Annonce

Réduire
Aucune annonce.

« Les Geôles d’Alger » de Mohamed Benchicou

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • « Les Geôles d’Alger » de Mohamed Benchicou

    « Les Geôles d’Alger » de Mohamed Benchicou est sorti hier 31 octobre à Alger pour le Salon du livre où l’auteur devrait animer des ventes-dédicaces tous les après-midis. A Alger, il est considéré comme le livre de la rentrée. Il doit paraître le 8 novembre en France aux Editions Riveneuve ([email protected] et www.riveneuve.com Tel : 01.45.42.23.85).

    En exclusivité pour les lecteurs du Matin, voici les bonnes feuilles de l’‘ouvrage

    * * * * *

    – C’est toi qui as écrit le livre sur Bouteflika ? »

    Derrière la grille, à contre-jour, Ferah offre à admirer sa magnifique silhouette de travesti. Ses hanches rondes moulées dans un jean parfaitement taillé et montées sur des jambes fines, sa poitrine proéminente parfaitement épousée par un tee-shirt fripon, son beau visage d'éphèbe sobrement maquillé, ses yeux en amande bridés et mélancoliques, subtilement mis en évidence par une discrète touche de khol et ornés de cils soignés au mascara, ses petites lèvres pulpeuses, tout est fait pour aguicher chez Ferah.

    Comme tous les travestis de la prison, il loge au « cabanon », une aile spécialement aménagée pour les homosexuels et, bien entendu, interdite aux autres détenus. On y rencontre les travestis célèbres qui se prostituent dans les rues et les night-clubs d’Alger et que la police des mœurs coffre de temps à autre, au gré des campagnes de moralisation publique dont aime à user le régime algérien pour se donner à bon compte ces allures de sainteté qui apaisent les islamistes et confortent les âmes bigotes. Les travestis pris dans le filet séjournent au cabanon quelques semaines, le temps que retombe la crise bondieusarde du gouvernement et que leurs puissants protecteurs interviennent pour les faire libérer. Ils s’en tirent généralement avec une petite peine assortie d’une sévère leçon de morale sur les ravages qu’il font subir à la société en vendant si publiquement leurs charmes. Les prostitués s’en amusent. Ceux qui les jugent sont souvent leurs plus assidus clients et ils ont appris autant à garder les secrets qui les font vivre qu’à mépriser cette société aussi adroite dans les sermons que dans la sournoiserie. C’est dans les villas d’Alger les plus cossues, dans le lit des plus hauts notables de la ville et dans celui de ses plus vénérables personnalités, dans l’odeur de l’alcool et du fric, que les travestis passent leurs plus rentables nuits. Mais, de ces encanaillements des puissants, on ne parle pas, comme on ne parle pas de la pédophilie, du marché de la drogue ou de l'industrie du sexe, territoires gouvernés par des hommes proches du pouvoir. Alors, les prostitués ont appris à se taire et à payer. Payer les policiers qui ferment les yeux, payer le commissaire qui les couvre, payer le magistrat qui expédie l’affaire. C’est la rançon imposée par l’hypocrisie algéroise et ils ont appris à s’en acquitter avec philosophie.

    Tous les pensionnaires du cabanon ne sont, hélas ! pas des détenus de passage appréhendés pour avoir chatouillé les bonnes mœurs. Il en est qui s'y trouvent pour des délits plus classiques et plus lourds. Ferah est de ceux-là. Il purge une peine à perpétuité pour avoir assassiné son amant surpris dans les bras d’une femme. J’ai appris ainsi, avec l’émouvante histoire de Ferah, qu’un homme épris d’un autre homme peut succomber à la jalousie au point de se donner les moyens définitifs de laver l’affront. Pour ce geste fatal de l'amant trompé, Ferah a déjà passé douze années de sa vie en prison. Douze interminables années à regarder flétrir son corps et à lutter désespérément, avec les dérisoires moyens de la prison, contre le vieillissement prématuré, à retarder la fatidique évasion de la séduction et à guetter une insoutenable indifférence dans le regard des hommes. Ne plus plaire serait pour lui le vrai jour du trépas et il doit d’être entré très jeune en prison plus qu’à sa persévérance de conserver, à l’approche de la trentaine, cet attrait certain qui fait encore se tourner les têtes des autres détenus et cette authentique grâce féminine qui perle comme une note de douceur dans le pénitencier d’El-Harrach.

    – Oui, c’est moi qui l’ai écrit, lui répondis-je.

    Il s’était approché de moi pour donner un peu de confidentialité à notre discussion et cette tournure d’intimité que prenait notre rencontre ne semblait pas lui déplaire. De ses ongles subtilement vernis, il se frotta délicatement le nez, écarquilla démesurément les yeux, ce qui eut le dommageable effet de les débrider, puis laissa échapper un soupir :

    – C’est donc vrai…

    Ferah se relâcha comme s’il venait, enfin, de percer un mystère tenace, prit une cigarette blonde qu’il enroula méthodiquement de ses doigts fins avant de l’accrocher délicatement à ses lèvres, et l’alluma en me dévisageant, l’air à la fois pensif et un soupçon admiratif.

    – Et ils t’ont coffré pour ça ?

    – En quelque sorte, oui…

    – Et tu as dit des choses graves sur le président ?

    – Pas vraiment. Pas au sens où tu sembles l’entendre, en tout cas.

    L’explication ne parut pas le convaincre, mais il n’en avait que faire. Il lui suffisait de parler au « journaliste qui avait écrit le livre sur Bouteflika » et qu’on venait d’incarcérer; de fixer ce moment dans sa morose existence de détenu.

    Il semblait tirer de cet instant intime une sorte de fierté indéfinissable, comme si, tout d’un coup, il découvrait, à travers mon personnage, un motif inattendu de ne pas tout à fait désespérer de la vie et des hommes.

    * * * * *
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    La violence a marqué d'un fer blanc le journal que j'ai fondé. C'est de son ventre qu'il naquit un matin d'automne lumineux de 1991. C'est de ses implacables étreintes chargées de deuils et de désespoirs qu'elle l'accompagna durant sa courte existence. C'est par elle qu'il mourut l'été de cette maudite année 2004. Ecrire et informer au rythme des salves de colère d'un peuple déchiré n'offrait pas d'autre destin que de tomber, un jour ou l'autre, au champ de bataille d'une guerre sans nom.

    Le Matin vit le jour par le sang. Enfant convulsif des journées noires d'octobre 1988, quand la jeunesse algérienne se souleva contre la dictature pour en arracher, au prix de centaines de cadavres, le pluralisme et la fabuleuse possibilité de penser autrement, il est né du râle des torturés et de l'agonie des adolescents fauchés par les chars dans les rues d'Alger. Sans ces gosses révoltés armés que de leurs seuls cris, les journaux libres n'auraient jamais poussé sur ce sol assoiffé de liberté et, je le crois bien, nous ne serions pas si nombreux à écrire avec impertinence. Pour être précis, je dirais que le Matin est aussi l'enfant d'un divorce fécond. L'équipe qui l'avait créé venait d'un journal prestigieux, Alger républicain, le célèbre quotidien de gauche, proche des communistes, créé en 1938, régulièrement harcelé pour ses positions éditoriales, interdit en 1939 et en 1955 par les autorités françaises, puis en 1965 par le pouvoir algérien suite au coup d'Etat de Houari Boumediene. J'avais contribué, aux côtés d'un prestigieux aîné, l'inégalable Bachir Rezzaoug, à relancer Alger républicain en 1989, dans la foulée des évènements d'octobre, après vingt-quatre ans de non-parution. Il fut le premier titre privé à briser l'hégémonie des journaux étatiques. J'en fus désigné le rédacteur en chef et j'exerçais ma fonction avec d'autant plus de fierté que je dirigeais une rédaction qui compta en son sein des plumes historiques comme celle d'Albert Camus ou Kateb Yacine. Travailler dans Alger républicain vous réconciliait avec la modestie et la force des idées. C'était un journal qui avait, avant les nôtres, donné ses martyrs, illustres, comme Henri Maillot, Georges Rafini, Amar Khalouf, Abdelkader Benamara, Mourad Aït Saada, Abdelkader Choukhal, tous morts pour l'indépendance de l'Algérie.

    Entre 1989 et 1991, Alger républicain eut le malheur de renouer avec le succès : il se classa en seconde position dans le classement par tirages. Le réussite, comme de juste, allait susciter les convoitises politiques. Le parti de l'avant-garde socialiste (PAGS), communiste proposa de placer un de ses dirigeants à la tête du journal. Le directeur Abdelhamid Benzine, vieux journaliste respecté et respectable, acquiesça. Je ne savais, pour ma part, quoi répondre à cette initiative qui contrecarrait nos pulsions professionnelles mais nous finîmes par refuser catégoriquement. C'eût été, pensions-nous, une trahison à l'idée qu'on se faisait du journalisme que de travailler sous l'autorité directe d'un parti, fût-il le nôtre, et de celle d'un homme qui n'avait aucun parcours dans la presse. La crise qui s'ensuivit déboucha sur notre départ et, par l'heureux concours des circonstances, sur la naissance du Matin que je créai aux côtés d' amis admirables, dont Ghania Hammadou, qui en fut la première rédactrice en chef.

    Je resterai toutefois marqué par mon passage décisif à Alger républicain. Cette étape pesa beaucoup dans les choix obstinés du Matin, dans ses refus et même dans la similitude des destins qui frappèrent les deux journaux.

    Nous restâmes toujours fascinés par le sacrifice des martyrs d'Octobre et toujours habités par la crainte de les trahir. Jusqu'au jour où nous eûmes nos propres martyrs. Et qu'il fallut alors à nos plumes honorer, en plus d'un complexe devoir de vérité, l'insoutenable devoir de mémoire. Je crois, en dépit de nos moments de défaillances et de nombreuses concessions à la vanité, que nous ne les avons jamais trahis. Le Matin a été l'un des journaux qui ont constamment alerté l'opinion, jusqu'au dernier numéro, sur le plus grand péril qui guettait notre pays, le péril islamiste qui planait sur le ciel bleu d'Algérie. C'était comme un appel déchirant qui jaillissait de nos plumes telle une clameur de détresse jaillissant d'une poitrine angoissée. Nous voulions réveiller les esprits sur l'abominable destin qui attendait l'Algérie si la loi du kamis venait à l'emporter. On a souvent épilogué sur le différend qui nous opposa, si violemment, au président Bouteflika. Il ne reposait que sur cette hantise d'un pétainisme algérien qui, hélas ! a bien fini par se vérifier.

    Nous avons été parfois entendus, souvent conspués, mais toujours respectés. De cette ligne farouchement anti-intégriste, nous n'avons pas dévié un seul jour, ce qui nous valut, dans la même foulée, l'adhésion des lecteurs, l'hostilité des clercs et les quolibets d'une certaine presse française caricaturale qui nous taxait de « journal des généraux.» Je ne m'en suis jamais offusqué, connaissant, pour une presse libre naissante, le tribut qu'il y avait à payer aux mépris et aux préjugés.

    Notre obstination intraitable à désigner le monstre islamiste, ajoutée à nos dénonciations de la corruption et de l'injustice, nous exposa à deux colères fatales : l'une, assassine, des terroristes intégristes ; l'autre, répressive, du pouvoir algérien.

    Et c'est ainsi que nous fîmes connaissance avec la violence et la prison.

    * * * * *
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire


    • #3
      Le Matin, ce fut d'abord un soldat désespéré contre l'islamisme.

      Si nous nous sommes opposés au régime du président Bouteflika dès son élection en 1999, c'est parce que nous avions tout simplement peur. Peur que nos amis soient morts pour rien, peur du règne islamiste dans un pays qui avait donné sa chair pour la démocratie, peur d'une insoutenable infidélité. Or, tout chez le personnage indiquait qu'il allait, par calcul politique mais aussi par conviction, trahir le combat anti-intégriste. En 1994 déjà, il avait refusé la présidence parce que le rapport des forces ne penchait pas vers une alliance avec les islamistes. Il quitta, de nuit, Alger pour Genève sans avertir les généraux qui tablaient sur son intronisation; ce qu'ils ne lui ont jamais pardonné. Le général Nezzar, l'un de ses sponsors transis, publia un virulent communiqué dans le Matin, en septembre 1998, alors que la candidature de Bouteflika n'était encore qu'au stade de la rumeur, pour le traiter de « marionnette qui se roulait dans le burnous de Boumediene. » L'ire du général suscita d'ailleurs un événement assez mystérieux et dont je n'ai toujours pas la clé jusqu'à aujourd’hui. Une mise au point aux propos de Nezzar, très musclée et signée Abdelaziz Bouteflika, nous parvint en effet au journal, le jour même. Fallait-il la publier ? Nous devions d'abord nous en assurer de l'authenticité et le seul qui pouvait nous édifier était Bouteflika lui-même. Son téléphone était sur répondeur. Nous laissâmes un message qui fit son effet : deux heures plus tard déboula chez nous son frère Saïd, l'air affolé et abusant de ces tics qui tiennent à la fois du jésuitisme et du manque d'assurance :

      – Abdelaziz Bouteflika m'envoie vous dire qu'il n'est pas signataire de cette mise au point et que ce n'est pas dans ses habitudes d'intervenir avec vulgarité dans le débat politique. Il vous prie de ne pas publier ce texte.

      La mise au point ne fut ainsi, jamais rendu publique bien que j'avais le fort pressentiment que Bouteflika en était bien l'auteur. Cela n'empêcha pas ce dernier, devenu président, de fustiger, entre autres reproches, cette presse qui ne « vérifie jamais ses sources. » Quant à son frère Saïd, devenu puissant personnage politique à l'ombre de son aîné, il perdit ses tics embarrassés au profit de ceux, plus cyniques, des bourreaux et de l'intrigant.

      Nous eûmes raison d'avoir peur : Bouteflika exécutera avec cynisme une incroyable politique de félonie. Il fit approuver par deux référendums, en 1999 et en 2005, la « réconciliation nationale » avec les intégristes qui venaient pourtant d'assassiner des dizaines de milliers de citoyens. Vaincus militairement, les islamistes relevèrent alors la tête et se mirent, dès le printemps de l'année 2006, à revendiquer le pouvoir. Nous allions commémorer le douzième anniversaire de la disparition de Saïd Mekbel.

      Jusqu'à son ultime édition, le Matin dénonça cette infâme capitulation que le président Bouteflika exigeait d'un pays fatigué. C'est cette ligne anti-intégriste qui précipita notre perte. C'est cela plus un certain héritage filial d'Alger républicain qui nous commandait de nous faire la voix de ceux qui n'en avaient pas, les jeunes condamnés au chômage, les travailleurs méprisés, les populations dépouillées de leur avenir, les femmes spoliées de leurs droits. C'est cela, plus la défense de nos cadres, médecins, enseignants, souvent persécutés, parfois emprisonnés et brisés, toujours humiliés, poussés à l'exil et à l'abandon d'un pays privé alors de sa matière grise, de ses chercheurs, de ses scientifiques. C'est tout cela, ajouté aux dénonciations de tortures pratiquées honteusement sur des Algériens, au soutien du journal à la révolte kabyle de 2001, aux enquêtes sur les malversations financières et sur les connivences louches qui mettaient en cause le cercle présidentiel, c'est tout cela que le journal a payé de sa vie. Alors, oui, pour tout cela, nous fûmes, pour les notables des régimes qui se sont succédé depuis 1991, civils ou militaires, le vilain petit canard à écorcher vif. Notre première suspension, nous la connûmes à l'âge de dix mois ! Elle dura deux mois et faillit nous emporter. Un chef du gouvernement très ombrageux et assez imbu de sa personne, Belaïd Abdesslam, un dinosaure du parti unique nous punissait pour avoir donné une information vraie …mais embarrassante pour le pouvoir : l'arrestation du chef du Groupe islamiste armé (GIA), Chebouti. Nous étions encore assez naïfs pour ignorer qu'il en coûtait parfois davantage, pour un journaliste libre, de publier une information vraie que de donner une nouvelle fausse. Depuis, l'énigme est restée entière : plus personne n'entendit parler de Chebouti. Qui était-il ? C'est à ces mystères qu'on reconnaît la brillante complexité de la politique algérienne.

      Nous connûmes ensuite quatre autres suspensions dont la dernière, en 2004, fut fatale.

      A quoi devons-nous d'avoir subi, plus que d'autres, l'acharnement des puissants ? Nous n'étions pas plus courageux que nos confrères mais sans doute moins prudents et peut-être, je dois le dire, plus à l'écoute du malheur qui frappait notre peuple.

      Oh, bien sûr, je ne nie pas l'impulsivité ni peut-être même une certaine fatuité dans l'exercice du métier. Nous avons livré bataille, à mains nues, à de puissants généraux, comme Mohamed Betchine, richissime et redoutable notable du régime, qui avait mis à profit son amitié avec le président Zéroual pour mettre le pays en coupe réglée, favorisant le népotisme, la rapine et le passe-droit. Son journal m'ayant attaqué en des termes blessants, je ripostai par un article d'août 1998 qui reste à ce jour le plus provocateur qu'ait publié le Matin et rageusement intitulé « Rentrez vos chiens, M. Betchine! » Le brûlot fit si grand effet auprès des cercles algérois qu'il suscita une espèce de crainte sourde chez les journalistes du Matin : à quelle sauce l'ogre allait-il nous manger ? L'audace nous coûtera très cher, en effet : d'abord une amende de deux milliards de centimes qu'une juge complaisante nous condamna à payer, ensuite une suspension de deux mois qui faillit nous asphyxier.

      Nous avons toujours versé la rançon de l'imprudence mais aussi, il faut le dire, un certain tribut à la lucidité. Car, enfin, pourquoi ce combat que nous livrâmes contre le régime d'Abdelaziz Bouteflika a-t-il toujours paru un combat solitaire ? Sans doute parce que l'on ne s'est jamais vraiment laissé prendre à l'image factice d'un homme dont le portrait, en apparence, tranchait avec celui, rugueux,de ses prédécesseurs, tous militaires à l'exception de l'éphémère Boudiaf. Bouteflika se présentait, il est vrai, comme un civil plutôt instruit et courtois, ouvert, du moins le laissait-il entendre, sur la civilisation universelle. Il eut, au surplus, le talent d'emporter d'emblée la sympathie des foules en parlant de politique avec un accent populiste et débonnaire. Dans un pays où, par tradition hypocrite, les hommes politiques sont sérieux à l'excès, les gens saluèrent avec enthousiasme l'arrivée de la frivolité au pouvoir. Puis, très vite, les Algériens découvrirent derrière ses accents railleurs, l'homme méprisant, froid et calculateur qui se révéla dans les épreuves terribles que vécut son peuple.
      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

      Commentaire


      • #4
        C'est ainsi que j'eus l'idée d'écrire un livre démystificateur, Bouteflika une imposture algérienne (1), le livre que le président ne m'a jamais pardonné et qui, autant que les écrits du Matin, est à l'origine de la terrible répression qui s'abattit sur ma modeste personne. Je voulais, à travers cette biographie sans complaisance, montrer que, oui,d'une certaine façon, Bouteflika était en rupture avec les colonels qui l'avaient précédé au gouvernail algérien : il y avait chez Boumediène, Chadli ou Zéroual, des filons telluriques faciles à détecter, marqués du signe d'une certaine grandeur que seule offre la vie de guerrier. Ils furent des dirigeants intraitables, impénétrables, arrogants, totalitaires et souvent impitoyables, qui semblaient obéir à une force désolée et implacable mais qui, en même temps, par soumission assumée à une espèce de puritanisme militaire, préservaient le pouvoir des rodomontades dégradantes, du manquement à la parole et de la fatuité. Bouteflika, lui, est resté jusqu'au bout l'enfant adultérin d'un système grabataire et d'une démocratie violée que je décris dans mon livre Bouteflika, une imposture algérienne. Relisant dans ma cellule d'El-Harrach un écrit de Neruda sur le dictateur chilien Gonzalez Videla, je tombe sur l'image que je cherchais, celle qui va comme un gant aux despotes vaniteux : « A l'échelle des sauriens géants que sont les grands caudillos latino-américains, les dimensions de Videla ne dépassent pas celles d'un lézard venimeux. »

        * * * * *

        « Ici, avec nous, ouallah ! il ne t'arrivera rien. » Le serment de l'adolescent, tout le monde l'a tenu en prison. J'ai vérifié, durant les longs mois qui suivirent, la réalité de cette sympathie active dont m'ont témoigné, sans relâche, mes compagnons de détention. Je n'ai pas, ne fût-ce qu'un seul jour, souffert du froid, de la faim ou de la fatigue. Il s'est toujours trouvé une main pour m'épargner l'épreuve et l'abaissement que les commanditaires politiques de mon incarcération entendaient me faire subir. Les besognes de la prison, ingrates mais nécessaires, m'étaient carrément prohibées : mes compagnons de cellule m'interdisaient de faire la vaisselle, de préparer les repas, de nettoyer le « gourbi » ou même de laver mon propre linge ! J'avais un bizarre statut d'invité dans une salle où les détenus s'affairaient pourtant du matin au soir pour maintenir les lieux dans une relative propreté. Ce privilège généreusement accordé par mes compagnons, contre lequel je ne pouvais rien, m'a souvent indisposé. Pour être, cependant, tout à fait honnête, j'avoue y avoir trouvé quelques accommodements avec le côté flemmard de ma nature, n'ayant jamais manifesté de grand enthousiasme pour les tâches domestiques. C'est ainsi que Zaouèche fut pendant un an et demi mon assistant ménager attitré. Il s'occupait de mes repas, souvent de ma lessive et parfois du rangement de mes affaires, ce qui me laissait du temps pour lire ou pour rêvasser et, quand l'inspiration était au rendez-vous, pour écrire. Si j'ai pu rédiger mes poèmes de prison, accumuler de précieuses notes pour l'ouvrage présent et produire des écrits à l'intention de mes amis qui militaient à l'extérieur, c'est grâce à Zaouèche et à mes autres compagnons de cellule. Son départ me laissa dans une sorte de vide insoupçonnable que je ne pus combler qu'avec l'arrivée providentielle de Guelti, un inoubliable boute-en-train, par ailleurs maniaque de la propreté et spécialiste de la salade de pomme de terre qu'il avait toutefois la manie d'assaisonner avec du mauvais vinaigre. Guelti témoigna d'une prévenance exceptionnelle à mon endroit, me déchargeant, autant que le fit Zaouèche, des petites et grandes obligations ménagères.

        Mes amis m'entourèrent d'une sollicitude si rare que je n'ai pas souvenir d'en avoir rencontré de semblable en dehors de ma prime enfance. Ils domestiquèrent même la maladie dont je souffrais, et à laquelle, sur ordre des autorités, l'administration pénitentiaire hésitait à apporter les soins spécialisés. Mes voisins de cellule remplacèrent tous les médecins de la planète ! Que de soirs, mon bras engourdi par la douleur a dû s'en remettre aux massages apaisants de Mosta ou aux herbes miraculeuses du « docteur », surnom donné à M'hamed depuis qu'il s'était mis en tête de travailler à l'infirmerie. Et que de fois je dus aux mains expertes d'un vieux détenu, Lahbib, kinésithérapeute dans une ancienne vie et assistant occasionnel du médecin, de voir mon dos se redresser comme par enchantement. Le résultat faisait d'ailleurs rougir de fierté Lahbib qui se piquait d'avoir été le disciple du kiné d'Alain Delon !

        « Ils veulent te détruire. Mais ici, avec nous, ouallah il ne t'arrivera rien. Compte sur nous », avait promis l'adolescent. Sans doute voulait-il signifier que tout le monde, ici, avait deviné les desseins funestes du pouvoir : m'affaiblir, voire m'assassiner en prison de façon passive, en laissant évoluer la maladie jusqu'au stade final. Ce que les détenus n'auront pas laissé faire. Ce n'était pas de la compassion mais un acte politique mûrement réfléchi et méthodiquement assumé. Mon emprisonnement était devenu, à mon insu, un enjeu de réputation entre mes associés d'infortune et mes bourreaux. Par ce combat inégal et non déclaré, mes codétenus signifiaient à mes geôliers politiques qu'ils s'acharneraient à déjouer les funestes objectifs rattachés à ma détention, qu'ils étaient garants de ma santé et de mon moral et que je ne sortirais de prison ni brisé ni affaibli. Ils ont interposé entre moi et mes persécuteurs une magnifique cordillère humaine érigée à la gloire de la fraternité et de la dignité. C'eût été leur défaite et un peu leur déshonneur que, sous leurs yeux, un journaliste arrêté pour ses idées cédât, sous le poids de l'épreuve carcérale, à la repentance ou, pis, au désaveu de ses propres opinions. Je me souviens, en ces derniers mois d'emprisonnement, de l'ardeur touchante que mettaient les deux sportifs de la salle, Mus et Moha, à organiser à mon intention des séances de remise en forme auxquelles, je dois l'avouer, otage de ma paresse, je me prêtais d'assez mauvaise grâce. « Mais tu sors bientôt, Ami Moh, et il faut que tu affiches l'allure d'un homme en forme. On va leur montrer que tu es toujours le même », insistaient-ils avec une heureuse opiniâtreté qui eut raison de ma mauvaise volonté et aussi, heureusement, de ma bedaine.

        De cette solidarité spontanée, j'ai tiré la clé d'un vieux mystère : la vieille impuissance de la prison à avilir les détenus d'opinion. Le fait qu'ils en ressortent toujours intacts, du plus célèbre comme Nelson Mandela aux plus anonymes, m'a toujours intrigué. Je n'avais pas conscience que l'explication se trouvait, au-delà de la foi, dans cette complicité massive de leurs codétenus qui les préservait des outrages de la peine. Les Algériens appellent cet orgueil têtu le nif, un terme intraduisible situé entre la fierté sourcilleuse et un défi obstiné à l'indignité. Dans le cas de mes amis de prison, c'était le nif , plus autre chose. Cette bravade, patiente et admirable, lancée aux lois de l'oppression, c'était leur part d'un combat, mon combat, celui que j'avais jusque-là mené sans eux et qui, désormais, et pour toujours, sera l'enfant rescapé de ces hommes d'El-Harrach qui l'ont nourri de leur chair et de la force de leur désespoir.

        Jamais plus il ne sera une goutte d'encre qui ne perlera de ma plume sans devoir sa liberté à ces platanes anonymes de la générosité humaine.

        * * * * *
        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

        Commentaire


        • #5
          J'ai souvent entendu agoniser le Matin. Je ne l'ai pas vu mourir. J'étais en prison, depuis un mois déjà, quand j'appris sa disparition, décidée par le régime du président Bouteflika au milieu des larmes des lecteurs amputés d'une espérance, des pleurs hébétés des employés dépossédés de leur âme et de leur gagne-pain, de la solitude impuissante des journalistes orphelins d'un idéal. Le journal n'avait que treize ans mais sa décapitation fut d'une sauvagerie inouïe : sa parution interdite, ses biens saisis, l'immeuble qui l'abritait vendu aux enchères, ses travailleurs largués à la rue, son directeur jeté en prison. Le pouvoir algérien s'inspirait, sans même s'en apercevoir, des méthodes coloniales : il liquidait le Matin avec le même acharnement qu'avaient utilisé Lacoste et Massu pour interdire, en 1955, Alger républicain : saisie des biens, prison pour son directeur, Henri Alleg, arrêté en juin 1957 et sauvagement torturé par les parachutistes du général Massu. Alleg qui ébranlera la France par son livre saisissant, La question, un des témoignages les plus insupportables sur la torture qu'un homme ait jamais écrit.

          Bouteflika prolongeait par l'ère du pénitencier la période de la terreur islamiste. Il s'adonnait, en fait, à une répression planifiée, et notre tort fut de ne l'avoir pas compris assez tôt. Bouteflika s'acharnait sur la presse libre autant parce qu'elle le dérangeait que parce qu'il la considérait comme une dangereuse intruse qui s'était indûment emparée d'un pouvoir régalien, celui de s'adresser au peuple et dont lui, Bouteflika, en sa qualité de créature de l'état putschiste aux commandes depuis l'indépendance, pense qu'il relève exclusivement de la prérogative du pouvoir central. Il s'en prenait donc à la presse libre moins pour la mater que pour l'éliminer. Il s'en prenait à la presse libre pour lui reprendre, enfin, ce privilège qu'elle avait chipé aux monarques : publier des journaux. A sa façon, il se sentait le justicier d'un État absolutiste malmené, dix ans plus tôt, par les gamins d'octobre 1988 et qui avait dû concéder à la société, dans le sang, le droit au pluralisme. Presse libres, syndicats autonomes, partis d'opposition : Bouteflika n'aime pas ces butins du sang. Ces contre-pouvoirs arrachés à trente années de dictature ont, pour lui, les allures suspectes de sordides accouchements; des machins bâtards issus de l'aventurisme roturier; des prérogatives sacrées volées à l'état et redistribuées à une population immature. Lui le rejeton du pouvoir absolu qui règne en maître sur l'Algérie depuis quarante ans, est effaré, à son retour au pouvoir en 1999, par l'érosion de la puissance du contrôle étatique sur le citoyen. « J'ai laissé le pouvoir de Franco, je retrouve celui de la reine d'Angleterre » aimait-il à répéter, sans rire, aux journalistes étrangers. Il veut revenir au système unique, à la presse unique, au syndicat unique, par la terreur, par le chantage de la prison, la pression du juge ou la torture. Redresser le tort causé à l'état algérien par la machination d'octobre 1988; lui redonner ce que la rue lui a arraché. Et il le dit publiquement : « Le peuple algérien n'a formulé aucune demande démocratique. On a décidé pour lui. »

          Tout est dit. Bouteflika vient de délégitimer le processus pluraliste en marche depuis octobre 1988. Il ne reste plus qu'à l'abolir.

          * * * * * *

          « Ils m'ont forcé à ouvrir la bouche et …». Le vieil Algérois s'interrompt.

          Qu'est-ce qui nous a pris de parler de torture ? On savait, au moins depuis Nuremberg, qu'elle outrageait davantage le bourreau qui s'y abaissait que la victime qui la subissait. On savait, et comment ne pas le savoir, que les puissants de ce monde n'aimaient pas qu'on leur rappelle cette balafre indigne gravée à jamais sur leur front.

          « Ils m'ont forcé à ouvrir la bouche et …ont uriné dedans. » L'homme baisse la tête comme s'il venait de revivre l'insoutenable offense devant Saida, notre journaliste. L'affront, qui remonte pourtant à trente-trois ans, le mortifie toujours. La ride hideuse de la torture ne s'efface pas avec l'âge, ni même avec le temps. Quelques semaines plus tard, en mai 2004, face à une autre de nos journalistes, un groupe de jeunes qui venaient d'être fraîchement suppliciés par les gendarmes de leur pays, souffrirent à aller au bout de leur bouleversant témoignage. « Ils nous ont alignés après nous avoir déshabillés. Ils nous ont ensuite demandé de nous pencher vers l'avant... ». Les jeunes s'arrêtent : « Vous nous avez compris, nous n'avons pas besoin de vous expliquer... » L'un des adolescents pleure, sans doute brisé pour la vie. « Puis ils ont menacé de s'en prendre à nos mères, à nos sœurs, à nos femmes. J'ignore ce qui s'est passé ensuite. Les femmes ont peur de parler. »

          Fallait-il oser publier ces témoignages ? Nous sortions à peine d'une élection présidentielle que le président Bouteflika venait de remporter pour la seconde fois et l'Algérie s'était replongée dans la peur des campagnes revanchardes. Oui, qu'est-ce qui nous pris de parler de torture ? Je savais que nous serions, une fois de plus, les seuls à rapporter ces récits déchirants, qu'ils nous vaudraient la colère du régime Mais comment tourner le dos à de si abominables vérités et surtout, comment pourrait-on regarder notre métier après avoir abandonné ces gens dans leur détresse ? Je donnai à chaque fois mon accord. Le lecteur, ahuri, découvrit le lendemain dans Le Matin une impensable infamie commise près de chez lui.

          Nous sommes en Algérie de 2004, pays de bourreaux insoupçonnables, d'adolescents qui hurlent en silence, de mineurs qui se détestent déjà et de dévots qui regardent ailleurs.
          The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

          Commentaire


          • #6
            Le vieil Algérois s'appelle Mahfoud Saâdaoui. Il porte péniblement les signes de l'avanie que les hommes du ministre de l'Intérieur, Nourredine Zerhouni, dit Yazid, lui infligèrent en 1971 pour le contraindre à céder son magasin. L'épouse du ministre le convoitait pour en faire une pharmacie, le propriétaire, bravant la dictature, s'y était opposé et Zerhouni, qui était l'un des principaux chefs de la Sécurité militaire sortit alors des arguments convaincants pour faire plier le boutiquier. L'affaire, une fois révélée par le Matin, fit grand bruit à Alger.

            Les adolescents, eux, venaient de T'kout, une petite ville de l'est algérien, au sud de Batna, où la population assume son originalité berbère et parle la langue chaouie. Ici comme à Beni-Douala, un jeune homme, Chouaïb Argabi, venait d'être abattu froidement par les gardes communaux; comme à Beni-Douala, le forfait avait suscité la colère d'une population déjà irritée par sa propre misère. Car comme Beni-Douala, T'kout porte un dénuement qu'elle cache, elle aussi, du regard des hommes en le perchant au sommet d'une montagne rocheuse, sur ces splendides gorges, les gorges de Taghit, du haut des balcons du Roufi, où gît une parcelle d'histoire que les bassins romains de Chennaoura vous racontent à l'ombre du mont Hmar Khaddou, ce mont où il ne pousse jamais rien. T'kout, comme Beni- Douala, est trop pauvre pour s'accommoder du déshonneur, trop fière pour l'ignorer, trop cicatrisée pour l'oublier. T'kout cumule l'orgueil berbère et la témérité des Aurès : le premier coup de feu de la révolution de Novembre 1954 a été tiré à quelques centaines de mètres de là.

            * * * * *

            Comment faire taire un journal incommode sans se salir les mains ? La réponse, par les temps qui courent, n'est pas aisée. Il faut conduire la besogne en évitant de ressembler aux dictateurs détestables qui peuplent le tiers-monde et dont le président Bouteflika, souverain « éclairé », s’était engagé maintes fois devant la presse occidentale à se démarquer. Aussi, avant d’être contraint, sous le poids des évènements, de se dédire et de m’emprisonner puis de liquider brutalement le journal en juillet 2004, Bouteflika pensait-il résoudre cette embarrassante question par l’arme classique de la duplicité : pousser le Matin à la faillite financière sans avoir l’air de s’y mêler et « neutraliser » son directeur sans y toucher.

            L’homme censé savoir « juguler » les opposants sans compromettre les régimes s’appelle Nourredine Yazid Zerhouni, l'homme que le citoyen Saâdaoui accuse de tortures. Ancien chef de la police politique sous Houari Boumédiene, dans les années soixante, quand les adversaires politiques se faisaient liquider « proprement » dans des accidents d’hélicoptères ou dans les hôtels de Madrid ou de Francfort, Zerhouni s'était taillé la réputation de spécialiste des coups tordus et de l’espionnage façon barbouzes. Occupant, ce qui ne gâchait rien, dans le gouvernement Bouteflika, le poste très pratique de ministre de l’Intérieur, il avait la main mise sur ces corps redoutables de l’intrigue que sont la police et les renseignements généraux. Ses services vont penser, d’emblée, à deux subterfuges ordinaires pour me « neutraliser » : l’assassinat maquillé en accident et la fabrication de dossiers compromettants qui m’auraient entraîné en prison ou, tout au moins, discrédité et réduit au silence. Divers témoignages très crédibles confirment que les freins de ma voiture devaient être triturés dans le but de lâcher en pleine autoroute, mais qu'une baraka providentielle ou un désaccord de dernière minute au sein de la police m’avaient permis d’en réchapper. Alors que je venais d’entrer en prison, deux policiers en civil, par remords tardifs ou par sympathie spontanée, se présentèrent à la rédaction du journal en qualité de membres illustres de l’équipe chargée d’intervenir sur ma voiture. Ils donnèrent des détails sur la machination qui devait faire capoter ma voiture et firent étalage d'une science insoupçonnable dans l'art de faire déraper un opposant sur une autoroute. Allez savoir pourquoi, avec de tels virtuoses de la mécanique, les voitures de la police tombent si souvent en panne dans les rues d’Alger !

            En même temps que trafiquer mes freins, les barbouzes de Zerhouni pensèrent à fabriquer des dossiers compromettants sur moi. La chose paraissait moins problématique et, en tout cas, plus en rapport avec les compétences du personnage. Il s’y employèrent avec leur meilleur savoir-faire : la filature. L’objectif recherché, somme toute assez coutumier des mœurs policières, était d’établir des preuves irréfutables sur ma mauvaise moralité : flagrant délit d’adultère ou d’ivresse au volant, enrichissement suspect, abus de biens sociaux, fraude fiscale… Je fus d’abord fiché à l’aéroport où mes mouvements étaient systématiquement signalés. J’en fus assez rapidement informé par des amis mais j’étais loin de me douter que cette formalité allait me coûter, plus tard, assez cher. Je savais aussi que j’étais suivi matin et soir par des flics dont la discrétion n’était pas la principale vertu, qui me collaient au train dans le moindre restaurant ou qui me devançaient, l’air satisfait d'eux-mêmes, au moindre de mes rendez-vous. Quinze ans après la chute du mur de Berlin, le régime algérien se plaisait à perpétuer, avec panache, toutes les belles traditions de la police soviétique !

            ( A suivre : second extrait)
            The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

            Commentaire


            • #7
              Et c’est ainsi que les détenus algériens se trouvèrent répartis en trois catégories : ceux qui peuvent payer, ceux qui ne peuvent pas payer et ceux dont le sort n’est pas susceptible de transaction car incarcérés pour leurs idées ou leur appartenance politique. Les premiers, vivier inépuisable pour le bakchich, négocient avantageusement la durée de leur peine. Les seconds, démunis, subissent la loi dans toute sa sévérité. Les derniers, eux, échappent au pouvoir des juges qui se limitent à leur appliquer le verdict dicté par le pouvoir politique.


              C'est de la HOGRA dans la République Démocratique Populaire d'Algérie:22: Minables......Et merci Monsieur El Présidente...
              Dernière modification par jamoman, 01 novembre 2007, 14h05.
              "Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux". Jean-Paul Sartre

              Commentaire


              • #8
                Second Extrait

                – J’ai dit à mon fils : ne suis pas l’exemple de ton père ; si tu veux devenir un homme riche, sois juge ou général. Il a compris.

                Samar ne rit pas de son amère boutade, sans doute parce que, pour lui, elle n’en était pas tout à fait une. Voilà longtemps qu’il s’est résigné à l’idée que la fortune vient du bakchich et que le bakchich va à ceux qui ont un pouvoir : les magistrats et les dignitaires du régime.

                Cadre dans une banque publique, accusé de dilapidation de deniers publics qu’il nie avoir commis, Samar fait partie des parias, ces détenus trop pauvres pour échapper aux verdicts de l’injustice. Le juge et le procureur, gourmands, ont exigé un montant trop élevé en contrepartie d’un procès indulgent qui lui aurait permis de rejoindre ses enfants. Samar ne put réunir la somme. L’épouse et la mère avaient pourtant vendu leurs bijoux, les frères s’étaient cotisés, le père avait cédé le lopin de terre hérité des aïeux et les amis avaient mis la main à la poche. En vain. Le bakchich est un luxe interdit aux couches modestes. Devant la défaillance de la famille, le juge a alors prononcé, au nom du peuple, la sentence réservée à la plèbe : 12 ans de prison ! Au-delà du crime qu’on lui prêtait, Samar venait d’être condamné pour délit de pauvreté.

                Amrane, lui, n’a jamais plaidé l’innocence. Pour financer ses noubas, cet immense gaillard aux yeux bleus, amateur de bonne chère et qui avoue n’avoir jamais su résister aux femmes et aux soirées bien arrosées, puisait comme un forcené dans la caisse de l’agence postale qu’il dirigeait. Les vies dissolues, très coûteuses, sont souvent à l’origine des détournements de fonds et donc d’incarcération des cadres financiers. Amrane, qui assume fièrement son épicurisme, avait encore moins de raisons de déroger à la règle. Et c’est donc tout naturellement qu’il s’est retrouvé derrière les barreaux pour un délit sévèrement puni et qui pouvait coûter jusqu’à 20 ans de prison. La perspective de passer son existence en prison ne l’enchantant guère, il a immédiatement entrepris d’y faire face au moyen de l’arme absolue du bakchich. L'indulgence des magistrats, pour ce genre de méfait, coûte une vraie fortune mais Amrane, qui eut l’heureuse précaution d’économiser une partie de son butin, n’était pas dépourvu d’arguments. Il s’acquitta donc de l’équivalent de dix années de son salaire, au profit du juge et du procureur et arracha leur clémence : 5 ans de prison au lieu des 15 encourus !

                Moussa, un promoteur immobilier tunisien incarcéré pour une complexe affaire de « tromperie sur la marchandise », s’était, lui, inspiré de cette manière bien algérienne de lever son écrou : pour échapper aux quatre ans de prison requis contre lui par le procureur, il a versé 100 000 dollars au rabatteur et a pu immédiatement rejoindre Tunis où il tient un superbe restaurant. « N’oublie pas de venir manger chez moi. Je suis le seul à rappeler aux Algériens leur propre cuisine. » Promis.

                * * * * *



                Acheter la compréhension des magistrats algériens est courant mais n’a, cela dit, rien d’une transaction routinière. D’abord, et heureusement pour la morale, parce que tous les juges ne sont pas corrompus. Ensuite, et je l’ai appris avec Amrane, la chose requiert du doigté, de la discrétion et le respect des règles propres à toute activité clandestine. Il faut, en premier, s’adresser au bon réseau. Entre le détenu et le magistrat s’active une chaîne d’intermédiaires patentés qu’il faut savoir solliciter. Le contact préliminaire est noué avec des avocats bien introduits, qui se chargent de négocier la peine et le prix de la clémence et qui, au passage, n’oublient pas de prélever une forte commission en rémunération de leurs précieux services. Le paiement se fait toujours en liquide et, systématiquement, auprès de greffiers proches des magistrats. Ce sont eux qui leur assurent la discrétion et qui leur servent, au besoin, de fusible. J’ai connu en prison plusieurs greffiers arrêtés après avoir été pris la main dans le sac, mais qui n’ont jamais dévoilé leurs réseaux.

                Avec le temps, le commerce du verdict trafiqué a fini par se démocratiser. Bien des détenus de condition modeste, des pickpockets pressés de reprendre leur lucrative activité ou de simples pères de famille arrêtés pour conduite en état d’ivresse, n’hésitent pas à s’y adonner pour écourter leur séjour en prison. Du coup, le secret fut moins bien gardé et les tarifs subirent une baisse notable. Ils sont même tombés dans la notoriété publique et il n’était pas rare d’entendre de jeunes délinquants s’échanger, sous la douche, à la manière des bookmakers, les cours boursiers de la corruption judiciaire :

                – Elle demande combien la juge d’El-Harrach ?

                – Entre 20 et 25 millions.

                – Non, ça c’est l’ancien tarif. Aujourd’hui cela doit être beaucoup moins.

                Et c’est ainsi que les détenus algériens se trouvèrent répartis en trois catégories : ceux qui peuvent payer, ceux qui ne peuvent pas payer et ceux dont le sort n’est pas susceptible de transaction car incarcérés pour leurs idées ou leur appartenance politique. Les premiers, vivier inépuisable pour le bakchich, négocient avantageusement la durée de leur peine. Les seconds, démunis, subissent la loi dans toute sa sévérité. Les derniers, eux, échappent au pouvoir des juges qui se limitent à leur appliquer le verdict dicté par le pouvoir politique.
                La sentence tomba dru : « Benchicou va me le payer bientôt ! » Tout venait de se précipiter. Mon emprisonnement venait d'être annoncé en conférence de presse une année avant que je ne franchisse la porte du pénitencier d'El-Harrach. Le régime algérien, surtout quand il est en colère, est capable de ces sombres exploits d'oracle. Il m'a condamné, ce juillet 2003, avant les juges. Mais à quoi bon attendre les juges ?

                Ayant pris ombrage de tout, de nos écrits comme de notre désinvolture, le pouvoir n'avait plus le temps de laisser mûrir les stratagèmes de mise en faillite du journal ou les dossiers compromettants. Plus le temps de me surprendre avec mes supposées maîtresses, de compter mes cuites ou de filmer le caniche. Il fallait faire vite. Vite et fort : arrêter la parution du Matin et incarcérer son directeur.
                The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

                Commentaire


                • #9
                  Les dirigeants avaient trois bonnes raisons de précipiter les choses : l’urgence, le danger, l'affront. L’urgence, à neuf mois des élections présidentielles, dictait de faire taire les voix qui pouvaient contrarier la reconduction de Bouteflika à la tête du pays. Le danger c'était ce livre sur le président, dont les services savaient que j’en avais entamé la rédaction et dont il fallait absolument m’empêcher la sortie. L'affront, enfin, qu'il fallait laver, c'était celui que disait avoir subi le ministre de l'Intérieur, Nourredine Yazid Zerhouni : ces accusations de torture portées contre lui, lui le dignitaire du régime, le chef de la police et des renseignements généraux, le mandarin proche du président de la République, par Mahfoud Saâdaoui, ce citoyen que le Matin fit parler dans ses colonnes trois jours plus tôt. Il avait donc décidé de me châtier sans plus attendre. C’est donc lui, on l’a deviné, qui se chargea d'annoncer aux bonnes gens ma damnation proche et inéluctable. Très remonté contre l'insolence du petit journaliste que je suis et soucieux, avant tout, de rappeler qui était le maître sur ce territoire de l’injustice qu’était l’Algérie, le ministre prononça, ce mardi 23 juillet 2003 devant la presse à Djelfa, une petite ville des hauts plateaux algériens cette sentence restée mémorable : « Benchicou va me le payer bientôt. » Le verdict venait d'être grossièrement prononcé au beau milieu de la steppe.

                  Mohamed Aloui avait la tête du bouc émissaire. C’était un homme malingre, qui promenait son corps malade dans les travées d'El-Harrach où je le croisais parfois, en revenant de l'infirmerie. Une grave infection pulmonaire l'avait définitivement affligé d'un teint blafard et le faisait rageusement tousser à longueur de journée. De toute évidence, il courait un danger de mort dans la prison surpeuplée, poussiéreuse et où il manquait de soins appropriés et de médicaments. Mais qui se soucie de la santé d’un détenu ordinaire dans les geôles d’Alger ? Après plusieurs crises d’étouffement qui avaient failli l’emporter, la direction du pénitencier consentit à lui faire quitter sa cellule pour le placer à l’infirmerie, mais sans qu’il ne fût mis entre les mains d’un spécialiste. Comme si on voulait l’achever.

                  C'est que Mohamed Aloui fait partie de ces coupables de substitution que le pouvoir a le don de savoir débusquer et dont il se sert comme pare-feu pour les notables et les copains compromis dans les affaires. Un paria algérien. A ce rôle de lampiste, sa fonction le destinait tout naturellement : Aloui était directeur général de Khalifa Bank, la banque privée qui fut au cœur du plus grand scandale politico-financier qu’ait connu l’Algérie depuis l’indépendance. Des centaines de millions de dollars y ont été puisés par les dignitaires du régime sous forme de prêts non remboursables et de dons déguisés en subventions ou en cadeaux. Pour s’assurer des soutiens politiques, le propriétaire de Khalifa Bank, Moumène Khalifa, un jeune businessman subtil et avisé comme il en naît parfois dans le monde de la finance, exploitait la cupidité des hommes du sérail politique et n’hésitait pas à les corrompre au moyen des fonds de la banque. L’homme d’affaires, patron d’un grand groupe qui comptait, outre la banque, une importante compagnie aérienne et des entreprises de bâtiment, cultivait d’énormes ambitions qu’il comptait réaliser en arrosant les cercles du pouvoir afin de s’acheter leur silence ou leur complicité. Le bakchich Khalifa était gigantesque et couvert par les plus hautes autorités du pays : l’avocat du groupe qui supervisait les transactions douteuses n’était autre que le frère du président Bouteflika. Ministres, officiers supérieurs de l’Armée, chefs de partis, dirigeants de grandes sociétés publiques, proches collaborateurs du chef de l’Etat, artistes renommés et recommandés à Moumène par la présidence de la République… La liste des hauts bénéficiaires du bakchich était impressionnante. Khalifa finançait même des opérations de lobbying en vue d’améliorer l’image du président Bouteflika à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. Il invitait les plus grandes stars du cinéma, tels Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, à venir s’afficher aux côtés du chef de l’Etat, et n’hésitait pas à s’attacher, au moyen d’arguments sonnants et trébuchants, l’amitié des deux personnalités les plus proches du président, son directeur de cabinet et son chef du protocole. C’est dire à quel point la subornation des plus hauts décideurs était, si l’on ose dire, monnaie courante.

                  Ce concubinage entre la politique et l'argent n’aurait indigné personne si l’ambitieux businessman n’avait brusquement décidé un jour de fâcher le président Bouteflika par une initiative précoce et irréfléchie : le lancement, en septembre 2002, de deux chaînes de télévision, l’une à partir de Paris l’autre à partir de Londres. Un acte d’hostilité impardonnable envers un chef d'Etat paranoïaque et aux yeux duquel le généreux mécène apparut alors comme un dangereux et incontrôlable aventurier, voire un rival. Comment s'en débarrasser ? En bloquant, tout simplement, le coffre dans lequel Moumène Khalifa s’alimentait pour financer ses lubies, c'est-à-dire Khalifa Bank, la banque dirigée par Mohamed Aloui.

                  Dès le mois d’octobre 2002, les services de l'inspection générale des finances furent instruits d’une directive précise : monter un dossier compromettant pour la banque Khalifa dans le but de la dissoudre. Le reste se devine aisément. Le gouvernement annonce avoir découvert des malversations au préjudice de l’Etat et Khalifa Bank, comme le reste du groupe, est mis en liquidation judiciaire au printemps 2003. La justice est saisie.

                  Comment, cependant, conduire une affaire qui met en cause tant de hautes personnalités sans prendre le risque d’éclabousser le régime ? La question n’a pas taraudé bien longtemps les hommes de loi algériens : aucune des personnalités impliquées ne fut inquiétée, bien que le juge, pour les besoins de la propagande, ordonna 104 inculpations. Moumène Khalifa, réfugié en Angleterre, échappa aux mailles du filet. Alors, plutôt que de mettre en examen les puissants et moins puissants dignitaires du pouvoir qui s'étaient laissés soudoyer par Khalifa, le juge se contenta de placer Mohamed Aloui et sept autres cadres de Khalifa Bank en détention préventive, dans l’attente du procès. De petits poissons bien pratiques pour cacher les vrais requins. Et de modestes pères de famille accablés mais jamais résignés, dont je me rappelle encore les noms et les moments d’amitié franche qui nous unissaient dans le froid d’El-Harrach où ils végétèrent deux longues années avant d’être jugés en janvier 2007.

                  Hakim, le gouailleur, directeur de l’agence Khalifa Bank d’Oran, m’était le plus proche en sa qualité de membre de notre gourbi. Il formait avec Zaouèche et Mosta un trio décapant qui n’avait pas son pareil pour noyer le chagrin sous des océans de franche rigolade. Aziz, le dandy qui dirigeait l’agence d’El-Harrach, le plus fragile sous ses dehors flegmatiques, avait, lui, une passion culinaire qu’il adorait nous faire partager : le civet de lapin préparé avec du gibier fraîchement chassé dans son village natal. Nous y avions droit chaque semaine et Aziz, en retour, écopait régulièrement de la remarque taquine de Mosta :

                  – S’ils l’ont mariné au vin rouge, je le mange, si c’est un civet arabo-musulman, tu te le gardes.

                  Hocine, chef de l’agence de Paris, un brave homme psychologiquement torturé, était le plus angoissé de la bande et évacuait son anxiété par des flots ininterrompus de geignements qui indisposaient tout le monde, mais dont chacun a fini par rire, avec le temps. Ce n’était pas le cas d’Akli, le sexagénaire taciturne, qui affichait fièrement sa citadinité mais qui se murait dans un lourd silence comme s’il ne se faisait plus d’illusions sur son sort : responsable de la caisse centrale de Khalifa Bank où venaient s’alimenter les petits et grands coquins, il risquait en effet très gros. Il n’avait pas tort : en mars 2007, chacun des membres de la bande a été condamné à 10 ans de prison. La peine idéale pour de petits poissons. Les vrais receleurs, eux, notables haut placés, dévoilés pourtant lors des auditions, n'ont pas été jugés.

                  D’autres cadres de banques publiques, comme Samar, ont payé pour des barons de l’import-export qui, souvent, ne sont que des prête-noms pour les puissants du régime et qui, à ce titre, échappent au verdict du juge. L’import-export est, en effet entre les mains des dirigeants civils ou militaires qui utilisent l’argent des banques d’Etat pour financer leurs transactions. Les responsables de la banque, sommés par ces hauts responsables de délivrer à leurs prête-noms des crédits auxquels ils n’ont pas droit, se retrouvent coincés entre le marteau et l’enclume et sautent, comme un fusible grillé, à la première anicroche. Ils sont alors envoyés en prison pour une opération qu’ils ont été forcés d’accomplir.
                  The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

                  Commentaire


                  • #10
                    Les parias se recrutent aussi parmi les cadres du pétrole. C'est-à-dire dans l’empire feutré de la magouille, des sponsorings maquillés, des immeubles surévalués, des fausses factures de Brown and Root Condor et des commissions occultes (voir chapitre Ami Moh). Comme Salem et Azzi, ils sont les détenus de substitution aux vrais commanditaires de la rapine qui, eux, couverts par les plus hauts sommets de l’Etat, jouissent de l’impunité et de la myopie d’une justice aux ordres. Ingénieurs en pétrochimie, Salem et Azzi font partie de la première escouade de spécialistes algériens du pétrole formés après l’indépendance et à qui l’Algérie doit d’avoir développé son réseau d’hydrocarbures et édifié l’entreprise Sonatrach. Ils dérangent bien souvent, par leur compétence et leur probité, des machinations mafieuses et des projets inavouables, comme la nouvelle loi sur les hydrocarbures qui prévoyait, en 2004, d’ouvrir la propriété du sous-sol algérien aux compagnies étrangères liées aux pègres algériennes. Ils sont alors vite écartés. Salem et Azzi se sont retrouvés à El-Harrach à la suite d’une ténébreuse et anonyme plainte pour « malversation » que le juge a aussitôt enregistrée. Au milieu des cadres parfaitement innocents qui promènent leurs corps fatigués dans le pénitencier d’El-Harrach, ils dénotent par un remarquable esprit d’autodérision.
                    – Tu imagines l’esclandre que ça ferait si les gens de Cherchell me voyaient en taule ? Chez nous, c’est quelque chose qui ne se fait pas. Il va falloir improviser, s’amuse Salem, avec toutefois un soupçon d’inquiétude.
                    – T’en fais pas, Cherchell est une ville de vestiges romaines, ils sauront cohabiter avec des ruines comme toi, rétorque Azzi, qui ne se prive pas non plus, de rire de lui-même. Quel con je fais ! J’ai passé ma jeunesse à construire le complexe pétrochimique d’Arzew pensant jouir de la reconnaissance pour ma vieillesse. Voilà où je suis à 65 ans
                    Dans leur aveugle acharnement à vouloir coûte que coûte m’emprisonner dans les vingt-quatre heures, le président Bouteflika et le ministre Zerhouni n’avaient pas pensé à un os juridique : sur quelle base légale m’incarcérer ? Il y avait absence de délit, absence de plaignant, absence du corps du délit et absence de procès-verbal consignant la pseudo-infraction. Les douanes, seul organisme légalement compétent pour constater les violations à la réglementation, n’ont en effet enregistré aucune transgression à la législation de ma part pour deux simples raisons : il n’y en avait pas et, même s’il y en avait, je n’avais pas eu le temps d’arriver jusqu’aux comptoirs douaniers afin que les douaniers puissent constatent un éventuel délit.
                    Emportés par le sentiment de revanche et déterminés à m’incarcérer avant la rédaction du livre sur le président Bouteflika, les dirigeants algériens n’ont pas suffisamment évalué l’inconsistance de leur accusation : voyager avec des bons d’épargne personnels n’a jamais constitué une transgression douanière, en Algérie comme ailleurs. Il n’existe aucun précédent dans l’histoire algérienne d’un citoyen qui ait été inquiété pour avoir été en possession de ses reçus de dépôt ! Selon la loi algérienne de 1996, l’unique texte législatif dans le domaine, les seuls cas d’infraction à la réglementation monétaire et douanière concernent exclusivement les mouvements de capitaux de et vers l’étranger, c'est-à-dire les espèces ou les traveller's chèques. Or les bons de caisse n’étant que de simples reçus de dépôt délivrés par une banque algérienne, ils sont des documents absolument sans aucune valeur à l’étranger car non convertibles et non transférables vers des banques étrangères. Où était donc la faute pour laquelle le pouvoir de Bouteflika me promettait la potence ?
                    A cet handicap législatif qui compromettait à lui seul les poursuites judiciaires, est venu s’ajouter, dès l’après-midi du samedi 23 août, un obstacle imprévu : le refus des services douaniers de se constituer partie civile et donc de déposer plainte contre moi. Sollicités par les plus hautes autorités du pays, les responsables des douanes, devant l’énormité du subterfuge, ont catégoriquement refusé de se prêter à une mascarade politicienne montée de toutes pièces en dehors du cadre légal et réglementaire. Les douaniers de l’aéroport, invités par leur ministre de tutelle Abdelatif Benachenhou à établir un rapport d’infraction sur la base de la fouille opérée par la police de Zerhouni, se révoltèrent et opposèrent un non catégorique. Et pour cause : je n’avais pas eu le temps d’avoir affaire à eux ! Les flics m’ont cueilli avant que je ne franchisse le seuil de l’espace douanier. Le gouvernement les conviait tout simplement à mentir et à fouler aux pieds les lois de la République !
                    Durant toute la journée du dimanche, les ministres de Bouteflika ainsi que la police de Zerhouni exercèrent une terrible pression sur le directeur général des douanes Sid Ali Lebib pour le contraindre à déposer plainte contre le directeur du Matin. Le chef de l’Etat chargea même le ministre Hamid Temmar de le faire changer d’avis « par tous les moyens », c'est-à-dire par la carotte ou par le bâton. Ce dernier, devant le chantage, prit alors l’initiative qui allait déstabiliser le clan Bouteflika. Après avoir réuni, dans la soirée du dimanche, l’état-major des douanes pour solliciter son avis sur « l’affaire Benchicou » et recueilli une réponse unanime – il n’y avait aucune raison pour les douanes de déposer plainte – Sid Ali Lebib va trancher définitivement dès le lundi 25 août, dans un message adressé au chef du gouvernement mais aussi au patron des services de renseignements, le général Toufik. Un message sans équivoques : « Benchicou Mohamed a été intercepté par les éléments de la police des frontières avant l’accomplissement des formalités légales auprès du service des douanes. Cette conduite ne permet pas d’asseoir une quelconque infraction dans la mesure où l’intéressé peut faire valoir ses droits seulement auprès des services des douanes à tout moment pour les objets et effets personnels,y compris les capitaux. Le législateur autorise un voyageur, une fois la marchandise déclarée, de la constituer en dépôt auprès du receveur et de la réexporter dans un délai de quatre mois ou de la dédouaner dans un cadre réglementaire. Présentement, les éléments de la PAF, même s’ils peuvent avoir un renseignement ou avoir découvert des devises dans les bagages du passager, ne pouvaient à aucun moment le poursuivre puisque l’infraction de changes ne peut être constatée qu’après l’accomplissement des formalités douanières. » C'est clair : la police des frontières qui m’a fouillé à l’aéroport n’ayant pas la qualité judiciaire pour constater un délit d’infraction, la procédure était nulle et non avenue et je ne pouvais être poursuivi aux yeux de la loi algérienne ! L’action était d’autant plus irrecevable que Zerhouni ne disposait d’aucune pièce à conviction : les bons de caisse, si tant est que leur transport relèverait d’un délit, n’ayant pas été saisis et m’ayant été restitués à l’aéroport, la police n’avait en sa possession aucun corps du « délit » à présenter au juge. Il n’y avait aucune preuve matérielle sur laquelle pouvait s’appuyer l’accusation en dehors des photocopies faites par précaution et qui ne pouvaient en aucun cas remplacer le corps du « délit ». Il n’existait pas, non plus, de procès-verbal établi à l’issue de la fouille. « Je ne savais pas qu’on était en face d’une infraction », avait avoué le commissaire durant le procès.
                    Yazid Zerhouni et les architectes du complot se trouvaient, du coup, sans plaignant et donc sans base légale pour m’inculper. Allaient-ils renoncer, devant tant d’impréparation, à leur funeste projet de m’incarcérer ? Ce serait mal connaître le régime algérien.
                    La solidarité des cols blancs, Mohamed Bouricha, wali de Blida, proche de la famille Bouteflika, en connaît le sens caché : la prison n'est pas faite pour les amis. Confondu au début de l’année 2005 de corruption, de dilapidation de deniers publics, d’usage de fonds étatiques à des fins personnelles, de trafic de terres agricoles et d’abus de pouvoir, ce préfet bien spécial a joui d’une incroyable impunité pour des délits impardonnables et avérés. Le préfet Bouricha « revendait » pour son compte des terres agricoles appartenant à l’Etat et traitait de manière frauduleuse avec quatre hommes d’affaires qu’il faisait bénéficier de terrains et de marchés douteux en contrepartie de commissions en espèces et en nature. Il a notamment fait acheter par l’hôpital psychiatrique de Blida, et par cinq communes relevant de son territoire, des marchandises surfacturées par son complice Boukrid, un trafiquant de voitures qui, en retour, l’a gratifié de généreuses ristournes. La gendarmerie a établi que Boukrid s’adonnait à la contrebande de voitures avec le propre fils du wali qui, bien entendu, agissait sous la couverture de papa. Avec son autre acolyte El-Hadj, un promoteur immobilier, Mohamed Bouricha a passé un marché encore plus juteux : l’octroi d’un terrain de l'Etat, incessible, en échange de deux somptueuses villas à Alger et d’une limousine au volant de laquelle le très fantasque préfet avait même l’impudence de s’afficher publiquement ! Bouricha avait aussi, selon les journaux, bénéficié d’une maison à Paris offerte par un riche industriel à qui il aurait facilité l’acquisition d’une usine textile. Bref, ce fut un préfet très débrouillard et très riche qui fut démis de ses fonctions en mai 2005, placé sous contrôle judiciaire un an plus tard mais jamais incarcéré. Son fils, après un court séjour en prison, fut libéré en catimini, sans jamais avoir été jugé. Pour des délits dix fois moins graves, les Algériens anonymes ont passé cinq années d’enfermement !
                    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

                    Commentaire


                    • #11
                      C’est que Bouricha, originaire de Tlemcen, c'est-à-dire de la région chérie par la famille Bouteflika, fait partie du clan des intouchables. A ce titre, il a d’ailleurs mené une hystérique campagne pour le président-candidat aux élections de 2004 et n’a jamais manqué de lui manifester son allégeance. On comprend, alors, que la taule ne soit pas faite pour les amis.





                      * * * * *



                      Mohamed Aloui mourut à la fin de l’hiver.

                      Son banc était vide, ce matin brumeux du 8 janvier 2007, au « procès du siècle », son procès, le procès de l'affaire Khalifa. « Absent excusé ! », a conclu le greffier. « Excusé » de ne plus faire partie du monde des vivants, « excusé » d'être parti sans dire au revoir. « Excusé » de n'avoir pas survécu à l'enfer d'El-Harrach. Le juge a pris note. Puis l’audience s’est ouverte, sans l’accusé principal, absent excusé, qui ne saura jamais rien de ce qu'on lui reproche et dont personne n’entendra jamais les vérités.

                      Aloui est mort à la fin de l’hiver, un jeudi de mars 2006, comme on meurt en prison : de lassitude, d’abandon et de mépris. L’infection avait fini par lui complètement ronger les poumons. Depuis deux ans qu’il baladait sa carcasse décharnée au milieu de l’arrogante indifférence des juges et des geôliers, depuis deux ans qu’il se regardait dépérir entre les murs glacés de la prison d’El-Harrach, il n’espérait plus rien des hommes et s’en était remis, je crois, à quelque providence divine. Car la justice algérienne, jalouse de son inhumanité, n’accorde jamais de liberté provisoire pour raison de maladie grave. Même à l’article de la mort, un détenu se doit d’aller au bout de sa peine. Il n’est pas rare, à El-Harrach, de croiser des vieillards perclus de toutes sortes de maladies comme il est fréquent de rencontrer à l’infirmerie des handicapés, manchots ou amputés d’une jambe.

                      Aloui est mort comme on meurt en prison, comme une feuille jaunie par le froid, ignorée puis écrasée par les passants. Lui a été écrasé par l’impitoyable crédo du pénitencier : ici, on entre pour expier, pour souffrir, par pour s’y soigner. Alors, aux pieds de cette loi inhumaine, les plus vulnérables finissent par abdiquer ce qui leur reste à vivre. « La prise en charge de leur maladie chronique est complexe, parce que nous dépendons toujours des places disponibles dans les hôpitaux », a expliqué, sans émotion, le procureur au lendemain du décès de Aloui. Le sort d’un détenu grand malade dépend en effet de la baraka : un seul hôpital d’Alger accueille les prisonniers, dans une aile spéciale et exiguë, placée sous étroite surveillance policière, un espace qui affiche toujours complet et où les souffrants, menottés, sont admis avec parcimonie. Comme si la vie d’un détenu dans les geôles d’Alger ne valait pas qu’on investisse, outre mesure, en frais hospitaliers. Aloui, sous le coup d’une crise soudaine, a été transféré trop tard. Selon la version du parquet, il aurait trépassé à l’hôpital, mais certains disent qu’il était déjà mort avant qu'on ne mette son corps malmené dans l’ambulance. Au suivant ! Après une autopsie aussi sommaire qu’inutile, ses enfants sont venus pleurer sur la dépouille solitaire d’un homme dont personne n’a remarqué les ultimes douleurs d’une vie confisquée.

                      A El-Harrach, on meurt banalement.





                      **********



                      Les Guignols de Canal +, ce soir du 8 avril 2004, nous avaient prévenus. « Oui, le vote est libre. Nous, on ne s’occupe que des suffrages. » Sur un ton narquois, la marionnette d’un général algérien avait tout dit. Et le lendemain matin, devant les journalistes, Yazid Zerhouni n’avait plus qu’à suivre la poupée : Abdelaziz Bouteflika était triomphalement « réélu » à la tête du pays avec près de 85 % des voix. Ses adversaires, ou supposés tels, étaient, eux, laminés : Ali Benflis venait en deuxième position avec 7 % des suffrages et les cinq autres postulants obtenaient d’humiliants scores oscillant entre 1 et 3 % !

                      La farce venait de se terminer dans le désarroi : rien n’allait changer, tout restait en place et le pire était à prévoir.

                      C’était certes la victoire, attendue, de l’argent sur les idées, de la force sur l’espoir, de l’hégémonie sur les bourgeons pluralistes. Mais c’était surtout le triomphe des vieilles coteries sur de jeunes rêves démocratiques. L’Armée, sans doute de concert avec les puissances occidentales, venait de reconduire le personnage qui partageait non seulement le mieux ses angoisses, celles d’un régime traqué et à bout de souffle, mais aussi ses ultimes ambitions, celles de survivre aux outrages de l’âge et d’une réputation ternie par un demi-siècle de dictature. Le système grabataire intronisait une fois de plus, l’enfant adultérin obtenu d’une démocratie violée.

                      On n’avait rien vu venir.

                      On était assommé et douloureusement déniaisé. Je ne savais pas quoi penser ce soir du 8 avril 2004, en regardant cette marionnette des Guignols nous donner une leçon de lucidité politique. Ou plutôt si, j’avais un amer sentiment de culpabilité qui me pesait et que je finis par lâcher au journaliste du Figaro qui m’interrogeait : « Nous venons, en réalité, de briser une double innocence, tenace, perfide même : celle de croire que l'armée, comme l'Occident, est l'exécutante de nos caprices démocratiques. » Je dois le dire aujourd’hui : je ne me pardonne pas ce moment de défaillance parce que, plus que tous les autres, je n’avais pas le droit d’y succomber. Combien d’esprits amis ai-je entraînés dans mes chimères d’impatient ? J’ai failli à une obligation de vigilance qui m’était exigée par la confiance que des milliers de lecteurs plaçaient en moi. C’est la vie, dira-t-on. Peut-être, mais c'est surtout le prix du renoncement, même momentané, à son terreau politique.

                      Ensorcelés, nous n’avions tenu compte d’aucune évidence. Il y en avait, pourtant, qui s’offraient à nos yeux. Il aurait suffi d’écouter ces anciens politiciens chevronnés, tel Mouloud Hamrouche, l’enfant du système qui avait renoncé à la course parce que, disait-il, « l’élection ne sera ni régulière, ni transparente, ni ouverte », qu'elle sera au contraire « pilotées par les mêmes mécanismes enracinés de la fraude et les mêmes dispositifs de la tromperie » et surtout, ajoutait-il, parce que « l’Armée ne sera pas neutre et jouera, sous la pression de groupes d’intérêts, au profit de Bouteflika. » Il aurait suffi d’écouter un vieux routier, Hocine Aït-Ahmed, le leader du Front des forces socialistes refuser catégoriquement de « se prêter à une mascarade électorale fomentée entre les généraux et Bouteflika. » Il aurait suffi, oui, pour les moins perspicaces d’entre nous, d’observer que les principaux sergents du régime, ceux qui ne se trompent jamais de marche en escaladant leur carrière, avaient tous été « conseillés » de porter leur choix sur Abdelaziz Bouteflika : Ahmed Ouyahia, le chef du Rassemblement national démocratique, ou Abdelmadjid Sidi Saïd, leader de l'UGTA, la centrale syndicale asservie au pouvoir.
                      The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

                      Commentaire


                      • #12
                        De vénérables parrains venaient de confier la clé du coffre à l'un de leurs protégés. Mais, Dieu, comme tout cela fut bien orchestré ! Une sordide cérémonie de sponsoring mafieux passée aux yeux de l’opinion internationale pour un vrai scrutin démocratique, avec ses niais postulants, ses vrais faux débats, ses meetings préfabriqués et même ses incertitudes ! Plus que celui d’avoir fait réélire Bouteflika, les généraux ont surtout réussi l’exploit de faire croire, jusqu’à la dernière minute, qu’il pouvait ne pas l’être. Dame, l’Armée ne se disait-elle pas excédée par les liaisons dangereuses que Bouteflika entretenait avec les intégristes islamistes ? Et on la croyait. On la croyait parce que des généraux l’ont suggéré en conférence de presse. On la croyait parce que des généraux ont publié un livre pour le dire. Car enfin, il a bien existé ce brûlot contre Abdelaziz Bouteflika, publié, l'été 2003, par le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, porte-parole officieux de l'Armée, qui y jurait que le président n'obtiendrait pas un second mandat ! Plus tard, on a fini par le comprendre, le livre de Nezzar ne participait pas seulement au leurre, il en a été le déclencheur. Le prélude à une funeste comédie.

                        On la croyait, enfin, l’Armée, parce que chacun de nous, depuis six mois, s’abreuvait des « confidences » d’un de ces colonels du DRS, les services secrets, qui se répandaient dans Alger en promettant « la défaite de Bouteflika», d’habiles baratineurs dont le portable ne répondait plus après le 8 avril. Ces officiers traitant du DRS qui ont su infiltrer les partis, la presse, la société civile et même les ambassades occidentales pour y semer le mensonge trompeur, auront élevé l’art de l’intox à celui des hautes œuvres machiavéliennes de l’histoire. Ils ont réussi à convaincre les plus vulnérable d’entre nous du syndrome de 1992, c'est-à-dire du danger mortel qu’il y avait à laisser un président « complice des islamistes » décrocher un second mandat, suggérant ouvertement que les « généraux républicains » ne pouvaient laisser se faire en 2004 ce qu’ils avaient empêché en 1992. Au passage, ils ne manquaient pas de présenter Ali Benflis, comme le poulain de l'armée, ce qui, on le saura plus tard, n’a jamais été le cas. Même un quotidien averti comme Le Monde s’y était laissé prendre. « Les généraux lâchent le président-candidat Bouteflika » titrait son envoyé spécial à Alger, affirmant qu’ « à trois mois de l'élection présidentielle, le divorce entre l'armée algérienne et le candidat-président Abdelaziz Bouteflika semble consommé ».

                        Les mandataires du DRS n’innovaient pas. La stratégie de l’intox pilotée par les services algériens était vieille comme la fraude électorale : assurer un vernis démocratique à des élections truquées, les organiser de façon à convaincre l’Occident de leur crédibilité, c'est-à-dire en persuadant des opposants d’y participer et des journalistes d’y croire. Nos missionnaires s'étaient chargés de ces derniers, leurs chefs généraux s’occupant des leaders de l’opposition. Il fallait en effet le prestige du galon pour convaincre d’illustres rivaux du régime de se prêter à une parodie électorale. C’est à cette mission que s’astreignit, dit-on, le patron du DRS, le général Toufik en personne, avec des fortunes diverses. Avec Hocine Aït-Ahmed, la tentative se serait soldée par un échec, si on en croit un des principaux responsables du FFS de l’époque, Djoudi Mammeri. Selon les révélations que ce dernier fit à la presse, le chef du DRS avait secrètement, mais vainement, insisté auprès de Aït-Ahmed pour le convaincre de participer aux présidentielles. Le général Toufik démentira dans un communiqué du ministère de la Défense. Avec d’autres opposants la chose fut cependant plus aisée. Je me rappelle de cette confidence que m’a faite à voix basse mais le cœur plein d’espoir, un des adversaires résolus du régime, Rachid Benyellès, en automne 2003 : « Je vais me présenter aux élections présidentielles. Je viens de voir les généraux. Ils m’ont donné des garanties. J'ai eu des assurances formelles. L'Armée n'a pas de candidat. » Les gages n’ont pas résisté bien longtemps à l’humeur changeante des décideurs : Benyellès n’obtint même pas les signatures de parrainage nécessaires pour pouvoir postuler.

                        Avec Saïd Sadi, le chef du Rassemblement pour la culture et la démocratie, les généraux surent encore être plus persuasifs. A chacune de nos rencontres, Saïd, pourtant rompu aux petits et grands artifices de la politique, exultait à l’idée de la défaite de Bouteflika : « Les généraux n’en veulent plus. Ils me l’ont clairement dit. Leur plan c’est de le pousser au second tour, donc à la porte. Si d’aventure il obtenait la majorité au premier tour par la fraude, le RCD et le FLN de Benflis sortiraient dans la rue et foutraient le désordre. L’Armée interviendrait alors pour interrompre le scrutin… » Il était tellement persuadé du traquenard qui attendait Bouteflika qu’il commençait chacun de ses meetings électoraux par le même définitif : « Je jure par Dieu qu’il ne passera pas ! » Le chef du RCD obtint finalement 1% des voix seulement et il n’y avait pas de militants de son parti ni encore moins ceux du FLN pour « foutre le désordre » au soir du 8 avril. Avec autant de parjures accumulés en une seule campagne électorale, il faut souhaiter à Saïd Sadi que Dieu soit envers lui aussi miséricordieux que les généraux ont été convaincants !

                        D’autres témoignages soutiennent que le candidat du FLN Ali Benflis se serait découvert une envergure de présidentiable grâce au talent du général Mohamed Lamari, chef d'état-major, qui l’aurait encouragé à se lancer dans la course. Et l’idée du ticket gagnant FLN-RCD viendrait également du patron de l'Armée qui en aurait persuadé Saïd Sadi. Difficile à vérifier, mais on sait au moins une chose : les services secrets avaient promis une « belle surprise » aux postulants opposés à Bouteflika s’ils avaient la patience d’aller jusqu’au bout de la compétition. Les généraux, soucieux d'apporter un vernis démocratique à des élections truquées, redoutaient, en effet, que ne se rééditât le scénario de 1999 quand les candidats aux présidentielles, convaincus de l’irrégularité du scrutin, s’étaient retirés de la course, laissant Abdelaziz Bouteflika en postulant unique. C’eût été la faillite du plan de maquillage électoral : un scrutin démocratiques sans challengers ! Les candidats de l’opposition furent alors tous « approchés » par les missionnaires du DRS qui les persuadèrent de l’arbitrage « positif » de l’Armée et qui les mirent en garde, fraternellement, contre la tentation de déserter la compétition. L’argument était machiavélique : « Ne tombez pas dans le jeu de Bouteflika, il veut vous pousser à l’abandon. Faites confiance à la détermination de l’Armée. » Les prosélytes du DRS ont dû être à ce point irrésistibles qu’ils convertirent admirablement Ali Benflis et Saïd Sadi à leur religion. Un mois avant les élections, Benflis, totalement envoûté, donnait une interprétation dithyrambique d’un éditorial du chef d’état-major dans la revue de l’Armée, El-Djeich : « Par cette prise de position, l’ANP rassure les Algériens inquiets par les prémices de fraude et de manipulation qui font planer de sérieux doutes sur la régularité du prochain scrutin. Les déclarations du chef d’état-major de l’ANP montrent que l’institution militaire a fait le choix de défendre la démocratie, la République et le choix souverain du peuple algérien. » L’hallucination était réussie. Quant à Saïd Sadi, il était tellement subjugué par les promesses des colonels qu’il convoqua une conférence de presse pour annoncer au monde une magnifique obstination : « Je ne me retirerai pas ! » Et, hélas pour sa carrière politique, il a tenu parole !
                        The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

                        Commentaire


                        • #13
                          Comment parler de non-démocratie alors que son livre sort à Alger et qu'en plus il fait un dédicace!!! Paradoxe quand tu nous tiens...
                          Moi je n'aime pas ce personnage, représentant uniquement son rôle il n'est pas du tout flambeau de la démocratie ou autre délire dont il se croit messie

                          Commentaire


                          • #14
                            J’ai dit à mon fils : ne suis pas l’exemple de ton père ; si tu veux devenir un homme riche, sois juge ou général. Il a compris.

                            Là il n'a pas tord! Il a tout pigé du système!
                            Dernière modification par jamoman, 01 novembre 2007, 14h13.
                            "Je déteste les victimes quand elles respectent les bourreaux". Jean-Paul Sartre

                            Commentaire


                            • #15
                              il a tout pigé le système!!!!!! puisque lui meme faisait partis de se système
                              s'est un veritable concrelat se benchicou,le voilà qui crache dans la soupe,pourquoi ne parle t-il pas de l'affaire khalifa dont lui et sa famille ont grandement profiter,pourquoi ne parle t-il pas comment il payé ces journalistes au matin pendant la période de terrorisme alors que lui etait planqué à paris à vendre ces pattes, tout se qu'il pourrait sortir meme si cela est vrai , de sa bouche sa devient un mensonge, combien de fois mohamed samraoui la remis en place

                              Commentaire

                              Chargement...
                              X