente un diplomate marocain en poste à Paris.
Tanger Med, version Sarkozy
Mardi 23 octobre, Nicolas Sarkozy prononce un discours devant le Parlement. L’homme parle clairement et sans détours, s’épargnant les formules diplomatiques… ou presque. Il fait l’éloge de Mohammed VI, salue les grandes réformes initiées par le roi et omet de citer les maux qui continuent de ronger la société et l’économie marocaines (corruption, justice, éducation, etc.). Même lorsqu’il parle de l’épineux dossier du Sahara, Sarkozy reste fidèle à son franc-parler, quitte à fâcher le voisin algérien. “Le royaume a proposé un plan d’autonomie sérieux et crédible. Pour la France, c’est une solution politique, négociée et agréée des deux parties qui permettra de résoudre le conflit. Le plan marocain est sur la table… Je formule le souhait qu’il puisse servir de base de négociation pour la recherche d’un règlement raisonnable”. Qui l’eût cru ? Sarkozy fait mieux que Chirac et appelle, sans ambages, à adopter le plan d’autonomie marocain comme base de négociation. Furieux, les dirigeants du Polisario qualifient les propos du président français de “dangereux”. Mohammed VI marque un joli point. Dans l’hémicycle, plusieurs députés sont littéralement magnétisés par la performance de ce “monstre politique”. D’autres, non moins nombreux, n’ont tout simplement rien compris au discours, lu dans la langue de Molière… mais l’ont quand même chaudement applaudi. Pas de temps à perdre, Sarko embarque pour Tanger. Un autre discours l’y attend, celui censé lancer la fameuse Union méditerranéenne, rêvée par le candidat Sarkozy. À l’aéroport Ibn Battouta, le président français prend un hélico tricolore pour survoler Tanger Med. Il est escorté par des appareils de la Gendarmerie royale et de l’Armée de terre. Son guide du jour n’est autre que Karim Ghellab, le ministre de l’Equipement et des Transports. Les deux hommes ne se quitteront d’ailleurs plus. Plus tard, ils prendront le même avion pour rentrer à Marrakech. “Ghellab a apparemment été chargé par le Palais d’accompagner Sarkozy”, croit savoir un membre du gouvernement. Il est vrai que, comme guide, Abbas aurait difficilement fait l’affaire !
En arrivant au palais Marchane de Tanger, Sarkozy a les traits tirés. Il marche doucement et ne sourit pratiquement plus. Toute la délégation française a finalement fait le déplacement : Rachida Dati (aussi élégante que réservée), Bernard Kouchner (pressé mais chaleureux), mais également Faudel (perdu dans la foule) et Abdellatif Benazzi, ancienne gloire de l’équipe de France de rugby. Jean, l’aîné du président, vient également assister au discours de papa. Un discours qui démarre avant même que l’assistance n’ait pris place, après avoir salué le président. Sarkozy défend son projet méditerranéen, encore vague, et appelle à la tenue d’un sommet de chefs d’Etat en juin 2008 en France. À nouveau, il salue les réformes initiées par Mohammed VI, rappelle la protection dont avaient bénéficié les juifs marocains sous Mohammed V et affirme que le “Maroc sera un pivot essentiel de l’Union méditerranéenne”. “C’est une date importante pour Sarkozy. Il lance aujourd’hui un projet qu’il a défendu tout au long de sa campagne et sur lequel il mise beaucoup. Mohammed VI lui a offert une belle tribune. Tanger est une ville haute en symbolique”, analyse un diplomate français. Du coup, rien n’a été laissé au hasard. “Les équipes de l’Elysée nous ont remis un cahier des charges détaillé, concernant la tribune, les couleurs en arrière-plan, l’emplacement des drapeaux, le pupitre…”, affirme un membre de l’organisation. Puis, quand un responsable marocain tente d’ajouter une petite touche chérifienne au décor républicain, la réponse est cinglante : “Entre 300 personnes dans la salle, et des millions de téléspectateurs, notre choix est tout fait”. Soit, répond notre gentil organisateur marocain, “mais vos millions de téléspectateurs ne seraient pas contents de voir le président devant une salle vide non plus”. Une menace finalement sans effet : c’est l’Elysée qui aura le dernier mot sur le decorum. Et la salle, comble, boira les paroles du président dans un silence religieux… interompu deux fois par les sonneries des portables de quelques gardes royaux ! Pire, l’un d’entre eux n’a pas pu s’empêcher de voler un cliché du président sur son mobile.
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